Le concept de « légitime défense » nourrit à priori l’idée que si quelqu’un se trouve lui-même en situation de danger extrême, il lui est permis d’user de tout moyen pour sauver sa vie, y compris si cela se fait aux dépens de la vie de l’adversaire présumé.
Il semble donc qu’au moment de nous coloniser il y a plusieurs siècles, les européens ont considéré que leurs citoyens étaient en danger extrême parce que, entre autres, ils n’avaient pas suffisamment de nourriture chez eux. Il leur était supposément plus simple, plus économique et plus rapide, de venir prendre possession de nos territoires et nos ressources par la force des armes et asservir nos peuples que de mettre en œuvre des projets d’amélioration de rendement agricole ou autre chez eux. Sans que nous ayons fait quoi que ce soit pour le mériter, nos colonisateurs européens ont réussi à faire de nous autres africains leurs adversaires.
Cette philosophie (chercher à mieux vivre aux dépens des autres) renvoie à la doctrine que les nazis, plus tard, ont défini sous le concept « Lebensraum », ou « Espace vital ». Les allemands estimaient alors que leur propre « Espace vital » était trop réduit pour eux. Les nazis ont donc voulu étendre cet espace aux dépens des autres pays européens pour mettre à l’aise leurs propres citoyens. Hitler a ensuite mis en avant cet « argument » (augmentation de l’Espace vital germanique) pour justifier l’invasion progressive d’autres pays européens et a déclenché, comme conséquence, la deuxième guerre mondiale.
Mais les temps ont beaucoup changé depuis la dernière grande guerre et le discours, pour appeler de nouveaux soldats sous les drapeaux, a touché ses limites. Les jeunes n’acceptent plus dans leur majorité d’embrasser une activité militaire où le risque de perdre sa vie est bien réel. L’outil militaire pour asservir les autres a par conséquent largement perdu de son attrait au profit de méthodes de substitution économiques et commerciales qui visent le même but. Mais ces pratiques dont il s’agit se basent toujours, plus ou moins, sur quelque interprétation self- intéressée du concept d’Espace vital évoqué plus haut.
Dans cette logique, mise à part la guerre Russie/Ukraine qui fait office d’exception, les confrontations par moyens militaires entre les Etats ont laissé la place à des joutes verbales musclées au sein de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Sous ce rapport, le cycle de négociation de Doha sous l’égide de l’OMC, portant essentiellement sur l’agriculture, aura été une suite interminable de récriminations entre les pays de l’UE d’un côté et les pays d’Asie et d’Amérique de l’autre avant de s’achever sur un échec cuisant pour tout le monde. Au jour d’aujourd’hui, l’OMC est toujours handicapé pour faire correctement son travail. Les « porte-paroles » de fait de l’UE dans ces négociations de Doha étaient les représentants de l’Etat français lequel s’est toujours montré intraitable sur tout ce qui concerne le contrôle alimentaire dont les normes françaises (drapées d’un emballage UE) sont self-considérées comme supérieures à toutes les autres normes de par le monde à commencer par celles du Codex Alimentarius sur lesquelles la France, comme les autres pays membres, doit bien évidemment avoir donné son approbation.
Mais, ce n’est pas le hasard qui a établi la France comme porte-drapeau omnipotent de l’UE pour tout ce qui relève des ressources agricoles, dont les normes en particulier. La goinfrerie des européens pour les ressources africaines à des prix modiques conjuguée à la main mise de la France sur une grande partie de notre Continent, l’Afrique de l’Ouest en particulier, par le biais du Franc CFA et la langue française, a privilégié la France pour devenir un « Hub UE » sans équivalent pour ce qui relève du contrôle postcolonial des échanges commerciaux interafricains et en direction de l’UE. Le but de ces manœuvres, qui n’a pas changé depuis l’ère coloniale et que tous les africains ont compris à présent, est de proroger à volonté le commerce très asymétrique entre les pays de notre Continent et l’UE.
