La crédibilité de l’ ONSSA (Suite)

La lecture attentive de la loi 28-07 de sécurité sanitaire des aliments montre que le législateur a voulu responsabiliser les intervenants de la chaine alimentaire nationale en leur commandant de procéder à l’Autocontrôle avant la libération de leurs produits dans les circuits de commerce et protéger davantage le consommateur marocain. Dans le même temps, exigence leur est faite à ce que  l’Autocontrôle soit effectué selon l’approche du « Hazard Analysis and Critical Control Points » (HACCP), démarche reconnue par le Codex Alimentarius comme la plus pertinente pour ce type de contrôle pour le commerce globalisé des produits alimentaires. Il en découle que l’application de la loi satisfait aux exigences requises pour l’accès des  produits marocains aux marchés de nos partenaires commerciaux de par le monde. Cela vaut également pour le marché américain reconnu parmi les plus contraignants à l’international sur le plan des normes sanitaires. Ce travail de mise à niveau est nouveau chez nous. Ainsi, avant 2011, date de promulgation des textes d’application de la présente loi 28-07, la loi 13-83 précédente (aujourd’hui abrogée) était similaire à celle qui était en cours aux Etats Unis au début du XXème siècle. Il s’ensuit que la première mouture de la réglementation américaine sur les produits alimentaires et celle en vigueur actuellement aux USA (à laquelle notre loi 28-07 peut être rapprochée)  sont séparées par un espace temps d’un siècle. Pour utiliser une image, nous dirions que ce sont les petits enfants (ou grands petits enfants) des premiers inspecteurs de la FDA (Agence américaine de contrôle des produits alimentaires et des médicaments qui a vu le jour en 1906) qui ont la charge aujourd’hui d’auditer les entreprises agroalimentaires américaines. Pour revenir au cas du Maroc, un grand nombre des fonctionnaires (pour ne pas dire la plupart) de l’Office National de Sécurité Sanitaire des Produits Alimentaires (ONSSA) sont ceux là mêmes qui avaient en charge, avant 2012 (date d’entrée en vigueur effective de la loi 28-07), la surveillance du travail dans la chaine alimentaire selon le mode opératoire de la loi 13-83. En langage imagé, nous dirions que le jour d’avant ces fonctionnaires portaient des blouses sombres pour la loi 13-83 qu’ils ont troquées le lendemain pour des blouses blanches sous la loi 28-07. Alors, en 2014, deux ans après l’abrogation effective de l’ancienne loi, bien malin qui pourrait indiquer quel changement effectif la nouvelle loi 28-07 et les textes pris pour son application ont effectivement produit sur le terrain des entreprises. Mais pour apprécier davantage le changement de situation auquel ont été soumis les fonctionnaires visés de l’ONSSA, nous allons procéder à un récapitulatif du mode opératoire de leur travail sous l’ancienne loi abrogée et le comparer avec comment leur mission est définie par la nouvelle réglementation.

 Le travail sous le régime de la loi 13-83

 Une bonne partie des textes de la loi 13-83 remonte à la période du protectorat voire, pour certains d’entre eux, transcrits des règles françaises sur l’hygiène du XIXème siècle. En y regardant de plus près, il s’agit d’une loi à vocation d’abord répressive sous la tutelle des services de la répression des fraudes. Dans les faits aussi, le fonctionnaire de ces services (verbalisateur) était omnipuissant devant le patron de l’entreprise soumis à son inspection. Le fonctionnaire n’avait de compte à rendre qu’à sa hiérarchie. Son jugement, approprié ou déplacé, est peu ou pas du tout entravé par cette loi ancienne et il a toute latitude pour prendre la décision qui l’arrange à propos de l’entreprise qu’il inspecte. Cette loi 13-83 abrogée, administrée par les services de la répression des fraudes, donnait en réalité au verbalisateur tout pouvoir, par le biais du « jeu de l’expertise et la contre expertise », deux fonctions assumées dans le même temps par les services dont il relève, d’incriminer (s’il le souhaitait) l’entreprise et la livrer pieds et mains liés au tribunal dont le rôle se résumait à entériner la décision en inculpant comme suite la société tombée à tort ou à raison dans le filet de ces fonctionnaires. Alors, indépendamment de toute autre considération, il faut bien convenir qu’i s’agit là d’un pouvoir de nature à libérer un verbalisateur de sa condition de petit fonctionnaire et le propulser très haut vers un stade de nirvana. Devant lui, le patron était prêt à tout pour le satisfaire y compris sur le plan vénal et on sait combien le pouvoir peut être corrupteur. Ceci dit, il ne fait pas de doute que les fonctionnaires de la répression des fraudes sous le régime de la loi 13-83 étaient beaucoup plus craints que respectés. Le plus souvent, ils étaient méprisés même.

