Report indéfini de l’entrée de la loi sur la sécurité alimentaire

La loi 28-07 de sécurité sanitaire des aliments (ci-après la loi) a été promulguée en Février 2010 et, mis à part les élucubrations linguistiques de l’ONSSA (Office National de Sécurité Sanitaire des Produits Alimentaires), ce dernier ne semble pas être prêt, cinq ans après, pour passer à la phase d’implémentation. L’organisme a pourtant rédigé le 22 septembre 2014 une circulaire, avec comme objet : « Agrément ou autorisation sanitaire des entrepôts de stockage des produits alimentaires importés », pour prévenir les importateurs qu’à partir du 1er décembre 2014, l’accès au marché marocain serait refusé à leurs produits alimentaires importés s’ils ne disposaient pas à cette date d’un agrément et/ou autorisation pour les locaux de stockage de ces marchandises. Mais la presse vient de se faire l’écho ces derniers jours d’une nouvelle circulaire de l’ONSSA du 12 décembre dernier aux directeurs régionaux de l’organisme annulant la note du mois de septembre jusqu’à nouvel ordre, et le blocage subséquent qui planait sur les produits importés, et prolongeant par voie de conséquence le statu quo, c’est-à-dire l’éloignement de l’entrée en vigueur de la loi. Le présent article réfléchit sur ces couacs à répétition que l’ONSSA n’a pas fini de produire depuis sa création réduisant chaque jour un peu plus le peu de crédibilité qui lui reste auprès d’organismes équivalents d’autres pays et, surtout, auprès des consommateurs marocains dans l’intérêt desquels cette autorité est supposée agir.

 Eclairage sur l’importation de produits alimentaires

 En même temps que la France coloniale déployait tous ses talents pour torpiller la naissance d’une activité agroindustrielle nationale (voir sous : http://alkhabir.org/linstrumentalisation-du-controle-production/), ce pays n’a eu de cesse de manigancer pour garder, en particulier, le marché marocain du commerce de produits agroalimentaires sous sa coupe. Le développement relativement démesuré du business d’import/distribution au Maroc de produits alimentaires venant de l’hexagone fait partie d’une telle stratégie. Il s’agit d’une activité où il y a peu de risque, si on dispose notamment de la bonne information de quoi importer auprès de la puissante chambre de commerce française de Casablanca. Ceci explique par ailleurs la facilité avec laquelle les opérateurs français, ou adhérents de la cause commerciale française, s’installent et progressent rapidement sur ce secteur des produits alimentaires importés. Ils sont aussi solidement assistés par de puissants prestataires de service, à l’exemple de la SGS, Veritas et autres, présents dans le pays depuis le protectorat et très au fait des pratiques que l’ancien colonisateur a inculquées depuis à  l’administration marocaine. Certains parmi ces prestataires possèdent des entrepôts de stockage qu’ils louent aux importateurs. Pour dire les choses simplement, les produits, et les opérateurs, en provenance de la France métropolitaine se taillent la part du lion du marché marocain de l’importation/distribution des produits agroalimentaires, et dans toute l’Afrique francophone d’ailleurs. Il est alors facile de comprendre que la diffusion de la note circulaire de l’ONSSA du 22 Septembre passé, menaçant la fermeture du marché marocain devant les importateurs en décalage avec la nouvelle réglementation, a dû touché un point névralgique et qu’une réaction violente et argumentée a pu se produire pour amener les responsables de cet organisme à suspendre sans autre avis l’application des mesures annoncées dans la circulaire en question. Comme le site de l’ONSSA reste muet sur les conditions qui ont obligé cette autorité à faire marche arrière sur l’entrée en phase d’application de la loi, il nous reste uniquement la voie des supputations et conjectures pour essayer de comprendre ce qui a bien pu se produire pour empêcher une fois encore la nouvelle réglementation d’entrer effectivement en vigueur.

