La nébuleuse des accréditations au service de l’UE agricole

Il y a environ une dizaine d’années, j’ai été amené à donner un avis, sur demande d’une unité agroalimentaire de Fès (mes archives), à laquelle l’USFDA (Agence américaine de contrôle des aliments et des médicaments) avait refusé l’enregistrement de l’un de ses produits à l’export et lui avait retourné le dossier reçu dans ce but. La procédure FDA en vigueur veut que l’unité industrielle charge une personne désignée (expert) auquel la société délègue la qualité d’effectuer les formalités d’enregistrement de produits en son nom auprès de l’agence fédérale. L’original du document de délégation de pouvoir doit être adressé en même tant que le dossier d’enregistrement renseigné. En l’occurrence, pour des considérations obscures, cette délégation (conduite en dehors des formes requises) avait été faite à un fonctionnaire de l’EACCE (Etablissement Autonome de Contrôle et Coordination des Exportations) lequel, au lieu de mettre son nom et sa qualité sur le dossier d’enregistrement comme l’exige la réglementation en question, avait indiqué en lieu et place le nom de l’EACCE. Il  pensait vraisemblablement, peut-être par analogie des contacts que ces gens ont avec leurs homologues de l’autre côté de la méditerranée, qu’il avait là un atout à jouer. De plus, l’examen de comment le dossier était renseigné montrait à l’évidence que le fonctionnaire en question était novice pour une telle démarche. Ceci ajouté à cela a fait que le dossier en question a été rejeté par l’agence américaine et la société devait, dans une position désagréable, reprendre le processus depuis le départ. Il y a lieu de noter que la FDA indique sur son site qu’elle se réserve le droit de poursuivre en justice toute personne qui se rend coupable de lui adresser un dossier frauduleux. Dans le cas qui nous occupe, l’Etat marocain, par la légèreté d’un fonctionnaire inconscient, devient susceptible d’être poursuivi en justice par les autorités américaines.

La FDA est plus que centenaire à présent et, au lendemain la deuxième guerre mondiale, a assisté nombre d’agences de réglementations de pays européens qui avaient, pour partie d’entre eux, perdu leurs archives et protocoles, à reprendre leurs activités sur des bases correctes. C’est probablement pour cette raison que, au moment de mettre sur pied leur propre agence EFSA (European Food Safety Agency), Monsieur Romano Prodi, président de la commission UE à l’époque, a fait le déplacement à Washington pour voir et s’inspirer de l’expérience FDA. Mais si le consensus de mettre l’EFSA en œuvre était acquis, les pays européens étaient loin d’être d’accord sur de nombreux points à commencer par où mettre le siège de l’organisme européen. Les français ont défendu farouchement leur vue d’avoir un siège français pour l’agence. Le fait est que les italiens (romains) ont été précurseurs, des siècles avant Paris, pour ce qui relève de la réglementation alimentaire. Mais si le bon sens et la logique ont prévalu par l’attribution du siège de l’EFSA à Parme en Italie, les français ont donné depuis lors des signes d’agacement qui confinent à la marginalisation de cette agence pour ce qui les concerne et, à ce jour, préfèrent chaque fois qu’ils le peuvent mettre en avant sorte de préséance de leurs agences réglementaires nationales sur celle de l’agence européenne. Sachant que les français sont foncièrement cartésiens, la question se pose pourquoi l’aveuglement cette fois. La réponse pourrait bien venir du fait que « la jouer cartésien » en les circonstances entraînerait des risques pour le prestige de la France au niveau de ses anciennes colonies, toute l’Afrique francophone pour ce qui nous concerne, devant lesquels la Métropole coloniale a glorifié pendant des siècles la prééminence de l’expertise et du savoir-faire français sur ceux dans le reste du monde. En effet, à supposer que la France joue le jeu de promouvoir la position de l’EFSA, comme cela est requis selon les traités de l’Union, cela signifie que les prestataires de service français, qui abondent sous nos latitudes, doivent promouvoir l’image de l’EFSA en priorité. Mais alors, une fois ce travail de promotion fait, un prestataire de service de n’importe quel autre pays de l’UE pourrait faire l’affaire pour, par exemple,  prendre en charge des dossiers d’export de produits alimentaires vers l’UE. La France, sur ce qu’elle considère comme son « son pré carré » de pays africains, qu’elle répugne à considérer aujourd’hui encore autrement que comme des « DOM-TOM » (mes archives), se retrouverait à faire un travail qui bénéficierait aux citoyens européens avant ses nationaux sans rien en retour pour ces derniers. En tout état de cause, cela ne correspond pas à l’image que la Métropole a construite d’elle-même depuis des siècles auprès de ses ex-colonies. Il y a donc blocage. Cela tranche évidemment avec les prestataires américains qui promeuvent la réglementation FDA quel que soit l’Etat de l’Union auquel ils appartiennent. Mais si on considère la question sous un autre angle de vue, nous avons une autre image. Car si les règles FDA doivent être respectées pour l’entrée d’une marchandise sur le marché américain, et peu importe le port d’entrée ; s’agissant de l’UE, c’est la réglementation du pays qui reçoit le premier la marchandise qui prime. Comme la plus part des marchandises de l’Afrique francophone qui vont vers l’UE aboutissent vers, ou transitent par, la France, la Métropole a, financièrement parlant, tout à gagner à continuer de mettre en avant sa réglementation propre avant celle des autres. Mais ses partenaires européens observent la démarche et se disent si la France met en avant ses réglementations nationales pourquoi pas nous. Bien évidemment, le choix entre mettre en avant la réglementation EFSA ou bien nationale est cornélien pour tout le monde. C’est, selon toute vraisemblance, pour « résoudre » ce conundrum propre à la cacophonie horizontale qui caractérise les lois et règlements de l’UE qu’un consensus tacite s’est forgé pour la promotion massive de prestataires de service privés en Afrique. Sur tout le continent, nous avons à présent des bureaux de consultance, majoritairement français mais également d’autres pays de l’UE, qui sont prêts à vous certifier tout ce que vous voulez et son contraire pour peu que vous ayez de quoi payer. Ils ont en commun d’être tous accrédités, moyennant finance, par un organisme ou un autre de leur propre pays, s’arrangent pour n’être comptables de leurs actes devant qui que ce soit, et en tout cas pas devant les juridictions des pays africains où ils gagnent leur argent. Ils ont également la solidarité de groupe des pays de l’UE pour bloquer tout produit qui ne serait pas certifié par l’un ou l’autre de ces agents parfaitement instruits. Cerise sur le gâteau, c’est l’EACCE chez nous, vestige du protectorat, dont on a simplement procéder au changement de l’intitulé,  qui doit veiller à l’application de ces exigences que l’UE agricole nous impose en dehors des standards de référence pour le commerce international.

