Les opérateurs professionnels reflètent la qualité de l’enseignement

Ces derniers temps, la problématique de l’amélioration des programmes d’enseignement appliqués au Maroc est de nouveau à l’ordre du jour. Cette question est en fait récurrente depuis le protectorat sans solution satisfaisante jusqu’à présent. Pour avoir séjourné pour les études universitaires et le travail post doctoral en Suisse, j’ai eu l’occasion de relever, chez nous, certaines pratiques curieuses dans le travail d’audit qualité, et les opérations assimilées, que cet article propose de partager avec le lecteur.

 La langue anglaise comme référence

 En Suisse, les élèves devaient, après l’enseignement de la langue maternelle (l’allemand, le français ou l’italien selon les régions), apprendre successivement les deux autres langues nationales avant de penser à l’assimilation d’une langue supplémentaire. Cette règle n’a cependant pas résisté aux exigences d’ordre international (ci-après le marché globalisé) qui a rendu la connaissance de l’anglais prééminente sur le respect des préférences nationales. Dans les années soixante dix déjà, du siècle passé, l’animation de séminaires interuniversitaires helvétiques en anglais était la norme. Ensuite, Zurich a été le premier à officialiser la priorité de l’apprentissage de la langue anglaise avant les autres langues nationales, suivi après par d’autres cantons. Aujourd’hui, l’enseignement de l’anglais juste après la langue maternelle est la tendance sur l’ensemble du continent européen. A Bruxelles, par exemple, les textes de lois réglementant le travail au sein de l’Union Européenne sont le plus souvent pensés et rédigés en anglais avant d’être traduits dans les autres langues dont le français. Considérant qu’un texte perd toujours un peu de son âme en traduction, et parfois plus,  nous serions bien sûr avantagés au Maroc si nous pouvions lire les textes de Bruxelles directement en anglais plutôt qu’en français ou bien, situation encore moins avantageuse, retraduits du français en arabe.

 Le système anglo-saxon comme tremplin pour le commerce international

 Les études universitaires peuvent, sauf exception, difficilement se concevoir aujourd’hui sans la connaissance de l’anglais. Conscientes de cette réalité, les universités suisses fournissent depuis des décennies l’enseignement de cette langue gratuitement aux étudiants débutants qui n’en ont pas la maitrise et poussent, pour la plupart, les étudiants à s’exprimer en anglais lors d’exposés et/ou interventions de séminaires. Dans le marché définitivement globalisé, au-delà du travail, les études sont supposées préparer les impétrant(e)s aux recherches et innovations qui sont l’apanage de la langue anglaise par les temps qui courent. Ce n’est donc pas surprenant que l’anglo-saxon soit le premier au hit-parade des innovations technologiques qui rapportent, tous secteurs confondus. En n’ayant que l’anglais à apprendre, ces gens peuvent, très tôt, consacrer le reste du temps à s’instruire d’autres choses, commercialisables avec profit si possible. Quand on sait ce qu’une langue peut demander comme effort de longue durée pour être maitrisée, cela fait beaucoup de temps de gagné qui peut être investi ailleurs. A l’opposé, quand on a l’arabe comme langue maternelle, qu’il faille apprendre comme deuxième langue obligatoire le français sur plusieurs années, pour ne s’en servir qu’en direction de la France, il reste peu d’énergie pour la langue anglaise laquelle, non maitrisée, ne fait que prolonger notre séjour parmi les pays les moins avancés du globe. Le raisonnement vaut davantage encore pour ceux des marocains de langue maternelle berbère auxquels on doit rendre un hommage particulier pour leur résilience.

 S’agissant du commerce international, qui s’impose à tous, les pays n’ont jamais été aussi dépendants les uns des autres qu’au temps d’aujourd’hui. Sous ce rapport, chacun achète quelque chose d’un autre et dans le même temps vend autre chose ailleurs. Pour tout cela il y a des règles. Par exemple, vous ne pouvez pas survivre juste en achetant et il vous faut trouver des choses à vendre avec la meilleure plus value possible pour rapporter un maximum d’argent. Il faut dans le même temps respecter les règles établies dans le marché globalisé. Or ces règles, qui sont là pour durer encore un bon bout de temps, sont d’obédience anglo-saxonne, à moins que l’on soit aveugle ou l’on refuse de voir la réalité en face. Il en découle que, pour comprendre les règles et en tirer un profit maximum, obligation nous est faite de maitriser l’anglais sans quoi, nous resterions notre vie durant tributaire des intermédiaires de toutes sortes et voir notre insertion dans le marché international s’éloigner encore plus dans le temps. Si la Suisse, pays modeste à l’origine et sans ressources sur son sol, a gagné le pari de l’excellence c’est, en grande partie, grâce à l’ingéniosité d’avoir fait coller son système éducatif sur l’approche de travail anglo-saxonne qui procure beaucoup plus de souplesse que le système français. On montre aux étudiants comment chercher les données utiles plutôt que leur remplir le crâne d’informations généralistes qui les surchargent sans bénéfice sur leur pertinence pour des jobs demandés par le marché du travail. A ce propos, tout le monde s’accorde, y compris en France, sur le fait que le système du baccalauréat, posé il y a deux siècles, est caduc et ne répond plus à la façon moderne d’acquérir le savoir. Mais personne n’ose le critiquer parce qu’il a pratiquement été  sanctifié  par le système éducatif français dont nous sommes en Afrique une victime collatérale. Au même âge ou presque d’autres systèmes sortent des étudiants aux grades d’ingénieurs opérationnels dans les unités industrielles.

