Il est comme cela des formules qui traversent le temps et deviennent des règles consensuelles appliquées par la majorité des gens qui peuvent être concernés. Une rubrique dénommée « GRAS » (Generally Recognized as Safe) de la réglementation américaine des aliments et cosmétiques constitue l’un de ces exemples. En effet, si un produit (exemple le henné), largement en usage depuis des milliers d’années a montré, tout au long de sa large utilisation, des effets bénéfiques reconnues pour l’usage qui en est fait, ce « témoignage » est considéré comme suffisant aux yeux de la loi pour la consécration de l’utilisation du produit. Sur un autre registre, le proverbe latin « Verba volant, scripta manent » (les paroles s’envolent, les écrits restent) a passé l’épreuve du temps et son application peut être considérée comme très judicieuse. Mais alors, pourquoi nos responsables, la tutelle sur la chaine alimentaire en particulier, utilisent le téléphone avec zèle et répugne de recourir à l’écrit. C’est ce sur quoi cet article voudrait jeter quelque lumière.
Rappel de l’approche de travail avant 2010
Dans les premiers temps du protectorat, l’activité agroindustrielle au Maroc relevait d’un bureau au Ministère de l’Agriculture. Les fonctionnaires de ce service se déplaçaient vers les unités agroalimentaires pour inspection et, le cas échéant, prélevaient des échantillons de produits finis prêts à la vente pour contrôle. L’entreprise devait attendre sur le « OK » des fonctionnaires avant de mettre ses produits dans le commerce. Ces opérations de vérification et contrôle étaient conduites de manière principalement informelle. Il y a eu un semblant d’évolution par la suite en ce sens que les services de la répression des fraudes ont entrepris d’user de pré-imprimés. Ces documents étaient toutefois conçus pour ne pas incommoder les fonctionnaires. D’ailleurs, c’est la somme de ces textes de base de travail des services de la répression des fraudes qui ont été compilés après et ont constitué l’ossature de la précédente loi 13-83, à présent abrogée. Dans son ensemble, cette loi répressive soumettait le secteur agroindustriel marocain à l’autorité des services de la répression des fraudes sans aucun partage. Alors que le travail d’examen et de contrôle des échantillons des produits agroalimentaires ; commençant par le prélèvement d’échantillons, passant par les analyses de laboratoire et se terminant par l’émission de bulletins d’analyses ; est codifié par des règles scientifiques et techniques parfaitement établies, les textes évoqués de la loi 13-83 étaient souvent vagues laissant à ces verbalisateurs les coudées franches pour agir, en accord avec la hiérarchie, comme bon leur semblait sans avoir de compte à rendre à personne. Par voie de conséquence, les résultats de leur travail étaient tout aussi médiocres que les textes très approximatifs, servant de procédures, qu’ils utilisaient comme références. Cette approche de travail a malheureusement été maintenue jusqu’à présentation de la nouvelle réglementation actuellement en vigueur.
Avènement de la loi 28-07
La promulgation de la loi 28-07 de sécurité sanitaire des produits alimentaires, d’inspiration anglo-saxonne, est venue dans le but de mettre un terme au travail anarchique des services de la répression des fraudes, et inaugurer une ère nouvelle où les fonctionnaires de l’ONSSA (Office National de Sécurité Sanitaire des Produits Alimentaires), organisme qui a pris la relève des services de la répression des fraudes, ont l’obligation d’affirmer leurs interventions par des écrits prévus par la loi pour permettre, entre autres, de juger des performances de leurs audits des entreprises. La loi 28-07 est effective depuis 2012 et on peut se demander si, pour autant, le corps des fonctionnaires de l’ONSSA suit la loi comme il se doit ?
Les réticences à l’application de la loi 28-07
La loi 28-07 et son décret d’application ont cerné, à l’instar de ce qui se passe chez nombre de nos partenaires commerciaux, aussi bien le travail des auditeurs (fonctionnaires de l’ONSSA) que celui des entreprises auditées (exploitants). Les premiers viennent vérifier si le travail des seconds est effectué en conformité de la réglementation en vigueur. Dans ce cadre, le questionnement des fonctionnaires et les réponses des exploitants, sous une forme ou une autre, se doivent d’être confirmés par écrit. Toutefois, les informations dont dispose ce blog montrent que les choses sont loin de se passer de cette manière. Il apparait que jusqu’à présent, seuls les exploitants sont invités (oralement) à justifier par écrit la conformité de leurs opérations à la réglementation en vigueur.
Commentaire
Tout se passe comme si les responsables de l’ONSSA tenaient à poursuivre sur les pas de leurs collègues des services de la répression des fraudes selon l’adage : « Faites comme je dis et non comme je fais ». Or si ce slogan s’insérait « harmonieusement » dans la médiocrité de la précédente loi répressive (aujourd’hui abrogée), à présent il heurte de front les lignes directrices pour le travail selon la loi 28-07. Les principes de la nouvelle loi commandent clairement aux fonctionnaires de l’ONSSA de donner l’exemple en se conformant de leur côté à ce que la loi prescrit concernant la conduite de leurs tâches. Mais ceci n’est pas le cas. Les exploitants, selon toute apparence, semblent fondés de se dire : « si ces fonctionnaires ne veulent pas appliquer ce que la loi prévoit pour eux, nous n’en ferons rien non plus » et voilà comment la réticence des délégués de l’ONSSA à respecter eux mêmes la propre loi, sur laquelle ils sont supposés veiller, provoque chez les exploitants une résistance pour s’y conformer à leur tour. Par ailleurs, il est hautement improbable que le comportement inapproprié des fonctionnaires de l’ONSSA sur le terrain n’ait pas été rapporté, d’une manière ou une autre, à leurs supérieurs au siège de cet organisme. On peut donc considérer que fonctionnaires et cadres de l’ONSSA, organisme de tutelle sur les exploitants de la chaine alimentaire, ont encore du chemin à faire pour être à la hauteur de ce que la loi 28-07 attend de leurs propres prestations.
Comment sortir de cette ornière
Si les fonctionnaires sont réticents à appliquer la loi à eux-mêmes pour donner l’exemple ce n’est probablement pas par ce qu’ils sont sourds à entendre le message véhiculé par la nouvelle réglementation, ou bien incapables de lire et comprendre les textes de la loi. Il est plus que probable que ces gens sont mus par un intérêt (à trouver) dont ils perçoivent le « message » de manière plus forte que toute autre information qui leur parviendrait d’ailleurs. Les autorités supérieures ont l’obligation de chercher et trouver l’origine, la nature et le degré d’influence que ce « message » en question a sur l’oreille des fonctionnaires pour l’annihiler par les meilleurs moyens au plus vite. Si ce n’est pas le cas, le Maroc aura une fois encore promulgué une bonne loi mais les efforts auront été investis pour rien. Sa crédibilité vis-à-vis de ses partenaires commerciaux chutera encore un peu plus comme pour dire aux nations africaines qui ont reporté leurs espoirs de voir en nous un modèle à suivre : cherchez ailleurs, nous ne sommes pas encore prêts.