Le Remodelage de la Région Afrique/Moyen Orient

Le Gouvernement marocain a adopté dernièrement le projet de loi portant sur l’accord de création de la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAF), ouvrant la voie à sa ratification par le parlement. Dans ce cadre, Monsieur Moussa Faki Mahamat, Président actuel de la Commission de l’Union Africaine (UA), estime l’entrée en vigueur de la « ZLECAF » dans les semaines à venir. Cependant, bien que l’accord constitue en soi une excellente nouvelle pour l’Afrique, appelée à parler d’une voix robuste pour les 54 pays dans le cadre des négociations internationales à venir, le Président a peut-être été trop optimiste sur le délai court pour l’entrée en vigueur de l’accord en question. En effet, pour que ce protocole puisse être consommé, les états adhérents ont l’obligation de revoir les accords précédents éventuels qu’ils ont conclus avec d’autres pays (l’UE est particulièrement visée)  pour les rendre conformes aux termes du protocole de la « ZLECAF ».

En les circonstances, le Maroc est toujours en négociation, depuis 2013, d’un accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) avec l’UE dont le but majeur est d’aller (pour le Maroc) vers une convergence (alignement) des normes de nos secteurs agricole et agroalimentaire sur celles de l’UE. In fine, cela reviendra à restreindre les possibilités de diversifications de notre export à l’international hors Europe continentale pour aller, par exemple, vers le marché US avec lequel nous avons signé un accord de libre-échange clair et net mais maintenu sous réfrigération pour l’instant. L’Europe a, par ailleurs, mis en place, dans le cas de chacun de nos états africains intéressés, ainsi que pour d’autres pays à travers le monde, des protocoles d’accord plus ou moins similaires pour le commerce avec le grand marché ultra-protégé de l’UE. Ces nombreux protocoles, que l’UE fait habituellement signer à des tiers en bombant le torse, soutiennent le plus souvent des échanges commerciaux très asymétriques, favorisant les européens au détriment des autres pays contractants. Dans ces conditions, rendre de tels accords bilatéraux avec l’UE, déjà signés et en vigueur, conformes aux termes du protocole de la « ZLECAF » devrait avoir comme but d’abord de corriger, pour les pays de notre Continent, l’asymétrie qui caractérise de tels accords. Autrement dit, ces protocoles devraient être rendus un peu plus équilibrés en favorisant davantage les pays signataires africains. Mais, on peut avoir des doutes sur les chances de succès d’une telle tentative et être sceptiques au sujet de l’acceptation des européens d’adhérer de bonne grâce au processus éventuel de rectification des accords en question dans cet esprit. Il est donc plus que probable, selon notre opinion, que les européens chercheront (en substance) à entraver le processus de la « ZLECAF » par tout moyen à leur disposition, comprenant le soudoiement de dirigeants, le chantage, la corruption, le Franc CFA, les visas, la procrastination, le dénigrement, les « Fake News » et j’en passe.

Sur un autre plan, il est utile de souligner que la démarche visant à éliminer, ou réduire, l’asymétrie des échanges entre l’UE et nos pays de ce côté-ci de la méditerranée, ne pourra sérieusement être envisagée que s’il y a une refonte radicale des normes spécifiques UE qui sont, au-delà du protectionnisme même, les cerbères sciemment posés devant l’accès au marché communautaire. La tâche est d’autant plus difficile que les responsables UE ont tendance à interpréter toute tentative de modification (même adossée à de solides arguments scientifiques) de leurs normes en question comme un affaiblissement de leur Statut à l’international. Sur ce plan, même si on n’accepte pas cette position dogmatique de l’UE, on la comprend mieux si on prend en considération le fait que l’UE est de plus en plus acculée au rôle d’une immense structure mercantile. L’origine de l’abaissement du statut de l’UE de la position d’un ensemble de grandes nations industrielles et d’innovation vers une grande structure de transactions commerciales est à chercher en bonne partie dans les « effets secondaires » de la mise en œuvre de la Politique Agricole Commune (PAC).

