Les sujets de discussions, et de tensions, ne manquent pas ces derniers temps en Europe : Crise des migrants, Crise grecque, « Brexit », chômage au dessus de 10%, croissance atone, grèves à répétition, remise en cause de l’espace Schengen, fléau du terrorisme, conflits avec la Russie, la Turquie et j’en passe. Il est indéniable que l’Europe coloniale traverse une mauvaise passe et, cela est connu, les gens en perte d’énergie ont l’énervement facile comme par exemple leur menace de bloquer les discussions sur le PTCI (Partenariat Transatlantique sur le Commerce et l’Investissement), appelé également le TAFTA (Trans Atlantic Free Trade Agreement) ou TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership). Il est vrai que les européens ont été habitués durant la guerre froide à être gâtés par les américains sur le plan militaire pour la défense antisoviétique, dont l’essentiel du fardeau était supporté par l’oncle SAM, sur le plan commercial où, en particulier, les américains s’obligeaient à faire transiter une grande partie de leur commerce avec l’Afrique via leurs représentants en Europe. Mais depuis la chute du mur de Berlin, les repères ont bougé et le centre de gravité du commerce mondial s’est déplacé vers l’Asie. Alors, de peur d’être dépassés par les événements, les américains ont dû adapter leur politique en focalisant leurs efforts tous azimuts sur l’espace asiatique ce qui leur a permis de signer dernièrement le TPP (Trans-Pacific Partnership) avec onze autres pays du pourtour du Pacifique. Certains européens ont considéré ce changement de cap des américains, qui tranche avec le passé, comme une trahison et n’ont cessé depuis de manifester leur colère et leur frustration qu’ils expriment cependant de manière plus ou moins sibylline. Ils avancent avoir peur, si le PTCI est conclu, de l’envahissement, par exemple, du marché européen par le poulet au chlore américain. Le consommateur européen, déjà échaudé par tellement de problèmes sanitaires de produits alimentaires, est très réceptif à ce genre de messages lugubres auxquels il réagit à fleur de peau. Mais ce rejet de l’innovation n’est pas nouveau en lui-même et a déjà été observé quand, il y’a un siècle, on a voulu chlorer l’eau pour la rendre potable. Aujourd’hui, c’est l’OMS qui le prescrit et tous les pays s’y soumettent sans problème. Alors, la réaction européenne refléterait-elle simplement la position d’une puissance en perte de vitesse qui réalise qu’elle perd chaque jour plus de terrain à son principal concurrent et qui ne trouve aucune solution pour combler son retard ? Certains éléments tendraient à appuyer cette thèse. D’abord, ce n’est pas un hasard si les récriminations européennes relatives au PTCI portent majoritairement sur le domaine agroalimentaire. En effet, pour des considérations largement connues, les secteurs agroalimentaires de l’Amérique latine et de l’Asie sont bien avancés et ont développé des expertises qu’ils exportent de par le monde ce qui les fait échapper à l’influence du carcan normatif européen. Par contre, les pays africains, francophones en particulier, vivent encore sous la main mise des normes françaises, sorte de joug conçu pour les attacher fermement à l’Europe via la France. Dans ces conditions, la conclusion d’un TAFTA ferait percevoir les européens comme favorisant des transactions commerciales selon des normes US et il y aurait alors toutes les raisons pour que les africains fassent de même et ce serait bien évidemment un coup fatal porté au monopole que l’Europe coloniale a continué à posséder des siècles durant sur le secteur agroalimentaire africain. Il est donc probable que les discussions entre américains et européens s’éternisent au sujet du TTIP sans conclusion à l’horizon. Les échappatoires qui peuvent permettre aux européens de gagner du temps, ce dont l’UE est devenue Maître, ne manquent pas. Elle gagne du temps depuis des années au sujet de la dette grecque en remettant toujours à plus tard l’échéance d’appliquer la solution qui convient (réduction de la dette) sur laquelle il y a un consensus planétaire. Elle continue aussi de remettre à plus tard l’impératif d’asseoir sur des bases rationnelles l’ensemble de ses normes agroalimentaires en mettant le principe de précaution en avant chaque fois que sa compétitivité est mise à mal par les autres puissances agroindustrielles du monde. Avec l’Afrique, elle joue à fabriquer des accords de commerce préférentiels dont le but inavoué est également de gagner du temps. Il en est ainsi de l’ALECA (Accord de Libre Échange Complet et Approfondi) UE/Maroc par exemple. Selon cet accord, le Maroc devait faire converger sa réglementation vers celle de l’Union Européenne, dans le secteur agroalimentaire pour ce qui concerne cet article, pour permettre une plus grande ouverture du marché de l’UE, et donc plus d’export pour nos produits frais et transformés. Dans ce but, la réglementation marocaine de sécurité sanitaire des aliments et les textes connexes épousent parfaitement les points de vue de la loi de l’UE appliquée au domaine agroalimentaire y compris sur le principe controversé de précaution. La promulgation de la nouvelle loi 28-07 en 2010 a renforcé encore davantage cet effort de convergence. Malgré cela, la balance commerciale du Maroc vis-à-vis l’UE a continué à se dégrader. Interrogés il y a quelques temps à ce sujet, les responsables de la mission de l’UE au Maroc ont répondu simplement qu’il fallait plus d’efforts et plus de patience pour que l’ALECA livre ses fruits ! Or, la mise en place de la convergence, qui coûte cher à l’État et aux entreprises, était supposée s’accompagner d’une réduction sensible des Mesures Sanitaires et Phytosanitaires (SPS) et autres obstacles au commerce pour un meilleur transit en douane de nos produits à l’export sur le marché européen. Le paradoxe, ou bien le tour de passe-passe, fait que « avec convergence » ou sans, nombreux de nos produits se font refoulés pour des raisons en dehors du Codex Alimentarius. En effet, la plupart du temps le rejet est signifié par rapport à la non-conformité à un critère ou un autre relevant des méandres de la réglementation UE. Il y a lieu de rappeler que le Codex Alimentarius constitue le référentiel auquel l’OMC a recours pour motiver ses prises de position sur les litiges agroalimentaires entre les États. Mais apparemment, ce système ne serait pas assez bon, ou bien suffisant, pour permettre à l’UE de verrouiller, si et quand elle le souhaite, les portes d’entrées du marché UE aux produits africains sans avoir à rendre de compte à qui que ce soit. Et ce qui s’applique à l’« ALECA marocaine » aujourd’hui s’appliquera à une autre « ALECA africaine » demain. L’Europe coloniale doit vraiment prendre conscience que le moment est venu pour qu’elle fasse un effort sérieux pour se libérer de sa procrastination qui n’a que trop durée aux yeux de ses partenaires commerciaux de par le monde.