La semaine dernière s’est ouvert à Casablanca le salon des produits Halal. Un des chapitres traités lors de cette manifestation, qui figure sur le programme, était intitulé : « certificateurs/Accompagnateurs, des missions à distinguer ». Cet article essaie de voir s’il existe des raisons objectives pour rendre ces taches indépendantes l’une de l’autre et, si ce n’était pas le cas, pourquoi diable insiste-t-on tant pour séparer des opérations qui se soutiennent l’une l’autre parce que intimement liées.
Préambule
A la fin des années soixante dix du siècle passé, alors que je travaillais comme assistant à l’Institut de pharmacologie expérimentale de Lausanne, j’avais reçu un appel téléphonique du Professeur cardiologue Ben Omar, que je n’avais encore jamais rencontré, de la Faculté de médecine de Rabat intéressé alors, notamment, de monter un laboratoire de dosage d’hormones du système rénine angiotensine au sein de l’hôpital Avicenne (système sur lequel je travaillais en ces temps là). En consultant les « current contents » de l’époque pour me faire une idée sur les travaux de Monsieur Ben Omar, je suis tombé par hasard sur une « lettre ouverte » dans une édition du journal de physiologie (de langue française) d’un chercheur du CNRS à l’adresse de ses collègues français. Il leur reprochait de publier leurs articles dans des revues scientifiques anglo-saxonnes et se lamentait de ce que le journal sus-évoqué devenait essentiellement une tribune pour des chercheurs africains ! Le professeur Ben Omar y signait justement, avec sept membres de son équipe, un petit article de leur travail. J’ai retenu deux enseignements de la lecture de la lettre en question : D’abord que les chercheurs scientifiques français sont bien conscients que pour être pris au sérieux, leurs articles doivent être publiés dans des revues édités en anglais. Ensuite, pour des considérations de prestige liées à la francophonie, l’attitude officielle française devait continuer à promouvoir, en Afrique surtout, l’importance planétaire des publications scientifiques francophones.
Exégèse
Les journaux scientifiques servent, entre autres, à communiquer les résultats de recherches entre gens de la même profession et au-delà. Si les mêmes observations sont faites de manières indépendantes par différents chercheurs, cela conduit à la validation des résultats rapportés, ce qui élève ces trouvailles au statut de références reconnues. Ce sont de tels résultats, apparus d’abord dans des revues scientifiques spécialisées, qui servent ensuite de base à la rédaction de référentiels telles des normes ISO et autres. En raison du fait que la plupart des journaux scientifiques qui comptent sont à l’origine édités en anglais, il s’en suit que les référentiels qui s’en inspirent le sont également. Toutefois, les référentiels, construits selon une approche aussi rigoureuse, restent une minorité à côté du nombre incommensurable de toutes sortes de protocoles et autres recommandations de travail qui sortent d’on ne sait où, qui n’ont que l’apparence de la rigueur et dont les motifs de promotion sont souvent d’ordre purement commercial. Notre opinion est que la distinction, dans le cadre d’une mise à niveau réglementaire des entreprises, entre ce qui revient à l’accompagnement, relevant d’une responsabilité différente de celle appartenant à la certification, tient de la distorsion des Bonnes Pratiques dans un but purement commercial.
Rappel sur la démarche de certification
La Certification, pour le domaine agroalimentaire, fait référence à la confirmation de caractéristiques, spécifiées dans un référentiel donné, afférentes à la conduite d’un travail ou bien définissant un produit donné. Cette démarche implique qu’une autorité reconnue pour son domaine d’intervention va, d’une manière ou d’une autre, tester les compétences ou les performances d’une entité ou bien de ses produits pour en confirmer les qualités au référentiel en question. L’autorité de certification a latitude pour choisir le protocole approprié lui permettant de confirmer l’aptitude de l’entité examinée à mériter l’honneur de la certification requise. La responsabilité du certificateur est donc pleine et entière sur tout le processus de certification depuis son initiation jusqu’à son terme, à savoir la délivrance du document attendu. C’est cette période, de préparation d’une candidature à la certification, que l’on vise habituellement par le terme d’accompagnement.
