Loi 28-07 entre théorie et pratique

Ces derniers temps, de nombreuses sources confirment la délégation par les instances étatiques concernées, au départ sur simple décision d’un service du Ministère de l’Agriculture, des opérations de prélèvements de produits alimentaires à des entités privées qui remettent ensuite les échantillons pour les contrôles analytiques aux laboratoires officiels de l’Etat. Cet article a pour but de décrypter ce qu’une telle initiative inédite peut bien cacher ainsi que les incidences éventuelles sur la validité réglementaire et légale des Bulletins d’Analyses (BA) qui en résultent.

 Rappel sur le b.a.-ba du travail de laboratoire

 Un laboratoire d’analyses de produits alimentaires effectue généralement deux types d’analyses. Celles dites de physico-chimie et celles relevant du domaine de la microbiologie. Les analyses mêmes sont conduites selon des protocoles réglementaires préétablis. Les résultats obtenus sont habituellement remis au chef de section (microbiologie ou physicochimie) qui les endosse à son tour avant de les remettre à la hiérarchie pour la réalisation du BA proprement dit signé par un responsable diplômé et qualifié. L’échantillon (ou plusieurs) analysé a bien sûr été prélevé auparavant par un technicien préleveur dans un endroit parfois très éloigné du laboratoire où il est contrôlé. Sous ce rapport, alors que le contrôle analytique se déroule dans un laboratoire, lieu prévu et équipé pour ce travail, le prélèvement lui peut avoir lieu dans toutes sortes d’endroits. Par conséquent, cette opération doit être préparée minutieusement pour ne pas fausser les résultats d’analyses et l’interprétation qui s’en suit dans le BA. La mission de prélèvement est donc une étape très sensible des opérations d’examen et contrôle de l’échantillon et doit être effectuée par une personne, relativement jeune et en bonne santé, parfaitement qualifiée pour ce type de travail. Habituellement, le préleveur est un technicien expérimenté qui connait le mieux les particularités des matières et/ou produits à prélever pour éviter de les dénaturer lors de l’exécution du prélèvement ou bien pendant l’entreposage et/ou le transport de l’échantillon en attente des analyses.

 Conduite des opérations d’analyses sous la loi abrogée « 13-83 »

 La loi 13-83, aujourd’hui abrogée et remplacée par la loi 28-07, confiait le prélèvement des échantillons de produits à analyser aux services de la répression des fraudes. Les fonctionnaires de ces services étaient totalement indépendants des laboratoires officiels et notamment du Laboratoire Officiel d’Analyses et de Recherches Chimiques (LOARC). Des documents dans nos archives montrent que nombre de ces fonctionnaires ignoraient beaucoup de la spécificité du travail de prélèvement ce qui a certainement dû, avant l’année 2000, impacter de manière défavorable des résultats d’analyses des échantillons examinés à l’époque. J’ai eu l’occasion, lors d’opérations de contre-expertises, qui m’avaient été demandées par la justice, d’évoquer cette question avec les responsables des laboratoires officiels dont le LOARC. Leur réponse était toujours la même : « Nous ne sommes pas responsables des échantillons qui nous sont remis ». Cela voulait dire deux choses : 1) Que les résultats remis par le LOARC ne souffraient pas de doute et 2) Au cas où il y aurait eu un doute, il fallait le régler avec les « fonctionnaires » préleveurs qui peuvent s’être trompés et avoir remis au laboratoire officiel un « mauvais échantillon » (Valeur d’aujourd’hui, s’il y a litige, le propriétaire d’une marchandise doit le régler avec l’entité responsable des prélèvements). Des entreprises avaient essayé de porter plainte au tribunal contre les services de la répression des fraudes mais sans succès. En effet, le BA, source de leurs ennuis, était entièrement libellé par le LOARC et rien ou presque n’était dit sur le travail des « fonctionnaires préleveurs ». En somme, en scindant la responsabilité sur les opérations de prélèvements de celle sur le travail de contrôle analytique, tout était fait pour garder les coudées franches, au laboratoire officiel d’un côté et aux fonctionnaires de la répression des fraudes de l’autre, sur la maitrise totale du flux des marchandises vers l’intérieur et l’extérieur du Royaume et, dans le même temps, rendre pratiquement impossible l’aboutissement de quelque réclamation que ce soit de la part d’un opérateur lésé.

