L’agroalimentaire monte en grade

En substance, les turbulences sévères que l’Europe postcoloniale vit depuis quelque temps, sans arriver à leur trouver de solutions, montrent que les règles et principes, qui ont régi les relations internationales depuis leur mise en place sous égide occidentale au lendemain de la deuxième grande guerre, sont devenus caducs.

Ceci étant, s’il y a un Continent qui n’a pas eu de voix au chapitre pendant la mise en place des règles susmentionnées c’est bien l’Afrique. Et pour cause, la quasi-totalité des territoires de notre Continent étaient en ce temps-là encore sous occupation coloniale européenne. Ensuite, en préparant des indépendances de façade de nos pays, les européens ont pris la précaution machiavélique de substituer à leur présence militaire une stratégie d’accaparement des richesses économiques et commerciales de nos pays colonisés pour leur propre profit. Rien n’aura été laissé au hasard dans cette stratégie d’appropriation avide de nos richesses économiques, financières, commerciales et même culturelles par les maîtres colonisateurs.

Ainsi, pour ce qui concerne l’intérêt de ce blog, les standards sanitaires et assimilés que les européens continuent de nous imposer directement pour nos exportations sur le marché UE ou bien même dans nos échanges interafricains par le biais d’organismes privés totalement acquis aux standards européens —, ont été conçus, rédigés et régulièrement actualisées et peaufinés par la suite jusqu’à nos jours pour (seulement) donner l’impression d’une objectivité scientifique. La réalité est que en conjuguant des standards élaborés pour le marché UE avec l’utilisation recommandée de procédures, matériel, consommable et équipement européens spécifiquement  désignés et des normes taillées sur mesure pour avantager les opérateurs européens du marché communautaire ces spécialistes de l’entourloupe rédactionnelle se sont systématiquement arrangés pour, tout en paraissant neutres, conforter leur marge de manœuvre pour retenir, chaque fois qu’ils l’ont souhaité, la décision qui leur convient le mieux aux traitements de nos exportations commerciales (blocage, refoulement, acceptation etc.) de produits alimentaires (nos archives).

Au bout du compte, le résultat est que nos pays sont toujours contraints de vendre leurs ressources naturelles pratiquement en l’état pour des clopinettes. S’agissant des fruits et légumes frais, notre faiblesse en tant qu’exportateurs est encore plus marquée en raison du risque accru de pourrissement rapide de ces denrées périssables. Par exemple, quoique le Maroc soit bien nanti par la nature pour le domaine agroalimentaire, nous sommes aujourd’hui encore à vendre nos produits frais aux européens qui les optimisent pour la durée de vie commerciale et nous les revendent en Afrique et ailleurs à des prix usuraires. Il faut le dire et le répéter, contrairement à une perception de propagande française totalement fausse, il n’a jamais été dans les intentions de la France coloniale ou postcoloniale d’initier une agro-industrie sur une base saine pour un bénéfice partagé avec  les marocains. On peut rappeler qu’il a fallu attendre la fin de la guerre froide et la mise en place, au début des années quatre-vingt-dix du siècle passé, d’un programme d’assistance et aide américaines, par le biais de l’USAID, pour que le Maroc soit mieux éclairé sur les faiblesses structurelles qui ont toujours entravé, entre autres, la valorisation dans notre pays de plantes aromatiques et médicinales, celle des olives et autres. Il est impossible que la France coloniale n’ait pas eu pleine connaissance de ces entraves sur le chemin du développement souhaité par le Maroc. Mais, selon nous, les responsables successifs concernés de l’Etat français, qui ont reçu de l’argent pour leur conseil, ont toujours choisi de fermer les yeux sur ces obstacles et autres pour continuer à profiter en exclusivité de nos richesses.

Ce comportement est appliqué par les autres décideurs européens en Afrique coloniale, notamment l’Afrique de l’Ouest, auparavant sous domination française. Il est utile de rappeler à ce niveau que, s’agissant du secteur agroalimentaire, la position française sur les normes au sein de l’UE est prépondérante.

Au jour d’aujourd’hui, il y a une large convergence de vue à l’échelle internationale sur le fait que nous avançons à grands pas vers un nouvel équilibre entre les nations en remplacement de l’ordre mondiale imposé par l’occident il y a bientôt quatre-vingt-ans. Les Etats Unis d’Amérique et la Chine sont pressentis pour avoir la part du lion dans la gestion économique et commerciale de ce nouvel ordre à venir. Aussi, tenant compte de  l’envergure géostratégique et l’ampleur considérable de ses ressources naturelles, la Russie continuera, selon toute vraisemblance, à jouer un rôle important sur le plan international, momentanément peut être au côté de la Chine.

Par contre, l’Europe, sans ressources propres notables et à bout de souffle, devrait constituer le laissé-pour-compte dans ce nouveau partage qui se profile pour le monde de demain.