Au départ, la PAC a été lancée pour couvrir les besoins alimentaires de l’Europe. Mais très vite, les Caciques européens ont vu les avantages à en tirer pour pérenniser la mainmise de l’Europe sur les richesses africaines. Ils ont alors initié la rétribution (récompense) des agriculteurs européens (majoritairement français) en fonction de leur production. Ce système a très vite entrainé une abondance de l’offre de nourriture et propulsé la France au rôle de premier plan pour le façonnage de la stratégie agricole européenne qui nourrit la PAC. L’abondance est devenue alors surabondance, opportunément déviée pour satisfaire les désirs des « élites » africaines. Dans le même temps, il était suggéré et/ou demandé à ces « élites » de veiller à maintenir (renforcer) le statu quo des relations établies avec l’UE. La France, là également, aura eu les premiers rôles dans cette stratégie. Des témoignages solides et nombreux appuient ces faits. Mais, depuis une dizaine d’années, la PAC dont la France a tiré de meilleurs profits, plus que tout autre pays de l’UE, n’a plus les moyens d’être aussi dilapidatrice. Comme conséquence, les agriculteurs français, et par ricochet l’ensemble du tissu social du pays, qui ont été habitués à recevoir l’aide de l’UE sans compter, pour effectuer simplement leur travail à leur rythme et ignorer totalement l’aspect compétitif du commerce, sont à présent mis à rude épreuve. Pour la première fois, les exploitants concernés  doivent raisonner en termes de compétitivité dans un environnement globalisé de plus en plus concurrentiel, ce qu’ils ne savent plus faire depuis bien longtemps. Ceci explique les déclarations du Président français lors du Salon de l’Agriculture de Paris de la semaine passée où il a avancé que « L’Europe agricole aujourd’hui est menacée de l’extérieur« , qu’il fallait « réinventer » la PAC pour revaloriser les revenus des agriculteurs français qui se trouvent effectivement en proie à un grand désarroi. Ce que tente de faire le Président de la république est, en résumé, un appel discret aux subventions de l’UE. Or, dans le même temps, l’UE s’apprête à perdre, avec le Brexit, un grand contributeur net de la PAC. Les déclarations mentionnées du Président français peuvent donc être comprises comme une invite dirigée vers les allemands pour une plus grande contribution à la PAC. Mais ces derniers ont confirmé à plusieurs reprises leur refus de mettre davantage la main à la poche. Le résultat est la sinistrose qui s’est installée dans le milieu agricole et agroalimentaire français. De là également une plus grande sensibilité (agressivité) des français pour tout ce qui touche au secteur agricole « européen ». Par le passé déjà, cette problématique a fortement contribué à faire capoter les négociations du cycle de Doha au sein de l’OMC et barrer la route à l’acceptation de la Turquie au sein de l’UE.

Par ailleurs, il y a maintenant une trentaine d’années que les européens ont introduit l’Euro avec grand enthousiasme et ils avaient, à ce moment-là, bien des raisons d’être optimistes. Mais pendant ce laps de temps, on a l’impression que les Dieux s’acharnent sur l’ensemble de l’Europe. Il y a eu toutes ces séries de problèmes sanitaires des années quatre-vingt-dix (vache folle, dioxines etc.). Il y a eu ensuite de grandes tensions avec les américains suite à la guerre d’Irak, qui ont laissé des traces à aujourd’hui. Après, il y a la chute de la grande Banque d’Investissement Lehman Brothers, qui constituait dans le même temps sorte de porte d’entrée favorisée des hommes d’affaires allemands sur le marché US. Comme conséquence de ces aléas, et  « Dieselgate » et autres, l’UE a perdu l’essentiel de ses repères pour, entre autres, maintenir ses privilèges commerciaux avec le Moyen Orient. Sur le même registre, les monarchies du Golfe ont largement freiné leurs investissements traditionnels en Europe. Il y a eu également la perte du marché russe de produits agricoles et agroalimentaires dont la Turquie a récupéré une bonne partie. Il y a à présent la sortie annoncée de la Grande Bretagne (Brexit) du marché commun etc. Mais dans tout cela, il y a encore et toujours l’Afrique dont le commerce reste largement tributaire de la volonté des européens. L’UE a pris soin de  « réquisitionner », moyennant des normes façonnées sur mesure, les produits du secteur agricole africain au profit des affairistes européens. Ils font ce qu’ils veulent de nos produits bruts pour les utiliser directement ou bien les valoriser (transformer) et les revendre sur d’autres marchés internationaux avec des plus-values pour leur seul profit. Pour cela, ils utilisent tout moyen de propagande possible pour promouvoir la « suprématie » des normes UE en question sur le reste du monde. Sous ce rapport, les américains se sont toujours gardés de critiquer ouvertement les normes UE dont il est question. Ils se sont juste bornés à défendre leurs intérêts, dans les litiges sous ce rapport, contre les européens devant l’OMC où ils ont gagné d’ailleurs. Cette attitude est en train de changer à présent. En effet, ces derniers jours, l’ambassadeur américain en Grande Bretagne (GB), Monsieur Woody Johnson, a comparé le savoir-faire agricole de l’UE à des pratiques figées dans sorte de musée de l’histoire agricole bloquant tout effort d’innovation et que certaines de leurs normes relèvent plus de la philosophie que de la science ! Voilà qui est dit et qui sonne la fin de la position de neutralité des américains face à la campagne menée par les UE au sujet de la « suprématie » de leurs normes.

Le message de l’ambassadeur américain peut également être interprété comme un appel à nous africains comme quoi l’export sur le marché US a été largement simplifié. Il suffit de mettre en place un Système Hazard Analysis and Risk-Based Preventive Controls (HARPC), « instrument » dont l’acquisition est parfaitement gratuite et largement suffisante aux yeux de la FDA. Le HARPC est la dernière version (améliorée) du Système HACCP (Hazard Analysis and Critical Control Points), avec lequel tous les opérateurs sont familiers à présent. On gagne alors en temps, en argent et on supprime les affairistes inutiles.

Au final, il ne fait plus de doute que le remodelage des forces d’influence dans notre grande région d’Afrique/Moyen Orient est largement entamé.