La FSMA (Food Safety Modernisation Act) — nouvelle loi de sécurité sanitaire des produits alimentaires, entrée en application aux USA dernièrement — a introduit le « HARPC » (Hazard Analysis and Risk-Based Preventive Control) comme nouvel étalon d’appréciation de la conformité des produits alimentaires aux exigences de salubrité fixées par la nouvelle réglementation américaine. Pour la FDA (Food and Drug Administration), qui pilote en somme l’innovation du contrôle à l’échelle mondiale dans le secteur agro-industriel depuis plus d’un siècle, le HARPC prime dorénavant sur le « classique » HACCP (Hazard Analysis and Critical Control Points). Rappelons-nous, suite à la mise en œuvre du « HACCP » par le Codex Alimentarius dans les années quatre-vingt-dix du siècle passé, le lexique « Françeafrique » lui avait vite trouvé un libellé équivalent « Analyse des Dangers – Points Critiques pour leur Maîtrise ». Mais cette sorte d’anagramme n’a malheureusement trouvé aucun preneur et est tombé dans l’oubli. En persévérant, la logique franco-européenne avait trouvé une formulation alternative en lançant l’ISO 22000, qui représente une sorte de tenue de ville du HACCP, et ils se sont empressés ensuite de le déclarer comme un instrument innovant d’origine européenne. Il n’est pas clair si en ce moment l’Europe de Prestige s’apprête à draper le HARPC d’un quelconque « ISO 22000 bis » pour revendiquer l’instrument ensuite comme sien.
Le type d’appropriation évoqué plus haut — par reformulation ou bien « copie/coller » ou autre forme — des créations faites ailleurs et revendiquées ensuite par le bloc commercial UE, est rendu possible grâce, en particulier, à une connivence franco-allemande bien structurée. Dans ce cadre, l’observation attentive montre que la France et l’Allemagne se complètent, et ont été, jusqu’à présent, d’intelligence sur de nombreux domaines. Ainsi, les allemands, qui représentent une fois et demie la population française, mais qui vivent sur une superficie à peine au-dessus de 50% du territoire français, montrent depuis longtemps un profond attrait pour tout ce qui touche à l’agroalimentaire français, relativement moins industrialisé que chez eux et donc supposé être plus proche de la nature. Pour cette raison, et d’autres de nature politique et commerciale, et compte tenu du poids de l’Allemagne au sein de l’Europe, la France se trouve à jouer un rôle moteur dans la politique de l’UE pour le domaine agroalimentaire. Aussi, considérant le passé colonial français sur notre Continent, ce rôle est particulièrement prépondérant pour la relation de l’UE avec l’Afrique. Dans ces conditions, si l’Europe reste sans conteste le premier partenaire de notre Continent pour nous acheter les Matières Premières agricoles et nous revendre les produits finis qui en découlent, la part de lion sur ce commerce très asymétrique revient à la France pour ce qui est de l’Afrique du Nord et de l’Ouest. Ceci explique en partie l’acharnement de la France, en tant que figure de proue de l’UE pour le domaine agroalimentaire, à traiter le « HACCP » comme un simple enseignement de travail et à considérer l’ISO 22000 comme une norme « made in Europe », rendue incontournable pour l’export de tout produit du secteur agroalimentaire africain vers l’UE. De plus, Cette norme qui nous est imposée, en lieu et place du HACCP, est administrée à plus de 95% par des structures européennes. En définitive, énormément d’argent et d’informations précieuses vont ainsi de l’Afrique dans les poches et tiroirs d’organismes européens eux-mêmes imposés au Continent par le groupe commercial UE.
Toutefois, cette domination du Consortium UE sur les échanges agroalimentaires africains avec l’extérieur, qui dure depuis des siècles, n’aura jamais été aussi proche de son déclin que présentement. En effet, les déclarations de John Bolton de Jeudi passé devant the Heritage Foundation à Washington, DC, où il a martelé : « L’Afrique est extrêmement importante pour les États-Unis… Si nous ne l’avions pas compris auparavant, la concurrence de la Chine, de la Russie et d’autres pays devrait la mettre en évidence pour nous, raison pour laquelle j’estime qu’il s’agit d’un tournant potentiel dans la compréhension américaine de ce qui est en jeu pour nous – pas seulement pour l’Afrique – mais pour les États-Unis dans les affaires africaines », constituent une première inédite. Ce dernier, Conseiller à la sécurité nationale des États-Unis et très proche collaborateur du Président Donald Trump, vient de confirmer solennellement un tournant historique dans le rapport que les américains ont entretenu jusqu’à présent avec notre Continent. En effet, depuis la fin de la dernière grande guerre, les intérêts américains sur l’Afrique, dont la politique d’endiguement (containment) de l’influence soviétique sur le continent, étaient cogérés ou simplement délégués à des pays européens, la France y faisant partie. Mais, suivant l’adage « Charité bien ordonnée commence par soi-même », et après soixante-dix ans, le résultat est là sous forme, par exemple, d’une omniprésence française dans les affaires de cette région de l’Afrique alors que les USA brillent par leur absence. Comme corollaire de cet aspect des choses, la plupart des innovations et autres type de progrès, apparus ailleurs dans le monde, sont vite reformulés et/ou reconditionnés au niveau de pays de l’UE avant de nous être présentés francophoniquement comme des créations « made in UE ». Le cas du HACCP habillé en ISO 22000 est éloquent sous ce rapport (voir ici ).
