Si la réputation d’un organisme relève d’abord et avant tout de la qualité de son personnel, on peut dire que celle de l’ONSSA (Office National de Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires) était entachée de médiocrité dès sa naissance en 2009. En effet, le corps des verbalisateurs de cet organisme pratiquait, dernièrement encore, selon une approche de travail coloniale en n’annonçant pas leurs visites à l’avance aux exploitants, en ne déclinant pas leur qualité, en échangeant avec les exploitants uniquement par voie orale et en ne laissant aucune trace écrite de leurs « visites de travail » ou bien de leurs remarques éventuelles sur l’Unité inspectée, pour ne citer que ces quelques exactions courantes. En réalité, le but essentiel poursuivi par ces gens était de racketter les opérateurs, point final. Au cas où, pour une considération ou une autre, un reproche venait à leur être adressé, ils niaient tout en bloc et il était impossible de prouver quoi que ce soit devant quelque instance que ce soit. Le résultat net de cette approche de « travail de contrôle » proprement mafieuse aura été l’adaptation des exploitants marocains à ce système d’extorsion par des productions médiocres et frauduleuses ce qui a rendu de facto le travail de notre système de production agroalimentaire très loin des standards reconnus de par le monde et hautement non compétitif. Le cri d’alarme du Directeur Général de l’ONSSA lancé dernièrement devant l’ampleur des produits périmés et/ou frauduleux retirés juste à temps avant leur introduction dans le circuit commercial marocain est révélateur du délabrement atteint par le système de contrôle alimentaire chez nous. Cela aura finalement duré un temps infini pour se terminer à présent, ou à tout le moins de tels abus sont appelés à grandement diminuer à partir de maintenant. En effet, l’État a enfin initié une démarche pour revêtir l’ONSSA de la crédibilité qui lui fait défaut. Désormais, après avoir suivi une formation sur les domaines traités par la loi 28-07 de sécurité sanitaire des produits alimentaires et prêté serment pour appliquer la nouvelle réglementation, les verbalisateurs attitrés à la tâche du contrôle seront détenteurs d’une carte professionnelle qu’ils doivent porter de manière apparente lors de l’accomplissement de leurs missions. Dit autrement, les exploitants seront à l’avenir fondés par la loi de refouler tout fonctionnaire de l’ONSSA qui n’arborerait pas sa carte professionnelle. Les agents ONSSA doivent aussi mettre par écrit sur un registre à cet effet, avant de repartir de l’Unité auditée, les remarques et observations relevées durant leur travail d’inspection et dater et signer en même temps que les opérateurs inspectés.
Il ne faut pas s’y tromper ; il s’agit bien d’un changement radical au comportement habituel des verbalisateurs ONSSA auquel il leur est demandé de se conformer immédiatement. Alors que ces fonctionnaires fermaient volontiers leurs yeux auparavant sur les insuffisances de sécurité sanitaire des aliments, constatées lors de leurs tournées d’« inspections », qui n’étaient alors signalées nulle part, et, en somme, monnayaient ce silence en argent sonnant et trébuchant ; ils sont tenus dorénavant de coucher de telles observations par écrit, faute de quoi ils seraient coupables d’une transgression de la réglementation, acte répréhensible puni par la loi.
La dernière campagne d’assainissement à l’occasion du Mois sacré de Ramadan doit avoir joué un rôle de pousser les autorités à accélérer enfin l’implémentation de la loi 28-07 votée en 2010 déjà. Les milliers de tonnes de marchandises impropres à la consommation qui auraient, autrement, pu être consommées sans cette vigilance (des forces de l’ordre d’abord), avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer sur la santé publique, est un facteur significativement éloquent de l’ampleur de la déliquescence à laquelle le système national d’importation, de production, contrôle et distribution des denrées alimentaires est arrivé. Tout le monde est responsable à commencer par les différentes fédérations concernées de la CGEM (Confédération Générale des Entreprises du Maroc) regroupant les importateurs, producteurs et distributeurs. Il y a aussi les grandes surfaces et les consommateurs mêmes et il y a l’ONSSA, organisme de tutelle sur le secteur et sur ses verbalisateurs. Alors, en plus des décrets promulguant la nouvelle manière de procéder pour l’audit des entreprises, l’État s’est également adressé à chacun des groupes d’intérêt du secteur pour les rappeler à leur responsabilité citoyenne et les inciter à abandonner les politiques de complaisance que chacun a pu avoir à ce jour vis-à-vis du circuit d’import, de production et de commerce des produits alimentaires dans notre pays. Les fédérations doivent intervenir auprès de leurs adhérents pour les pousser à décrocher leur autorisation/agrément auprès de l’ONSSA. Ce dernier doit respecter dans les faits le délai de 45 jours entre le dépôt d’un dossier complet et la visite sur site en vue des vérifications d’usage pour l’attribution de l’autorisation/agrément. Les importateurs sont à présent instruits de cette obligation d’être autorisé et/ou agréé par l’organisme de tutelle sous peine de voir leurs produits importés être bloqués en douane. Les grandes surfaces sont informées qu’à partir de ce premier Septembre 2015 ils ne doivent s’approvisionner en produits alimentaires que chez des producteurs et/ou importateurs qui sont dûment agréés/autorisés par l’ONSSA. Dans le cas contraire, ils seraient considérés des complices d’un trafic illicite de denrées alimentaires et paieraient un prix extrêmement cher en mauvaise publicité au regard d’un calcul étroit sur de petites économie d’un niveau d’épicerie. Enfin, les verbalisateurs savent à présent que l’ère du laxisme est révolue et obligation leur est faite de se conformer strictement à la loi dans l’exécution de leurs opérations de contrôles.
