Le Germixit

A la fin de la deuxième guerre mondiale, et la défaite du troisième Reich, les américains se sont retrouvés devant un choix cornélien : Considérant que l’Allemagne de l’Ouest, contrairement à la France, n’est pas autosuffisante sur le plan agroalimentaire, l’abandonner à son sort, alors que le pays était exsangue et les allemands désespérés  sur tous les plans, serait revenu à le pousser vers le communisme et le « servir sur un plat » à l’Empire soviétique, perspective que les USA voulaient éviter à tout prix. La deuxième option,  retenue par les américains, a consisté à aller vers un arrimage robuste de l’Allemagne aux USA, ceci tout en étant conscients du coût financier exorbitant de cette opération (Plan Marshall) pour le peuple américain qui venait juste de sortir lui-même d’une guerre extrêmement coûteuse en vies humaines et en argent. Durant les quarante-cinq années qui ont suivi, la relation des américains avec les allemands était à ce point intense et réciproque que, par moments, elle faisait pâlir d’envie la Grande Bretagne, allié traditionnel des américains. Par comparaison, les américains n’ont pas fait d’effort particulier pour aider les britanniques à se sortir de leur marasme financier des années soixante-dix, contrainte qui a, entre autres, poussé la Grande Bretagne dans les bras de l’Europe Continentale.

Durant la période évoquée, l’export de la RFA (République Fédérale d’Allemagne) vers les USA battait des records et, de leur côté, les sociétés américaines préféraient domicilier leurs filiales et/ou représentations pour l’Europe, l’Afrique et la zone MENA (Middle East and North Africa) en Allemagne plutôt qu’en Grande Bretagne. C’était l’âge d’or des relations américano-germaniques qui a pris fin avec la nouvelle configuration de l’UE et l’entrée en vigueur de l’Euro au cours des années quatre-vingt-dix du siècle passé.

Mais si, pendant cette période faste, les allemands excellaient dans l’export sur le marché US, ils étaient loin de faire aussi bien dans leur export sur les marchés de leur voisinage immédiat à la même époque. Dans ce dernier cas, des pays, en particulier la France, l’Italie et l’Espagne, n’hésitaient pas à dévaluer leurs monnaies pour conserver leurs parts de marché intra-européennes ou en zone MENA et en Afrique, face à la concurrence allemande. Le levier de la dévaluation, utilisé alors librement par les Etats du sud de l’Europe, était source de pertes financières handicapantes pour l’export allemand et impossibles à prévoir puisque dépendant de volontés politiques de pays souverains. Le « Made in Germany » était donc démuni contre ces aléas qui donnaient des sueurs froides récurrentes aux opérateurs allemands.

Cette compétition, interne au vieux continent, était cependant salutaire pour les opérateurs en Afrique et ailleurs. S’il est vrai que les allemands, qui ne s’en cachent pas, considèrent la France, ne parlons pas de l’Italie ou l’Espagne, comme un concurrent médiocre pour eux, ils étaient néanmoins obligés de revoir leurs prix s’ils voulaient vendre chez nous ou ailleurs en Afrique. Dans l’autre sens, un exportateur de notre continent gardait un minimum de marge de manœuvre et pouvait, si non satisfait d’une transaction sur un premier pays européen, offrir son produit pour vente dans un autre pays de la rive nord méditerranéenne. C’était le cas notamment pour l’export de conserves de sardines où les normes de sécurité sanitaire étaient différentes d’un pays européen à l’autre.

Avec l’entrée en vigueur du traité de Maastricht en 1993, les relations entre l’Allemagne et les USA, jusque-là hautement privilégiées, ont commencé à se tendre et, après l’entrée en vigueur de l’Euro, se détériorer d’année en année. Dans cet ordre d’idées, un historien témoin de l’époque me racontait que, après le discours du Président Franklin D. Roosevelt en Décembre 1941, demandant au Congrès américain de déclarer la guerre sur l’Empire du Japon, suite à l’attaque surprise de Pearl Harbor, les gens s’attendaient à voir les soldats américains partir le lendemain pour en découdre avec les japonais. Au contraire, les américains ont commencé d’abord par construire des usines d’armement au centre du pays car, comme ils disaient, on sait quand on entre dans une guerre mais on ne sait pas quand on en sortira, raison pour laquelle il faut bien s’y préparer. Il est donc possible que, une fois encore, les américains se soient préparés pour une longue confrontation financière et commerciale avec l’Allemagne, Tuteur de l’Euro. Sous ce rapport, le coup du « dieselgate » est un coup de maître si l’on considère le ternissement brutal, profond mais fondé de la réputation plus que centenaire du fleuron de l’industrie germanique, à savoir la voiture allemande.

Ensuite, dans la mesure où l’Uncle Sam, par la voix de son président actuel, considère que l’Euro fait peser un risque grave sur l’économie américaine, il n’est pas exclu que d’autres révélations néfastes sur le « Made in Germany » émergent à l’avenir, écornant davantage encore la réputation globale du pays. Au fait, la nouvelle configuration de l’UE, avec instrumentalisation de l’Euro, fait peser un risque encore plus grave sur l’économie africaine, créant un monopole européen de fait sur les richesses du continent sans que nous africains, au contraire des USA, ayons un moyen approprié quelconque à notre disposition pour nous défendre.

Mais, les allemands doivent sûrement être conscients du risque qui pèsera davantage sur eux si les relations germano-américaines devaient continuer à se dégrader. A présent, ce sont les allemands qui font face, à leur tour, à un choix cornélien : l’Allemagne peut choisir de maintenir la situation du statu quo, qui lui a permis de dégager des excédents commerciaux colossaux dont elle répugne à faire profiter les autres pays de l’UE. Mais dans ce cas, en plus des récriminations extérieures, qui visent à isoler l’Allemagne, venant de la Russie, la Turquie, la Chine et autres, s’ajoutera la frustration croissante de ses partenaires de l’UE pour la stigmatiser au sein de l’Union. La deuxième option, plus sensée, consiste à écouter le peuple allemand que le chancelier défunt  Helmut Kohl a forcé à adopter l’Euro contre leur gré, et à revenir à une situation d’apaisement avec les USA, parrain traditionnel de l’Allemagne d’après-guerre. Cela nous apaisera également en Afrique en nous ramenant un minimum de marge de manœuvre pour la vente de nos produits à des prix équitables sur les marchés extérieurs à l’Afrique.