Le défi africain du Maroc

Parmi les éléments qui ont caractérisé la période de la dernière guerre, il y avait le rationnement des denrées alimentaires un peu partout en Europe. La Suisse, par exemple, a dû sacrifier une partie de son cheptel bovin pour dégager assez de terrains agricoles à cultiver, notamment en pomme de terre et choux pour nourrir les habitants. D’après les journaux de l’époque, la santé des suisses n’avait jamais été aussi bonne qu’à cette période de guerre avec une ration de viande une fois par semaine. Mais le rationnement a laissé des traces et, après la guerre, chacun des pays européens a opté pour des lois recommandant l’autosuffisance alimentaire. Pour mettre en application ce principe, des études étaient engagées pour comparer la progression démographique par rapport à la progression de la production agricole. Les résultats observés, montrant une progression de la population beaucoup plus rapide que celle des ressources alimentaires, et les conséquences qui en ont été tirées, ont grandement modifié la suite des événements à l’échelle internationale. Cet article se propose d’en faire un résumé avec une attention particulière pour l’Afrique.

La période de discrétion US en Afrique

La période dite de la guerre froide avait ses propres repères. L’Union Soviétique, et les pays sous sa coupe d’un côté, les Etats Unis et les pays alliés de l’autre. La chine sommeillait encore et l’Afrique mise sous surveillance et laissée volontairement en friche. Le modèle soviétique étant exactement à l’opposé de celui promu par le capitalisme américain, la grande priorité des USA était de contenir l’extension du bloc communiste de par le monde. Une des conditions (non écrite ou non divulguée) pour rallier l’Europe occidentale à ce programme, était de leur laisser la gestion « rapprochée » de l’Afrique. Sous ce rapport, s’il était possible en ces temps là de se procurer des produits et du matériel américains en Afrique en général, et au Maroc en particulier, il fallait systématiquement passer par un pays européen comme relais. Avec la ribambelle d’intermédiaires à payer, les marchandises américaines revenaient forcément beaucoup plus chères. Mais ce manque à gagner pour les entreprises américaines était le prix à payer par les USA pour l’adhésion des européens aux « priorités antisoviétiques » décidés par « Uncle SAM ». Les européens ont de plus profité de cette même période, sous le regard discret des américains, pour « consolider » leurs frontières du sud, en intégrant l’Espagne notamment,  afin de se prémunir contre l’émigration africaine qui devait inexorablement arriver car conséquente de l’état de friche dans lequel la politique coloniale européenne avait décidé de cantonner le continent.

Le réveil de la Chine et ses implications

Juste après la guerre, il était possible pour un américain de se payer un voyage d’un mois en Europe, de revenir en Amérique et de constater qu’il avait fait des économies sur son salaire mensuel. L’industrie américaine, qui fonctionnait à plein régime, avait développé des appétits gargantuesques. A l’opposé, la chine, qui se réveillait à peine, avait besoin de tout. Un marché de centaines de millions de consommateurs, tout à fait alléchant pour les hommes d’affaires américains qui avaient alors tout fait pour sceller avec succès le lien de leur gouvernement avec la Chine. Ce rapprochement a éloigné un peu plus la Chine de l’Union Soviétique et, par ailleurs, a accéléré le développement industriel du grand géant asiatique qui cherchait à présent des marchés à l’export pour ses produits manufacturés bon marchés. L’Afrique, avec ses revenus faibles, était une cible tout à fait indiquée. La montée de la Chine d’un côté, les coups de Boutoirs répétés de l’administration américaine de l’autre, sous Reagan tout particulièrement, conjugués à l’aspiration des pays satellites de l’empire soviétique, qui cherchaient chaque jour leur liberté avec plus de fougue, a fini par faire craquer le bloc soviétique qui a définitivement cédé avec la chute du mur de Berlin et la réunification des deux Allemagnes. Cela s’est traduit, côté américain, par l’épargne subséquente d’une grande énergie, d’ordre financière notamment, que les USA étaient prêts à mettre au service de leurs autres ambitions planétaires.

