Les autorités marocaines ont très vite réalisé que l’implémentation de la loi 28-07 de sécurité sanitaire des produits alimentaires était au delà des possibilités de la plupart des exploitants de la chaine alimentaire nationale et qu’il fallait plutôt prévoir une mise en place progressive dans le temps. Dans ce sens, l’ONSSA a publié la liste des différentes analyses exigibles devant être effectuées par les professionnels et laissé le choix aux opérateurs de les faire dans leurs entreprises s’ils disposent d’un laboratoire intégré ou bien les sous-traiter à un laboratoire extérieur. Nous avons vu (voir : Légitimité de l’expertise alimentaire étrangère au Maroc / Première partie) comment les cabinets conseils étrangers, directement ou via des prête-noms, se sont rendus maîtres du secteur des services aux entreprises agroalimentaires du Maroc. Dans la mesure où le blackout est la norme pour ce qui est du mode opératoire parfois trouble de ces prestataires installés à demeure chez nous, le présent article est pour faire sortir de l’ombre quelques unes de leurs pratiques qui se rapportent aux analyses de laboratoire et l’implication de ce qui s’apparente à un scandale sur le développement de l’activité des laboratoires d’analyses de produits alimentaires dans notre pays et la crédibilité de l’expertise nationale en général dans ce domaine.
Le leitmotiv des prestataires étrangers
Ces prestataires ont effectivement un leitmotiv qui a l’adhésion de pratiquement tous ceux qui sont concernés par le sujet, à savoir : investir un minimum et tirer rapidement le profit vers le haut par tout moyen possible. S’agissant de la légèreté de l’investissement, ils ont généralement un bureau avec une secrétaire, quelques employés subalternes et un responsable de circonstance trié sur le volet pour soigner la façade. Ces bureaux, profitant probablement d’un vide juridique en la matière, proposent aux entreprises du secteur agroindustriel national d’effectuer les analyses de laboratoire de leurs produits pour, disent-ils, faciliter leurs opérations d’export. Ils doivent certainement bénéficier d’une logistique de facilitation de la part d’organismes officiels de leurs pays détachés au Maroc, comme les chambres de commerce et les consulats, pour toucher plus aisément des exploitants susceptibles de répondre à leurs sollicitations. Quand on sait la vulnérabilité de cette fraction de citoyens marocains à la question des visas et autres services codifiés opportunément par les pays européens, on peut être certain que l’information pour le bénéfice de ces courtiers d’un mode nouveau, qui pullulent chez nous, doit couler de manière très fluide. Une fois en possession des échantillons à analyser, qui leur sont généralement livrés, ces intermédiaires de tout poil les remettent habituellement à l’un des laboratoires de l’Etat marocain sous leur propre identité, si le circuit est bien huilé et la confiance règne ou, sinon, sous l’identité d’un client complaisant ou bien tout simplement factice. Il est possible que des laboratoires privés soient plus ou moins dans les confidences avec ces gens. Ils reproduisent ensuite les résultats reçus sur leur propre papier à entête avant de remettre le certificat au client. Leur argument de vente pour ces prestations repose sur la soi-disant « crédibilité européenne » que les documents qu’ils éditent sont supposés apporter à l’entreprise locale. Ils sont en réalité peu bavards sur leurs procédés de travail et restent opaques sur tout ce qui relève des opérations de prélèvements, de transports et d’interprétations des résultats. Il n’est pas exclu que, pour pérenniser leur commerce sous couvert de fourniture de services d’ordre scientifique et technique, ces courtiers s’arrangent pour donner des résultats « favorables » au client pour « lui rendre service », comme ils disent, et le garder sous leur coupe. Pour justifier leurs honoraires parfois exorbitants, ils prétendent effectuer toutes leurs analyses à l’étranger.