 L’importation, une activité commerciale

 Le point commun de l’importation avec le travail d’une entreprise de production est que dans un cas comme dans l’autre il y a besoin d’un local de stockage. Dans la démarche HACCP, un tel local doit être propre et facile à nettoyer et désinfecter dans tous ses coins et recoins. Ensuite, dépendant des produits à y entreposer, il doit être possible d’y définir une température donnée et la maintenir, ou avoir des équipements adaptés en lieu et place (réfrigérateurs, congélateurs etc.), et avoir le même soin pour la teneur en humidité. Le local doit également être à l’abri de contaminations et/ou de contaminations croisées. Mais, dans les situations de location, il arrive que plusieurs importateurs se partagent un même espace de stockage. De plus, parmi ces opérateurs, il y en a qui ont en plus besoin d’un atelier pour répartir des produits reçus en grande quantité comme des poudres par exemple en de plus petits contenants et les étiqueter. Il est cependant rare qu’un importateur nécessite un dispositif plus étoffé pour faire son travail. Pour cette raison, les opérations de ce segment du secteur agroalimentaire sont plus proches d’une activité commerciale que de celle de production. Si, en plus, l’importateur loue simplement un espace chez un propriétaire, son business se rapproche davantage encore d’une activité de rente ! Mais ce sont des activités lucratives car la clientèle marocaine visée par les produits importés de France est celle de la classe moyenne supérieure et au-delà qui dispose d’un bon pouvoir d’achat. Alors, le fait que l’ONSSA soit revenu sur sa volonté notifiée de commencer à implémenter la loi quelques jours seulement après l’entrée en vigueur supposée de sa circulaire évoquée plus haut sans autre explication laisse supposer que l’obstacle rencontré à l’application devait être de taille. La presse parle de difficultés que les importateurs ont trouvées à essayer de se conformer à la loi. En fait, y’a-t-il une différence dans ce que demande la loi aux importateurs par rapport aux autres exploitants du secteur agroalimentaire pour l’obtention de l’agrément ? Ensuite, l’idée de l’ONSSA de tester l’application de la loi au niveau des importateurs en premier lieu était-ce vraiment une bonne initiative ?

 Dossier d’agrément ou d’autorisation

Le décret de la loi définit pour les entreprises et établissements concernés les exigences appartenant à l’agrément d’un côté et celles qui relèvent de l’autorisation de l’autre  et donne la liste de catégories d’entreprises soumises à l’agrément mais ne différencie pas, sous ce rapport, les importateurs des autres exploitants de la chaine alimentaire par référence à une priorité d’implémentation de la loi. De la même manière, l’arrêté relate bien les éléments du dossier à fournir à l’ONSSA pour l’obtention d’un agrément ou une autorisation mais se réfère aux établissements et entreprises agroalimentaires et ne discute pas isolément du cas des locaux de stockage des importateurs. En somme, la réglementation en vigueur raisonne, à l’instar des autres lois de pays avancés, en termes de dangers potentiels que pourraient poser un aliment sur la santé du consommateur pour déterminer si l’entreprise qui le fabrique se doit d’avoir un agrément (producteurs de viandes, produits laitiers, œufs, poissons etc.) et mettre en œuvre par conséquent un système HACCP ou bien  une simple autorisation (producteurs de pâtes sèches, farine, confiseries etc.) et satisfaire dans ce cas aux BPHs (Bonnes Pratiques d’Hygiène). Selon les informations dont nous disposons, les importateurs souhaitant être agréés doivent fournir le même type de dossier qu’une entreprise qui fabrique localement l’équivalent du produit importé. Si cela est compréhensible, on comprend moins pourquoi la date limite (deadline) du 1er décembre pour se mettre en conformité a été exigée des importateurs mais pas des autres segments du secteur agroalimentaire national. Ensuite, à y regarder de plus près, des informations exigées dans le dossier de demande d’agrément d’un importateur, telles que : « les diagrammes détaillés de production ainsi que les capacités de production journalière et/ou annuelle etc. » (http://www.onssa.gov.ma/fr/images/reglementation/transversale/ARR.244-13.FR.pdf) et autres peuvent s’avérer non pertinents pour cette catégorie de professionnels. Le Directeur Général de l’ONSSA doit sûrement avoir rédigé sa circulaire évoquée du 22 Septembre après avoir réfléchi aux implications potentielles de sa démarche sur les importateurs dans leur ensemble, mais à voir le résultat du blocage actuel de la loi, ou bien sa réflexion a été hâtive, ou bien son raisonnement a été hors de propos. En tout état de cause, les importateurs sont fondés d’exiger une date limite pour le respect de la loi qui soit harmonisée avec celle exigée des producteurs locaux de produits équivalents.

