Les dessous de la Certification de « Produits BIO »

Le recours à l’usage intensif des pesticides dans l’agriculture au début du XXème siècle par les agro-industriels américains a permis de produire des fruits et légumes sans défaut visuel et donc attractifs aux yeux des consommateurs. Après la deuxième guerre mondiale, quand il a fallu amputer un grand nombre d’anciens ouvriers agricoles de l’un de leurs reins encrassés par des métaux lourds, on a compris à distance que le prix à payer pour obtenir des fruits de couleurs chatoyantes (par exemple) a été extrêmement élevé. Le monde académique a alors pris conscience de l’effort à faire pour limiter les effets, potentiellement dévastateurs, des molécules chimiques  servies dans le système agricole pour améliorer l’aspect et augmenter les rendements de l’agriculture dite moderne. Depuis, les intrants n’ont pas cessé de faire parler d’eux et, plus généralement, l’ensemble des produits chimiques retrouvés dans les aliments consommés, ajoutés intentionnellement ou non. Au tournant de l’année 2000, la panique liée à la « maladie de la  vache folle », entre autres, a constitué la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Dépités, les consommateurs, de plus en plus nombreux, ont commencé à chercher une alternative aux aliments produits industriellement. L’appel au retour à des pratiques agricoles plus saines, qui ont fait leurs preuves durant des siècles, sans ajouts de molécules chimiques de synthèse, s’est alors développé rapidement et de manière considérable. Nombreux parmi les pays dits développés ont été pris de court devant l’ampleur de protestation des consommateurs, en Europe tout particulièrement. L’absence d’une réglementation spécifique cohérente pour cerner la problématique de la production de « Produits alimentaires BIO » a fait basculer la gestion pratique du sujet entre les mains de sociétés privées lesquelles, depuis lors, rivalisent d’ingéniosité et de prétextes pour puiser profondément dans les poches des petits paysans et coopératives, africains pour ce qui nous concerne, sous couvert de valider la qualité de leurs « Produits BIO ». Dorénavant, il est presque impossible de commercialiser de tels produits sans passer par ces courtiers du mercantilisme agroalimentaire parfois aidés discrètement par leurs propres pays.

 Profil d’un  Produit BIO 

 Un produit alimentaire « BIO » est supposé être l’antithèse de produits alimentaires industriels, rejetés par les consommateurs suite à leur inquiétude des conséquences possibles de la consommation de tels aliments, qui contiennent, ou sont supposés contenir, toutes sortes d’éléments chimiques pour en améliore l’aspect, la consistance, la durée de vie et autres qualités d’essence commerciale. En Afrique, en général, et chez nous au Maroc en particulier, l’agriculture « BIO » peut sonner comme un euphémisme d’une agriculture de type vivrière pratiquée par de petits agriculteurs qui n’ont de toute façon pas les moyens d’acheter des intrants de synthèse et dont les produits sont vendus localement à l’état frais pour une consommation immédiate. Occasionnellement, ces mêmes produits frais sont triturés, dans le cadre de petites coopératives, selon des techniques ancestrales pour en faire des huiles ou autres extraits qui peuvent prolonger la durée de vie du produit de base sans altérer les valeurs nutritives de l’aliment considéré. Nous sommes, à ce stade, toujours dans le schéma directeur de fabrication de «Produits BIO ». Ce type d’agriculture a en fait pratiquement disparu dans les pays européens même si en cherchant bien, on peut encore trouver quelques exemples qui résistent ça et là. En somme, ce que les consommateurs européens, qui sont les plus ardents défenseurs de l’utilisation de «Produits BIO », voudraient, c’est conforter le mode de vie privilégié qu’ils ont en le supplémentant de la consommation de produits alimentaires sans risque qu’ils ne sont plus en mesure de produire sur leurs propres terres mais dont ils peuvent se procurer à volonté et très bon marché sur le continent africain ! Vu sous cet angle, les transactions commerciales de « Produits BIO » peuvent paraitre, a priori, comme potentiellement avantageuses pour les petits agriculteurs et coopératives africains ! En effet, le manque ou insuffisance d’infrastructures et d’industries sur le continent a, si l’on peut dire, « protégé » de très nombreux pays africains de la pollution que connait l’Europe et, en conséquence, rend l’immense majorité des agriculteurs africains éligibles au Statut de producteurs d’« Aliments BIO ». L’équation parait au premier abord simple à gérer. De petits paysans d’un côté facilement identifiables pouvant éventuellement être regroupés en coopératives et, de l’autre, des consommateurs européens (ou autres) prêts à acquérir le produit à un prix au dessus du prix d’un article équivalent fabriqué industriellement. Avec une « médiation » appropriée des pouvoirs publics, les consommateurs de la rive nord de la  méditerranée et les producteurs visés de la rive sud gagneraient tous les deux. Mais c’est trop beau pour être réaliste.

