Différend sur un certificat sanitaire de l’ONSSA

On apprend toute sa vie

 Après l’ouverture de l’ISBB (Institut Supérieur de Biologie et de Biochimie) 1 en 1992, l’habitude était d’organiser annuellement des portes ouvertes pendant quelques jours. Lors de l’une de ces séances, je me rappelle la question d’un pharmacien, responsable d’un laboratoire d’analyses médicales sur Casablanca, qui trouvait que, au lieu des deux années du cursus, il nous fallait former des techniciens sur trois ans minimum. A ma question de savoir s’il avait lui même des techniciens dans son laboratoire, sa réponse était affirmative et sur où ils ont été formés, il avait répondu « sur le tas ». Cela signifie qu’ils ont appris le métier de laboratoire en analysant sans préalable le sang de patients envoyés par des cabinets médicaux. Mais si le stagiaire apprend de ses fautes, il y a lieu de considérer que ce sont les patients évoqués qui ont dû en payer le prix, chez ce pharmacien, sous forme, par exemple, de résultats faussant le diagnostic subséquent ou orientant mal les ordonnances. A ce propos, il est courant, dans le cas des doctorants,  après avoir soutenu leurs thèses, d’aller effectuer un stage de travail postdoctoral pour les familiariser, au sein de structures bien encadrées, avec les contraintes réelles de leur future profession. Sur un plan général, l’apprentissage, à une échelle ou une autre, a un prix et ce coût est le moins élevé dans une structure appropriée pour quelque travail que ce soit que l’on doive apprendre. S’agissant du secteur agroalimentaire, le Maroc s’est doté dernièrement, pour la première fois de son histoire post-protectorat, de la loi 28-07 sur la sécurité sanitaire des produits alimentaires, comparable à celles en vigueur dans des pays avancés. Reste à savoir si les fonctionnaires de l’ONSSA (Office National de Sécurité Sanitaire des Produits Alimentaires) qui la pilotent vont, dans le cadre de leur interaction avec ce nouvel instrument, faire payer aux opérateurs le prix de leur propre apprentissage de gestion de cette nouvelle réglementation. L’article traite de ce sujet en prenant appui sur l’importation de la gélatine.

 La gélatine, ubiquiste dans les aliments industriels

 Pour l’industrie alimentaire, la gélatine, substance pratiquement sans goût ni odeur, est un auxiliaire incontournable, comme additif ou ingrédient, pour la réalisation d’un nombre incalculable de produits alimentaires allant des boissons et jus, aux produits de confiserie et pâtisserie, conserves d’origine animale et végétale, produits dérivés du lait tels les yoghourts, margarines et autres. Elle est utilisée pour ses propriétés d’agent épaississant, stabilisant, texturant et bien d’autres. En Europe, les trois quarts de la gélatine alimentaire est d’origine porcine, fabriquée à partir de sous-produits de cet animal, les os et la peau essentiellement. Mais elle est également fabriquée de sous-produits d’autres animaux tels le bœuf, la volaille et le poisson ; comme elle peut être également d’origine végétale. Après l’apparition de la maladie de la vache folle, des réglementations spécifiques (européennes, américaines et autres) encadrent la production de la gélatine qui va pour la consommation humaine, d’abord via les produits alimentaires mais également par le biais de produits pharmaceutiques et de cosmétique, pour éviter sa contamination par des agents de propagation de la maladie sus-évoquée. Pour nous autres pays musulmans, l’animal, origine du sous-produit, doit être Halal et abattu selon le rite musulman et la gélatine qui en dérive doit également être fabriquée selon une norme de production Halal. Ces exigences sont rappelées dans la loi 28-07 de sécurité sanitaire des aliments et les textes pris pour son application. Sous ce rapport, l’ONSSA a fait circuler dernièrement un exemplaire de certificat sanitaire vétérinaire avec l’idée, a priori, de faciliter le commerce de cette substance sur le marché national.  Mais le résultat semble ne pas être celui qu’attendaient les responsables de l’ONSSA. En effet, il y a actuellement de nombreux lots de cette substance qui sont en souffrance au port de Casablanca sans que les opérateurs, qui subissent un manque à gagner consistant, sachent quand le blocage sera levé.

 Le blocage dans la forme

 Le modèle de certificat adressé au mois de Mai passé par l’ONSSA à des ambassades à Rabat pour le faire valider par les services compétents de leurs pays d’origines, et les opérateurs l’inclure ensuite dans les dossiers d’exportation de la marchandise vers le marché marocain, est inspiré d’un document de l’Union européenne (voir ici  et ). Les informations disponibles montrent que plusieurs pays, fournisseurs de la gélatine, ont fait la sourde oreille à la demande de l’autorité de tutelle sur notre secteur agroalimentaire. En tête de liste, il y a la France qui insiste que soit utilisé, en lieu et place du modèle marocain, son propre certificat, qui ressemble également au document européen signalé ci-dessus, qu’elle considère plus approprié pour le but recherché par l’ONSSA. Ce blog possède copies du modèle de l’ONSSA et de celui proposé par la France. Si la parenté entre les deux  documents et celui de l’Union européenne ne fait pas de doute, le document marocain spécifie, en plus, que l’animal Halal, dont la gélatine est dérivée, doit avoir été abattu selon le rite musulman (dans un abattoir agréé) et la substance même produite selon un protocole Halal conformément à la norme marocaine pour ce travail ou bien une norme équivalente. L’importateur de cette marchandise doit donc produire des documents appropriés issus d’une autorité religieuse précisant la conformité de la gélatine à ces exigences, dont la certification pour l’abattage Halal.