Certification ou Accompagnement : le Distinguo
Dans le passé, j’ai collaboré avec un grand Cabinet d’audit et certification américain pour de nombreuses années. A l’instar d’autres Cabinets du même genre, ces professionnels assurent l’opération d’assistance de l’entreprise requérante couvrant la période d’accompagnement et se terminant par l’octroi mérité du document de certification et assument la responsabilité de leurs interventions sur l’ensemble des segments qui articulent ce travail. Ceci n’est apparemment pas le cas pour certains certificateurs européens, français généralement, qui exercent leur activité dans le secteur agroalimentaire marocain. Sous ce rapport, lors du dernier Salon dédié aux produits Halal qui s’est tenu à Casablanca, la matinée du 26 Septembre était justement consacrée au Thème : « Certificateurs/Accompagnateurs, des missions à distinguer ». En réalité, j’ai déjà entendu ce type de distinction à plusieurs reprises lors de mes visites de travail avec les exploitants à travers le Royaume. Les accompagnateurs, généralement des professionnels locaux, sont sélectionnés parfois sur des critères purement administratifs, voir ésotériques, pour effectuer le travail d’accompagnement sur une certaine durée, fixée peut être selon le même mode aléatoire, ensuite de quoi, il est fait appel à un « certificateur », évoqué plus haut, pour sanctionner le parcours d’accompagnement par le document de certification. D’aucuns se poseront la question : mais pourquoi cette distinction de la mission d’accompagnateur de celle de certificateur ? J’en vois personnellement deux. La première, facilement vérifiable, est que la rémunération, ramenée à la somme des journées de travail, est tout à fait dérisoire pour ce que perçoit l’encadrant local par rapport à ce qui est accordé au certificateur européen. S’agissant d’expertises dans le domaine agroalimentaire marocain, ce type de subterfuge, selon notre avis, a largement été utilisé dans les enveloppes d’« aides » de programmes MEDA où l’argent versé servait principalement à payer les experts européens pour des résultats de leurs interventions tout sauf tangibles. La deuxième raison est plus subtile. En effet, la hantise d’un expert est de se voir reprocher d’être incompétent par la remise, par exemple, d’un certificat de complaisance. Avec ce système où l’expert européen sus visé a créé un paravent, à savoir sa « dépendance » de l’avis d’accompagnateurs qu’il place « hors de sa responsabilité », où il peut se réfugier à loisir pour justifier toute défaillance imputable sinon directement à son travail, il peut récolter de l’argent à foison en gardant sa réputation intouchable en toute circonstance. Donc, comme on dit : « le beurre et l’argent du beurre ».
Commentaire et conclusion
Ce qui est surprenant dans tout cela c’est le silence total de l’ONSSA, le gendarme national sur le domaine agroalimentaire comprenant le travail d’expertise dans le secteur. Quand il y a une anomalie qui touche le secteur agroalimentaire américain, par exemple, dont les conséquences pourraient être ressenties négativement par les opérateurs, la FDA n’hésite pas à intervenir pour alerter sur les travers éventuels et corriger la perception chez les exploitants. Ces travers sont nombreux chez nous (voir les autres articles de ce blog) mais l’ONSSA parait comme léthargique face à tout cela. Ceci étant, nous savons, de par notre activité liée au secteur agroalimentaire national, que les fonctionnaires de cet organisme rendent des visites une fois par mois, à tout le moins, aux différents sites des exploitants nationaux. Parmi les exploitants, il y en a qui gardent les noms des fonctionnaires reçus, leurs numéros de portables et d’autres annotations confidentielles. Les industriels, qui appréhendent ces fonctionnaires au lieu de les respecter, confirment que ces délégués de l’ONSSA viennent leur faire des visites de courtoisie rapides mais n’ont pas le temps de leur parler de la nouvelle réglementation ou d’autres informations en relation avec leurs préoccupations industrielles. On reste sur sa fin quand on leur demande mais pourquoi ils viennent alors ? Les fonctionnaires, eux, doivent bien le savoir.