Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, le matériel d’analyses physicochimiques était à ce point performant qu’il devenait possible, par spectrométrie de masse, de déceler la présence d’une molécule donnée parmi plus d’un million de milliards d’autres. Alors, au lieu de chercher à pousser plus loin encore la performance de l’analyse de laboratoire, il semblait plus pertinent d’essayer de comprendre, en somme, la raison et/ou la signification de la présence de molécules données parmi d’autres et leurs rôles pour faire dans la prévention. C’est en adoptant une telle approche de travail que les américains ont mis au point le nouvel étalon de mesure de la qualité de travail dans l’agroalimentaire désigné ensuite « Hazard Analysis and Critical Control Points » (HACCP). Il lui a été vite trouvé une appellation française « Analyse des Dangers et Maîtrise des Points Critiques ». Mais l’expression n’a pas trouvé preneur et les choses auraient pu en rester là. Le HACCP aurait alors continué sa trajectoire, pilotée depuis les Etats Unis, et gagner, au-delà de l’Europe, l’adhésion des pays africains qui l’auraient adopté comme étalon de mesure pour leur commerce à l’international comme leurs collègues d’Asie et d’Amérique du sud. Mais, s’agissant d’un outil de travail anglo-saxon, il aurait fait apparaitre les européens, particulièrement ceux parmi eux qui comptent sur leur secteur agroalimentaire pour doper leur balance commerciale, comme de simples colporteurs et cela était définitivement inacceptable pour l’Europe agricole.
HACCP vs ISO 22000
Une lourde armada pour dénigrer le HACCP a ensuite été réveillée dans l’Europe de prestige pour venir à bout de cet « intrus » dont le but, réel ou supposé, était de faire dévier le commerce des produits agroalimentaires des pays africains de leur cours « normal » et de priver certains pays européens de leurs statuts de souverains sur le continent. D’abord, un brouillage savamment orchestré s’est répandu pour propager l’idée que le HACCP ne présentait pas les « caractéristiques » d’une norme et, par conséquent, ne pouvait se prêter à une mise en application par les professionnels du secteur agroalimentaire. En parallèle, un effort teigneux et musclé de déconsidération du HACCP aboutira au lancement de l’ISO 22000 avec la bénédiction de l’organisme éponyme. Cette fois, les besogneux ont bruyamment crié victoire en assenant qu’ils tenaient enfin leur norme européenne. Dans les faits, ils ont repris le HACCP et l’ont affublé d’une carapace administrative cossue pour réduire sa taille apparente et mettre « mieux en valeur » l’importance du travail d’obédience administratif et littéraire qui l’entoure. Il a ensuite été décrété que dorénavant c’est l’ISO 22000 qui était la « norme » à prendre en considération pour commercer avec l’Union Européenne. Les illusionnistes derrière cette entourloupe ont fait d’une pierre trois coups : D’abord ils ont donné l’impression qu’ils innovent, particulièrement devant nous autres africains qu’ils n’ont jamais voulu voir sinon comme de bonnes poires. Dans les faits, il n’y a pas un point utile de l’ISO 22000 qui n’ait pas été prévu déjà dans le HACCP. Ensuite, ils se sont donné une raison ad hoc pour resserrer les vis sur le opérateurs africains concernés en intimant aux différents pays l’ordre de se référer exclusivement au référentiel ISO 22000 sous peine de voir le marché de l’Union européenne être bloqué à l’entrée de leurs produits en signe de rétorsion. Il faut rappeler qu’une partie importante des matières premières africaines du secteur en question pénètre l’Europe continentale par les portes françaises. En troisième lieu, ils ont mis à leur propre disposition un moyen supplémentaire pour plumer encore un peu plus les pays africains en concoctant rapidement des myriades de sociétés conseils pour puiser davantage dans les poches des entreprises sous couvert de l’assistance pour mettre en place le référentiel ISO 22000 devenu incontournable. Cerise sur le gâteau, les américains, mis sur la touche, ne pouvaient que constater comment leurs collègues d’outre-Atlantique, français et autres, festoyaient sur le dos de leur « rejeton, le HACCP » ficelé européennement par un tour de passe-passe qui restera dans l’histoire et sans un kopeck pour eux.