 Le blocage sur le fond

 En tant qu’autorité de tutelle sur le secteur agroalimentaire national, l’ONSSA a l’obligation de faire respecter la réglementation marocaine sur le marché national comprenant le refoulement aux frontières des produits non conformes. Il n’y a rien à reprocher en soi à cette démarche. D’un autre côté, si un opérateur, dont la marchandise est en souffrance à la douane, avec les frais de magasinage que cela implique, doit, pour faire accepter son produit sur le marché national, attendre sur une « décision diplomatique » passant par une ambassade, ensuite par des autorités compétentes devant statuer sur la validité d’un certificat vétérinaire qui relève en dernier ressort des autorités de Bruxelles, il est parti pour attendre un long moment. Entre-temps, on lui inflige sorte de punition pour un problème (décision diplomatique évoquée) sur lequel il n’a aucune prise. L’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) recommande qu’en pareil cas, l’autorité compétente, qui a arrêté le produit, a l’obligation de montrer à l’opérateur le chemin le plus court pour arriver à une porte de sortie, c’est-à-dire la levée du blocage. Cette solution ne s’accommode pas, selon mon opinion, du passage par la voie indiquée ci-dessus de « diplomatique ». A ce propos, notre nouvelle réglementation traite, dans le décret d’application de 2011 (voir ici ), dans ses articles 47 et suivants, des règles à satisfaire pour importer un produit alimentaire chez nous. Si les opérateurs concernés arrivent à démontrer par tout moyen approprié la satisfaction de leurs gélatines à la loi 28-07, il n’y a aucune raison de leur faire subir à eux des tracasseries administratives coûteuses dans l’attente d’un règlement sur l’approbation du modèle de certificat de l’ONSSA par leurs collègues fonctionnaires de l’Union Européenne et d’ailleurs. Sous ce rapport, la FDA (Food and Drug Administration), organisme de référence pour ce qui relève de la sécurité sanitaire des aliments et des médicaments à l’échelle mondiale, dialogue d’abord avec les opérateurs auxquels elle demande de se conformer à la réglementation US dont elle veille au respect sur le marché intérieur américain. Dans ce but, elle inscrit noms et adresses des entreprises ainsi que ce qu’ils fabriquent et par quels procédés. Ensuite, elle fait comprendre que celui qui triche verra le marché être fermé devant son entreprise avec, au besoin, poursuite judiciaire et des amendes qui effaceront tout ce qu’il aura gagné en trichant et davantage. Après cela, c’est aux opérateurs en général et importateurs en particulier, s’ils veulent commercer sur le marché américain, de se conformer aux règles. Cela peut s’appliquer chez nous.

  Quid du déblocage des produits en souffrance

 En somme, tout laisse penser que les décideurs de l’ONSSA font leur apprentissage d’une loi de stature internationale. Le prix, ou les pots cassés, de leur familiarisation avec les nouvelles règles sont pour le moment supportés uniquement par les opérateurs du secteur. Mais, compte tenu de l’utilisation transversale très large de la gélatine à travers le secteur agroalimentaire, le blocage mentionné ne semble pas être de bon augure pour la suite de l’implémentation de la nouvelle réglementation par les exploitants concernés. J’ai eu à intervenir dans le passé, en concertation avec un cabinet d’audit américain avec lequel je collaborais, pour trouver des solutions pour accélérer, à l’entrée du marché US, le transit de marchandises d’opérateurs européens et marocains qui nous le demandaient et je sais, contrairement à une perception faussement répandue, combien la FDA est proactive pour contribuer à des solutions appropriées rapides. L’organisme américain n’engage pas directement ses agents pour conseiller l’industriel concerné pour une solution à la place d’une autre car cela ne fait pas partie de leurs attributions. Par contre, ils peuvent orienter les opérateurs vers des cabinets conseils habilités pour les aider à trouver la solution adéquate et faire le lien entre l’organisme de régulation et les exploitants. Il est grandement  temps pour les fonctionnaires de l’ONSSA de stopper de faire concurrence aux acteurs privés pour le bénéfice de l’application de la loi 28-07.

1 : L’ISBB, qui a ouvert ses portes en 1992, a eu beaucoup de succès pour ce qui est de l’insertion rapide des techniciens diplômés dans le tissu productif national. Mais, pour le prix payé par les candidats la structure n’était pas rentable et, en lieu et place, il y a à présent le Laboratoire Essadki d’Analyses Alimentaires (LEAA).