La culture du contrôle qualité favorise le développement

Dans le travail manuel, l’artisan termine d’abord une pièce avant d’entamer la fabrication de la suivante. L’artisanat permet en fait d’effectuer les tâches de fabrication et de contrôle de façon concomitante. Mais cette pratique n’est pas transposable telle que dans l’industrie où, dans le secteur agroalimentaire ou pharmaceutique par exemple, la cadence peut être de plusieurs milliers d’unités produites par jour, voire par heure. Dans les activités indiquées, et d’autres, les opérations de contrôle sont donc séparées de celles de la production. Comme ce travail de vérification vient forcément en aval, il détermine en fin de compte le rythme d’écoulement des produits fabriqués dans les circuits de commerce. A ce propos, si le système HACCP (Hazard Analysis and Critical Control Points), outil le plus souple de contrôle qualité, a de la peine à prendre racine dans nos pays africains c’est parce qu’il présuppose que les responsables de son implémentation, des ingénieurs qualifiés, sont en nombre suffisant dans l’entreprise considérée ce qui est loin d’être le cas généralement dans nos PME et PMI considérées. A cet égard, on doit noter que les règles de la science et de l’art du contrôle qualité dont il est question sont régulièrement revues et optimisées par les puissances industrielles, depuis bien longtemps déjà, pour justement pérenniser le fossé qui les séparent de nos autres pays en développement ou émergents. L’article jette un regard sur quelques moyens utilisés dans ce but.

 Rappel historique

 Lorsque l’on regarde attentivement les textes de la loi 13-83 de répression des fraudes, abrogée en 2010, on réalise que toutes les prérogatives contenues dans cette réglementation ont été mises entre les mains de certains fonctionnaires du Ministère de l’agriculture et pratiquement rien d’autre entre les mains du Ministère de la justice. En somme, quand, à ce propos, un tribunal envoyait, le cas échéant, un fraudeur en prison, il ne faisait qu’obéir aux injonctions des services de la répression des fraudes. Sous ce rapport, un juge des référés du Tribunal de Première Instance de Casa Anfa, statuant au milieu des années deux mille sur la demande pressante d’un industriel, dont le produit (encornet congelé d’Amérique latine)  était bloqué au port, pour la désignation pour contre-expertise d’un expert assermenté, a refusé la requête en demandant à l’entreprise de faire effectuer de nouveau le travail par les services de la répression des fraudes, ceux là mêmes à l’origine du blocage de son produit. La loi 13-83 prévoyait effectivement la réalisation et de l’expertise et de la contre-expertise par les mêmes services de la répression des fraudes même si cela tranche avec la réglementation internationale sur le sujet. Comme rien ne se cache dans ce microcosme, j’ai appris par la suite que le produit en question a finalement été débloqué après un coup de fil du Directeur d’une chambre de commerce étrangère  influente sur Casablanca, dont l’un des membres était lié à l’opération, au Directeur de l’époque sur les services de la répression des fraudes qui a fait le « nécessaire ». Sur le même registre, quelques années auparavant, j’avais été dûment désigné par le même tribunal pour effectuer un travail d’audit et analyses sur le système de dialyse d’une clinique dont une femme médecin soupçonnait sa partenaire de sabotage. La plaignante m’a fait un tour de leur clinique près de l’Hôpital Averroès de Casablanca et donné les explications d’usage et je devais revenir le lendemain fin prêt pour procéder aux prélèvements d’échantillons de solutés pour analyse au laboratoire. Mais, avant de faire, j’ai reçu un téléphone où elle m’a indiqué que le tribunal était revenu sur l’attribution de l’expertise judiciaire en question après avoir reçu lui-même une communication de l’ordre des médecins. Finalement, ce litige a dû être réglé devant l’ordre en question à l’abri des regards de la justice. Je pourrai ajouter d’autres exemples mais la conclusion reste la même à savoir que de telles pratiques ont, selon mes observations,  été initiées à l’origine par l’occupant français qui se méfiait du tribunal marocain peut être parce que cette instance était récalcitrante à adopter le français comme outil de travail. Mais la France se devait, selon son agenda, de garder un œil sur ce qui se passe dans les activités industrielles et de service au Maroc pour mieux manœuvrer au bénéfice de ses opérateurs et le meilleur moyen pour cela était de trouver comment influer, d’une façon ou une autre, sur les activités de contrôle qualité.

