Le NMD pour booster l’export

Le Maroc a commencé la mise en place du Nouveau Modèle de Développement (NMD) auquel Sa Majesté le Roi Mohammed VI a appelé et dont nous avons parlé dans un précédent article (voir ici ). Ainsi, le nouveau ministre de l’Education nationale, du Préscolaire et des Sports, Monsieur Chakib Benmoussa, vient de procéder à la refonte des conditions de recrutement des professeurs pour enseigner dans les écoles publiques marocaines. Il est vrai que la formation scolaire au Maroc demande une mise à niveau en urgence tant cette  déficience de l’école publique chez-nous a accompagné tous les gouvernements depuis plus de cinquante ans.

Mais d’autres compétences sont mieux placées que nous pour commenter sur les tenants et les aboutissants de ce syndrome.

Ce qui retient l’attention pour le moment c’est la pédagogie sereine et tranquille, mais ferme, avec laquelle Monsieur Benmoussa aborde la remise à plat de ce chantier complexe, qui a été très politisé par différents partis politiques relayés par leurs syndicats respectifs. Pour user d’une image, nous dirions que le ministre essaie de faire comprendre à qui veut bien écouter que, en somme, quand un corps est malade, que le diagnostic a été correctement posé, le patient (ici l’enseignement) doit, pour se rétablir,  prendre les remèdes prescrits en dehors de toute autre considération.

L’argumentaire de Monsieur Benmoussa semble raisonnable et Monsieur le Ministre commence déjà à avoir de son côté les personnes de bonne volonté.

Ceci étant dit, nous ne devons pas oublier que le NMD a mis en lumière de nombreux « autres corps malades » de notre tissu économique. Il s’ensuit que, en plus de Monsieur Benmoussa, il sera nécessaire de prévoir autant de solutionneurs pour remettre de l’ordre dans nombre de secteurs d’activités vitales du Maroc.

Dans ce blog, nous nous intéressons davantage au secteur agroalimentaire dans lequel règne, jusqu’à présent, une gabegie de nature comparable à celle que vit le secteur de l’enseignement et qui nécessite à son tour la nomination rapide d’un solutionneur.

En ce qui concerne l’indigence de notre enseignement, Monsieur le ministre a indiqué, lors d’une interview dernièrement à une chaine de télévision nationale, que 70% des élèves marocains de quinze ans ne savaient ni lire ni écrire correctement ou faire des opérations de mathématiques. Sous ce rapport, le degré de performance de notre secteur agroalimentaire est tout aussi terne ! En effet, il suffit d’un simple petit tour dans une grande surface pour voir que plus de 75 pour cent des aliments produits industriellement offerts à la vente sont d’origines étrangères, ou fabriquées sous de telles licences. Cela donne la mesure de notre très haute dépendance sur l’import de cette catégorie importante de produits et, par voie de conséquence, le retard énorme que nous devons rattraper pour nous rapprocher d’une souveraineté alimentaire.

Il est légitime de rappeler ici que la crucialité de la souveraineté alimentaire pour de nombreux pays est apparue au grand jour à l’occasion de la présente pandémie du Covid-19.

S’agissant du Maroc où les matières premières alimentaires, et autres substances qui vont avec, sont produites sur notre sol et en abondance, l’impression que peut avoir le consommateur national moyen est que nous ne sommes pas bons pour mettre en œuvre chez-nous des protocoles industriels pour la fabrication de  produits finis de longue durée. En quelque sorte, nous serions des cancres pour ce type d’opérations. Ceci d’autant plus que les procédés pour fabriquer de tels produits sont dans la majorité des cas dans le domaine public, donc accessibles à tous. Comme corollaire de ce constat, des opportunistes, majoritairement européens, achètent chez-nous des légumes, fruits et autres matières, très bon marché (parce que périssables), en font des produits finis de longue conservation et nous les revendent à des prix spéculatifs générant pour eux des marges bénéficiaires mirobolantes.

A ce propos, dans l’accord commercial qui nous lie aux européens, nos exportations de produits agricoles (d’origine végétale) sont soumises à des quotas  qui limitent nos possibilités d’export de ces produits en volume et, étant obligés de les brader parce que périssables, la vente de ces produits frais ne nous rapporte pas grand-chose en valeur non plus. L’accord en question ne nous limite pas pour l’export de produits transformés de longue durée. Mais là également, notre performance sur le marché UE est médiocre.

Sur ce plan, il est intéressant de noter la divergence entre l’éloge que font occasionnellement les instances d’accréditation UE, françaises notamment, du travail de nos organismes officiels de contrôle des produits alimentaires d’un côté et, de l’autre, le blocage fréquent de l’entrée sur leurs marchés de ces mêmes produits finis déjà contrôlés au Maroc.