La Réglementation marocaine à l’épreuve
Pour un ogre, qui digère en apparence le HACCP pour le faire sien sous l’appellation complaisante ISO 22000, la loi marocaine « 28-07 » de sécurité sanitaire des aliments prend l’allure d’une bouchée. Il y a lieu de préciser que les américains ont mis quatre décennies à imaginer, mettre au point et peaufiner le HACCP en tant qu’instrument innovant pour mieux gérer les dangers d’origine sanitaire dans le secteur agroalimentaire. Réaliser alors qu’il a été « ingénieusement » kidnappé pour servir sous la bannière ISO 22000 les intérêts européens en Afrique peut effectivement choquer. Au Maroc, il n’y a qu’à voir la confusion dans laquelle se trouvent les exploitants de la chaine alimentaire nationale. La première question qu’ils posent à un prestataire de service, surtout s’il s’agit d’un laboratoire marocain, est s’il est accrédité (certifié) ou non. Le client ne semble même pas intéressé de savoir si le laboratoire est dûment autorisé par les pouvoirs publics marocains. De plus, la certification et/ou l’accréditation s’entend par l’une ou l’autre de la ribambelle de sociétés, creuses pour bon nombre d’entre elles, fondées et/ou dirigées parfois par d’anciens oisifs européens dans leurs pays d’origines, qui ont trouvé là matière à faire de l’argent facilement sur le dos de sociétés marocaines et africaines innocentes. Si ce n’est pas une décrédibilisation de la réglementation marocaine, piétinée à loisir autant que la crédibilité de l’ONSSA, ça lui ressemble comme deux gouttes d’eau. En face de ces professionnels du brouillage, que faisons nous : rien ! Nous leur avons cédé le terrain par forfait. C’est la conclusion qu’on est en droit de tirer quand on réalise à quel point l’ONSSA apparait laxiste et mou sur ces questions. L’organisme de tutelle devrait taper fermement sur la table et faire comprendre que sur sol marocain, c’est la loi votée par le parlement de ce pays qui est en vigueur et ceux qui voient les choses autrement n’ont qu’à aller les appliquer ailleurs et chez eux de préférence. Les exploitants nationaux doivent également comprendre qu’ils sont requis d’appliquer la loi marocaine point barre ! Le cas échéant, la loi 28-07 prévoit ce qu’il y a lieu de faire dans des circonstances d’exception. S’agissant de l’export, c’est à l’EACCE qu’ils doivent remettre des compléments d’information à sa demande si nécessaire. D’un autre côté, les gens qui se cachent derrière la soi-disant satisfaction à d’autres référentiels en lieu et place de la réglementation nationale, ou ceux qui les poussent à ce comportement, doivent être rappelés à l’ordre ou bien mis en demeure d’aller faire leur propagande ailleurs sous d’autres cieux. Car enfin, le rôle de l’ONSSA ne se limite pas, comme une propagande alimentée on ne sait d’où voudrait le faire croire lors de leurs passages ici et là dans des souks et/ou des épiceries de quartier, à traquer les petits délinquants occasionnels. C’est tout un secteur clé de l’activité industrielle nationale qui attend sur leurs initiatives pour se hisser au dessus de la moyenne des standards internationaux de l’industrie agroalimentaire. Cela passe d’abord et avant tout par l’application de ce que le législateur a défini pour eux comme mission, à savoir le contrôle et l’arbitrage relevant des opérations sur la chaine alimentaire et les exploitants qui les conduisent. Leur mandat n’inclut en aucune façon d’effectuer eux-mêmes des opérations de certification et/ou d’accréditation au profit de qui que ce soit sous peine de donner du grain à moudre à ceux qui s’entêtent à nier au Maroc la souveraineté sur son expertise. L’Etat est un et indivisible et ce qui s’applique à l’ONSSA sous tutelle du Ministère de l’Agriculture et de la Pêche Maritime doit s’appliquer dans les mêmes termes aux organismes relevant du Ministère de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Economie Numérique. Enfin, les responsables de l’ONSSA doivent se réveiller et prendre conscience que leur crédibilité est quotidiennement sapée par « les soldats du brouillage » évoqués plus haut dont la raison d’être est de maintenir le commerce agroalimentaire national sous séquestre au profit de leurs donneurs d’ordre. Ces gens déconsidèrent notre réglementation comme sans valeur pour eux, ne jurent que par leurs normes faites sur mesure pour favoriser le commerce des produits de leurs pays. Bien pire, l’application de ces normes barrent le passage aux produits d’autres nations avec qui le Maroc peut être intéressé de commercer.
En guise de conclusion, il ne sert à rien de chercher des décorations à l’étranger pour justifier de son travail pour le Royaume. Si de telles décorations incitent à faire passer les intérêts d’un Etat tiers avant ceux de son propre pays, alors le jeu ne vaut pas la chandelle.