A l’origine, la réglementation nationale sur la sécurité sanitaire des aliments était bicéphale. Les services de la répression des fraudes s’occupaient du marché intérieur et l’EACCE (Etablissement Autonome de Contrôle et de Coordination des Exportations) s’assurait de la qualité des produits alimentaires vers l’Europe, soit essentiellement vers la France à laquelle revient le « démérite » d’avoir imposé au Maroc la mise en place de cet organisme. En somme, les marocains devaient consommer ce qu’on leur offrait alors qu’on mettait à la disposition des européens le privilège d’effectuer des choix. Dans ce contexte, la promulgation de la loi 28-07 sur la sécurité sanitaire des aliments était un grand progrès en imposant les mêmes règles à respecter par les exploitants indépendamment de la destination des denrées produites, pour le marché local ou pour l’export. En conséquence, il n’y a plus de raison valable pour justifier le maintien de l’EACCE. Mais s’il est encore là, il est hautement probable, selon mon appréciation, que ce soit suite à la volonté de donneurs d’ordres étrangers, la France en particulier, qui doit insister pour que l’EACCE reste son interlocuteur de référence pour les produits exportés. Cet état des choses nuit à nos efforts pour la mise à niveau du secteur agro-industriel national et sabote l’image de marque que nous voulons brandir comme modèle pour servir les intérêts des autres pays africains. Dans le même temps, selon une approche sournoise et assassine, cette manière de faire freine de façon dangereuse, voir existentielle, les efforts du Maroc dans sa quête de jouer un rôle positif pour le continent africain sur le plan de la valorisation des produits agroindustriels qui constitue l’un des principaux moteurs potentiels sur laquelle veulent compter les pays africains pour sortir du sous-développement.
Avant l’avènement du HACCP (Hazard Analysis Critical Control Points), la qualité des aliments était « mesurée » par une approche qu’on désignait de « contrôle par échantillonnage » : Après avoir produit (fabriqué) un aliment, des échantillons étaient prélevées et contrôlés sur le plan physico-chimique et microbiologique (comprenant des tests qu’on désigne habituellement de tests de stabilité) et si les contrôles réglementaires étaient satisfaisants, les produit étaient comme on dit « débloqués ». Mais l’expérience, à l’échelle mondiale, a montré, entre autre chose, que l’écrasante majorité des produits finis étaient « débloqués » après les contrôles par échantillonnage. Par exemple, les industriels refaisaient plusieurs fois les contrôles et gardaient dans leurs archives seulement les analyses qui ont donné les résultats souhaités pour justifier la libération de leurs produits dans le commerce. Pour cette raison, la nouvelle réglementation marocaine, à l’instar des autres lois à l’échelle de la planète, a adopté le HACCP comme nouvel étalon de mesure de la qualité des produits alimentaires. En clair, la loi 28-07 impose aux exploitants la mise en place de l’autocontrôle (de produits alimentaires qu’ils fabriquent) selon une approche du HACCP dans leurs unités de préparation et/ou de traitement des aliments. Ce principe, appliqué aux industriels de la conserve, implique que ces exploitants doivent, entre autre, définir par un expert habilité un barème de stérilisation de leur produit conforme aux exigences requises sous ce rapport et garder dans leurs archives, durant la vie commerciale du produit commercialisé, le dossier de fabrication entier de l’aliment en question pour montrer aux autorités compétentes en cas de besoin (Cette exigence est d’ailleurs du même niveau que celle imposée aux industriels du médicament par le Ministère de la Santé). Bien évidemment, parmi les éléments qui figurent habituellement dans le dossier de fabrication il y a les paramètres qui concernent les différents étalonnages et les opérations de nettoyage et de maintien des autoclaves pour un travail propre.
Sur un autre plan, il n’y a pas à présent d’obligation réglementaire des industriels de l’agroalimentaire de recruter un (ou plusieurs dépendant de la taille de l’unité) ingénieur diplômé dans leurs entreprises (une unité pharmaceutique ne pourrait pas être autorisée sans le recrutement de pharmaciens) comme c’est le cas dans les autres pays du monde auxquels nous nous comparons. Comme conséquence, les exploitants peuvent parfois être négligents sur le plan de la maintenance par exemple. A ce propos, les industriels marocains (les plus nombreux) qui travaillent avec des autoclaves de type « Barriquand » (autoclave à haute pression qui fait ruisseler de l’eau chaude par des orifices aménagés dans l’équipement sur les boites de conserve pour les stériliser), qui négligent les opérations de maintenance (et il en existe) peuvent voir certains orifices de ruissellement d’eau être bouchés par la graisse qui s’accumule par le travail répété sur du poisson ou olives ou autres produits qui génèrent des substances graisseuses. Les boites de conserves qui se trouvent alors en dessous des orifices bouchés ne reçoivent pas, ou pas suffisamment, de chaleur pour stériliser le produit ce qui conduit plus tard à des gonflements de boites par développement microbien. L’acheteur européen éventuel d’une telle marchandise fait la remarque aux autorités de son pays qui répercutent l’observation à leur tour sur l’EACCE. Nous comprenons tous à présent que quelque chose ne va pas au niveau de l’usine qui doit être corrigée et il y a deux manières de procéder. La première, rationnelle et professionnelle, consiste à passer en revue (comme cela est préconisé par le HACCP) l’ensemble des éléments du procédé de fabrication jusqu’à mettre le doigt sur l’élément (un ou plusieurs) défaillant et le corriger. La deuxième approche, que je qualifie de « contrôle de rente » consiste à ordonner à l’industriel de garder le produit fini à son niveau pour quelques semaines, le temps de visualiser si des boites mal stérilisées gonfleraient qu’il se doit alors de mettre de côté pour destruction et de ne présenter à l’EACCE que les boites qui « se seraient bien comportées ». Dans ce jeux malsain, l’industriel aura perdu jusqu’à un mois d’attente pour vendre sa marchandise ou bien, dans l’autre sens, ne saura jamais d’où vient le problème. Les donneurs d’ordre auront trouvé matière à maintenir leur suspicion sur le « Made in Morocco » et les fonctionnaires de l’EACCE auront une fois encore trouvé un moyen ringard pour faire faire, de façon médiocre, leur travail par les exploitants en les rendant du même coup encore moins compétitifs.