Le défi de réinsertion de compétences marocaines de l’étranger

Depuis quelques temps, la presse abonde d’informations sur le désir du gouvernement d’encourager les compétences marocaines qui exercent à l’étranger à regagner leur pays pour y développer les activités qu’elles mènent actuellement ailleurs. J’étais, autant que je sache, le premier marocain à accéder à la « citadelle » Hoffmann-La-Roche à Bâle en tant que chercheur postdoc et j’ai préféré ensuite rentrer dans mon pays. Considérant les trente années passées depuis au Maroc, il y aurait de quoi remplir quelques tomes à parler de cette expérience de « réinsertion ». Au lieu de disserter sur mon parcours personnel, j’ai pensé plus utile dans cet article de discuter du genre d’obstacles qui contribuent, selon mon opinion, à dissuader les compétences marocaines de revenir au Maroc. Pour rapprocher le lecteur de ces problèmes, j’ai choisi d’illustrer les difficultés en question au travers de deux tentatives marocaines pour mettre sur pied, dans les années quatre-vingt-dix, un laboratoire de dosage du dopage qui ont avorté. J’ai été témoin de la première tentative et acteur directement concerné dans la seconde (mes archives). Pour rappel, les athlètes qui se dopent le font à l’aide de certains médicaments qu’ils prennent et/ou la nourriture qu’ils consomment. Je précise que si le CNOM (Comité National Olympique Marocain), dirigé par le Général de corps d’armée Hosni Benslimane, est incontournable dans cette narration, l’article traite et commente uniquement sur la gestion par cet organisme public de la problématique du dopage.

 Le comportement paradoxal du CNOM

 Au début des années quatre-vingt dix, le Président du CNOM envoie l’un de ses émissaires au siège du CIO (Comité International Olympique) à Lausanne pour  demander  l’autorisation de mettre sur pied un laboratoire de dosage du dopage, un peu comme on demanderait l’autorisation d’ouvrir une boulangerie de quartier. La démarche au regard de la pratique internationale, pour ce type d’agrément, est on ne peut plus cavalière ! Avant d’en arriver là, les prétendants à ce service du CIO s’assurent l’aide d’un laboratoire déjà agréé pour l’analyse du dopage qui vous aide à réaliser la structure selon les règles préétablies, vous assiste pour le travail et la formation des compétences nécessaires sur quelques années après quoi il contribue (éventuellement il valide) avec vous à la préparation de votre dossier de demande selon les règles de l’art à présenter au CIO. Durant l’entretien de l’émissaire marocain avec les responsables du Laboratoire Suisse d’Analyse du Dopage (LAD), vers lesquels le délégué du CNOM a été orienté par le CIO, mon nom avait été mentionné. En même temps que j’apprenais la nouvelle de mes amis à Lausanne, ville où j’ai séjourné plus de onze années pour mes études universitaires et mon travail d’assistanat, je recevais un téléphone du général Hosni Benslimane, par son directeur de cabinet le colonel Mokhtar Moussamim, qui souhaitait me voir à une date et une heure préfixées par lui-même. Je vais au rendez vous à Rabat mais il n’était pas à son bureau. On m’apprend qu’il a une réunion au complexe sportif Moulay Rachid où je me dirige immédiatement. A la fin de son intervention, je lui pose la question courtoisement devant tout le monde pour ce qui est du dossier de mise en place d’un laboratoire d’analyse du dopage. Il se tourne alors vers un citoyen français à sa droite et lui dit : « Mais nous avons réglé cette question, non ? » et le conseiller, je présume, lui répond : « oui, mon général ». A cet instant, je me suis dit que « les jeux sont faits ». Sous ce rapport, les français améliorent sûrement à mesure leurs prestations de service mais sur le plan européen ils sont considérés comme un élève juste moyen pour le contrôle du dopage. Or les informations qui circulaient à ce moment là laissaient entendre que le Président du CNOM voulait réaliser les analyses du dopage au sein du laboratoire d’analyses de la Gendarmerie Royale à Rabat. Deux de mes anciens étudiants diplômés de l’ISBB (Institut Supérieur de Biologie et de Biochimie) de Casablanca étaient techniciens dans ce laboratoire et j’étais informé de première main de l’excellent travail qui y était effectué. Mais ces candidats n’étaient pas formés pour des analyses du domaine du dopage qui exigent des connaissances de disciplines scientifiques à un degré plus élevé et la maitrise d’un équipement technique hautement sophistiqué. Questionnés à ce sujet, mes amis suisses croyaient peu aux chances du laboratoire de la gendarmerie de recevoir l’agrément du CIO pour le dopage parce que cela aurait été contraire aux directives de la charte du CIO pour la délivrance de cet agrément. Mais, je suppose, le conseiller français a dû omettre d’en informer le Président. On comprendrait mal autrement comment le général soit passé quelque temps après à la télévision publique au journal du soir (de grande écoute) flanqué du Ministre de la santé (Dieu ait son âme) et du Ministre de la jeunesse et des sports de l’époque avec le commentateur du journal qui affirmait que la Laboratoire de la Gendarmerie Royale allait procéder dorénavant aux analyses du dopage, alors que la caméra montrait dans ce laboratoire un matériel très conventionnel. La réalisation de ce type de jonglerie ne devait pas coûter un grand effort pour un homme aussi puissant que le général Hosni Benslimane sauf que pour le pays, c’est exactement le type de pitreries qui sape la crédibilité des institutions nationales et qui nous font passer pour des clowns aux yeux des instances internationales.

