La loi et l’application de la loi

Un haut magistrat de notre pays, le Général M. M. (Dieu ait son âme)  — qui m’a utilement aidé alors qu’il était Colonel et a contribué efficacement à faciliter ma réinsertion il y a une quarantaine d’années sur le marché marocain à mon retour au pays après un premier séjour d’études universitaires et de travail post-doc qui a avoisiné treize années en Suisse — avait l’habitude de rappeler à propos d’une question ou une autre cette précaution « Il faut voir ce que dit la loi ». D’autres responsables, que je compte parmi mes amis, ont également cette attitude.

Ceci étant, durant mon travail de dizaines d’années passées, entre autres, sur des interventions en tant qu’expert judiciaire à Casablanca et au-delà, portant sur des centaines de dossiers, relevant des domaines de la sécurité alimentaire et autres, j’ai pu observer l’insouciance ou le mépris que de nombreux acteurs du secteur agroalimentaire national affichaient de façon récurrente à l’adresse de notre réglementation —  celle embryonnaire laissée par le Protectorat français et ensuite la loi 28-07 de sécurité sanitaire des produits alimentaires actuellement en vigueur —  fréquemment au vu et au su de l’Autorité de tutelle, à savoir les services de la répression des fraudes auparavant et l’ONSSA (Office National de Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires) actuellement. Il s’agit là (Infractions à la loi et passivité de l’Autorité de tutelle) de faits avérés que d’autres observateurs ont commenté dans divers médias nationaux sans qu’aucune action notable des autorités supérieures ne paraisse avoir été prise pour corriger sur le terrain ce sinistre constat.

D’un autre côté, il ne fait plus aucun doute qu’aujourd’hui l’Etat marocain est définitivement résolu à sévir contre la fraude, la corruption, le clientélisme, d’où qu’ils viennent. Cette démarche d’assainissement robuste  —  exigence incontournable suite à la grande ouverture du Royaume aux investisseurs étrangers de tous bords — qui se poursuit à ce jour, aura concerné la plupart des secteurs d’activité publics et privés de la nation. Mais les fonctionnaires affectés au contrôle des produits alimentaires —  qui évoluent dans la nébuleuse qui regroupe les autorités de tutelle sur le domaine agroalimentaire relevant en premier lieu du Ministère de l’Agriculture et aussi des bureaux d’hygiène et du Ministère du Commerce et d’industrie et des laboratoires officiels autonomes —  paraissent avoir été épargnés par cette campagne d’assainissement nationale et de mise à niveau.

Quelqu’un peut en déduire que le système de contrôle alimentaire et produits assimilés va bien chez-nous. Mais, à la lumière des très nombreux exemples rapportés auparavant dans plusieurs articles de ce blog et des centaines d’observations dûment documentées dans mes archives  —  traitant des infractions à la loi de sécurité sanitaire des produits alimentaires en présence d’une passivité coupable de l’ONSSA et consorts — le constat regrettable est que nous sommes en réalité encore très loin d’être proches d’un système de contrôle alimentaire comparable à ceux en vigueur dans des pays avec lesquels nous commerçons dans le cadre d’accords de libre-échange.

Mais, nos fonctionnaires du contrôle alimentaire croient, ou se laissent convaincre, que leur approche de travail pour tranquilliser les consommateurs marocains est saine. Leur stratégie, sorte d’infantilisation de nous autres adultes consommateurs, consiste encore et toujours à sortir de temps à autre une liste compilant une quantité de produits alimentaires défectueux mis au rebut par leur soin. Ces fonctionnaires oublient, ou feignent d’ignorer, que les professionnels de la fraude sur aliments, qui brassent des sommes d’argent colossales de leur business délictueux, se fichent éperdument de la promulgation des listes anonymes de ces fonctionnaires. Du moment que leurs noms n’est pas divulgué pour information aux consommateurs, cela ne les empêchera pas de continuer leurs fraudes ou de les recommencer.

Il est cependant vrai que le système de Contrôle/Qualité constitue un sujet hautement sensible. Dans ce sens que si l’exaction d’un flic ou bien un juge véreux n’a d’impact que sur un individu (un dossier) à la fois, un contrôle alimentaire défectueux impacte immédiatement l’ensemble des consommateurs, c’est-à-dire tout le monde. On comprend que l’Etat puisse faire une nette distinction entre une mauvaise action de portée individuelle dans les premiers cas et le retentissement potentiel sur l’ensemble des consommateurs en cas de mise en cause du système de contrôle qualité ainsi que le risque d’un dérapage de la réaction populaire.