Sur ce registre, alors que le HACCP — référentiel qui a coûté des dizaines d’années de travail de recherche et d’affinement aux américains et que la FDA a distribué gratuitement à tout le monde — a fait son chemin durant les dernières décennies un peu partout dans le monde comme l’étalon de choix pour mesurer la qualité de travail dans le secteur agroalimentaire, sa « voix » est à peine audible dans l’UE au profit de l’ISO 22000. Et, surtout, ce réplica du HACCP qui ne dit pas son nom, qui reste un instrument à but lucratif avant tout, imposé bon gré mal gré aux exportateurs africains vers l’UE au détriment du HACCP, révèle le degré de paresse (synonyme d’économie de rente) que le groupe commercial UE a choisi pour plumer les africains de leurs modestes gains sur les ressources agricoles brutes. Cerise sur le gâteau pour les européens, l’ISO 22000 aura servi en même temps à verrouiller les marchés de nos Matières Premières agricoles africaines au profit du consortium UE. Alors, dans ce cadre, la tentation peut effectivement être forte pour l’Europe de prestige de refaire le même type de scénario avec le HARPC et initier un Bis Repetita. Sauf que cette fois-ci, la volonté américaine de se rapprocher de l’Afrique est cristalline et les responsables US sont décidés à déblayer par devant cette démarche pour débarrasser le terrain de tout ce qui pourrait constituer une nuisance vers ce but. En premier lieu, comme les américains n’ont eu de cesse de le répéter sans succès avec les autorités européennes de l’agroalimentaire, faire reposer les normes qui sous-tendent les échanges sur des critères scientifiques. Si l’Europe de prestige refuse cette approche en se mettant à l’abri derrière le leitmotiv « Principe de précaution », il y a lieu de reconnaitre que le message a été compris de ce côté-ci de la méditerranée et la viande rouge et la viande blanche américaines ont déjà reçu le feu vert de nos autorités pour être distribuées localement en attendant d’atteindre progressivement les autres marchés africains. Belle concurrence en perspective avec les produits carnés de l’UE et que le meilleur gagne.
Ceci dit, il n’y a nul besoin de dramatiser car la réputation des produits du secteur agroalimentaire français, construite sur des générations de savoir-faire, ne devrait souffrir d’aucun aléa. Les produits en question, dont bon nombre va sur des marchés de niches, possède ses défenseurs et ses protecteurs convaincus. Mais le problème prend une autre dimension quand la France joue au porte-drapeau de l’UE pour se mettre en travers de la progression du savoir-faire agroalimentaire US à travers le monde, à commencer par l’Afrique. Rappelons au passage que ce savoir-faire, qui a fait défaut au Troisième Reich, a constitué un élément majeur pour la victoire des alliés dans la deuxième guerre mondiale en permettant de nourrir des millions de soldats partout dans le monde. Egalement après la guerre, en venant en aide, notamment, à une bonne partie de la population européenne qui a de cette manière échappé à la disette. Alors, en se mettant en travers des intérêts américains relevant du domaine agroalimentaire, somme toute légitimes, la France court le risque d’un retour de bâton. En effet, son alignement inconditionnel sur les positions de pays d’obédience germanique, alors que ces derniers sont eux-mêmes en retrait sur le sujet, peut lui réserver de mauvaises surprises. Comme de par le passé, il est probable qu’au moment de faire le choix entre les pratiques américaines et celles de la France, les voisins des gaulois optent pour le savoir-faire américain ce qui constituerait une déception doublée de punition. L’Allemagne et les autres pays germanophones, choisiront sûrement l’Amérique et, concernant la punition, Trump a laissé entrevoir échantillon de sa réaction en rappelant dernièrement aux français que sans l’intervention de l’Uncle Sam pendant la deuxième guerre mondiale, ils seraient en train de parler allemand au lieu de surfer sur la « Françeafrique ».
Mais laissons l’UE et les USA à leur besogne et interrogeons-nous si, en tant qu’africains, nous avons quelque chance d’améliorer notre commerce extérieur à la faveur de la FSMA. La réponse, selon notre appréciation, est affirmative. La FDA a en effet largement facilité les procédures administratives pour l’accès de nos marchandises au marché US. Par exemple, il n’y a aucun intermédiaire à payer (pour exporter) si on peut soi-même introduire son procédé de fabrication sur le portail dédié de la FDA. Mais il reste vrai que la plupart de nos opérateurs ne sont pas au courant du mérite de ces facilités d’accès au marché US. Il revient donc à notre association AEFS (Association des Experts Africains en Sécurité Sanitaire des Produits Alimentaires) de faire l’effort nécessaire pour sensibiliser les opérateurs africains sur ces possibilités. Du travail en perspective.