La thalidomide, médicament (tératogène) d’origine allemande vendu dans les années 50 et début 60 du siècle passé, a occasionné une des plus graves tragédies que l’industrie de la santé a infligées à des milliers de patientes et à leurs progénitures partout dans le monde. Sauf aux Etats Unis où le médicament n’avait pas reçu l’autorisation de mise sur le marché. En effet, la réglementation FDA en vigueur, à l’époque déjà, exige des tests sur les substances médicamenteuses qui ont été reconnus insuffisants dans le cas de cette molécule. De manière équivalente, le volet de la réglementation FDA relatif à la salubrité des produits alimentaires était tout aussi robuste et plusieurs des prescriptions en question, dont la plus répandue traite du barème de stérilisation pour détruire la bactérie du botulisme, ont été dupliquées par de nombreux pays dans le monde. Ce règlement, qui a permis d’éradiquer les séries d’intoxications fatales du botulisme dont les USA ont souffert dans les années soixante, est connu sous LACF pour Low Acid Canned Food (Produits Peu Acides Stérilisés). Depuis, des fléaux nouveaux sont apparus comme ceux relevant de l’allergie et autres. En conséquence, la nouvelle loi américaine sur la sécurité globale des aliments FSMA pour Food Safety Modernisation Act (Loi de Modernisation de la Sécurité Alimentaire), entrée en vigueur récemment, va encore plus loin. Elle a innové sur plusieurs aspects en incluant pour la première fois une codification du contrôle de sécurité sanitaire des fruits et légumes frais. La FSMA a aussi élargi l’approche HACCP (Hazard Analysis and Critical Control Points) de maitrise des risques aux dangers venant de l’allergie, de dangers environnementaux ou relevant des conditions de travail ou bien provoqués intentionnellement par l’homme (terrorisme). Ces risques doivent dorénavant être gérés par le nouveau système HARPC (Hazard Analysis and Risk-Based Preventive Controls). Les USA pensent donc, et c’est légitime, que la FSMA fera date et guidera le travail dans le domaine agroalimentaire pour des dizaines d’années à venir. Ils affichent leur intention de diffuser les mérites de cette nouvelle réglementation dans le cadre du contrôle de produits importés pour le marché US par le biais de Bureaux régionaux de la FDA qu’ils comptent installer un peu partout dans le monde. L’Afrique devrait accueillir l’un de ces bureaux régionaux. L’accord de libre-échange qui nous lie aux USA fait du Maroc un bon candidat potentiel pour accueillir une telle domiciliation.
Avant les américains, les anglais avaient, jusqu’à la dernière grande guerre, joué un rôle de pionnier dans l’élaboration, en particulier, de normes pour les produits alimentaires et les produits de santé. Les normes anglaises ont d’ailleurs servi de base à la mise en place de standards de la famille ISO. Les réglementations américaine et britannique étaient alors proches l’une de l’autre. Mais, les normes des deux pays pour les produits alimentaires ont commencé à se distancer les unes des autres à mesure que la Grande Bretagne tissait son intégration au sein de l’UE. A présent que les Britanniques se préparent à se séparer du marché de l’Europe continentale, ils vont devoir redéfinir leurs positions réglementaires par rapport aux normes UE et US. S’ils optent pour garder les normes UE, cela revient, pour ce qui concerne le commerce alimentaire, au maintien de la logique réglementaire qu’ils appliquent actuellement. Cette logique fait dire aux responsables de l’UE que 70% des produits consommés par les Britanniques leur viennent du marché européen. En réalité, une bonne partie des produits en question, dont des fruits et légumes par exemple, proviennent de notre Continent africain. D’ailleurs, les Russes étaient dans cette situation il y a quelques années et achetaient nos produits (marocains par exemple) via des intermédiaires européens. Suite au différend qui les oppose à l’UE sur le dossier ukrainien, ils ont opté de s’approvisionner directement chez nous pour ce qu’ils achetaient auprès des intermédiaires européens. Nos ventes directes sur le marché russe ont alors explosé pour passer de quelques centaines de millions de dollars à plus de trois milliards en moins de trois ans. Ainsi, en éliminant des intermédiaires opportunistes, les importateurs russes et les exportateurs marocains gagnent tous les deux, les uns en économisant sur les prix d’achat et les autres en recevant un meilleur prix sur les mêmes produits. Il est fort à parier que les anglais choisiront également ce type d’approche gagnant/gagnant en commerçant, en particulier, directement avec notre Continent, dont notre région de l’Afrique de l’Ouest. Le Brexit aura alors comme effet de booster davantage encore l’export africain de nos secteurs agroalimentaires.
