Vingt années seulement après la fin de la 2ème guerre mondiale un visiteur, non prévenu, pouvait raisonnablement déduire, en comparant ses impressions sur la République Fédérale d’Allemagne et la République Française, que c’est la France qui a perdu la guerre contre l’Allemagne. Sur un laps de temps relativement court, grâce à une assistance américaine robuste, l’Allemagne s’est vite remise sur pied et s’installait confortablement, avec un travail plus soigné et plus de productivité que ses voisins, dans le fauteuil de leader industriel incontesté au niveau de l’Europe. Elle exportait indéniablement plus qu’elle n’importait vers chacun d’eux ce qui devait normalement être source d’enthousiasme germanique. Sauf que, à intervalles réguliers, les voisins en question « s’arrangeaient » pour lui gâcher ce plaisir en procédant à des dévaluations répétitives de leurs monnaies ce qui, en plus d’être décevant, rognait sur les marges bénéficiaires des entreprises allemandes. Cette frustration continentale, récurrente, était pour ainsi dire la norme dans les relations commerciales germano-européennes jusque vers la fin des années quatre-vingts du siècle passé. A part prendre des assurances onéreuses sur ce type de risque, il n’y avait pas d’autre moyen pour y remédier. Avec la chute du mur de Berlin, qui a mis un terme à la guerre froide avec l’Union Soviétique, une nouvelle ère commerciale prometteuse semblait se profiler pour tous les pays de l’Europe occidentale. L’idée d’une monnaie commune tombait alors à point nommé pour arranger tout le monde. La France, et les autres pays latins, en leur permettant de masquer la faiblesse relative de leurs performances industrielles et l’Allemagne pour régler une fois pour toutes les aléas liés au cours de change.
Mais, très vite, les caciques des pays concernés par la nouvelle monnaie y ont vu une utilisation potentielle autrement plus ambitieuse. En faire un concurrent du Dollar. Peut-être même, disait-on, remplacer la monnaie américaine comme première devise de réserve à l’échelle internationale. Sous ce rapport, si les autres pays européens pâlissaient d’envie devant les performances allemandes dans l’économie réelle, les allemands eux n’avaient d’yeux que pour les américains. Ainsi, vers la fin des années soixante-dix, le Chancelier allemand Helmut Schmidt prédisait, vers les années deux mille, des exportations allemandes à hauteur de 95% sur le secteur des services pour passer devant les USA dans ce domaine. L’utilisation d’une monnaie commune, pilotée par l’Allemagne, allait finalement dans le même sens de la logique de cette prévision. Mais si, jusqu’à présent, la mise en circulation de l’Euro a conforté le leadership de l’Allemagne dans le domaine industriel, le pays n’a pas été en mesure de faire la percée promise sur le secteur international des services où les Etats Unis continuent de caracoler en tête devant tout le monde au grand regret germanique. Peer Steinbrück, du temps où il était Ministre des finances du premier gouvernement de Madame Angela Merkel, attribuait la performance américaine, dans le secteur des services en particulier, en bonne partie à l’« effet Dollar ». Monsieur Steinbrück comparait la devise américaine à un aspirateur qui captait 70% de l’épargne mondiale. Autrement dit, il faut d’abord rendre les gens dépendants de l’« Euro », ce que les américains ont fait dans le cas du Dollar, mais sur deux siècles, ensuite il deviendra possible à l’UE de leur vendre tout ce qu’elle désire. Et il faut bien évidemment le faire rapidement.
En chemin, après la crise bancaire et financière de 2008, les européens se sont enhardis, passant outre toutes les réserves du FMI, où ils disposent, compte tenu de leur nombre, d’un levier comparable aux USA, à créer leur « FMI local », provisoirement appelé Mécanisme Européen de Stabilité (MES) qui a, depuis 2012, entrepris le rachat des mauvaises dettes (ou dettes douteuses), c’est-à-dire ayant peu de chance d’être à jamais remboursées, émises, à un titre ou un autre, aussi bien par les Etats que par le secteur privé de l’UE, contre de l’argent frais libellé en Euro. En clair, la Banque Centrale Européenne a fait tourner la « planche à billets » en faveur, au final, des citoyens européens de bout en bout. Mais cet argent, on l’imagine bien, finit pour bonne partie par atterrir chez nous en Afrique et sert aux opportunistes pour l’achat de biens réels comme des Matières Premières, des Hôtels, des Fermes et permet à ces gens de se refaire une santé financière à nos dépens. Mieux même, avec de l’argent venant de « planches à billets » (imprimeries en somme), ces gens achètent nos entreprises marocaines et autres africaines et nous y font travailler à leur guise. Alors, même s’il n’y a pas de canonnière dans ce cas, le principe de colonisation est tout pareil.