Un exemple, tiré de mes archives, illustre bien l’anarchie, et l’absence de crédibilité, de bureaux qui s’activent chez nous, et certainement dans d’autres pas d’Afrique, dans le domaine de la certification et qui se servent au Maroc de l’EACCE pour leur dessein. Il y a quelques années, un opérateur de Marrakech avait demandé mon assistance pour la certification de son huile d’argan grade alimentaire. Le Maroc dispose, une fois n’est pas coutume, d’une norme pour cet article. Durant mon séjour de travail, l’opérateur m’apprend, en substance, qu’il exporte déjà le produit qu’il voulait certifier mais sous  « label cosmétique ». Devant mon étonnement, il m’informe que l’astuce lui avait été soufflée, moyennant finance, par son consultant français (en même temps certificateur) qui avait arrangé la combine avec l’importateur qui changeait simplement l’étiquetage après la réception du produit en France. Exporté sous label cosmétique (pour la forme), le produit devient alors alimentaire. A ma question sur le rôle de l’EACCE dans tout cela, sa réponse était que quand les responsables de l’organisme en question voient la signature d’un certificateur français, le produit passe comme une lettre à la poste.

A présent, la lecture comparée du site http://www.onssa.gov.ma/, de l’ONSSA (Office National de Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires) et du site http://www.eacce.org.ma/, de  l’EACCE, montre clairement, s’agissant de la vérification de la qualité et de la salubrité des produits alimentaires, des prérogatives qui chevauchent parfaitement. Le problème est que l’action de l’EACCE intervient après celle de l’ONSSA, au moment de préparation de l’opération d’export. Alors, quel que soit l’angle de vue par lequel on peut considérer cet imbroglio, il ressort que l’intervention de l’EACCE amoindrit les prérogatives de l’ONSSA et, par voie de conséquence, heurte de front la loi même qui met toute la chaine alimentaire nationale sous l’autorité de l’ONSSA. A moins de considérer que, contrairement à l’esprit et la lettre de la loi 28-07 de sécurité sanitaire des produits alimentaires en vigueur, les opérateurs du secteur agroalimentaire préparent des produits pour nous marocains pour lesquels l’avis de l’ONSSA est suffisant et d’autres prévus pour l’export pour lesquels le « super-avis » de l’EACCE est prépondérant. Si tel était le cas, cette vision aurait au moins le mérite d’être en cohérence avec l’arrêté viziriel de 1944 instituant le « Contrôle Technique de la Fabrication, du Conditionnement et de l’Exportation Marocaine » (mission d’origine de l’actuel EACCE).