Dans les années quatre vingt dix, la Cour d’Appel de Casablanca avait requis mon avis d’expert dans un dossier où les services de la répression des fraudes accusaient une multinationale de vendre des savonnettes à l’huile d’olive qui n’en contenaient pas. De l’huile d’olive, il y en avait pourtant dans les lots de fabrication mais à des quantités tellement faibles qu’elles passaient inaperçues pour les techniques usuelles de contrôle de laboratoire. En tout état de cause, cela contredisait le message subliminal véhiculé par l’image d’une branche d’olive occupant le plus grand espace de la face principale de l’emballage de la savonnette cherchant supposément à indiquer que l’huile était ajoutée généreusement. Aux Etats Unis, où la loi réglemente l’étiquetage de manière draconienne, l’attitude de la société aurait sans doute été considérée comme une transgression à sanctionner. Mais chez nous, la publicité mensongère est loin de constituer une préoccupation immédiate aux yeux de la réglementation en vigueur. Pour cette raison sans doute, il n’est pas rare de constater que des spots publicitaires jugés mensongers dans d’autres pays sont acceptés par les grands médias audiovisuels marocains pour passages aux heures de grandes écoutes sans que personne n’y trouve à redire. Cet article évoque quelques facettes de la publicité abusive et voit s’il y a moyen de faire améliorer les choses tout de même.
Publicité et Loi
Le principe de base des lois sur la sécurité sanitaire des aliments est le même à travers le monde : le fournisseur a l’obligation de mettre sur le marché des produits salubres. Mais l’évaluation même de la salubrité varie en fonction de nombreux paramètres connus pour certains ou moins bien maitrisés pour d’autres. Par exemple, dans les années cinquante, la publicité sur la cigarette (produit non alimentaire) associait sa consommation à de meilleurs rendements sportifs ! Qui pourrait croire une telle sottise aujourd’hui ? Certaines boissons gazeuses mondialement connues prétendaient étancher la soif. Aujourd’hui, de nombreuses réglementations reconnaissent que plutôt, ces boissons sont conçues pour aviver la soif. La publicité sur ces articles n’a pourtant pas cessé pour autant, mais les slogans utilisés eux ont été reconçus pour mieux se faufiler aux travers des mailles de la loi. Car en définitive, le consommateur que la loi cherche à protéger des abus est celui là même que l’industriel veut s’approprier par des messages publicitaires de plus en plus élaborés. Quand la réglementation consacre cent dirhams pour prémunir le client, l’industriel affecte dix mille dirhams en lieu et place pour convaincre le même client d’acheter. La lutte est définitivement inégale.
Sophistication du message publicitaire
Depuis la chute du communisme, les nouveaux pays qui optent pour une économie libérale ne cessent d’augmenter et cette multiplication est naturellement accompagnée par la naissance de nouvelles zones industrielles, agroalimentaires notamment, qui cherchent à émerger et pérenniser leurs activités sur le marché globalisé. D’une manière ou d’une autre, tous ces gens utilisent la publicité comme moyen pour attirer davantage de consommateurs vers leurs produits. A un moment donné, la compétition devient féroce et le libellé du message publicitaire à l’adresse du consommateur à harponner devient un véritable facteur limitant qui doit être hautement étudié. Dans cette jungle où les slogans pullulent, mais où on n’est pas plus informé qu’avant, les consommateurs sont devenus malades de leur alimentation. Or, les caractéristiques récurrentes d’un malade est qu’il est méfiant sauf devant son médecin soignant. Il est possible que les industriels de l’agroalimentaire aient été rendus attentifs à ce constat et alors, dans le but de forcer la main aux clients à acheter leurs produits coûte que coûte, en sont venus à utiliser des moyens publicitaires jusque là réservés aux médicaments. La publicité sur un yogourt qui laisse entendre que la consommation régulière du produit peut régulariser un transit intestinal perturbé est à verser dans la rubrique de ces libellés qui flirtent avec la zone de fluctuation entre ce qui est alimentaire et ce qui est médicamenteux. Bien entendu, le consommateur lambda, généralement profane des questions de sciences, qui reçoit le message publicitaire, surtout suite à un repas copieux le soir d’un jour de Ramadan, et comprend qu’il peut rectifier sa « pathologie gastro-intestinale » en étant attablé chez lui simplement en consommant un yogourt, a toutes les chances de mordre comme il faut à l’hameçon publicitaire.
Commentaire
Il est généralement admis que si un produit pharmaceutique arrive à guérir plus de 85% des patients atteints d’une maladie déterminée, les vertus thérapeutiques source de la guérison sont reconnues par les instances réglementaires au médicament en question sous réserve, en particulier, que les effets indésirables soient également bien spécifiés et notifiés. Mais la fabrication d’un médicament requiert des investissements considérables en recherche et exige souvent beaucoup de patience sur le long processus qui mène parfois à la découverte de la molécule miracle qui rapportera le gros lot à la société pharmaceutique. Une fois tout ce chemin franchi avec succès, les substances peuvent être prescrites par le médecin traitant et le patient qui veut guérir n’a plus grand choix sinon de se conformer à ce que les professionnels lui recommandent comme produits à acheter. Arrivé en bout de course, l’industriel pharmaceutique, qui voit la vente de ses produits se faire de manière souple et sans entrave, peut bien évidemment exciter la convoitise de l’industriel agroalimentaire. Le problème est que les deux protagonistes ne courent pas du tout le même risque en plus du fait que transformer un aliment frais en produit industriel stable est, comparativement, accessible avec beaucoup moins de tracas. La question reste que les consommateurs sont malades de leur alimentation. A la base, il y a la multiplication des « Junk Food » (malbouffe), soupçonnés d’être à l’origine de nombreuses pathologies liées au diabète, obésité et autres maladies cardiovasculaires. Une solution serait, pour diminuer l’incidence de telles maladies d’origine alimentaire, de convaincre les industriels d’être plus regardants sur ce qu’ils ajoutent à la nourriture de masse. Mais ces gens ne sont réceptifs qu’au rendement économique de leur Business et rien d’autre et il leur semble bien plus indiqué d’envahir les plates bandes de la publicité pour produits médicamenteux pour forcer la main aux consommateurs réticents sur l’achat de leurs produits et faire ainsi augmenter leur chiffre d’affaire.
En guise de conclusion, quoiqu’une mise à niveau de notre arsenal juridique concernant la publicité sur les aliments soit en cours, le Maroc ferait bien de réfléchir, entre temps, à des mesures provisoires pour infléchir la vague de publicités mensongères qui infecte la plupart des médias nationaux. Cela peut être une idée de demander simplement, par exemple, si les spots publicitaires, que ces gens souhaitent passer sur les médias marocains, ont été refusés par un autre pays et pour quelle raison. S’il s’avère que cela a été le cas pour chevauchement sur le territoire de la santé, alors les orienter vers le Ministère de la santé pour avis. Cela en découragera sûrement quelques uns.