 Exégèse

 De nombreux pays qui ont subi, plus ou moins intensément, les affres d’une présence coloniale, ont mis leurs cœurs à l’ouvrage dès qu’ils ont récupéré une liberté d’agir. Un expert néerlandais, conseiller pour le secteur du textile, me racontait qu’après la deuxième guerre mondiale, lors de la tenue de salons sur les équipements pour ce secteur, des représentants japonais étaient les premiers arrivés le matin et ne repartaient qu’à la fermeture des séances. Six mois après, on retrouvait les équivalents des machines exposées au salon, fabriquées et mises sur le marché par des firmes japonaises avec seulement la disposition de certains boutons qui ont changé de place. Ce qui était valable pour les japonais l’a ensuite été pour les chinois et autres asiatiques et de plus en plus pour des industriels africains et d’ailleurs. En ce faisant, nous essayons de réduire le fossé de développement qui nous sépare des pays qui nous ont soumis dans le passé. De leur côté, il n’y a pas à en douter, les pays européens avec lesquels nous sommes en contact essaient de pérenniser cette marge qui les sépare de nous mais qui ne cesse de rétrécir comme peau de chagrin pour ce qui est des biens de consommation courants. Sous ce rapport, le contrôle qualité en général, et en particulier pour les produits alimentaires et pharmaceutiques où il obéit dorénavant aux mêmes principes, est l’un des derniers refuges où les pays du nord ont investi leurs efforts pour en compliquer l’accès aux pays du sud et le conserver pour eux, à travers un labyrinthe de codes et de normes de travail, comme un avantage stratégique.

 Les épizooties comme arguments commerciaux

 Lors de l’apparition de la maladie de la vache folle, plusieurs théories ont circulé concernant l’identité de l’agent infectieux sans qu’aucune d’entre elles n’ait été confirmée par des contrôles de laboratoire. C’est la prévention, comprenant l’abattage des troupeaux malades ou simplement ayant cohabité avec les porteurs de la maladie, et l’interdiction à l’avenir de la vente d’organes des animaux soupçonnés d’être à l’origine de l’agent pathogène en plus du changement du régime alimentaire des animaux qui ont été appliqués en Europe. Il s’agit en somme de procédés de prophylaxie qui ont stoppé le développement de l’épidémie (épizootie) de la vache folle plus qu’autre chose. Dans le même ordre d’idées, il n’existe actuellement pas une technique de laboratoire reconnue comme spécifique pour mettre en évidence le virus Ebola. Mais, au-delà du mode de consommation d’animaux sauvages dans des conditions non contrôlées par certaines populations sub-sahariennes, tout le monde est pour ainsi dire d’accord sur le fait qu’il s’agit avant tout de sorte de maladie des pauvres, c’est-à-dire des gens, vivant en promiscuité, qui ont une déficience prononcée pour ce qui relève des pratiques d’hygiène. Donc, ce constat aurait dû orienter l’aide internationale sur des efforts privilégiant l’approche prophylactique. Mais il n’y a rien à vendre sous ce thème. Par contre, faire un tintamarre publicitaire bien ciblé au tour de la question a sûrement permis aux grands groupes à l’affût de vendre toutes sortes de gadgets dont la pertinence pour la lutte contre la maladie est tout sauf démontrée, tels que des portiques aux aéroports, des thermomètres à distance et, la peur aidant, fourguer de tels équipements également à d’autres pays éloignés de ces foyers d’infections où des populations analphabètes sont prédisposées à gober n’importe quelle initiative mercantile du moment qu’elle est drapée dans des discours scientifiques abscons. Sous ce rapport, les gens qui ont été déclarés morts de l’Ebola en Afrique, ou bien antérieurement, de grippes aviaires, porcines et autres épizooties, l’ont été dans leur grande majorité sur des présomptions (plus ou moins fortes) dans la mesure où il n’y a pas de tests de laboratoire reconnus fiables pour détecter de tels virus. La mise au point de telles techniques d’analyses n’a jamais intéressé vraiment les grands groupes pharmaceutiques étant donné que les malades cibles n’ont pas d’argent de quoi les payer. Les symptômes mêmes à l’origine de ces présomptions sont communs à toutes sortes de toxiques qui transitent par le système gastro-intestinal comme les diarrhées, le vomissement et la fièvre entre autres. Ensuite, les gens meurent chaque jour de tout et de n’importe quoi. Mais le fait de les avoir comptabilisés sous la responsabilité de tel ou tel virus a certainement permis au passage à bon nombre de marchands de la peur d’écouler leurs marchandises, matériel et médicaments essentiellement postiches, à quantité de pays et d’entreprises comme cela est le cas depuis de nombreuses années avec ces fléaux qui ont la bonne idée de se développer partout mais de s’arrêter aux portes des pays occidentaux. Car, ce type d’instrumentalisation du contrôle qualité aurait en effet peu de chance d’être pris au sérieux dans les pays européens ou américains où les promoteurs de ce types de peurs factices auraient eu après coup des comptes à rendre au public, et aux scientifiques de bon sens. Alors ils le pratiquent chez nous, les africains à présent, comme moyen de vente parce qu’ils sont de plus en plus à court d’idées sur comment nous plumer sans qu’on s’en rende compte.