 Eclairage

 Il y a quelque temps, lors d’une visite groupée du Canton de Fribourg en Suisse, le guide nous a expliqué que les habitants des anciens temps d’un village haut perché sur une colline gagnaient leur vie en soumettant à une dime tous les commerçants empruntant le chemin serpentant au bas de la colline, passage obligé pour le transit des marchandises vers les pays du Nord. Autrement, ils bloquaient l’accès en lâchant de grosses pierres pour fermer le passage. Ces gens n’apportaient aucune valeur ajoutée à la marchandise qui transitait mais profitaient seulement de leur position pour extorquer aux marchands partie de leur bien. Revenons à nos « Produits BIO » dont toutes les coopératives qui s’adonnent à ce travail connaissent les difficultés qu’il y a à vouloir vendre leurs articles sans passer par les « intermédiaires certificateurs » qui constituent le goulot d’étranglement entre ces gens et leurs clients potentiels dans l’hémisphère nord. En principe, il n’y a rien à reprocher au processus de certification dans l’absolu. Par exemple, la pose d’un barème de stérilisation conçu pour un produit donné, dans un récipient d’une forme déterminée au sein d’un autoclave particulier demande un savoir faire et une expérience de haute volée, considérant la certification, que seuls des spécialistes en possèdent et il est normal d’avoir recours à leur service pour authentifier le processus considéré.

Ceci étant, on peut se demander si les courtiers certificateurs évoqués avant apportent une plus value quelconque au « Produit BIO » défini plus haut.

 Commentaire

 En réalité, ces courtiers mercantilistes ont probablement été  les premiers à réaliser qu’en dehors du constat d’absence d’utilisation de molécules chimiques étrangère il y avait peu qu’ils puissent apporter comme plus value à la commercialisation de « Produits BIO ». Dans ces conditions, leurs interventions pour certification risquaient d’être perçues comme un travail sans valeur et donc non apprécié voir dévalorisé et peu payant. Ils ont alors, comme ils savent si bien le faire, opté pour se rendre maitre de la certification dans le domaine du « BIO » en le soustrayant des mains des « ayants droit » que sont les paysans mentionnés plus haut.

 Dans ce but, ils ont entrepris de complexifier la gestion du domaine en le noyant de paramètres qui relèvent de l’écologie et/ou les cycles biologiques et/ou la biodiversité dont l’appréhension dépasse largement l’entendement de petites coopératives qui cherchent uniquement à subsister en vendant leurs produits de terroirs à des consommateurs préoccupés dans leur majorité d’éviter simplement des produits chimiques indésirables dont ils n’ont que faire.

 En guise de conclusion, qu’il faille passer par la certification de bureaux étrangers pour vendre nos « Produits BIO » aux consommateurs étrangers, soit. S’agissant d’une richesse nationale, le Maroc peut alors appliquer des règles de bon sens en vigueur ailleurs dans le monde. Que la société qui veuille s’installer chez nous pour certifier nos produits s’engage (et soit suivie dans ce but) à former des marocains sur ce métier dans un délai raisonnable. Parce qu’en fin de compte, qu’une entreprise privée étrangère cherche à faire de l’argent sur ce créneau est tout à fait en cohérence avec ses buts commerciaux, mais que l’Etat marocain lui fasse la courte échelle pour lui permettre de ramasser cet argent à sa guise (en autorisant par arrêté par exemple une entité étrangère à actionnaire unique à prélever une dime sur nos exportations) cela donne vraiment à réfléchir !