La Covid-19 n’a pas fini de faire parler d’elle. Dernièrement, les médias ont rendu compte d’un haut fonctionnaire allemand, et lanceur d’alertes (suspendu depuis de son poste de travail), Monsieur Stephen Kohn, qui a divulgué à la presse le rapport d’un groupe de scientifiques allemands dans lequel ces derniers dénoncent la pandémie de Covid-19 comme une «fausse alerte mondiale» et remettent en cause le bien-fondé des mesures de confinement. Le rapport affirme, entre autres, que le nombre des décès dus au Covid-19 aurait été inférieur à celui occasionné par la vague de grippe de 2017/18. Et le rapport en déduit que la pandémie de Covid-19 aurait été largement surestimée.
Venant après les déclarations négatives du Président Trump sur le manque de crédibilité de l’OMS, et en l’absence d’une réponse de l’organisme onusien, le rapport susvisé soulève bien des questions au sujet des responsables de l’OMS à défendre la crédibilité de l’institution et le bien-fondé de leur gestion de la pandémie de Covid-19.
En somme, comme cela fût le cas lors de l’apparition du VIH (Virus de l’Immunodéficience Humaine) au début des années quatre-vingt du siècle passé, le débat entre scientifiques sur les différentes facettes sanitaires de Covid-19 continuera probablement dans les années à venir avec l’espoir d’y voir un jour un peu plus clair (voir ici).
Mais une chose ne fait pas de doute ; l’impact direct du VIH, virus du SIDA (Syndrome d’Immunodéficience Acquise), n’a pas donné lieu, au moment de son apparition il y a quarante ans, à un dérangement notable des secteurs économiques et de commerce. Par contre, la Covid-19 a entrainé ces derniers mois un chamboulement, jamais observé avant en temps de paix, de l’ensemble des règles de travail dans la plupart des secteurs d’activités à l’échelle de la planète toute entière. L’industrie aéronautique a subi la plus grave crise de son histoire. Dans le même sens, le transport de marchandises a été fortement perturbé suite à la fermeture par de nombreux pays de leurs frontières. La première conséquence de ces perturbations, et autres dysfonctionnements, a été la réduction de travail dans des dizaines de milliers d’entreprises des pays impactés, parfois leurs fermetures définitives, avec la perte de centaines de milliers d’emplois dans les secteurs du tourisme, de la logistique et ailleurs. Ceci, bien évidemment, en plus de la terrible congestion, non connue de par le passé, de centaines de centres hospitaliers à cause d’un afflux massif de patients en état de détresse respiratoire aigüe.
Face à cette catastrophe inédite, certains pays ont mieux répondu que d’autres. Et les réponses appropriées n’ont pas toujours été observées dans les pays dits développés comme cela est habituellement le cas dans de pareilles circonstances. Par exemple, le Maroc, pays africain, a reçu des éloges et a été cité en exemple pour sa gestion de la pandémie de Covid-19 par nombre d’autres pays dits développés.
En fait, en y regardant de plus près, il apparait que notre pays se préparait depuis un bon moment déjà pour faire face à un désastre de cette nature. Effectivement, le Maroc a pris conscience depuis des années maintenant que notre modèle de développement, hérité du protectorat et dont les principes de base ont été maintenus jusqu’à nos jours, faisait de nous une société de consommateurs dociles et serviles, servis principalement par une élite locale nourrie commercialement en bonne partie de la main de nos « ex-protecteurs ». Cette élite, très minoritaire mais particulièrement active, a pris fait et cause pour les thèses de nos ex-colonisateurs et milite pour le maintien avec l’ex-Métropole d’abord, et les pays de l’UE ensuite, du statu-quo dans nos échanges très asymétriques héritées du temps de la colonisation.
Dans cet esprit, chaque fois qu’un problème a surgi, l’élite susmentionnée, comprenant une partie de hauts fonctionnaires de notre administration publique, s’est tournée vers les pays européens pour quémander une réponse toute prête. Cela a consisté souvent en des solutions testées ailleurs et, pour la plupart du temps, ne correspondant pas à nos réalités sur le terrain et donc vouées généralement à l’échec. Ceci n’empêche évidemment pas que l’assistance en question soit payante, en devises et au prix fort.
La résultante de tout cela est une sorte de condamnation du Maroc, et c’est supposément le cas pour d’autres pays africains, à faire du sur place au lieu de progresser. De plus, en acceptant de brader continuellement nos Matières Premières pour survivre et importer au prix forts leurs produits finis et leurs services, nous avons assisté, et contribuer passivement en quelque sorte, à une paupérisation croissante de nos populations.
