L’Afrique décide de jouer dans la Cour des Grands

Dans les années qui ont suivi la deuxième guerre mondiale, un salarié américain qui s’envolait pour un mois de congé en Europe pouvait, en revenant chez lui, s’apercevoir qu’il avait économisé de l’argent, comparé à ce qu’il aurait dépensé s’il était resté chez lui. L’Amérique intervenait alors pour 50% du commerce mondial. Beaucoup de choses ont changé entre temps, mais les Institutions d’alors, FMI et Banque Mondiale entre autres, constituent toujours les piliers qui soutiennent  les échanges internationaux d’un monde qui n’est plus le même. Le GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), rebaptisé OMC (Organisation Mondiale du Commerce) par l’accord de Marrakech de 1995,  fait partie de ces traités multilatéraux mis en place dans les années quarante du siècle passé. Ce dernier est mandaté du Pouvoir de règlement des conflits commerciaux entre les Etats. A l’époque, l’Amérique, première puissance sur tous les plans, devait avoir l’assurance, en cas de litige avec tierce-partie porté devant cette dernière Instance, qu’elle avait suffisamment de bonnes cartes entre les mains pour gagner un différend haut la main. Cette assurance, sur laquelle les américains se sont appuyés pour promouvoir la libéralisation des échanges à l’échelle de la planète, n’est apparemment plus de mise aujourd’hui. Comme preuve, le rapport de ce mois de Mars de l’USTR (Bureau du représentant du commerce des États-Unis)  affirme : « L’OMC mine la capacité de notre pays à agir dans son intérêt national … La première de ces préoccupations est que le système de règlement des différends de l’OMC s’est approprié des pouvoirs que les Membres de l’OMC n’avaient jamais eu l’intention de lui confier ».

Les récriminations sont profondes, viennent de loin et sont illustrées, entre autres, au niveau des secteurs agroalimentaires. Pour le règlement de litiges se rapportant à ces produits, l’OMC se réfère aux normes du Codex Alimentarius. Pour plusieurs considérations, traitées çà et là dans différents articles de ce blog, l’UE s’est, en tant que Bloc, assurée la haute main sur le modelage des normes au sein des rouages du Codex où ils n’oublient jamais de se ménager des échappatoires, à l’instar du sacro-saint « Principe  de précaution», dont ils n’hésitent pas à s’en servir comme Veto chaque fois qu’ils craignent  d’être infériorisés sur le plan scientifique.

Vu sous cet éclairage, l’UE s’est rendue invincible par l’usage astucieux des règles du Codex. Un fait contre lequel les autres pays n’ont rien pu faire. Si on ajoute à cela le constat  que l’UE parle au nom de « 28+1 » voix, alors que chaque pays individuellement n’en dispose que d’une, on imagine aisément que les normes (outils nécessaires à l’OMC) doivent recevoir la bénédiction UE si elles doivent aboutir devant quelque commission multilatérale que ce soit. Cela aussi irrite considérablement et pas uniquement les américains. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui ont entrainé l’échec  du Cycle de négociations de Doha et mené à la situation difficile dans laquelle l’OMC se trouve à présent, prêt à imploser.

Ce qui précède aide à comprendre en bonne partie la dépendance de nombreux pays, africains en priorité, du marché unique européen. En effet, de très nombreuses normes qui y permettent l’accès sont soigneusement conçues pour ce marché unique. Mais, pour vendre sur d’autres marchés mondiaux, les opérateurs africains doivent se préparer selon d’autres règles et c’est là où le bât blesse. En effet, le risque est de voir leurs produits, à la prochaine tentative d’exportation sur le marché du « Bloc-Européen », refusés pour une raison « hors de tout soupçon ». Quand le marché de l’UE, qui absorbe soixante-dix pourcent de votre production, se ferme devant vous, c’est effectivement un risque mortel que personne ne veut prendre. Surtout quand les opérateurs africains y vont en rangs dispersés (voir plus bas) et y sont donc plus vulnérables. Le résultat net est un monopole de fait, et sans concession, de l’UE sur les richesses du continent africain.

Tant que l’UE cherche à rester solidement attachée à ce qu’elle considère comme son pré carré (marché africain), pour lequel elle a développé un attachement viscéral depuis des siècles, il y a peu de choses que nous puissions faire nous-mêmes en tant que citoyens africains pour débrouiller ce conundrum. Mais, le bras de fer engagé actuellement entre les frères ennemis, UE et US, à propos des règles du commerce, apportera peut-être un début de solution. Pour des considérations sur lesquelles les américains se sont expliqués, ils ont introduit une nouvelle taxe sur les importations d’acier et d’aluminium qui pénaliseront les exportations de l’UE sur le grand marché américain. L’Amérique a aussi mis en place des formules d’exemptions à l’adresse d’opérateurs et/ou de pays individuels qui le souhaitent. Mais l’UE tient à une exemption définitive, immédiate et sans contrepartie, pour l’ensemble des  pays du Bloc ce que les américains rechignent à leur accorder. La possibilité de voir cette taxation provisoirement retardée pour le moment semble être privilégiée. Comme il n y a pas de précédent à cet imbroglio, il est difficile de  deviner quelle sera la suite. Habituée à traiter les petits pays africains comme bon lui semble, l’UE a fini par trouver un adversaire à sa taille cette fois.

Toutefois, le fait le plus marquant de la scène internationale actuellement est la signature Mercredi passé à Kigali (Rouanda), par 80% des Etats (44) de notre Continent,  d’un accord historique, portant sur la mise en place d’une Zone de libre-échange continentale africaine (AfCFTA : African Continental Free Trade Area). Cela va dans le sens de l’adage comme quoi « On n’est jamais mieux servi que par soi-même ». A terme, cela permettra de dialoguer de « Bloc à Bloc » avec l’UE pour remédier à l’asymétrie flagrante actuelle qui préside aux échanges entre nos pays et ceux de la rive nord de la méditerranée. D’ici là, il faudra mettre en place les instruments, et les personnes, à la hauteur du Défi de cette nouvelle donne et, en premier lieu, asseoir la crédibilité qu’il nous faut vis-à-vis de nos voisins du Nord pour avoir une expertise robuste dans le secteur agroalimentaire qui permette de défendre la qualité de nos aliments transformés et leur export avec profit, pour nos opérateurs et les consommateurs, sur le marché globalisé. L’AEFS (www.aefs.africa), sera, nous l’espérons tous, appelée à jouer un rôle dans ce but pour le renforcement de l’Expertise africano-africaine.

Nul besoin d’ajouter que le projet de libre échange transafricain sus-évoqué, initiative courageuse et inédite, est une chance unique que nos gouvernants doivent absolument saisir pour satisfaire à l’adage espagnol : « la suerte golpea la puerta una vez, no debes dejarla escaparn » (La chance frappe à la porte une fois, tu ne devrais pas la laisser s’échapper).