 Le contrôle selon la loi 28-07

 La loi 28-07 de sécurité sanitaire des aliments, et les textes pour son application, actuellement en vigueur, conçoit, à l’instar des réglementations de pays avancés, les opérations d’examens et d’analyses comme un « tout indivisible » comprenant aussi bien les opérations de prélèvement que celles d’analyses au laboratoire. Ainsi, par sa signature en bas du BA, le responsable du laboratoire officiel de l’Etat (ou un autre), endosse la responsabilité sur l’intégralité des opérations commençant par celles de prélèvement, passant par les analyses au laboratoire et se terminant par l’édition dûment signée du BA sur l’échantillon en tant «que « représentant » du lot de marchandise. Il y a lieu de comprendre qu’en cas d’un différend, la responsabilité du laboratoire est pleine et entière sur l’ensemble des opérations indiquées ci-dessus.

 Quid de l’application de la loi 28-07

 Les informations recoupées à partir de plusieurs sources montrent que les prélèvements effectués ces jours sur des marchandises à l’import et/ou à l’export à partir de Casablanca, analysés ensuite par l’un ou l’autre des laboratoires officiels de l’Etat,  sont à présent confiés à des sociétés privées, par décision « souveraine » d’un service du Ministère de l’Agriculture. Parmi les responsables de ces sociétés, certains ont fait carrière sous la bannière de la défunte loi répressive « 13-83 » avant de prendre leur retraite. Ce blog ne possède pas d’information sur comment un tel privilège et une telle charge ont été transférés du public au privé et dans quelles circonstances. En attendant plus d’éléments sur ce qui semble être une transaction, il est possible d’en tirer deux significations : 1) Selon notre perception des choses, les responsables étatiques derrière cette initiative compliquent la tâche du Royaume à jouer la transparence dans l’exécution des opérations d’analyses et expertises et à traiter les intérêts des investisseurs étrangers intéressés à venir travailler au Maroc de manière égalitaire. Ensuite 2) En confiant les opérations de prélèvement à une société indépendante du laboratoire responsable des analyses qui suivront, les amateurs des opérations d’Assurance / Qualité, qui ont pris cette décision, décrédibilisent la réglementation nationale en vigueur, eux qui sont supposés veiller à son application, en considérant de fait que les opérations de prélèvements, qui peuvent impacter les résultats d’analyses, ne sont finalement pas de leur responsabilité mais plutôt d’une autre société indépendante ! Il est vrai qu’en cas de litige sur les résultats d’un BA, avec ce système de séparation arbitraire de l’acte de prélèvement des autres opérations d’analyses et de contrôle, un propriétaire lésé sur une marchandise aura toutes les peines du monde à recouvrer ses droits. Parce qu’il lui faudra beaucoup de temps (dont les hommes d’affaires manquent généralement), d’argent et de patience pour éventuellement mettre le doigt sur un responsable d’une négligence quelconque. C’est probablement le but visé par ceux qui sont derrière cette manipulation illégitime de la loi. C’était la situation sous l’ancienne « loi 13-83 » qui a fait fuir à l’époque la plupart des industriels étrangers intéressés d’investir au Royaume.

 Il n’y a pas, en guise de conclusion, à s’alarmer plus que ça. Il reste que le LOARC a contribué par sa faute à envoyer en prison une personne pour une année de sa vie il y a 18 ans de cela parce que ce laboratoire n’a pas su distinguer une bière alcoolisée de celle qui ne l’est pas. Ce même laboratoire, juste dernièrement, a été incapable de différencier, malgré les accréditations dont il dispose, une purée d’un jus de fruit concentré affaiblissant de facto la position des industriels marocains vis-à-vis de leurs compétiteurs étrangers (et cette liste de grosses erreurs documentées peut être allongée au besoin). Alors si, parmi les gens qui ont reçu délégation (de ce service ministériel dans des conditions olé olé) d’effectuer des prélèvements, il y a des responsables retraités comme ceux évoqués ci-dessus, qui géreront dorénavant en amont les flux de marchandises vers l’intérieur et l’extérieur du Royaume, le Directeur Général de l’ONSSA devrait effectivement se faire du souci à l’avenir. Peut être davantage encore, selon notre opinion, pour les produits que ces gens peuvent contribuer à laisser passer chez nous que les marchandises qui seront refoulées.