Les revers de la Politique Agricole Commune

Depuis quelques années, le secteur agroalimentaire français, le premier de l’Europe des 28, va de plus en plus mal, tire vers le bas l’ensemble de l’économie française et risque d’impacter négativement l’économie des pays de la « zone euro ». Or ce secteur vital de l’économie française ne fait que ce qu’il a l’habitude de faire depuis bien longtemps. Juste après la deuxième guerre mondiale, des pays européens parmi ceux qui ont souffert de la faim, ont passé des lois prioritisant l’autosuffisance alimentaire. Mais au début des années mille neuf cent soixante déjà, des études de prospective montraient clairement la divergence entre la courbe de croissance de la population mondiale et celle des ressources alimentaires de la planète ; la première augmentant plus rapidement que les secondes. La Politique Agricole Commune européenne (PAC) a alors été instaurée pour, entre autres, booster le rendement agricole dans les pays européens signataires. Depuis ce moment là, la France aura été le pays qui a profité des enveloppes d’aides financières de la PAC plus que n’importe quel autre pays de l’Union Européenne (UE). Cela a permis notamment à des milliers d’exploitants agricoles français d’être individuellement bien équipés et d’avoir un train de vie décent voir parfois enviable auquel ils n’auraient pas eu droit s’ils étaient jugés simplement à l’aune de leur compétitivité. Mais aujourd’hui, le secteur agroalimentaire français est dans une situation de détresse dont la genèse remonte à il y a plus de cinquante ans.

En se retirant, en apparence pour le moins, à partir des années cinquante du Maroc et ses autres colonies africaines, la France a pris les précautions de laisser sur place une élite francophone et de mettre sous tutelle les secteurs agricoles pour se faire approvisionner en Matières Premières et réexporter sous un régime préférentiel ses aliments industriels vers ces mêmes pays. Sous ce rapport, si la balance commerciale française a régulièrement été excédentaire c’est dû avant tout à son export de produits alimentaires transformés. L’élite francophone des ex-colonies en était le marché cible principal en Afrique et au moyen orient. D’autres pays à fort potentiel touristique mais à faible performance agroalimentaire, comme la Grèce, peuvent également être ajoutés à cette liste. Le pouvoir d’achat de l’élite des pays dont il est question, ou bien des touristes et les hommes d’affaires européens qui y séjournent, pouvait très bien s’accommoder de la cherté relative des produits alimentaires « Made in France ». Les effets conjugués des aides de la PAC et des ventes sur ces marchés bien accommodants d’Afrique et du Moyen-Orient ont eu un effet dopant sur le business agricole français. Cependant, aucun effort suffisant n’a été entrepris en parallèle pour améliorer la performance au travail des producteurs français de l’agroalimentaire. Ce type d’export a néanmoins pu se maintenir pour plus d’un demi-siècle grâce en particulier à des normes « appropriées », sanitaires et autres, faites sur mesure par la France pour favoriser ses propres produits transformés à l’export vers les marchés sus-évoqués, reprises telle que par la réglementation marocaine et celles d’autres ex-colonies. Les marchandises de la métropole en question bénéficiaient ainsi, jusqu’à très récemment, d’un transit douanier marocain souple et rapide au détriment des autres produits comparables quelle que soit leur origine ou leur qualité. Mais dernièrement, une nouvelle réglementation au Maroc, d’inspiration anglo-saxonne, a rompu avec cette habitude. Des démarches équivalentes en cours dans d’autres pays de la zone, ajoutées à l’aspiration de plus en plus manifeste des consommateurs de notre région d’acheter à l’international à des rapports qualité/prix plus justes, réduisent chaque jour un peu plus les privilèges dont le produit « Made in France » a joui à ce jour. Comme conséquence, et pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, l’« agroalimentaire » français ne sait plus comment faire pour continuer à se vendre à l’étranger et même sur le marché intérieur français.

Ces derniers mois, les choses se sont encore davantage gâtées suite à la fermeture du marché russe aux produits alimentaires européens et la détérioration toute récente de l’activité commerciale en Grèce qui continue en ce moment même. Alors, si dans le passé la France a rarement pris le contre-pied de l’Allemagne sur un problème européen, le Président François Hollande n’a pas hésité à affirmer sa détermination à garder la Grèce au sein de l’« Euro » au moment même  où la sortie de la Grèce de l’Union monétaire européenne, largement souhaitée par le peuple allemand, a été formellement proposée par son gouvernement au sein de l’« Euro groupe ». En plus du fait que la Grèce est un bon client de l’agroalimentaire français, il n’était pas difficile de réaliser que cet État n’avait pas de porte de sortie, pour dépasser sa crise, en dehors de la dévaluation d’une monnaie qu’il ne possède pas. La France en est au même point avec ses agriculteurs qui ne sont définitivement plus compétitifs et pour lesquels elle n’a pas non plus une monnaie à dévaluer pour leur restituer une telle compétitivité. Enfin,  si la Grèce devait, par accident, quitter l’« Euro » pour revenir à sa propre monnaie la « Drachma » très dévaluée, cela rendrait les exportations alimentaires françaises hors de prix pour les grecs qui seraient forcés de se tourner vers les produits équivalents de la Turquie beaucoup moins chers. Mais les opérateurs turcs de l’agroalimentaire sont ceux là mêmes qui prennent chaque jour plus de parts de marché aux produits alimentaires « Made in France » dans la région d’Afrique / Moyen Orient. Alors, laisser la Turquie prendre pied en Grèce est simplement hors de question pour la France.

Aujourd’hui, il ne fait plus aucun doute que le secteur agricole français, lâché par la PAC devenue trop coûteuse pour les autres membres de l’UE, rend les produits agroalimentaires français beaucoup trop chers pour les petites bourses des citoyens subsahariens. Mais il faudra plusieurs années dans les cas les plus favorables pour que ces pays soient en mesure d’assurer les besoins en aliments de base pour leurs populations. En attendant, les jeunes africains sans emploi et affamés n’ont plus d’autre choix que de migrer vers le Nord. Comme il n’y a rien à manger en Lybie en proie à un désordre tous azimuts, ils continuent au péril de leur vie vers l’Europe. Fait notable, ces personnes s’arrêtent à présent au Maroc parce qu’il y a à manger et peut être même du travail. Ceci fait de notre pays un des rares État qui a le potentiel en infrastructures et un climat favorable pour produire des aliments et les exporter vers d’autres pays de l’Afrique à des prix accessibles pour les citoyens de ces pays. Mais il nous faut pour cela tirer la leçon des déboires des agriculteurs français et faire de manière à devenir bien plus compétitifs si nous voulons réussir.