 Impact de l’enseignement sur le travail de contrôle/audit chez nous

 Notre système éducatif récent a été posé par la France qui regardait d’abord, et elle n’est pas une exception en cela, comment servir ses propres intérêts et rien d’autre. Eduquer les marocains : oui, mais pour servir ce but uniquement. Travaillant dans une unité pharmaceutique de Casablanca dans les années quatre vingt, je me plaignais au Président de la difficulté de trouver des techniciens opérationnels, ce à quoi il m’avait répondu : « estimez vous heureux d’en trouver un. Il n’y a pas longtemps, je devais monter à Paris pour trouver une secrétaire qu’il fallait payer en devises ». A ce propos, une partie des étudiants marocains éduqués en France métropolitaine l’ont été avec l’idée de servir les intérêts exclusifs de la France une fois rentrés chez eux même s’il fallait, dans ce but, les rendre dépendants des services à la française. Les étudiants qui ont été formés dans d’autres pays européens ou en Amérique du nord en savent quelque chose pour avoir souffert, dans leur majorité, avant de décrocher une équivalence de leurs diplômes. Le résultat de cet effort prémédité et acharné, dont le seul but était de garder, au delà de l’éducation,  la main mise sur le secteur économique et commercial du Maroc, s’est occasionnellement accompagné par sorte de nivellement par le bas. Ainsi, certains comportements qui sont décriés ailleurs sont curieusement glorifiés chez nous. J’ai pu voir des primes offertes à des techniciens chargés du contrôle/qualité pour effectuer leur travail plus vite. Or, si dans une unité industrielle, une prime à la production est acceptable, une prime au travail de contrôle rapide est habituellement proscrite. Car si une erreur d’une production qui va vite est rattrapable par les services de contrôle, une erreur de ce dernier peut être une calamité pour le consommateur. Ainsi, parmi toutes les unités pharmaceutiques existantes en ce temps au Royaume, seul Hoechst-Polymedic avait, à ma connaissance, un service de contrôle qualité élevé au rang de direction et dont le responsable avait par conséquent le même grade que le directeur de production et pouvait, le cas échéant, lui tenir tête. Dans les autres unités, de commettants essentiellement français, le travail de contrôle qualité était ravalé au rang d’un simple service rattaché, au gré des humeurs, au département de production, d’achat ou autre et aurait eu bien du mal à arrêter l’écoulement d’un produit pharmaceutique une fois fabriqué ! En fait, cette question a-t-elle jamais figuré à l’ordre du jour de l’AMIP (Association Marocaine de Production des Médicaments), bien malin qui peut le dire !

 Il me revient, en guise de conclusion, cette image où je me trouvais, en 2001, à Nyon près de Genève, où j’avais emmené mes deux gosses pour une visite de routine chez un médecin. Mes enfants étaient seuls dans la salle d’attente et ils étaient très étonnés pour n’avoir jamais vécu une telle expérience (être à deux dans toute une salle d’attente d’un médecin) auparavant au Maroc. Ils en étaient presque à m’en vouloir de leur avoir choisi un tel médecin. Car « plus le nombre de patient en attente est élevé, des dizaines parfois, plus  la côte du médecin est élevée ». J’ai dû expliquer que le médecin doit faire un travail et que les autorités compétentes suisses, la France métropolitaine également, considèrent que pour cela, il doit réserver une moyenne de temps de quinze à vingt minutes par patient pour être conforme aux règles. Dans le cas contraire, réputation lui sera faite de négligence au travail et personne ne viendra effectuer des visites chez lui. Encore une idée bloquée à ce jour à l’entrée du Bureau de l’Ordre National des Médecins du Maroc.