En réalité, la volonté d’asseoir la prééminence européenne sur le commerce africain n’a pas changé depuis la fin de la colonisation physique de l’Afrique. En 2007, à la suite de la rédaction d’un article dans un quotidien national, où je revenais sur la dépendance de notre export sur le marché français, j’ai, juste après, reçu dans ma « boite e-mails » un message alambiqué (rangé toujours dans mes archives), envoyé par un individu depuis le site d’un Ministère français, suggérant que le Maroc restait une structure de type DOM – TOM (Département d’outre-mer, Territoire d’outre-mer). Le message est suffisamment clair dans le sens où, nous africains colonisés, devons accepter notre sort d’« Indépendance dans la Dépendance ». Du reste, au Maroc ou ailleurs en Afrique, quand l’essentiel de nos rentrées vient de la vente de nos matières premières en vrac, les moyens nous manquent évidemment pour faire et/ou agir comme les autres pays libres dans le monde.
Ceci étant, le maintien, après la deuxième guerre mondiale, de la mainmise des européens sur les richesses africaines a, selon toute vraisemblance, aussi à voir avec un « équilibre » dicté par la guerre froide qui fait partie de l’histoire à présent. Tout un continent à la merci de l’UE n’est plus justifié par l’état actuel des choses. Ceci d’autant plus que, si l’Europe a joué un rôle majeur dans le façonnement du monde dans le passé, elle produit et/ou innove peu, comparativement à d’autres, dans le monde d’aujourd’hui pour garder les privilèges et/ou les prérogatives d’antan. Peu ou prou, c’est la substance du message que le Président Trump, et il n’est pas le seul, essaie de leur faire comprendre et qui leur donne actuellement beaucoup de souci.
Sur ce, et en lisant entre les lignes, il semble qu’un consensus se soit développé chez les adversaires commerciaux de l’UE à l’échelle internationale. A savoir, le projet de la monnaie commune et les autres structures qui cimentent les pays de l’UE paraissent relever d’un travail semi fini, voire bâclé. La réussite du Groupement européen (haut niveau de vie) est donc à chercher ailleurs. Ils ont en effet mis en place des mécanismes sophistiqués, normes, standards, pratiques et autres moyens dignes de petites gens orientés essentiellement vers les pays du sud pour perpétuer leurs privilèges sur ces marchés. Leurs compétiteurs, chinois et américains notamment, ne sont pas dupes et, pour des considérations que ces derniers doivent savoir, la tâche est revenue au Président Trump de montrer à l’UE la place qui lui revient dorénavant. Les Etats Unis et la Chine semblent en effet en mesure de se passer du commerce avec l’UE. Et s’ils développent leurs affaires avec l’Afrique, notre Continent pourra également se passer de l’UE, de l’Euro et du Franc CFA. Les européens peuvent bien évidemment continuer à faire prospérer le commerce sur la rive nord de la Méditerranée, tout en essayant de trouver de nouveaux artifices pour continuer à vivre au-dessus de leurs propres moyens.
Mais revenons à notre Continent et le but de cet article. Nous devons en effet réaliser que les Organismes installés au lendemain de la 2ème guerre mondiale, pour codifier les rapports diplomatiques et de commerce entre les pays, sont au crépuscule de leur vie et doivent être changés. L’Afrique, en mettant en place les instances pour son libre échange continentale, sera bientôt prête pour contribuer à la mise en œuvre des nouvelles structures de remplacement qui devront prendre en considération les propres besoins de notre Continent et de sa population. Les mesures devront, par exemple, être débarrassées de normes et autres clauses factices comme des « principes de précautions » mis en place provisoirement pour s’installer à demeure. Aussi, s’agissant d’investissements, les gens qui voudront coopérer avec l’Afrique devraient s’engager à valoriser nos matières premières chez nous et procéder à des transferts de technologies. Les normes africaines, qui restent à faire, devront également être prises en considération dans les transactions commerciales avec les autres régions du monde.