 Loi 28-07

 Comparativement à la loi abrogée, dont certains textes seront restés en vigueur pour pratiquement un siècle, la nouvelle réglementation vient juste d’entrer en vigueur et il manque le recul nécessaire pour apprécier comment les « à présent  fonctionnaires de l’ONSSA » interagissent avec les exploitants de la chaine alimentaire pour sa mise en application. Faute d’observations suffisantes sur le terrain, rien n’empêche de se livrer à un raisonnement de simple bon sens. En effet, la loi 28-07, dite de l’Autocontrôle selon le HACCP, est une loi comparable, à des détails près, à celles en vigueur dans d’autres pays à travers l’hémisphère nord de la planète. La loi suppose, comme chez nos partenaires, que les gens qui veillent à sa mise en œuvre font ce métier parce qu’ils ont choisi de le faire et comptent le conduire du mieux qu’ils le peuvent. Ces Inspecteurs/Auditeurs sont supposés être instruits de leurs obligations et devoirs inhérents à la charge qui leur incombe. En conséquence, ils sont humbles, mais fermes sur l’application de la loi, car ils réalisent le poids de la charge qui pèse sur leurs épaules et dont dépend, en partie, la place de leur pays parmi les nations sur ce secteur. Ils savent que leur comportement lors de l’accomplissement de leurs missions doit être exemplaire par ce que le travail subséquent de toute la profession, qui les observe, en dépend. Ils ont donc à cœur de préparer leurs interventions à l’avance, prévenir de leur arrivée et connaissent la réglementation par cœur pour répondre à toutes les préoccupations des entreprises auditées. Ils savent aussi qu’il faut travailler à l’intérieur du cadre qui leur est tracé par la réglementation et font leurs remarques par écrit en prenant soin de les dater et signer. Ils sont polis et déclinent leur identité en arrivant à l’entreprise. Les patrons ne les craindront peut être pas mais, au lieu du mépris, ils auront leur respect et ça, ça n’a pas de prix.

 Commentaire et Conclusion

 A moins d’être optimiste à outrance, il est difficile de croire en la conversion « magique » et immédiate des verbalisateurs (blouses grises) sous la loi 13-83 abrogée en des auditeurs avisés (blouses blanches) sous la nouvelle loi 28-07. Nous pensons que s’il s’était agi d’une entreprise privée, elle aurait procéder en indemnisant bonne partie des « blouses grises » pour qu’ils aillent se reposer chez eux et aurait recruté de nouveaux candidats (sans mémoire de la loi 13-83) pour le rôle des « blouses blanches ». Mais l’Etat est souverain et doit avoir ses raisons de ne pas avoir procédé de cette manière. Il reste que bon nombre des « blouses grises » doit avoir dépassé quinze voire vingt ans d’exercice sous le régime de la loi répressive 13-83 et, selon ce raisonnement, serait mis à la retraite au-delà des quinze prochaines années. Les chances d’une implémentation correcte de la loi 28-07 de sécurité sanitaire des aliments seraient à coup sûr plus élevées au-delà de cette période. Mais les pays africains voient déjà dans le Royaume un leader en mesure de les exonérer d’une dépendance onéreuse et dont ils ne voient pas la fin vis-à-vis de puissances coloniales du passé, particulièrement sur le secteur de la sécurité alimentaire. Il est fort à parier que nos amis africains préféreraient voir le Maroc remplir le plus rapidement possible ce rôle pour le bien de sa stature à l’international et l’intérêt du continent africain.