Le travail de l’ONSSA à l’aune des statistiques

Le renouvellement des fonds de recherche qui sont accordés aux projets académiques dans les pays développés sont habituellement subordonnés aux résultats attendus des travaux précédents des chercheurs. Pour ceux des postulants qui ont ponctuellement manqué de chance, il arrive parfois que les résultats de leurs investigations ne soient pas très encourageants. Faute d’alternatives, certains s’adressent à des spécialistes de statistiques pour qu’ils leur arrangent des « tests statistiques ad hoc » pour les aider à présenter leurs travaux aux pourvoyeurs de fonds sous les meilleurs auspices. On serait étonné, mais les statistiques peuvent parfois véhiculer à peu près n’importe quel message qu’on veuille bien leur confier. Au Maroc, l’Office National de Sécurité Sanitaire des Produits Alimentaires (ONSSA) utilise lui aussi des statistiques pour valider devant les pouvoirs publics l’ « exemplarité de ses interventions ». Généralement, en dehors des quantités de produits saisis ou détruits, rien de ce que disent ces statistiques n’est interprétable. Cet article regarde d’un peu plus près la salubrité de cette démarche de la part de cet organisme.

 Exécution du contrôle alimentaire

 Selon les règles établies, la vérification de la qualité et/ou salubrité des produits alimentaires offerts dans le commerce au Maroc est, aujourd’hui encore, appréciée essentiellement à l’aune des analyses et examens. Ils sont soit de type sensoriel (odorat, examen visuel, au toucher etc.) ou bien des analyses au laboratoire. L’avantage des analyses de laboratoire est qu’elles sont conduites selon des règles reconnues, reproductibles et vérifiables quel que soit le technicien qui les réalise. Concernant les appréciations sensorielles, appelées aussi organoleptiques, elles sont plus aléatoires même s’il existe également des règles à respecter. Par exemple, la discrimination entre des huiles d’olive de qualités différentes repose, entre autres, sur l’avis d’un expert en dégustation de cet aliment. Être expert signifie, en les circonstances, avoir des connaissances et une expertise confirmée sur le sujet, c’est-à-dire reconnue par ses pairs. En somme, le jugement porté sur la qualité d’un produit ou sa salubrité, donné directement par un individu ou à travers un laboratoire, doit dans un cas comme dans l’autre satisfaire aux règles préétablies. Autrement, l’avis non correctement motivé perd sa valeur.

Mission et Pratiques de l’ONSSA

 L’ONSSA est chargé par les pouvoirs publics de veiller à l’application de la loi 28-07 sur la sécurité sanitaire des aliments. Pour s’assurer de la conformité des produits alimentaires aux exigences réglementaires,  les textes d’application prévoient de soumettre les aliments aux examens et analyses requis dans ce but. Donc, avant d’émettre un quelconque avis sur un produit donné, les fonctionnaires de l’ONSSA doivent vérifier, avec leurs collègues techniciens, ses qualités selon les prescriptions de la loi. En cas d’urgence, disons un malfaiteur pris sur le fait de souiller une eau potable destinée aux consommateurs, la loi permet évidemment aux fonctionnaires d’agir sans attendre sur les résultats d’analyses d’un laboratoire pour stopper le danger caractérisé à son point de départ. Il arrive aussi que les fraudes sur aliments soient motivées par des raisons économiques, pour payer moins de taxes à la douane par exemple. L’ONSSA se doit alors de procéder aux analyses pour étayer le refus notifié aux propriétaires de marchandises impliqués dans la fraude éventuelle. S’agissant du marché national, tous les marocains ont vu sur les télévisions publiques, à un moment ou un autre, les fonctionnaires de l’ONSSA, éventuellement appuyés par des forces de l’ordre, procéder à la destruction en direct de marchandises dont les verbalisateurs ont considéré la consommation comme dangereuse pour l’homme. Il y a bien sûr des situations où les locaux de préparation de la nourriture sont à ce point crasseux qu’on ne peut qu’applaudir à la décision de ces agents. Dans d’autres cas, l’hygiène apparemment impeccable des ateliers de nourriture plaide plutôt en faveur de la conformité aux principes d’hygiène et les téléspectateurs sont en droit de se poser la question sur la pertinence de la décision de détruire immédiatement des marchandises, en apparence impeccables, au lieu de les bloquer à la vente seulement en attente des analyses de laboratoire. Sous ce rapport, on a vu du « Khlii » et des poulets frais être détruits alors que l’aspect hygiénique des magasins de vente et des produits semblait en ordre. L’argument que ces fonctionnaires avancent pour les destructions en question, menées de manière soldatesque, tient au manque de facture justifiant l’achat de ces denrées d’une source traçable et/ou fiable.