Mais, la médiocrité de nos prestations à l’export se voit également sur d’autres marchés extérieurs. Ainsi, Monsieur Hassan Sentissi Idrissi, Président de l’Association Marocaine des Exportateurs (ASMEX) a indiqué dans une interview en date de février 2019 au journal électronique Morocco World News que les américains profitaient mieux que nous de l’accord de libre-échange qui nous lie aux USA. D’après le patron de l’ASMEX,  nos petites et moyennes entreprises ne sont pas familières des « procédures complexes » qui régissent l’import sur le marché US. Monsieur Sentissi ajoute que, selon lui « Cet accord [de libre échange] doit être revu de manière à prendre en compte la réalité des [petites et moyennes entreprises] marocaines ». C’est, en somme, un appel du pied aux américains pour leur demander d’assouplir, voire d’édulcorer leurs règles d’accès au marché US pour rendre ces règles davantage à la portée des membres exportateurs évoqués par Monsieur Sentissi.

Bien évidemment, il n’est pas interdit à un responsable de militer au nom des membres de son association pour plus de souplesse dans les standards  d’accès à un marché donné. Mais, Monsieur Sentissi est bien placé pour savoir que la Food Safety Modernization Act (FSMA), réglementation américaine pour les produits frais et transformés du secteur agroalimentaire, déjà en vigueur au moment de son interview susmentionnée,  a apporté des solutions innovantes pour faciliter l’accès au marché US à toutes les entreprises du domaine agroalimentaire, sur le même pied d’égalité que leurs collègues américaines. En effet, la FSMA a réduit les démarches administratives et permis aux entreprises  l’inscription auprès de la FDA, directe et immédiate, de la conformité de leurs produits sans intermédiaire et sans frais pour eux. Ceci signifie qu’un responsable désigné par l’entreprise, défini dans la FSMA sous le qualificatif  de Preventive Control Qualified Individual (PCQI), est simplement invité à introduire sur la plateforme électronique dédiée de la FDA les produits que son entreprise souhaite exporter sur le marché US en indiquant les caractéristiques réglementaires de ces produits. Une fois cette opération terminée, l’entreprise est libre de proposer les produits, qui auront alors reçu un code d’enregistrement, à la vente aux importateurs américains de son choix aux conditions commerciales qui conviennent à l’entreprise productrice.

Par ailleurs, si antérieurement les questions/réponses de la FDA (en anglais), pour cerner la qualité des produits,  pouvaient freiner quelque peu l’enthousiasme de certains exportateurs potentiels nationaux, la maîtrise de l’anglais est à présent largement répandue. Pour ceux qui ont encore un retard là-dessus, la FDA a mis en place, sous ce rapport, les chapitres d’intérêt de la réglementation pour les exportateurs étrangers en versions traduites dans plusieurs langues au choix.

Il est clair cependant que les informations sur l’accès au marché américain, celles susmentionnées et autres, doivent être mieux relayées par ONSSA et Foodex-EACCE, organismes de tutelle sur le secteur agroalimentaire national dont c’est le rôle, pour permettre aux entreprises marocaines d’en profiter. L’ASMEX a donc raison de rappeler  l’archaïsme des prestations de ces organismes de tutelle sur ce plan.

Il est utile de rappeler que le défaut des autorités de tutelle sur l’agro-industrie d’apporter l’assistance souhaitée aux opérateurs pour mieux percer sur les nouveaux marchés extérieurs procède d’un laxisme que l’on observe également dans d’autres secteurs d’activités marocaines. Il y a par exemple cette boutade populaire, corrélée sur le terrain, qui consiste à distinguer deux catégories d’avocats. D’un côté, le groupe des avocats qui connaissent le droit. De l’autre, les avocats qui ont des accointances avec les juges. Ces derniers savent comment tisser des relations plus ou moins incestueuses avec les magistrats dans le but d’influer sur les décisions de justice en dehors du droit. Le résultat est une justice biaisée qui perd sa crédibilité et finit par ternir tout le système économique du pays.

Au Maroc heureusement, notre système judiciaire a amorcé la réappropriation pleine et entière de sa crédibilité grâce, entre autres, à un magistrat de référence (solutionneur), Monsieur Mohamed Abdennabaoui, Premier président de la Cour de Cassation, nommé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI en tant que Président délégué du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire et dont le travail est largement salué au Maroc.

Pour revenir au secteur agroalimentaire national, il y a, parmi nos très nombreuses interventions d’expert compilées sur une trentaine d’années, des observations consignées dans nos archives qui vont dans le sens de l’existence de relations plus ou moins incestueuses entre des opérateurs habitués à faire à leur guise sur le marché local, et souhaitant étendre ces pratiques aux marchés extérieurs, et certains responsables de nos autorités de tutelle. Il s’agit, selon notre appréciation, d’un reliquat de l’héritage colonial qui a posé le modèle économique qui a ruiné le Maroc et que le NMD cherche à présent à remplacer pour plus d’équité pour nous autres marocains.

En conclusion, si un solutionneur est nommé pour mettre un peu d’ordre dans ce secteur particulièrement vital pour l’économie marocaine, il devra, selon notre avis, travailler au sevrage des opérateurs accros aux contrôles de complaisance. Cela ne sera certainement pas simple. Mais ce sevrage, il ne faut pas en douter, sera plus facile à accomplir comparé à la tâche de convaincre les autorités compétentes américaines de modifier la FSMA pour ajuster leurs contrôles à la façon de travailler d’opérateurs nationaux accros au laxisme.