Rappel de certains faits
Pour les candidats souhaitant faire carrière dans le travail de laboratoire, la barre est placée très haut. Il s’agit d’un travail complexe et hautement normalisé. Les opérations de prélèvement et/ou transport et/ou conservation et/ou analyses d’échantillons et/ou contre expertises et/ou interprétation des résultats (parfois statistiques) et/ou préparation de bulletins (ou rapports) d’analyses sont parfaitement codifiés de par le monde par des règles techniques et scientifiques dont l’inobservation vide de tout sens les documents fournis sous ce rapport qui deviennent alors de simples bouts de papiers à jeter à la corbeille. Autrement dit, les profils de responsables de laboratoire reviennent chers à produire et ne courent pas les rues même dans les pays d’origine de ces prestataires à la va-vite qui ont l’impertinence de revendiquer des compétences chez nous dont souvent ils en sont dépourvus dans leurs pays d’origines. Ils auraient sinon un vrai travail bien apprécié et bien payé chez eux au lieu de courir l’aventure en quémandant à droite et à gauche des échantillons à contrôler pour des tiers dans des pays dont ils piétinent la réglementation en vigueur. Ensuite, quand on pense au chemin de croix que nos autorités font subir à un diplômé marocain ayant terminé ses études, parfois haut la main dans les meilleures universités du monde, avant de lui permettre d’exercer le métier pour lequel il a durement bossé, on est en droit de nous étonner de la facilité accordée à des tiers de s’installer sur des créneaux hautement sensibles pour l’image de marque du pays, voire sa souveraineté, en aidant, au bout du compte, ces dilettantes du service aux entreprises à affecter négativement la perception que les autres pays africains, qui veulent voir en nous un exemple à suivre, peuvent avoir de la qualité de l’expertise marocaine dans le domaine agroindustriel.
Exégèse
Ces interfaces autoproclamées des prestations de sécurité sanitaire des produits alimentaires tiennent à être perçues comme les entités qui effectuent elles-mêmes toutes les opérations depuis les analyses jusqu’à l’émission des bulletins d’analyses et, au-delà, les documents de certification. Cela leur permet bien sûr de justifier leurs factures onéreuses souvent payées en devises. L’absence totale d’information sur le circuit qu’ils font suivre à leurs échantillons et, en particulier, où est ce qu’ils procèdent aux analyses des produits qu’ils reçoivent, ont de quoi inquiéter. Sur le plan purement commercial, on peut éventuellement comprendre que ces gens veuillent être discrets sur des aspects de leurs opérations. Mais, le contrôle qualité est le dernier rempart avant la distribution des produits alimentaires dans les circuits commerciaux. C’est donc un acte sérieux sur lequel repose en grande partie la prévention des dangers sur les consommateurs. Il s’agit de travail de spécialistes qui doit absolument être protégé de ces opportunistes mercantiles. Par suite, la remise par ces courtiers d’un certificat d’analyses qui se rapporte à un échantillon qui leur a été remis par le client même, contrôlé ailleurs que chez eux, avec le but affiché de libérer ensuite dans le commerce un (ou plusieurs) lot(s) de marchandises est une transgression flagrante qui devrait, compte tenu des risques potentiels qu’elle pose sur la santé des consommateurs, être traitée devant tribunal. La décrédibilisation systématique des opérations sur le contrôle qualité de nos produits vient vraisemblablement de ces pratiques diffuses qui doivent être stoppées sans délai. En plus, ces gens donnent le mauvais exemple aux marocains qui souhaitent s’installer sur ce créneau pour servir leur pays. En effet, rendre service à un exploitant c’est lui montrer ses erreurs et comment les corriger mais non lui dire que tout va bien chez lui juste pour des questions pécuniaires.
En guise de conclusion, ceux des étrangers qui désirent s’installer pour servir les entreprises du secteur agroindustriel marocain devraient pouvoir le faire selon les règles en vigueur chez nous et dans le cadre de réciprocité avec leurs pays d’origine. Ils doivent, en particulier, avoir exercé ce métier chez eux et disposer d’une expérience solide de quelques années. Dans le cas où ils effectuent leurs analyses dans un laboratoire tiers, ils devraient justifier d’un contrat en bonne et due forme avec ce dernier et produire, au besoin, l’original du document d’analyses aux autorités compétentes. Aucune certification venant d’un pays étranger ne devrait être acceptée à moins d’un protocole d’accord dans ce sens du Maroc avec le pays en question. Les personnes concernées auraient intérêt à parler notre langue au moins pour communiquer avec leurs clients ne maîtrisant pas une langue étrangère. Sans quoi ces gens auront, si ce n’est en cours, une influence exécrable sur le développement de l’expertise que le Maroc aspire à avoir sur le domaine de l’agroalimentaire pour lui-même et pour les pays africains qui comptent sur nous pour recouvrer leur souveraineté sur des secteurs vitaux pour leur indépendance économique.