 Un laboratoire privé d’analyse du dopage au Maroc

 Sur ces faits, mes amis suisses m’informent qu’ils vont installer au LAD de nouveaux équipements et que je pouvais disposer gratuitement des anciens (en excellent état) si je m’engageais à les utiliser pour les besoins d’analyse de dopage. Il y en avait pour des millions de Francs suisses en matériel spécialisé et l’engagement de me le fournir était signé par le Professeur Laurent Rivier, pionnier des analyses de dopage et directeur du LAD à ce moment là (Dr Martial Saugy en est le directeur actuel). Le LAD s’engageait également à former gracieusement le personnel technique pour les analyses de dopage.

 Consultation de deux banques

 Après cette proposition écrite, je consulte la banque populaire et la banque du Crédit du Maroc où le directeur des engagements, Monsieur Ahmed Ouazzani pour la première et l’adjoint au directeur central, Monsieur Ahmed Fargho pour la seconde comptaient parmi mes amis. Les deux ont été formels que si je pouvais justifier d’un terrain à bâtir pour le projet, la garantie d’avoir gratuitement le matériel suisse et l’assurance de pouvoir effectuer les analyses de dopage ensuite, sachant qu’elles sont une exigence incontournable pour le Maroc (activité sous traitée à présent)  pour la crédibilité de ses compétitions à l’international, l’une et l’autre banque suivraient pour l’octroi d’un crédit bonifié de réalisation du projet sans hésitation. J’avais déjà le document pour le matériel. La Wali de Tétouan de l’époque, Docteur Mohamed Belmahi, qui avait inauguré mon ISBB de Tétouan et devenu ensuite un ami a, sur ma sollicitation, téléphoné à son collègue le gouverneur de l’agence urbaine de Casablanca, Monsieur Abdelfettah Moujahid qui m’avait reçu après et satisfait ma demande dans les formes pour l’acquisition d’un terrain à prix symbolique dans la nouvelle ville de Nouaceur (mes archives). Il me restait à avoir un document, sorte de bénédiction du CNOM. C’était le chemin de croix qui m’attendait. Pour être bref, j’ai fait de nombreux courriers au directeur général du CNOM et au Général Hosni Benslimane, son président (mes archives); j’ai été voir le directeur général au siège du CNOM à Rabat et me suis entretenu avec lui pour plus d’une heure et effectué d’autres démarches peu orthodoxes pour avoir une réponse écrite, même négative, pour au moins justifier la fermeture correcte de ce dossier auprès de mes amis suisses qui avaient fourni un effort colossal pour faire accepter par leur hiérarchie le principe de l’envoi du matériel coûteux gratuitement et assurer par la suite la formation du personnel et prendre en charge la présentation du dossier d’agrément au CIO. Mais rien n’y a fait et il n’était pas possible de balayer l’idée que pour l’Université où j’ai étudié et fait mes preuves je sois devenu un simple fanfaron ! Le pire qui puisse arriver à l’ensemble de ces marocains qu’on voudrait voir revenir dans leur pays pour y exercer à présent c’est d’avoir en face d’eux des gens « responsables » de ce type qui handicapent, selon moi, plutôt qu’ils ne favorisent le développement du Royaume. Or, ils sont encore légion dans l’administration marocaine où ils continuent de sévir impunément.