 Le Maroc dans tout cela

 Dans le passé, suite à de nombreuses réclamations aussi bien du public que du corps médical, le Ministère de la santé avait adressé une circulaire au début des années quatre-vingt pour exiger des industriels de la pharmacie de contrôler les antibiotiques par des tests par voie microbiologique. Ce type de dosage permet de confirmer l’intégrité de l’antibiotique recherché en le faisant agir sur des bactéries cibles pour les détruire. En effet, lorsque la détermination de l’antibiotique est faite par voie chimique uniquement, la présence de la macromolécule peut être révélée même si elle est inopérante. Pour faire simple, le contrôle chimique s’intéresse à un tout petit bout de la molécule et peut permettre effectivement la confirmation et la quantité d’antibiotique existant. Néanmoins, pour que cette macromolécule très particulière fasse son travail, c’est-à-dire détruire des bactéries pathogènes, il est nécessaire qu’elle se fixe en quelque sorte au micro-organisme infectieux pour stopper son activité. Cette action exige que l’antibiotique conserve sa conformation spatiale qui nécessite le maintien intact de son intégrité. Autrement dit,  si l’antibiotique a été conservé dans des conditions inappropriées, chaleur ou humidité excessives par exemple, la molécule peut toujours être présente mais avoir perdu sa fonctionnalité.

 L’entreprise de Casablanca où je commençais à travailler à l’époque n’avait pas répondu à temps à la demande de mise à niveau évoquée du Ministère et avait alors vu ses produits antibiotiques bloqués à la vente en 1985 pour plusieurs mois. J’ai moi-même, avec quelques conseils d’un collègue professeur chercheur canadien, mis cette technique de dosage au point dans l’entreprise après quoi une délégation du Ministère de la santé était venue en Audit pour valider le travail ; chose qui a permis ensuite le déblocage à la vente de nombreux lots du produit fini antibiotique phare de la société. Sous ce rapport, les règles et les pratiques de travail exigent que, dans l’attente de répondre à un Audit d’une autorité compétente, on a meilleur temps de s’y préparer le plus sérieusement possible. Parce que les auditeurs en question se préparent à leur tour et guettent le moindre faux pas de votre part pour, professionnellement, vous tomber dessus. Qu’elle fut alors ma surprise en réalisant, à la fin de la visite,  que la commission ministérielle,  composée en ce temps là par le Directeur de la Pharmacie Centrale, le directeur du Laboratoire National de Contrôle des Médicaments (LNCM) et d’autres, n’a pas montré grand intérêt pour la mission même de leur visite, et à laquelle je m’étais préparé, c’est-à-dire la méthode nouvellement élaborée pour contrôler la qualité des antibiotiques fabriqués par l’entreprise, en ne posant aucune question sur le sujet ! Ils ont au contraire parlé de sujets mondains et fait comme s’il s’agissait d’une visite de courtoisie et rien d’autres. Le sentiment à mon niveau était celui ressenti lorsqu’on gagne par forfait. Il y a en effet une culture à avoir pour ce type de travail résumée par la formule anglo-saxonne « In God we trust, the rest must come with data » (Nous avons foi en Dieu, le reste doit être vérifié sur la base de données). Sur le même registre, il y a un peu plus d’une année j’avais été appelé pour faire un travail dans une unité de fabrication de fromage de la région de Marrakech. A cette occasion, on m’avait montré un petit appareil, sorte de petite plaque électrifiée, sur laquelle supposément, après avoir mélangé un échantillon du produit à contrôler, le lait dans ce cas, avec quelques gouttes d’un produit chimique indéfini, la société pouvait savoir si oui ou non il y avait un antibiotique dans ces arrivages! Gadget bien surprenant en effet. Mais ce qui est encore plus étonnant, c’est qu’ils m’ont indiqué avoir montré le matériel à des officiels de l’ONSSA qui les en avaient félicités. Comme quoi, s’agissant de la culture du contrôle qualité dans l’agroalimentaire, ce n’est pas demain la veille.