Notre souverain, le Roi Mohammed VI, ayant pris la mesure de cette problématique, a ordonné l’élaboration (en cours) d’un nouveau modèle de développement où les marocains prendraient davantage leur destin en mains. Depuis, il y a un consensus national sur le fait que le modèle de développement qui a encadré le travail du Maroc jusqu’à présent nuit à notre souveraineté et profite essentiellement à des donneurs d’ordre européens. En deuxième rang, le système profite également à leurs soutiens sur place chez-nous qui ont développé une dépendance maladive pour l’économie de rente.
Sur ce, au moment où sont apparus les premiers signes de la pandémie, la réflexion sur la mise en œuvre d’une réponse appropriée, mais maroco-marocaine, était bien avancée ce qui a permis de produire et mettre sur le marché aussi bien des masques que des respirateurs artificiels et autres produits sanitaires en « Made in Morocco » dans un temps record. Une partie de ces produits continue d’être exportée sur le marché mondial.
Par ailleurs, les perturbations de la Covid-19 ont confirmé que le voyage des gens et les échanges de marchandises n’ont jamais été aussi denses que dans le monde globalisé que nous vivons actuellement. A ce propos, nombre de chercheurs reconnus pensent que les impacts de la pandémie de Covid-19 se feront sentir dans les nombreuses années à venir. Par exemple, Yoichi Funabashi, ancien rédacteur en chef du journal Asahi Shimbun à grand tirage japonais, et président actuel de l’Initiative Asie-Pacifique, pense que « À un moment donné, la crise de COVID-19 prendra fin. Mais comme ce fut le cas avec les première et deuxième guerres mondiales, la fin de la crise ne marquera pas un retour à la normale. Elle signalera plutôt l’avènement d’une nouvelle normalité ».
Ainsi, de la même manière que les règles mises en place après la deuxième Grande Guerre (qui ont toujours cours aujourd’hui) étaient très différentes des règles en vigueur avant la dernière Grande Guerre, les règles nécessaires à mettre en place après la Covid-19 seront différentes de celles actuellement en vigueur. Mais les règles (en vigueur) d’aujourd’hui, en place depuis plus de sept décennies, sont celles-là mêmes qui favorisent les pays de l’UE et nous maintiennent nous autres africains dans un état de subalternes. Il semble donc inconcevable que nos voisins du nord de la méditerranée puissent accepter sans résistance la mise en place de nouvelles règles post-covid-19 qui seraient en faveur de nous autres africains. La lutte pour ce changement ne fait donc que commencer.
Mais le Maroc, pays qui revendique haut et fort son africanité, qui n’a pas fini de se réjouir d’être cité en exemple de gestion de la Covid-19, laquelle gestion a mis à nue les contradictions et les faiblesses des européens dans le management de la même pandémie, en dépit de leurs grands moyens, n’est certainement pas prêt à revenir sur ses décisions de gérer nos affaires par nos moyens propres. C’est d’ailleurs le souhait de tout état africain de faire de même. Il est en découle que le Maroc hérite à présent du devoir de continuer ses efforts de « distanciation physique » d’avec nos amis européens pour asseoir sa personnalité africaine propre qui peut servir d’exemple à d’autres pays frères et amis de notre continent.
Selon notre opinion, la prochaine étape dans cette démarche devrait porter sur des efforts pour la mise en œuvre de normes spécifiques à nos secteurs africains de l’agroalimentaire. Sous ce rapport, l’excellent travail fait antérieurement par la Chine et l’Inde dans le secteur des médicaments peut nous servir d’exemple. Ces deux pays, en particulier, ont forcé les lobbies industriels des pays occidentaux à limiter dans le temps la validité des brevets qu’ils ont définis à leurs produits pharmaceutiques pour le commerce. Cette victoire leur a permis, une fois les produits en question tombés dans le domaine public, d’en fabriquer des génériques portant leurs propres marques qu’ils promeuvent sur le plan commercial partout dans le monde.
S’agissant des normes pour le commerce international des produits agroalimentaires, relevant des prérogatives réglementaires mondiales du Codex Alimentarius, le Maroc, comme d’autres pays africains qui sont membres de l’organisme onusien, peut se servir de ces normes Codex pour les adapter aux règles propres de son marché intérieur et des conditions de ses citoyens consommateurs. En mettant les efforts de nos pays africains en commun dans ce sens, il sera possible de concevoir nos propres normes, formulées sur la base de celles du Codex, qu’il y aura lieu de mettre à la disposition des futurs responsables de la Zleca (Zone de Libre-Echange Continentale Africaine) dont le démarrage est prévu pour ce mois de Juillet. Cela leur fournira un outil de travail pour leur permettre de dialoguer et négocier sereinement avec les autres parties du monde globalisé au nom des pays de notre continent.
Cela permettra dans le même temps de confirmer la place qui revient à nos nations africaines du côté des gagnants de la pandémie de Covid-19. Et cela nous autorisera donc à enseigner à ceux qui sont dans le besoin comment mieux gérer des épidémies qui ne manqueront pas de survenir dans l’avenir.