  Quid du fléau du dopage au Maroc

 Après un épisode intermédiaire, où j’ai été aux Etats Unis et ensuite en Suisse en tant que directeur d’un Cabinet d’Audit américain pour l’Europe et la zone MENA (Middle East North Africa), je suis revenu pour continuer mon travail à Casablanca. A cette époque, début des années deux mille, je voyais régulièrement, entre autres, un ami journaliste. Quand l’affaire de dopage de Monsieur Brahim Boulami est apparue dans les journaux, le nom du Docteur Martial Saugy avait circulé également parce que le coureur le rendait responsable de ses propres turpitudes. Comme le journaliste ami me demandait mon avis sur le sujet, je lui avais donné le téléphone du Docteur Saugy, un copain d’étude et ami de la famille que j’avais visité au LAD et chez lui il n’y avait pas longtemps, pour qu’il lui téléphone lui-même et lui pose la question. Une fois avoir communiqué avec Monsieur Saugy, le directeur actuel de l’hebdomadaire « LAVIE-éco », Monsieur Saâd Benmansour en avait rendu compte dans un article de l’édition du journal du 21 Février 2003. Mais les jérémiades du sprinter marocain sur ses désagréments avait fait de lui un sujet de toutes les conversations et plusieurs personnes m’avaient demandé si je pouvais voir avec lui pour l’aider. Saâd Benmansour me procura son numéro de portable. Au téléphone nous avons convenu de nous voir un soir à l’hôtel Ibis près de la gare de l’Agdal à Rabat où il était descendu.  Nous avons bavardé et je lui avais indiqué qu’on peut bien reprocher des choses au Docteur Saugy sauf de ne pas être objectif dans le travail d’analyse. Mais ceci étant, s’il me donnait sa parole d’honneur qu’il n’avait pas triché, j’étais prêt à l’accompagner au LAD à Lausanne pour voir le Docteur Martial Saugy pour repasser avec nous l’ensemble du dossier source de ses ennuis. A ma grande surprise, Monsieur Boulami a botté en touche en répondant qu’en fait, il n’avait même pas été autorisé par le CNOM pour venir me voir. Pour moi, tout était dit.

 La morale de cette narration

 Quand j’ai voulu créer l’ISBB de Casablanca, j’avais présenté au Ministère de l’éducation Nationale la première mouture du projet en accord avec la grande école professionnelle de Lausanne, dont le directeur me promettait par courrier une assistance et du matériel gracieux,  qui a été refusée pour cause que nous n’avions pas d’accord sur l’enseignement avec ce pays. Il m’était réclamé un partenaire français, un point c’est tout. Que cela me coûte plus d’argent sans aucun avantage comparatif était le dernier souci des fonctionnaires qui restent obtus et imbus de leur pouvoir. Dans un autre cas, lors de la création de la société PhF Maroc, une « joint venture » entre la PhF Specialists, société américaine et le Cabinet Dr Essadki d’expertises, société marocaine, notre avocate conseil, Maître Chems Eddoha Lyoubi avait pris en charge le dossier pour avoir les autorisations nécessaires pour l’exercice de l’audit et certification des entreprises du secteur agroalimentaire marocain. La démarche avait buté, de nombreux mois durant, sur un soi-disant manque de satisfaction à des pratiques qui remontent au Protectorat. En particulier, il était exigé de la partie américaine de donner des équivalences des diplômes du signataire américain, le vice président de la compagnie, par référence aux diplômes français ! J’ai demandé alors une entrevue avec le président du tribunal de commerce de Casablanca pour voir quelle était cette loi qui obligeait un homme d’affaires américain à se référer à la réglementation française pour investir au Maroc. Le magistrat a été sensible à mes arguments mais de peur d’enfreindre un règlement qu’il ne savait de toute façon pas où le trouver, il avait autorisé, mais par dérogation seulement, la naissance de l’entité mixte Maroco-américaine. La procédure avait pris plus d’une année (mes archives). Mais, s’il s’était agi d’une entité franco-marocaine, sa création aurait sûrement eu le vent en poupe. Ce type de contraintes est encore monnaie courante aujourd’hui. Alors, avant d’inviter les compétences marocaines de l’étranger à revenir exercer au pays, il serait plus pertinent d’assainir une fois pour toute cette administration publique qui a l’air complètement déboussolée dès qu’on sort des clous définis par les pratiques laissées par le protectorat pour servir les intérêts strictes de la France métropolitaine.