A l’école, on nous apprend que l’Europe a été construite sur les fondations culturelles et artistiques de la Grèce d’un côté et le droit romain de l’autre. En filigrane, l’Europe serait alors une autodidacte pure, n’ayant subi aucune influence extérieure, d’Asie ou d’ailleurs, pour le savoir ou la culture. Le fait de s’être self-désignée de vieux continent embellit davantage encore cette image en suggérant que le savoir-faire dans les zones alentours dérive exclusivement de l’Europe même. Le message est destiné d’abord au Moyen-Orient / Afrique. En somme, nous devrions être reconnaissants aux européens de nous avoir pris sous leurs ailes protectrices et appris ce que nous savons. Cette rengaine a été serinée à toutes les générations avant nous et continue de nous être répétée sans relâche. Il est donc peu surprenant de trouver encore des gens, également parmi l’élite intellectuelle de nos pays africains, qui croient que les européens, les français pour ce qui concerne notre grande région continentale, nous ont occupés (et continuent peut être) dans une démarche parfaitement altruiste pour aider à notre développement et notre insertion dans le monde moderne. Après des siècles d’occupation, le résultat est sans appel sous la forme d’un GDP de l’ensemble du continent africain, parmi les plus riches de la Planète, inférieur à celui d’un petit pays comme la Corée du Sud. Il s’agit d’un pays de petite surface, pratiquement sans ressources sur son propre sol, qui importe les deux-tiers de ses besoins en nourriture. Il a d’abord été sorti de la misère noire dans les années cinquante du siècle passé, ensuite assisté de manière efficace par une présence américaine pour être devenu à présent un Dragon pour ce qui est de larges gammes de technologies et produits industriels qu’il exporte partout dans le monde. Tout cela en un demi-siècle.
Plus près de chez nous, il y a l’exemple d’Israël (dont bien évidemment il ne nous revient pas dans cet article de toucher à l’aspect politico/diplomatique de la question Israélo-Palestinienne). Ce pays, très minuscule par tous les standards géographiques, qui affiche un GDP équivalent à la moitié du Continent africain, a fait des miracles, entre autres, sur le plan agronomique et agroalimentaire, sur un sol de qualité médiocre et avec des ressources hydriques extrêmement réduites. Il a innové dans le domaine de l’arrosage goutte à goutte, dans la lutte contre les nuisibles, dans la production de variétés végétales adaptées au climat aride et dans la production de masse de viande de volaille rendant le prix du poulet et des filets de dindonneau accessibles à une large frange de la population à revenu réduit. Sur le sujet purement commercial, les européens, de leur propre aveux, considèrent Israël comme un adversaire redoutable. Il s’ensuit qu’ils appréhendent, sur ce plan, le jour où l’Etat hébreux se réconciliera avec ses voisins arabes et, pourquoi pas, avec l’Iran même dans l’avenir. Ils craignent de perdre alors une bonne partie de leur clientèle du Moyen orient, qui préfèrera la technologie israélienne (à laquelle, les palestiniens, élite parmi la population arabe, a contribué sa part), moins chère et plus appropriée. Mais ils redoutent davantage encore qu’un tel rapprochement fasse tache d’huile et se propage à notre continent ce qui représenterait un vrai cataclysme sur leur juteux business africain.