Pour contribuer à cet objectif, de nombreux organismes privés de contrôle des produits agroalimentaires, venus de différents pays européens, se sont concentrés en France — comme exemple, il y a la SGS, Bureau Veritas, Intertek, Tüv Rheinland et bien d’autres — pour continuer, comme au temps de la colonisation, la gestion de loin de nos échanges commerciaux africains.
Or, en s’immisçant dans nos contrôles alimentaires et de produits assimilés, la France et consort acquièrent de facto l’accès aux conditions de travail au sein de nos entreprises, comprenant les informations en rapport aux prix, à la qualité et aux conditions d’achats de Matières Premières et de ventes de Produits Finis. Ces informations, et d’autres qui en dérivent (équipement en place dans les entreprises et procédés de fabrication etc.), sont traités par les organismes de contrôle sus-indiqués et d’autres de leurs collègues pro-européens au service de leurs pays respectifs pour maintenir la mainmise des pays de l’UE sur nos richesses et, également, pour orienter le cours de notre commerce dans le sens qui leur est encore plus favorable.
Cette attitude des officiels français, d’avoir le dernier mot sur tout ce qui touche aux échanges agroalimentaires de l’UE avec l’Afrique et autres ex-colonies, dont la France tire le plus grand bénéfice pour elle-même, a grandement servi l’UE pour maintenir la vassalisation de notre Continent à leur service. Par contre, cette même attitude narcissique franco-européenne a exaspéré d’autres partenaires de l’UE de par le monde dont l’Inde, les USA, l’Amérique latine et autres. Dans le même temps, cette inflexibilité française a quelque fois heurté de front les intérêts de l’Allemagne dont les échanges agroalimentaires ne sont pas mis, contrairement à la France, en tête de ses priorités.
A ce propos, la condamnation ces derniers jours par la France de la candidature de l’américaine Madame Fiona Scott Morton en tant que prochaine économiste en chef de la concurrence au sein de la commission de Bruxelles n’a eu aucun effet sur la décision de la présidente, Madame Ursula von der Leyen, qui a confirmé le maintien de la candidate américaine pour ce haut poste de responsabilité au sein de la commission UE et ce au grand dam de Paris. Et l’Allemagne n’a pas bougé le petit doigt pour soutenir la France. En plus d’être rejeté ici et là dans le monde, l’Etat français doit se sentir à présent bien seul si ses partenaires de l’UE commencent à lui tourner le dos.
Mais la France est connue pour avoir, et vouloir garder, cette attitude hautaine depuis le lendemain de la deuxième grande guerre. Alors que la France même a perdu la guerre contre l’Allemagne, l’Etat français se flatte de faire partie des grandes puissances qui guident le monde. Et il est vrai qu’il y a une trentaine d’années en arrière et au-delà, la balance commerciale française était toujours excédentaire et justifiait l’enthousiasme de la France de se complaire dans un rôle de grande puissance. Aujourd’hui, la dette de la France avoisine celle de l’Italie et se rapproche chaque jour davantage de celle de la Grèce, pays le plus endetté des Etats de l’UE. Et pour ne rien arranger, de plus en plus de pays africains refusent de coopérer avec les français et leur demandent de quitter l’Afrique.
Ce rejet de la présence française en Afrique s’est accentué dès lors que l’implication de la France dans les rouages de recyclage de produits importés à l’origine de Chine, d’Ukraine, de Russie et d’ailleurs a révélé au grand jour le rôle glauque que les opérateurs français, parmi une nuée de spéculateurs européens, assument dans la revente d’un très grand nombre de produits d’origine extra-européenne après leur « redéfinition » de forme sous le mode « Made in UE » pour en faciliter la vente dans nos pays africains avec des marges bénéficiaires mirobolantes pour ces intermédiaires. Les organismes de certification sus-indiqués et leurs semblables jouent un rôle central dans ce commerce spéculatif mais hautement lucratif.
