La confusion des exploitants de la chaine alimentaire

Quelqu’un qui fait ses emplettes dans un marché d’une ville marocaine pourrait penser, à voir l’offre de légumes et fruits très variée, abondante et accessible, que le Maroc dispose d’un secteur agroindustriel florissant. Il est vrai que même en présence d’une infrastructure appropriée, une industrie agroalimentaire pérenne ne saurait se concevoir sans la disponibilité de matières premières dans l’environnement proche. Mais force est de constater que la Maroc continue d’exporter essentiellement des produits frais faute de valorisation sur place. Or, la loi 28-07 de sécurité sanitaire des aliments,  entrée dernièrement en vigueur, est dédiée pour une large part au contrôle des produits alimentaires transformés industriellement. Il est vrai que c’est une loi très récente. En effet, avant 2010 nous avions, en guise de réglementation, des textes des services de la répression des fraudes, datant pour beaucoup de l’époque du protectorat, ayant été compilés pour en faire la loi dite 13-83. Considérant cette loi archaïque et répressive (voir article : La crédibilité de l’ONSSA / Seconde partie), les gens qui se risquaient à investir dans le secteur devaient s’adosser sur des appuis solides du sérail politique national pour faire durer leur activité. Au final, quoique le Maroc dispose de matières premières, il ne les valorise industriellement que très faiblement et nous sommes alors contraints de les exporter ailleurs pour des clopinettes. Si on examine de plus près ces unités industrielles de la première heure, qui forment l’essentiel des membres de la Fédération Nationale de l’Agroalimentaire (FENAGRI) et de la Fédération des Industries de Conserve des Produits Agricoles du Maroc (FICOPAM), on peut faire quelques remarques qui leur sont largement communes :

  •  La plupart de ces unités n’ont pas un laboratoire de contrôle intégré au sein de leurs unités
  • La production de conserves végétales s’appuie principalement sur la stérilisation en autoclave
  • Ces entreprises travaillent dans leur majorité pour le marché intérieur

 Eclairage

 L’absence de laboratoire intégré dans une entreprise marocaine est une conséquence directe de l’application de l’ancienne loi 13-83 qui plaçait le contrôle qualité des produits alimentaires sur les épaules des services de la répression des fraudes. En d’autres termes, ces exploitants pouvaient produire et vendre sans se soucier de la qualité de leurs produits. Le développement logique d’une telle approche de travail est la tendance à faire dans la médiocrité, chose que, faute d’alternative malheureusement, le consommateur marocain se devait de faire avec.  Par contre, la création de l’Etablissement Autonome de Contrôle et de Coordination des Exportations (EACCE) avait pour but d’assurer une meilleure qualité des produits prévus pour l’export, à l’origine pour la France. Sous ce rapport, alors que les technologies pour valoriser les produits alimentaires sont nombreuses, il est curieux de constater que nos industriels ont pour la plupart opté pour la stérilisation généralisée de leurs produits en autoclave, solution onéreuse en énergie et gourmande en frais de maintenance et service après vente. Il s’agit, pour environ 95 % des unités industrielles marocaines concernées, d’un même type d’autoclave fabriqué par une grande firme française. Il n’est pas exclu que, d’une façon ou d’une autre, ces investisseurs aient été conseillés, pour ce qui est de l’équipement, avec l’arrière pensée de leur vendre ce type de matériel en particulier, sans aucun égard de l’impact sur le prix de revient des produits à vendre et même si la stérilisation n’est ni un traitement approprié pour certains produits (acidifiés) ni une exigence de la loi pour les commercialiser à l’échelle internationale. Le résultat est qu’en intégrant le coût de l’énergie dans le prix de revient, ces produits sont loin d’être compétitifs et, comme conséquence, il semble que tout ait été fait pour freiner les ambitions marocaines à développer une industrie agroalimentaire compétitive et donc viable.

 Promulgation de la loi 28-07

 Considérant que les consommateurs étrangers qui achètent nos produits, ayant préalablement été vérifiés par l’EACCE, ne sont pas davantage préoccupés pour leur santé que ne l’est le consommateur marocain, la loi 28-07 est venue corriger cette anomalie et décréter que les produits alimentaires produits sur sol marocain doivent obéir aux mêmes règles de sécurité sanitaire des aliments qu’ils soient destinés aux marchés extérieurs ou bien au marché local marocain. Cela sonne bien et démocratique. Sauf que, à l’exception de certaines unités industrielles, dans le secteur de la transformation des produits de la pêche essentiellement, de nombreux professionnels n’avaient aucune expérience de comment le contrôle qualité des produits était effectué. Ils ont en effet été élevés dans l’idée que c’était le Business des services de la répression des fraudes.

 La confusion de l’exploitant

 L’industriel marocain comprend qu’il doit mettre en place l’Autocontrôle selon l’approche du HACCP. On lui dit que pour cela (mise en place du HACCP),  il doit être certifié par un organisme compétent. Il dispose pour ce faire de deux choix entre un organisme public comme le Ministère du Commerce et d’Industrie et un organisme privé étranger comme la SGS, Veritas ou autre (voir : article sur La crédibilité de l’ONSSA). S’agissant des analyses, il a de nouveau à choisir entre les laboratoires publics et des organismes d’obédience étrangère comme l’Institut Pasteur.

 Eclairage

 Mettre sur pied un laboratoire d’analyses de produits alimentaires coûte très cher et la rentabilité doit être envisagée sur le moyen terme. En dehors d’organismes établis depuis longtemps avec la bénédiction du protectorat et qui ont à présent des intérêts et un acquis à défendre, le privé n’investit pas dans ce créneau. D’abord il n’y a aucune visibilité, ensuite, il n’y a pas  d’encouragement de l’Etat pour ce secteur et pas non plus une volonté affichée d’orienter les exploitants vers les laboratoires privés marocains pour effectuer leurs analyses. Alors, en maintenant la mainmise du public et d’organismes privés étrangers sur le travail d’analyses et autres certifications, tout se passe comme si l’Etat avait la volonté de tuer dans l’œuf toute initiative de transfert de responsabilité vers le privé marocain sur ce secteur. Dans ces conditions, comment le  Maroc compte assister les pays africains qui souhaitent être sevrés de la dépendance vis-à-vis de leurs colonisateurs d’hier ? Peut être en sous traitant de nouveau le travail d’expertise à des organismes de ces mêmes pays. Le fait est que Maroc doit devenir lui-même crédible et commencer par recouvrer sa souveraineté sur le domaine de l’expertise autrement tout ce qu’il dira sera ressentie comme de la propagande et rien de plus.

 En guise de conclusion, il y a lieu de rappeler que l’Etat est un et indivisible et parce qu’il ne peut être juge et parti, il doit pleinement revendiquer et assumer son rôle de « contrôleur/arbitre ». En conséquence, les organismes relevant de l’Etat doivent s’éloigner de la certification des unités industrielles  autrement c’est indécent ! L’ONSSA doit aussi faire cesser les rumeurs qui circulent comme quoi il certifie des unités industrielles. Il doit aussi indiquer nettement sur son site web que tout travail fait en dehors des stipulations de la loi, y compris le recours sans raison à des normes étrangères, sera considéré comme nul et non avenu.