L’Amérique retrouve l’Afrique

Tout le monde connait le coup prohibitif de l’effort que les américains ont assumé avec le plan Marshall pour réhabiliter l’Europe après la seconde guerre mondiale, avant tout la RFA (République Fédérale d’Allemagne) dont les infrastructures étaient pratiquement à plat, et empoisonnées de bombes non encore éclatées sur l’ensemble du pays. On sait peut être moins ce que les USA ont consacré comme effort pour stabiliser l’Asie et y asseoir leur modèle économique en s’appuyant principalement sur le Japon et la Corée du sud. Dans ce dernier pays, les américains ont investi, à partir des années cinquante jusqu’à la fin des années soixante-dix du siècle passé, plus d’argent que ce qu’a reçu tout le continent africain en investissement durant la même période. A présent, la force exportatrice de la Corée du sud, qui doit importer les deux tiers des denrées qu’elle consomme, est seule garante de sa prospérité. S’agissant de géographie, le Maroc est bien mieux loti que la Corée pour ce qui est du potentiel agroalimentaire. Mais, comme le discours de Sa Majesté l’a rappelé à l’ouverture de la présente session parlementaire, nous n’avons  jamais été en meilleure position qu’aujourd’hui de devenir un pays émergent depuis l’indépendance. A l’instar d’autres puissances comme la Chine, Les américains sont très intéressés par le décollage de l’Afrique pour y développer leurs affaires. De plus, Uncle Sam a l’expérience de faire les choses avec réflexion. Ainsi, le fait d’avoir, avec d’autres pays de notre propre région, adoubé le Maroc, comme un grand exemple pour le développement du continent africain est de très bon augure pour la réussite du Royaume dans ce nouveau rôle.

Le Maroc comme locomotive pour l’Afrique

Presque tous les ingrédients sont réunis pour permettre au Maroc de jouer le rôle qui lui revient de locomotive pour l’Afrique. Selon notre opinion, il en manque tout de même un, essentiel, à savoir la volonté de retenir l’anglais en tant que langue pour ses échanges commerciaux à l’international, choix qui a contribué à faire de certains pays, très pauvres autrefois, des dragons de l’économie planétaire actuelle, telle la Corée du Sud. S’agissant du secteur agroalimentaire, l’occasion m’a été donnée dernièrement d’examiner un document pré-imprimé en français (exemplaire d’un certificat sanitaire dont j’ai une copie) que l’ONSSA a adressé à des ambassades à Rabat pour le faire valider par les autorités compétentes de leurs pays respectifs. En clair, les exportateurs des pays concernés sont appelés à l’avenir à faire accompagner leurs produits d’origine animale par le document en question dûment rempli, signé et cacheté par les intervenants compétents de leurs pays. Le document en question pèche par une rédaction éloignée des normes internationales en la matière, en particulier le rappel (sur le document) de critères scientifiques et techniques devant être satisfaits sans citation de la référence d’où ils ont été repris. A ce propos, en l’an deux mille, j’avais été mandaté par un Cabinet d’Audit américain, avec lequel je collaborais, pour mettre en place leur succursale en Suisse pour l’Europe et la zone MENA (Afrique du Nord Moyen Orient). Dans ce but, j’avais été reçu par le directeur général du département d’investissement du Canton de Vaud pour l’Amérique du Nord qui m’avait dit : « Je sais que vous avez fait vos études chez nous, mais je vous reçois ici en tant qu’envoyé d’une société américaine. Je vous demande donc de me faire votre rapport en anglais. Il sera ensuite adressé, via la police de séjour, à Berne pour accord pour vous permettre d’exercer chez nous comme expert». A ma question de savoir si la police vaudoise lira un rapport en anglais, sa réponse immédiate : « Oui. Ne vous préoccupez pas de cela ». Donc, en Suisse romande, des policiers de langue maternelle française, dont le secteur agroalimentaire n’est pas leur tasse de thé, font l’effort de lire un document en anglais. Au Maroc, l’ONSSA (Office National de Sécurité Sanitaire des Produits Alimentaires), autorité de tutelle sur le secteur agroalimentaire, exige, contrairement aux pratiques internationales, que les pays qui veulent commercer avec nous le fassent en français pour leur éviter à eux de lire l’anglais comme effort de mise à niveau !

Dans le même registre, et en guise de conclusion, cette histoire qui remonte à une vingtaine d’années et qui m’a été rapportée par une source fiable. Désigné pour une courte période comme responsable de l’EACCE (Etablissement Autonome de Coordination et de Contrôle des Exportations), un cadre marocain, qui revenait d’un stage FDA aux Etats Unis, avait appelé un contact de l’Agence US pour lui indiquer son souhait de voir la FDA signer rapidement un accord de coopération ou « MoU » (Memorandum of Understanding) avec l’organisme marocain, ce à quoi le responsable américain avait répondu : « commençons par établir une ligne de dialogue, nous verrons après pour le « MoU ». Vingt ans après, il semble que les responsables de l’ONSSA ne soient toujours pas prêts pour cette ligne de dialogue.