A ce propos, les auteurs d’un article du Der Spiegel daté du 22 septembre passé (voir ici ), prédisent franchement un appauvrissement inéluctable de l’Allemagne et, par voie de conséquence, celui de l’Europe dans son ensemble dans les années à venir. Toutefois, certains responsables européens, français notamment, continuent de rêver d’un maintien de la prospérité européenne en misant sur une amélioration du commerce avec l’Afrique. Sachant qu’actuellement la France et l’UE se servent à volonté de pratiquement tous les biens que nous possédons, on ne voit pas très bien ce que  cette  amélioration du commerce de l’Europe avec notre Continent veut bien dire sinon davantage d’appauvrissement pour nos citoyens africains.

Quoiqu’il en soit, les européens oublient, ou affectent d’être amnésiques, qu’après plusieurs siècles d’une occupation qui confine à l’esclavage pur et dur, nous autres africains souhaitons à présent goûter à d’autres relations économiques et commerciales moins toxiques que celles que ces gens nous ont fait subir de façon continue pendant des siècles.

Par exemple, Monsieur Joe Biden, le  Président américain, accueillera en Décembre prochain à Washington, D.C., les chefs d’Etats et de gouvernements africains pour un sommet qui liste parmi les priorités à discuter la sécurité alimentaire. La disponibilité de la nourriture de manière équitable compte beaucoup pour nous en Afrique dans la mesure où c’est dans notre Continent où il y a le plus grand nombre de famine et de malnutrition. Dans ce cadre, il peut être raisonnable de considérer que lors de ce sommet, les américains accepteront volontiers des propositions d’aide et d’assistance pour améliorer le circuit du commerce interafricain de produits alimentaires pour donner un coup de pouce à la mise en place de la Zlecaf (Zone de Libre Echange Continentale Africaine). Le Maroc est bien évidemment un fervent défenseur de la mise en place de cette zone de libre-échange avec les pays frères africains. En témoigne les centaines de camions remorques de marchandises, dont beaucoup chargés de fruits et légumes frais, qui quittent chaque jour notre pays à destination de pays subsahariens. Mais encore une fois, ces produits doivent être consommés rapidement avant qu’ils ne soient perdus. Il en serait autrement si ces denrées avaient reçu des traitements pour garantir leur durée commerciale. Mais, c’est là que le bât blesse. Sachant que la Zlecaf n’est pas encore opérationnelle et que par ailleurs, et faute d’alternative, ce sont toujours les normes coloniales susmentionnées qui régentent encore nos échanges commerciaux interafricains de produits transformés par le biais d’organismes privés imposés par l’UE, nous restons doublement à la merci des donneurs d’ordre de Paris et Bruxelles. Pour sortir de ce carcan, il faudrait mettre sur la table des standards alternatifs aux normes imposées par l’UE qui soient plus objectifs et meilleurs.

Sous ce rapport, la FDA a porté assistance à l’Europe au lendemain de la deuxième guerre mondiale pour remettre sur pied des organismes de contrôle officiels européens qui avaient tout perdu pendant la guerre. Il serait étonnant que, si on le leur demandait formellement, les américains déclineraient d’aider l’Afrique à mettre sur pied ses propres organismes de contrôle adultes et objectifs. La demande devrait, selon nous, être formulée dans les règles par un organisme équivalent de la FDA en qui les pays africains et l’Amérique ont totale confiance. Bien évidemment, le Maroc a un accord de libre-échange avec les USA qui court depuis 2006. Quelqu’un peut supposer que l’ONSSA (Office National de Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires), a eu largement le temps de faire ses preuves pour être considéré comme un partenaire crédible auprès des autorités américaines. La réalité est malheureusement toute autre.

Parmi les bêtises commises par l’ONSSA, je me rappelle avoir eu entre les mains la copie d’une note adressée par cet organisme de tutelle sur le secteur agroalimentaire marocain à des ambassades à Rabat pour leur demander de lui adresser en avance les spécifications de produits à exporter vers le Maroc rédigées en français !

La démarche est d’abord inconvenante pour un organisme de la stature de l’ONSSA de s’adresser directement, sans passer par « Qui de droit », à des ambassadeurs. Ensuite, les pseudo-responsables ONSSA en question ignorent que si la France elle-même a quelque chose d’utile à faire savoir, elle s’empresse de le publier d’abord en anglais. Alors, veut-on être plus royaliste que les rois au sein de l’ONSSA ! Heureusement le ridicule ne tue pas. Egalement, ce n’est pas avec ce genre de comportement que notre organisme de tutelle va améliorer son image de marque auprès de la FDA ou bien devant les autres organismes équivalents africains.

Mais il n’est peut-être pas trop tard pour le Maroc pour corriger le tir.

Enfin, nous rappelons au sujet du titre de cet article que les européens ont commencé à émigrer vers nos contrées et en Amérique parce qu’ils avaient froid et faim et que leurs pays n’arrivaient pas à nourrir leurs habitants. Une fois embourgeoisés, ces émigrés européens ont ensuite réduit l’importance du domaine agroalimentaire pour se nourrir bon marché à nos dépends et, au contraire, nous vendre une grande partie de leur camelote à des prix spéculatifs fixés par eux. Aujourd’hui, ils sentent bien que le danger d’avoir de nouveau froid et faim est de retour chez eux. Il nous incombe à nous de ne pas nous faire avoir une énième fois et d’exiger une rétribution correcte pour notre travail et pour notre export.