La Renaissance commerciale africaine

Dans les échanges commerciaux actuels avec le reste du monde, notre Continent a pris le train en marche. Ou, plutôt, on l’a poussé à le prendre en application de règles faites en dehors de sa volonté ou de ses intérêts, mais auxquelles l’Afrique n’avait d’autre choix que de s’y soumettre.

Ces règles, dont les fondements ont été posés par les USA au lendemain de la dernière grande guerre, ont été conçues pour gérer principalement les litiges d’ordre commercial dressant un Etat souverain contre un autre. En ces temps-là, l’Amérique avait une longue et confortable avance sur tous les autres pays dans pratiquement tous les domaines et ne se préoccupait guère de la concurrence éventuelle d’un pays tiers. Après le GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), toujours à Genève, est l’organisme chargé de veiller au respect des règles en question.

Pour faire simple, un Etat qui se sent lésé par les pratiques commerciales d’un autre Etat soumet, à l’instar de ce qui se fait devant les tribunaux, ses doléances à l’OMC et attend sur l’avis de cette juridiction internationale pour la suite. Lorsque, dans son avis motivé, l’OMC donne raison aux arguments de l’Etat plaignant, il préconise en même temps des mesures commerciales de compensation pour le dommage subi.

Dans l’attente du verdict, le pays lésé peut bien sûr continuer à commercer avec d’autres partenaires sur d’autres marchés plus acceptables à son goût.

Sous ce rapport, si l’un ou l’autre des pays de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique), ou bien d’autres pays comme la Chine, ont soumis des doléances devant l’OMC par le passé, les pays africains n’ont pas été enclins à faire appel aux consultations de cet organisme. En effet, le recours au service de l’OMC n’est pas simple et peut être très onéreux pour nos pays désargentés. Il y a lieu de préparer un dossier solidement documenté et argumenté, c’est-à-dire fait par des experts initiés, que l’on trouve habituellement dans les pays occidentaux, qui reviennent très chers.

Par ailleurs, si l’on considère certains cas répertoriés, ces experts ne présentent pas toujours une garantie de neutralité suffisante dans les dossiers qui leur sont confiés. Ceci surtout s’il s’agit de la mise en cause de leur propre pays. Ensuite,  il y a le délai que prend l’OMC pour rendre son verdict en première instance qui se compte en années. De plus, avant que la décision de l’OMC ne soit exécutoire, elle est susceptible d’être contestée devant l’organe d’appel (voir plus bas) et, de nouveau, l’arrêt peut prendre à son tour de nombreuses années. Pour toutes ces considérations, peu de pays à faibles moyens comme les nôtres en Afrique pouvaient se permettre les services de l’OMC.

Dans la pratique, nos pays exportateurs de produits du secteur agroalimentaire avaient pris l’habitude de réorienter, en cas d’échec d’une première exportation, le produit vers un autre pays plus conciliant. Ainsi, il y a une trentaine d’années et plus, il était arrivé, par exemple, que des conserves de sardines marocaines, dont le taux d’histamine avait été jugé hors standard par l’Allemagne, fussent acceptées en France ou en Italie.

Mais, dans les années quatre-vingt-dix, les pays européens, dont les réglementations locales (de chacun des  pays) restaient différentes les unes des autres comme elles l’ont toujours été, ont accéléré la mise en place de nouveaux « standards sanitaires harmonisés », applicables à leurs postes frontières extérieurs. En somme, une harmonisation décidée dans le but de verrouiller le marché communautaire et mieux peser sur les négociations commerciales conduites séparément avec, en particulier, chacun de nos pays africains démunis.

A partir de ce moment-là, les exportations de produits du secteur agroalimentaire de nos pays africains ont commencé à souffrir sérieusement parce que le refus d’un produit par un pays de l’UE fermait la porte de l’ensemble du marché unique. L’UE a trouvé dans cet arsenal de normes privées, faites sur mesure pour administrer l’accès à leur marché commun, un nouveau moyen de coercition formidable pour exploiter de façon illégitime les Matières Premières alimentaires africaines à leur profit presque exclusif tout en exerçant une pression baissière sur les prix. Ce stratagème a bien fonctionné dans le cas de pays africains au point que, apparemment, l’UE s’est senti l’empressement de le tester ailleurs dans leurs négociations dans d’autres Forums.

Pour donner plus de poids à cette entourloupette inédite d’instrumentalisation du  marché communautaire à des fins de négociations commerciales, l’UE a complété son attirail en se drapant de certains attributs qui relèvent d’un pays souverain tels que drapeau, hymne, ambassades etc. Le but supposément recherché par l’UE, qui absorbe la très grande majorité des exportations du secteur agroalimentaire africain, était de peser plus lourdement, entre autres, sur les négociations de toutes sortes avec nos pays africains, pris séparément, pour les prix des produits échangés et pour les préférences commerciales. Non seulement le Bloc européen pouvait, à travers la Commission de Bruxelles, recourir contre un pays récalcitrant en usant d’instruments pour restreindre son commerce avec l’UE, mais il lui est devenu possible d’user, le cas échéant, d’autres moyens  de sanction relevant du domaine diplomatique.

Pour dire les choses de manière profane, l’UE a, en quelque sorte, déformé astucieusement l’utilisation prédéfinie des règles du commerce de l’OMC. Alors que ces règles devaient servir pour traiter des litiges entre deux Pays en désaccord, sur la base de normes Codex, l’UE s’est, de son propre chef, approprié le droit d’en faire usage dans ses négociations sur la base de standards privés dans des rapports de 28 Etats européens, plus l’UE considéré sous ce rapport comme un Etat distinct, contre des pays africains pris individuellement l’un après l’autre. Difficile dans ces conditions de ne pas avoir gain de cause à chaque fois, surtout si de telles tractations sont couplées à des menaces de sanctions d’ordre commercial et/ou diplomatique.

Le recours à l’instrumentalisation, hors Codex, des standards UE pour influer sur les négociations a toutefois montré ses limites quand le Bloc européen s’en est servi dans le cadre des discussions dans les Forums du Cycle de Doha. L’Inde a été parmi les premiers pays à dénoncer les manœuvres du Bloc européen. Mais cette pratique UE, qui perdure, aura duré suffisamment longtemps pour ne laisser aucun doute aux yeux des responsables américains que le but pour lequel l’OMC a été mis en place à l’origine a été complètement dévoyé par l’UE pour servir ses intérêts commerciaux exclusifs au vu et au su de tous. Alors, agissant selon l’adage « Au sommet de l’effort, il y a l’action », les USA ont mis leur véto au renouvellement des juges de l’organe d’appel de l’OMC rendant de facto cet organisme inopérant depuis le 11 Décembre passé.

Bien évidemment, les échanges relevant du domaine commercial international, comme c’est le cas pour d’autres domaines, auront toujours besoin de règles. L’OMC devra donc être repensée à la lumière des transformations apparues dans le monde depuis la dernière grande guerre. Dans ce cadre, il y a le fait que l’Afrique est consciente, en particulier, de son fort potentiel sur le plan agroalimentaire et voudrait légitimement en profiter comme de juste. Les responsables de la Zleca (Zone de libre-échange continentale africaine), en cours de mise en place, devront donc naturellement avoir leur mot à dire dans l’élaboration et la mise en œuvre des nouvelles règles de gestion du commerce international qui seront dévolues à l’OMC dans sa version à venir.

La renaissance du commerce africain à l’international est à ce prix.