La genèse du HACCP

Dans l’antiquité, l’interdiction de manger ou non un produit donné était appréciée de manière empirique. Si quelqu’un tombait malade après la consommation d’un aliment, la sagesse recommandait d’éviter par la suite l’aliment en question. Cette pratique a été appliquée pour retenir ce qui est consommable de ce qui ne devait pas l’être jusqu’à la fin du moyen âge. Sur la base des travaux de Nicolas Copernic, astronome polonais, l’ingénieur astronome italien, Galileo Galilei (Galilée), a initié les bases de la science prédictive dont la biologie a pu profiter ultérieurement en énonçant des lois. C’est en effet Louis Pasteur qui a eu le mérite de relier la détérioration des aliments à l’action des microbes et, par voie de conséquence, la préservation de la qualité des aliments en l’absence de ces microorganismes. Les observations du grand savant français ont constitué les premières prémisses des recommandations résumées aujourd’hui sous forme des Bonnes Pratiques d’Hygiène (BPH). Mais dans la mesure où les BPH ne garantissent pas forcément la destruction des bactéries pathogènes, l’analyse des aliments au laboratoire a été rendue nécessaire pour s’assurer davantage de l’adéquation des produits en considération pour la consommation par l’homme. C’est ce qui a été défini comme « le contrôle par échantillonnage ». En résumé, des échantillons prélevés sur un lot fabriqué étaient analysés et le résultat, bon ou mauvais, était appliqué à l’ensemble du lot. Mais les statistiques (sur lesquels nous ne revenons pas dans cet article), et le suivi sur le terrain, montreront l’insuffisance de cette approche comme moyen de confirmer la salubrité des aliments à consommer. Et c’est en cherchant à mieux garantir cette salubrité, pour le cas des aliments prévus pour consommation par leurs astronautes, que les américains ont, dans les années cinquante du siècle passé, initié les études qui allaient  aboutir, quelques dizaines d’années plus tard, à la définition du nouveau système de contrôle universel (basé sur la maîtrise des risques) connu de tous à présent. Il s’agit bien sûr du Système HACCP (Hazard Analysis and Critical Control Points). Certains parlent des normes HACCP. Les organismes officiels internationaux, au premier rang desquels le Codex Alimentarius, mais aussi l’OMS, la FAO, l’OMC, l’IFTO (Fédération Internationale des Tour-opérateurs), reconnaissent à présent le Système HACCP comme l’instrument de référence pour garantir la salubrité des produits du secteur agroalimentaire et de l’hôtellerie/restauration. Par exemple, au Maroc, l’autocontrôle, basé sur la démarche HACCP, est prescrit dans la loi 28-07 de Sécurité Sanitaire des Aliments et les textes de son application. Dans la pratique, malheureusement, les normes HACCP sont loin  d’être mises en œuvre (correctement) chez nous pour de nombreuses considérations dont nous discutons ci-après quelques-unes.

D’abord, s’agissant du travail des américains, il y a lieu de reconnaitre que chaque fois que nos partenaires outre-Atlantique  ont eu à résoudre un problème qui s’est posé à eux, dans le civil comme sur le plan militaire, ils ont basé la recherche de solutions sur les spécificités de leur pays. Ceci s’applique aux études conclues par la définition des principes du Système HACCP. Sous ce rapport, les opérateurs américains du secteur agroalimentaire, et également les étrangers qui exportent sur ce marché (dont ils doivent respecter la loi), ont l’obligation réglementaire de s’entourer d’un personnel qualifié (en mesure de faire une lecture correcte de la loi en vigueur et le diagnostic du risque alimentaire) avant de produire et/ou d’offrir un produit alimentaire sur le marché US (ou de le servir au client) sous peine d’encourir de sérieuses conséquences, sur les plans pécuniaire et/ou pénal. Dans ce sens, la loi américaine valorise l’obligation de résultat, c’est-à-dire la conformité du produit mis sur le marché (servi au client) pour la consommation humaine (ou animale). La loi laisse par contre à l’opérateur le libre choix des moyens éprouvés (technologie) pour fabriquer (préparer) le produit en question. En même temps, les opérateurs ciblés savent quant à eux que la FDA ne transige pas avec les abonnés de la négligence. Dans ce cadre, le HACCP* est devenu un référentiel cardinal pour les professionnels américains, et, plus généralement, tous ceux qui commercent sur ce marché. En effet, le Système HACCP exige de faire le nécessaire pour éliminer, ou réduire à des degrés acceptables, les dangers qui ont des chances raisonnables d’affecter le produit et poser un risque sur la santé du consommateur potentiel. Les méthodes pour y parvenir doivent être basées sur la science mais leur choix revient à l’opérateur lui-même. Les observations montrent que pour des pays qui ont des exigences réglementaires équivalentes à celles de la FDA, le Canada et l’Australie entre autres, le Système HACCP a, en quelque sorte, été adopté avec diligence. Au total, le HACCP représente l’outil réglementaire de choix de gestion du risque sanitaire des aliments pour tous les pays qui commercent avec les Etats Unis et ils sont les plus nombreux sur la planète.