Ceci étant, il est peu probable, après le départ des anglais, que les pays qui resteront dans le Bloc UE modifient en quoi que ce soit les règles qu’ils nous imposent sur les échanges commerciaux très asymétriques. En effet, contre des pratiques très protectionnistes et discriminatoires, qui ont donné du fil à retordre aux américains mêmes qui disposent de standards et de lois solides, nous sommes bien démunis sur notre Continent pour leur tenir tête ou remettre en cause les règles des échanges qu’ils nous font subir. Parmi les raisons, il y a que, en tant que colonisateur de fait, les autorités du Bloc UE ont mis en place un système qui privilégie le dialogue avec nos gouvernements africains et dénigre l’expertise du secteur privé. Leur longue expérience cumulée sur notre Continent les instruit sur le peu d’efficacité ou de performance des prestations de nos pouvoirs publics ce qui se traduit par des changements très lents de nos sociétés. Aussi, cela revient de facto à un allongement indéfini du Statu quo qui arrange mieux la continuité de leurs affaires. Il s’agit d’une sorte de piège dont il est difficile de sortir, mais pas impossible.
A ce propos, j’ai eu, il y a de cela plusieurs années (mes archives), à donner mon avis d’expert sur un litige dressant un client contre une grande multinationale européenne. Non seulement le client ne faisait pas le poids devant le grand groupe mais, en plus, la multinationale faisait peu de cas de notre système judiciaire et de ses auxiliaires (experts) comme moi-même. Echanger dans ces conditions revient à un dialogue de sourds. Le client étudiait alors la possibilité de communiquer sur l’affaire avec la presse et j’avais consenti que, dans un tel cas, je donnerai mon propre avis sur le litige. La nouvelle a été ressentie par le premier responsable du groupe en question au Maroc comme une douche froide. Il a alors pris la peine de nouer le dialogue et chercher un compromis. Il semble donc que la perspective d’une mauvaise publicité fasse davantage peur à ces gens qu’un Arrêt du tribunal.
Sous ce rapport, les données (voir ailleurs dans ce blog) montrent que nos opérations d’export de produits agroalimentaires vers le marché européen sont tributaires d’une multitude de barrières que des Cabinets Conseils (chaque pays de l’UE en a installé chez nous) promettent de leur trouver solution moyennant finance. Mais, ces Cabinets privés œuvrent à ouvrir le marché UE devant nos opérateurs en privilégiant le dialogue avec les responsables de l’Autorité de tutelle chez nous sur le secteur agroalimentaire et dénigrent royalement toute expertise privée locale. Par contre, dans le sens de nos importations, l’expertise de ces Cabinets privés est reçue comme des paroles de prophètes aussi bien par nos importateurs que par nos autorités. Alors, je me demande ce qui arriverait si, de notre côté, nous nous mettions à traiter ces gens comme ils nous traitent, c’est-à-dire « dénigrement pour dénigrement ». Dans ce cadre, sur trente-cinq ans d’activité à Casablanca, mes archives sont garnies d’exemples de malversations de nombre d’exportateurs de l’UE qui ont pignon sur rue et dont certaines de ces opérations ont été certifiées par des Cabinets conseils dont nous parlons. Cela mérite réflexion.