 Commentaire

 Si l’ONSSA est chargé de veiller à l’application de la loi, il est aussi supposé en respecter les termes lui-même d’abord. Or nulle part dans la loi il est dit que « manque de facture » équivaut à « manque de salubrité ». Après tout, le « poulet beldi » est toujours acheté dans nos souks et les paysans ne délivrent pas de facture à l’achat et cette pratique fait partie de notre héritage et de notre quotidien. Par ailleurs, les marocains ont mangé du « Khlii » pendant des siècles. Il s’agit d’un mets succulent et, compte tenu de sa teneur volontairement élevée en sel, ne présente pas de risque (ou négligeable) sur le consommateur. Le rejet du poulet frais, prévu éventuellement par la réglementation, doit, essentiellement, se faire sur la base de présence du germe pathogène « salmonelle » dont la détermination se fait au laboratoire. Mais si ces agents suspectent tout de même un manquement à l’hygiène, ce qui est leur droit, ils seraient mieux inspirés de bloquer le produit à la vente en attendant les résultats d’analyses de laboratoire sur des échantillons représentatifs prélevés sur l’aliment, sinon ils courent le risque de se faire tirer les oreilles par la justice. En effet, imaginons un instant que le propriétaire du produit en litige demande, c’est son droit, à faire un prélèvement immédiat devant huissier de justice d’échantillons de son produit suspecté et en fasse l’analyse au laboratoire sur son compte. Considérons aussi que les résultats viennent infirmer les simples présomptions des fonctionnaires de l’ONSSA. Le propriétaire serait alors en droit de demander réparation matérielle et morale que le tribunal sera bien tenu de lui accorder et ce sera à l’Etat de payer pour les fautes d’agents qui font apparemment preuve d’un empressement à mauvais escient. A présent, peut être que ces verbalisateurs pensent vraiment rendre service à la communauté en agissant de la sorte pour, pensent-ils, impressionner d’autres fraudeurs potentiels et les dissuader de passer à l’acte. Possible. Cependant, l’ONSSA n’a pas reçu mission pour effectuer son travail sur des présomptions mais sur des preuves tangibles. Alors, en faisant comme ils font ils perpétuent l’exemple mauvais que nous continuons au Maroc à appliquer la loi selon des pratiques d’un temps qui est révolu.

 En guise de conclusion, l’expérience montre que l’examen stresse un étudient. Si l’examinateur le regarde d’un œil amène, il donnera le maximum de lui-même et augmentera ses chances de réussite. Mais recevoir l’étudient de manière déplaisante tue définitivement en lui quelque espoir que ce soit et le décourage encore davantage. Sous ce rapport, certains actes de l’ONSSA sont encore aujourd’hui dans la droite ligne des verbalisateurs de la défunte loi 13-83 de répression des fraudes qui prenait tous les commerçants pour des fraudeurs jusqu’à preuve du contraire. Il ne faut pas en vouloir alors aux exploitants de montrer si peu d’enthousiasme à coopérer avec la tutelle en question. Or, de cette coopération dépend également la crédibilité de l’ONSSA pour laquelle cet organisme risque peut être d’attendre des années encore.