Cela a été le cas, par exemple, lors de l’affaire dite du blé indien qui a défrayé la chronique dans les années quatre-vingt-dix du siècle passé et dans laquelle nous étions, sur demande des tribunaux, opposé au Staff et techniciens de contrôle concernés du Ministère de l’Agriculture de l’époque. Les éléments objectifs dans le dossier soumis aux tribunaux n’apportent aucune preuve tangible de la présence d’un contaminant dont les fonctionnaires se sont servis pour bloquer le blé au port de Casablanca. Il faut dire que ce type de transactions juteuses (importations de cargaisons de blé) est toujours revenu auparavant à des relais d’un pays européen connu. Ces gens frustrés ont alors ameuté les médias nationaux en leur servant des informations manipulées qui ont créé un sentiment de confusion et d’effroi parmi les consommateurs et le monde agricole. Pour éviter un dérapage incontrôlé des réactions populaires, l’Etat s’est alors servi de tous les moyens réglementaires à sa disposition pour interdire l’entrée officielle de cette cargaison de blé sur le territoire national.

Il est bien évidemment très difficile de spéculer sur ce qui serait arrivé si ce blé avait eu accès au marché marocain. De la même manière, il est difficile de spéculer sur ce qui arriverait si les fonctionnaires de l’ONSSA décident d’ajouter sur leurs listes récurrentes, évoquées plus haut, de produits alimentaires jetés au rebut, les noms des fraudeurs à l’origine de ces délits.

Malheureusement, le dilemme ne s’arrête pas là.

Le fait est qu’à présent, le Maroc se trouve en quelque sorte entre le marteau et l’enclume pour ce qui relève de la mise à niveau de notre système de contrôle alimentaire. Sur le plan interne, il y a bien sûr cette question de la sensibilité du sujet et la crainte de dérapage qui pourrait être source de perturbation sur la marche normale des rouages du marché local et de l’humeur de la population  qui reste profane des questions touchant au contrôle sanitaire. Mais, le Maroc est considéré à présent par les instances internationales, ONU, Banque mondiale, FMI, Banque Africaine de Développement et autres comme un leader donnant la marche à suivre à d’autres pays frères et amis africains pour, en particulier, s’industrialiser et sortir de la pauvreté. Cela devient donc une responsabilité lourde à présent pour le Maroc qui doit l’assumer dans sa totalité. Cela comprend la mise à niveau devenue urgente de notre système de contrôle qualité englobant l’ONSSA, le LOARC, l’EACCE (devenu Morocco Foodex pour brouiller les pistes), l’IMANOR, les bureaux d’Hygiène et autres.

La raison est qu’en somme, le Maroc vit à présent sa mutation industrielle et technologique à crédit grâce à l’argent des banques qu’il faudra bien rembourser. Mais l’argent, il faut d’abord le gagner en développant notre export particulièrement là où nous avons des avantages comparatifs par rapport aux compétiteurs. Ceci est évidemment le cas pour l’agro-industrie et le cosmétique où le bon Dieu a bien servi le Maroc en un grand potentiel en ressources agricoles et autres et un climat favorable. Nous pouvons produire à souhait mais le facteur limitant pour l’export c’est la qualité et la crédibilité du contrôle. Sur ce plan, il serait naïf de considérer que nos ex-colonisateurs vont rester à nous observer leur prendre des parts commerciales sur le marché africain. Ils utiliseront tous les moyens honnêtes et malhonnêtes (comme cela a été le cas sur le dossier du blé de l’Inde évoqué plus haut) pour freiner l’enthousiasme de nos opérateurs pour l’export sur le marché africain et ailleurs.

La meilleure défense dit l’adage c’est l’attaque. Or, nous avons au Maroc une ribambelle d’opérateurs d’obédience européenne qui travaille chez nous sur le secteur de l’expertise et la certification et autres conseils aux entreprises en toute illégalité. Par exemple, ils se permettent d’inonder notre marché avec des certificats produits et émis depuis l’étranger. Or, la loi sur l’exercice de l’activité d’expertise chez nous est claire. En particulier, au cas où l’avis d’un expert est remis en cause de manière fondée ce dernier doit être atteignable pour rendre compte de son travail devant « Qui de droit » en général et la justice en particulier. Cela parait difficile voir insoluble quand l’expert est domicilié à l’étranger. Alors, la chose par laquelle nos instances concernées par ce sujet doivent commencer c’est demander à ces Cabinets d’expertises visés d’appliquer la loi qui existe au Maroc sur les experts pour exercer chez-nous. Dans le cas contraire leur intimer l’ordre de cesser toute activité sur le domaine de l’expertise. C’est le prix à payer pour que notre autorité de tutelle soit prise au sérieux par les professionnels d’ici et d’ailleurs.

L’application des autres mesures évoquées plus haut dans ce texte en sera grandement facilitée.