 Comment les organismes équivalents font ailleurs

 S’agissant de sécurité sanitaire des aliments, la FDA (Food and Drug Administration), l’autorité à l’échelle mondiale la plus ancienne et la plus expérimentée pour le traitement de ce type de problématique, fixe les exigences auxquelles doivent satisfaire les opérateurs en fonction des dangers potentiels, et leurs occurrences, que les aliments qu’ils produisent sont susceptibles de poser sur les utilisateurs. La bactérie du botulisme, qui est fatale, est celle reconnue comme posant le maximum de risque alimentaire sur le consommateur et se rencontre fréquemment dans les produits en conserve. Dans ces conditions, la réglementation américaine est extrêmement exigeante sur la production de conserves alimentaires concernant aussi bien les producteurs américains que ceux de l’étranger. Pour ces derniers, que la FDA ne peut pas inspecter avec la même facilité que dans le cas de producteurs locaux, l’autorité fédérale responsabilise l’importateur qui  approvisionne la marchandise. Celui-ci a l’obligation de prendre toute mesure appropriée pour vérifier que son fournisseur applique une réglementation équivalente à celle de la FDA pour la production de denrées alimentaires, les conserves notamment. L’importateur doit avoir sous la main les documents qui attestent de la qualité de travail de son fournisseur pour la marchandise approvisionnée qu’il doit présenter sur demande aux inspecteurs FDA. Il doit par ailleurs satisfaire à tous les autres points de la loi qui peuvent s’appliquer à son travail. Dans ce sens, l’importateur américain est traité par la FDA comme un professionnel à part entière et quand une nouvelle règle sanitaire à respecter est prévue pour entrer en vigueur, la date limite fixée aux opérateurs pour se conformer à la loi a moins à voir avec le statut propre d’un opérateur (producteur, importateur, distributeur etc.) qu’avec des difficultés objectives à mettre la nouvelle règle en œuvre sur le terrain.

 Comment l’ONSSA devrait faire

 L’ONSSA arrose régulièrement la presse écrite et audio-visuelle avec toutes sortes de chiffres (souvent invérifiables d’ailleurs) par rapport à ses interventions sur la chaine alimentaire. Il devrait donc être possible d’extraire de ce fatras de données des listes d’exploitants (producteurs, importateurs, distributeurs etc.),  rangés par catégories d’aliments (sensibles, moins sensibles etc.) qu’ils mettent sur le marché. Le degré de sensibilité des produits est fonction du danger potentiel qu’une telle denrée est susceptible de poser sur la santé du consommateur. La priorité évidemment serait la mise en application de la loi pour les produits présentant le plus de risque sur le consommateur que ce soit en importation ou en production locale. C’est de cette façon que procèdent les instances réglementaires équivalentes de l’ONSSA dans d’autres pays avancés. En notifiant sa volonté d’appliquer la réglementation selon cette approche, personne n’y trouverait quoi que ce soit à redire y compris les privilégiés chez nous qui sont sur le créneau luxueux de l’import de produits agroalimentaires français parce qu’ils auront été traités de la même manière que les autres intervenants du secteur. Le délai donné aux professionnels pour appliquer la loi devrait en même temps leur permettre de faire parvenir à l’ONSSA par écrit pour une date butoir s’ils ont des doléances ou arguments pour justifier un éventuel retard de l’application de la loi. Mais une fois réglés ces détails de procédure, la date limite pour l’application de la réglementation doit impérativement être respectée. En effet, l’organisme qui doit faire respecter la loi aura de la peine à remplir sa mission si lui-même n’inspire pas le respect. Les tergiversations répétées de l’ONSSA depuis sa création ne l’aident pas dans cette tâche pour le moment.