Mais de nos jours, de plus en plus de pays sont devenus conscients de cette économie de rente que les européens ont développée sur notre dos, avec le concours actif des organismes d’expertise et certification évoqués plus haut, et tiennent à mettre fin à cette mascarade. D’ailleurs, il serait hautement surprenant que ce type de trafic puisse passer inaperçu pour nos responsables gouvernementaux. Mais si tel est le cas, pourquoi ces gens (nos responsables gouvernementaux) ne font rien pour arrêter cette hémorragie des maigres finances de nos entreprises qui vont dans les poches de ces organismes nantis mais toujours avides de gagner davantage sur notre dos.
N’étant nous même pas fonctionnaire de l’Etat, nous ne prétendons pas avoir la réponse ultime à cette interrogation. Mais, s’il n’y a pas de cabale ici, il reste le raisonnement.
Il est évident que mettre un peu d’ordre dans le travail de ces cabinets conseils UE, pour le conseil, l’expertise et la certification, qui veulent continuer de nous dicter notre conduite depuis leurs sièges en Europe (en France) ne peut être que bénéfique à l’éclosion de compétences nationales africaines dans le domaine. Il ne peut en être autrement. Donc, si nos responsables gouvernementaux (au Maroc et probablement ailleurs en Afrique aussi) concernés ne réagissent pas c’est peut-être parce qu’ils en sont incapables. Par exemple, la France n’a pas cessé depuis l’indépendance du Maroc de faire signer à nos responsables gouvernementaux marocains des accords de partenariats de toutes sortes au nom du Gouvernement de Sa Majesté et peut-être que des clauses diaboliques ont été glissées çà et là qui handicapent la libération de certains de nos secteurs stratégiques de la tutelle française. Nous pensons en priorité à l’ONSSA (Office National de Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires), le LOARC (Laboratoire Officiel d’Analyses et de Recherches Chimiques), Morocco Foodex (ex-EACCE, établissement de création de la France coloniale), et les organismes qui assument le même type de fonction. L’IMANOR (Institut Marocain de Normalisation), qui certifie au nom de l’Etat et contrôle son propre travail en dehors du bon sens et des normes en vigueur à l’échelle internationale devrait également faire partie de ces organismes à refondre.
Un autre scénario est plus plausible pour nous. Sous ce rapport, un de nos ex-premiers ministre vient d’être assermenté en tant qu’expert psychiatre à Casablanca. Nous saluons hautement ce médecin qui montre à tous les marocains qu’il est capable de vivre de son propre travail en dehors de la « profession de politicien ». Ils ne sont malheureusement pas nombreux dans ce cas. Le résultat est que parmi nos gouvernants, et néanmoins décideurs en notre nom, beaucoup (pas tous) sont des spécialistes de la politique politicienne. Dit autrement, parmi ces gens il y en a qui ne sauraient pas comment faire pour gagner leur vie s’ils étaient écartés de la sphère politique. Ils sont pourtant nombreux parmi cette catégorie de pseudo-responsables qui décident du choix des priorités pour l’action gouvernementale pour redéfinir la place qui revient au Maroc d’aujourd’hui parmi les autres nations.
J’ai personnellement des doutes que cette catégorie de personnes ait une conscience suffisante comme quoi il n’y a pas place de leadership du Maroc parmi les nations africaines sans un leadership confirmé sur la souveraineté sanitaire de notre nation. Mais, cela serait sûrement au-dessus de la compréhension des esprits auxquels je fais allusion.
Bien évidemment, si les politiciens de carrière chez-nous ne se montrent pas capables de faire asseoir la souveraineté sanitaire nationale (africaine) sur des bases équivalentes à celles des pays qui nous oppriment sur les plans économique et commercial, ce n’est pas une raison pour nous, la société civile, de rester les bras croisés. Il n’est pas trop tard pour agir, à commencer par réfléchir sur les modalités de lancement d’un Cabinet de certification et d’expertises africain, bien de chez-nous, dont le but ultime sera de viser une compétition réglementaire avec les autres Cabinets pro-européens, particulièrement sur les plans de l’honnêteté et les rapports Qualité/Prix des interventions. C’est de cette façon, et de cette façon seulement, que nous aurons des chances de réussir à équilibrer au mieux les conditions de concurrence commerciales et économiques dans nos échanges commerciaux avec les autres nations extra-africaines.
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