Mais peut-on pour autant considérer que le secteur agroalimentaire national s’est affranchi à présent de tous les handicaps qui l’ont miné depuis l’ère coloniale ? Bien sûr que non, car le diable est dans les détails. Le système que la nouvelle réglementation vise à juguler est en place depuis de nombreuses décennies et, à ce titre, a eu le temps de créer sa propre synergie. Des acteurs individuels ayant intérêt que le système perdure ont eu le temps de s’acoquiner et n’épargneront aucun effort pour freiner l’évolution normale de l’implémentation de la nouvelle réglementation. N’oublions pas que l’ONSSA est là depuis plus de six ans sans résultat probant permettant de distinguer son action par rapport aux services de la répression des fraudes qui l’ont précédé. Les agents verbalisateurs pourraient être tentés de déclarer moins de visites que ce qu’ils auraient réellement effectuées lors de leurs tournées à venir. Mais, il leur faudra pour cela la complicité des exploitants et seront ensemble hors la loi le cas échéant. Sous ce rapport, les instances hiérarchiques ONSSA seraient bien inspirées de fixer à l’avance le calendrier des tournées aux verbalisateurs et mettre sur internet les résultats de leurs visites effectuées dans les Unités concernées. Dans le même ordre d’idées, le délai de 45 jours pour la visite de l’ONSSA, après le dépôt d’un dossier complet pour autorisation et/ou agrément, devrait être scrupuleusement respecté par l’organisme ce qui, selon nos informations, n’est toujours pas le cas actuellement. Enfin, le système de prélèvement des échantillons, confié encore, en dehors des normes, à des personnes qui ont fait leur temps sous l’« ancienne loi répressive 13-83 » de répression des fraudes, qui ne portent pas de responsabilité aux yeux de la réglementation actuelle, continuera de perturber la mise en place ordonnée de la nouvelle réglementation. Le lobbying de ces préleveurs à la petite semaine auprès de leurs ex-collègues du LOARC (Laboratoire Officiel d’Analyses et de Recherche Chimiques) et autres laboratoires officiels pour influer sur le déroulement des analyses, n’ajoute rien à la clarté du système mais, bien au contraire, le rend davantage opaque et risque de remettre l’adhésion des importateurs à l’autorisation et/ou agrément ONSSA aux calendes grecques. Il y a lieu de remédier également à un autre travers des auxiliaires ONSSA sur le terrain ; certains, parmi ces fonctionnaires, font copier des documents, cela peut être un programme HACCP (Hazard Analysis & Critical Control Points) par exemple, faits pour une entité donnée et les remettent à une autre entreprise qui peut les falsifier et les revendiquer comme siens. La hiérarchie ONSSA doit indiquer clairement qu’un document non correctement renseigné ou qui ne porte pas, en particulier, les identifiants de celui qui l’a fait et pour quelle Unité, et daté et signé devrait être considéré comme anonyme et sans valeur pour la demande d’agrément et/ou d’autorisation.
Ainsi seulement la crédibilité de l’ONSSA sera mise sur les rails pour hisser le niveau de qualité du marché marocain et donner l’assurance qu’il faut aux organismes équivalents étrangers pour contribuer à booster l’export de nos produits alimentaires sur un continent africain qui en a tant besoin.