En ce qui nous concerne nous marocains (africains), notre commerce avec les USA, nonobstant l’accord de libre-échange qui lie nos deux pays, est négligeable par rapport aux échanges commerciaux UE/US et même comparé à notre export/import avec l’UE. Comme conséquence, nos opérateurs, dans leur majorité, sont instruits des principes du HACCP par des consultants européens, français pour la plupart. Ces Cabinet-conseils qui sont supposés avoir, chacun, acquis une expertise HACCP dans le travail avec le Privé, qu’ils valorisent ensuite auprès d’autres opérateurs sous forme d’Audits/Certifications moyennant finance  font un grand travail pédagogique qui prend en considération nos réalités et qu’il faut donc saluer. Dans la perspective d’aider nos exploitants à effectuer leur mise à niveau sur, pour ce qui concerne cet article, les Bonnes Pratiques des industries agroalimentaire et hôtelière, ils prennent en considération nos multiples contraintes pour nous « enseigner le HACCP ». Ils savent, par exemple, que seulement une minorité d’opérateurs marocains des secteurs industriel et hôtelier sont effectivement assistés d’un personnel qualifié selon la réglementation. Mais cela n’empêche pas le désir de chaque opérateur, quel que soit son statut par rapport à la loi,  de rêver   d’une mise à niveau « simple et facile » pour le mettre en conformité avec la loi actuellement en vigueur et l’application des principes HACCP. Il s’agit effectivement d’un problème loin d’être facile à résoudre pour les Cabinet-conseils. Et, en somme, les consultants rivalisent d’ingéniosité pour concilier l’inconciliable. En cherchant, certains ont ressorti une ancienne démarche, dite des « 5M » (Diagramme d’Ishikawa). Cette approche générique, qui cherche à identifier la (les) cause d’un problème pour lui trouver une solution, comporte effectivement des éléments mnémotechniques qui peuvent aider à une mémorisation facilitée de l’apprentissage et, supposément, contribuer à l’assimilation des principes HACCP.

Il est toutefois difficile de conclure si des approches telles que les « 5M », et autres initiatives du même genre, peuvent produire des résultats bénéfiques pour une mise en œuvre correcte des principes du HACCP. En effet, le système constitue un outil complet (stand-alone) spécifiquement conçu pour une gestion rationnelle des risques inhérents à la fabrication (préparation) des produits alimentaires (repas). Sous ce rapport, lors de l’Audit préalable à  une certification HACCP, l’Auditeur/Certificateur s’attache à passer en examen avec l’opérateur  le cheminement des Matières Premières depuis leur achat/réception et stockage jusqu’à la préparation de Produits Finis et distribution (service du repas au client). Le but est de repérer d’éventuels dangers à une étape donnée pour les stopper avant qu’ils ne migrent vers l’étape suivante. Cette approche est conçue pour corréler également avec la marche en avant. Il n’est donc pas certain que l’introduction de modules génériques empruntés ailleurs, les « 5M », les « 5 clés » et autres, puissent apporter une plus-value au potentiel du Système HACCP pour le diagnostic d’un « Process » pour l’améliorer ou le corriger. Par contre, en focalisant l’attention sur ces modules en question, qui peuvent être  parfaitement utiles sur le plan académique, il y a le risque de dévier l’attention de l’opérateur de la substance du HACCP (recherche de points critiques) vers le côté forme de la prestation non essentielle à la gestion pertinente du risque alimentaire.

Finalement, les données disponibles sur le sujet montrent que notre Continent africain est en retard sur la généralisation de l’application du HACCP comme outil d’appréciation de la sécurité sanitaire de nos ressources agricoles et agroalimentaires. Il semble que le temps soit enfin venu de fournir à notre tour notre quote-part d’effort pour généraliser l’adoption effective du HACCP pour une meilleure harmonisation des normes pour le bénéfice de notre commerce sur le marché globalisé.

* : Récemment, ce Référentiel a été rebaptisé HARPC (Hazard Analysis and Risk-Based Preventive Controls) dans la FSMA (Food Safety Modernization Act), et le recours au HARPC, inscrit dans la nouvelle loi américaine, a été élargi aux produits frais (légumes et fruits) et autres.