L’espoir de la Zleca

A Addis Ababa, l’Union Africaine vient d’annoncer l’entrée en vigueur de la Zleca (Zone de libre-échange continentale africaine) pour le 30 Mai prochain. Cette date marquera d’une pierre blanche le début du processus de l’émancipation commerciale et économique de notre continent. Mais pour avancer vers une meilleure intégration des pays africains, et booster l’échange commercial entre l’ensemble des pays, beaucoup de travail reste à faire comme discuté dans ce texte.

En effet, le commerce interafricain ne dépasse pas les 15% des échanges globaux de l’Afrique pour le moment. Et, concernant le commerce avec l’UE, qui monopolise l’essentiel des échanges de notre continent, nous leur vendons majoritairement nos Matières Premières, souvent en vrac et à des prix dérisoires, et nous importons chèrement les Produits Finis qui en dérivent. Il s’en suit donc que la majorité de nos pays, qui n’ont pas grand-chose d’autre à offrir, trainent des déficits structurels de longue date. Curieusement, parmi les pays de l’UE à qui nous bradons nos ressources, la balance commerciale de certains parmi eux n’est positive qu’avec nous en Afrique. Autrement dit, sans les subterfuges d’ordre commercial et/ou économique que ces pays nous imposent, ils seraient largement déclassés en Afrique sur le plan de la compétitivité par leurs concurrents des pays asiatiques, d’Amérique et d’ailleurs. Il semble donc que le maintien des échanges asymétriques de l’UE avec nous ne soit protégé pour l’instant que par certaines barrières (voir plus bas) de conception européenne. Alors, avec la Zleca qui démarre, il est de notre devoir en tant qu’africains de trouver les moyens appropriés pour faire appliquer les règles d’une concurrence salutaire pour nos échanges commerciaux avec le reste du monde pour remédier à cette anomalie.

Il est utile de rappeler que l’assujettissement du commerce africain à la volonté UE n’est pas dû au Hazard. Ils ont leurs méthodes pour cela au premier rang desquelles il y a les normes, ou barrières non-tarifaires. Ces normes, ou standards, doivent être élaborés par un personnel scientifique et technique sur des bases objectives (neutres). Mais les politiques de l’Europe agricole se les approprient, dès qu’ils le peuvent, pour les instrumentaliser selon des protocoles alambiqués dans le seul but de maximiser les profits pour leurs pays et conserver la main mise sur les richesses africaines. Par exemple, en arguant de la lenteur de la production des normes par les organismes de référence pour le commerce international, où l’UE agit comme il lui plait d’ailleurs, les pays européens s’affranchissent fréquemment des règles du Codex Alimentarius en créant leurs propres standards dont ils nous imposent l’application via des méthodes UE inédites, voire ésotériques. De plus, ils mettent en avant des organismes particuliers de leur obédience pour surveiller notre adhésion à ces dictats, qui peuvent consister, entre autres, en des certifications selon des référentiels privés de leur choix. Ils décident également de comment appliquer ces règles à leurs frontières et à qui les appliquer sans aucune possibilité de recours indépendante pour les exportateurs africains. Tout cela au mépris des règles établies du Codex. Ces méthodes de gestion de l’accès au marché de l’UE sont proches davantage du mercantilisme que de la science et l’objectivité. Le résultat de cette politique est que les portes d’accès au marché UE des produits africains s’ouvrent au gré de décisions administratives émanant, supposément, de décideurs de Bruxelles, le plus souvent  étrangers au domaine de Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires à proprement parler. Malheureusement, l’accès « au marché qu’ils ont mis en commun » est à ce prix.

Mais, avec le lancement de la Zleca, l’Afrique affiche sa volonté de se libérer de l’asservissement UE qui dure depuis des siècles. Dans cette démarche, il faudra bien nous affranchir, à notre tour, de toute norme non-tarifaire qui ne soit pas ancrée dans la réglementation internationale et/ou qui porte préjudice aux intérêts de nos pays. En y regardant de plus près, les clients européens, qui représentent statistiquement 6 à 7% des consommateurs de la planète, reviennent chers pour ce qu’ils rapportent au secteur agricole et agroalimentaire africain. Or, l’Afrique a un potentiel énorme dans ce domaine sur lequel la Zleca décidera de s’appuyer pour prendre notre destin continental en main. Sur ce plan, pour vendre nos marchandises sur le marché globalisé, la réglementation internationale, entérinée par l’ensemble des pays de la Planète, commande de se conformer au Système HACCP (Hazard Analysis and Critical Control Points)*. Or, les principes du Système HACCP sont accessibles gratuitement auprès du Codex Alimentarius ainsi que l’approche didactique pour les mettre en place. Il arrive parfois qu’un donneur d’ordre demande l’avis (Audit) d’une tierce partie habilitée sur le HACCP mis en place par l’exportateur et accepte, généralement, de partager les frais avec lui. Ceci est parfaitement normal dans le commerce de marchandises. Mais nous sommes bien loin des exigences sans borne des acteurs du marché de l’UE.

Bien évidemment, vendre ses Matières Premières en Vrac ou non transformées ne permettra pas à l’Afrique d’assurer son développement dans un délai raisonnable. A partir du moment où l’on possède des Matières Premières, il est recommandé de les transformer pour leur donner de la valeur et les vendre en tant que Produits Finis dans des délais commerciaux acceptables. Sous ce rapport, les techniques pertinentes pour la transformation de ressources agricoles existent et, pour une large partie, sont dans le domaine public. Autrement dit, ces techniques sont accessibles via le Codex Alimentarius et autres organismes. Certaines Universités américaines offrent des conseils gratuits sur ce qu’il est possible de faire comme produits finis à partir de Matières Premières et les « Processes » qu’ils peuvent conseiller sont recevables par les organismes de contrôle officiel. Nous sommes également, au sein de l’AEFS (Association des Experts Africains en Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires), ouverts pour apporter notre contribution si on nous le demande.

En conclusion, La Zleca, qui mettra à disposition des entreprises africaines l’ensemble des consommateurs des pays africains, tombe au bon moment pour étoffer l’ensemble des outils disponibles à présent pour l’Union Africaine, pour donner un nouvel élan au développement global de notre continent.

* : Récemment, le Référentiel HACCP a été rebaptisé HARPC (Hazard Analysis and Risk-Based Preventive Controls) dans la FSMA (Food Safety Modernization Act). L’approche de gestion du risque sanitaire reste la même pour ces deux systèmes.