Ce scénario, considéré avec stupeur par les affairistes de l’UE, est pris de plus en plus au sérieux par les Etats européens auxquels il donne des sueurs froides. Jusqu’à récemment, malgré l’entrée sur scène africaine de nouveaux acteurs économiques comme la Chine, l’Inde, le Japon, la Turquie et autres, les échanges commerciaux du Continent avec l’extérieur, qui reposent essentiellement sur la vente de Matières Premières et l’achat de Produits Finis correspondants, ont continué d’être gérés sans partage par les grandes entreprises de l’UE grâce à un maillage savamment étudié de normes « internationales » faits par les Européens, pour les Européens. L’ensemble de ces efforts agressivement soutenus, sans relâche, est habillé côté marketing de « manière réglementaire » par enrobage de standards et normes « scientifiques » pour en soigner l’image et en faciliter l’acceptation par les responsables africains. Ceci inclut la référence aux normes codex et aux règlements de l’OMC où les responsables européens sont passés maîtres dans leur exploitation à leur profit. Mais voilà, sans aller jusqu’à les nommer, les Etats Unis considèrent à présent que les organes de l’OMC ont été récupérés par les européens et autres, contre les intérêts US et affichent leur intention de ne plus tenir compte de ces organismes multilatéraux qui ont été détournés de leurs missions initiales. Ce revirement inédit dans la position américaine vis-à-vis de ces instances multilatérales, qui doit avoir joué un rôle également dans le retrait américain de l’accord sur l’Iran, sonne comme un tocsin aux oreilles des responsables de l’UE. Ils reçoivent cela comme l’entrée en scène d’un opposant de taille à leur ambition séculaire d’élargir les privilèges (en cours de mise en œuvre) qu’ils ont acquis sur l’Afrique et le Moyen-Orient à d’autres régions de la planète. L’opposition des USA, non prévue, à cette ambition, aura comme résultat, et les européens ne s’y trompent pas, de réduire l’influence spatiale de l’UE à peau de chagrin. Il est plus que probable que les israéliens joueraient un rôle en cas de régression, qui apparait de plus en plus inéluctable, de l’influence de l’UE dans son voisinage immédiat. Les européens le subodorent et cela les énerve au plus haut degré. Car dans un tel cas de figure, l’Euro n’aurait plus de raison d’être et, comme de bien entendu, le Franc CFA non plus ce qui ferait revenir les pays de l’UE à la situation de chacun pour soi. Cette perspective réjouira en particulier les membres du gouvernement italien actuel qui appellent cette solution de leurs vœux depuis un bon moment déjà.
Mais le bras de fer UE/US ne fait que commencer avec un premier deadline au premier Juin prochain où le Président Trump s’apprête à imposer de nouveaux tarifs sur l’acier et l’aluminium importés de l’UE. Il a tenu le même langage à la Chine qui a accepté d’engager rapidement le dialogue (en cours favorablement) pour régler le déséquilibre commercial entre les deux pays. Côté Européen, ce déséquilibre concerne formellement l’ensemble des pays de l’Union et l’UE voudrait qu’il soit géré par la Commission Européenne. Habituellement, son Président définit une mission pour la faire valider par le Conseil des chefs d’Etats avant de nommer un interlocuteur pour conduire les négociations dans le cadre de limites fixées au préalable. Eventuellement, le négociateur en question revient vers la Commission chaque fois que nécessaire pour faire avancer le dialogue. Ceci suppose plusieurs rounds de négociations avec, entre deux, validation par la hiérarchie. Cela rappelle un peu l’époque de l’empire soviétique où le temps consacré pour ce genre meeting ne comptait pas. Mais cette pratique européenne est toujours de mise quand il s’agit de négociations que l’« Empire européen » conduit séparément avec nos pays africains. Comme nous avons, chaque pays en ce qui le concerne, peu ou pas d’alternative à la vente rapide de nos Matières Premières, nous ne sommes généralement pas en mesure de tenir la distance pour les négociations avec l’UE et, souvent, nous nous contentons de ce que l’Europe veuille bien accepter de nous offrir en contreparties de nos marchandises périssables. Il est toutefois peu probable que cette approche de tractations du « vieux continent » soit applicable aux négociations avec l’administration américaine. Dans ces conditions, sauf coup de théâtre à venir, les chances sont grandes que l’imposition des tarifs prévus sur l’acier et l’aluminium européen entrera en vigueur ce mois de Juin.
Il y a tout de même une incertitude de taille : Les tarifs en question pénalisent, plus que tout autre, l’industrie allemande dans son cœur, à savoir l’industrie automobile et ne touchent pas, ou presque, l’industrie française qui n’a pour ainsi dire plus d’aciérie qui compte. La pression sur le gouvernement allemand risque d’être de la même intensité qu’au moment où le Président Mitterrand monnaya l’appui de la France à la réunification allemande contre l’adoption de la monnaie unique. Aujourd’hui, il ne s’agit ni plus ni moins que de venir au secours de la première industrie allemande qui a déjà souffert plusieurs coups sévères et qui a besoin de reprendre ses repères. Si l’Allemagne décide de reprendre le Deutschemark, sa monnaie fétiche, le « Germixit » équivaudra alors à un « Euroxit ».
L’Afrique devrait, au moment où ces gladiateurs sont en train de régler leurs comptes, aller de l’avant avec son projet de Zone de libre-échange continentale africaine. Dans ce cas, comme dans d’autres, on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même.