Indiscrétions du Brexit

Le projet d’accord du Brexit négocié jusqu’à fin 2018 par l’Ex-Première Ministre britannique Theresa May avec la Commission UE incluait, après la formalisation du « divorce » des deux parties, une  étape transitoire avec un « Backstop », ou « filet de sécurité » — Sorte de dispositif qui vise à éviter l’instauration, entre l’UE et la Grande Bretagne (GB), d’une frontière inter-irlandaise, entre la République d’Irlande (état souverain intégré à l’UE)  et l’Irlande du nord (partie intégrante du Royaume Uni) — Mais, conséquence de cet arrangement, la Grande Bretagne devait rester dans le giron douanier UE, le temps pour les « deux divorcées » de définir une solution durable qui garantisse l’intégrité du marché unique (exigence de la Commission UE) tout en maintenant une circulation fluide des marchandises, et des personnes, inter irlandaises (exigence irlando-britannique). Or, tel qu’il est, le projet d’accord susmentionné n’apporte pas de réponse sur la date effective de sortie de la Grande Bretagne du giron douanier UE. Ceci est de nature à paralyser tout effort de la GB de chercher à nouer des relations commerciales pour son propre compte avec d’autres pays hors UE. Considérant que cette contrainte est inacceptable, les parlementaires anglais (britannique est équivalent d’anglais pour cet article) ont refusé le projet présenté par Mme Theresa May, même décliné en différentes versions.

Après Mme May, c’est au tour de Monsieur Boris Johnson, nouveau premier Ministre britannique, de faire  face aux responsables UE pour la suite du règlement de ce dossier de « Divorce » GB/UE. Monsieur Johnson a, en substance, introduit une nouvelle approche, radicalement différente de celle de Mme Theresa May, pour négocier une sortie de cet imbroglio de « divorce » avec la Commission UE. Au lieu de faire des propositions selon la démarche imposée par l’UE à sa prédécesseure, Monsieur Johnson a transféré ce « Stress » sur l’UE en leur faisant comprendre que lui-même n’en fera rien et que, dorénavant, c’est à l’UE de faire le nécessaire (voir plus bas) pour permettre une sortie acceptable des Britanniques du marché unique. Les raisons de ce changement radical de Paradigme de la part des britanniques ne semblent pas évidentes à première vue. Nous pouvons toutefois cogiter sur la base des informations du Brexit accessibles au public pour tenter d’y voir un peu plus clair.

Il y a quarante-six ans, le premier Janvier 1973, la Grande Bretagne a vu sa demande (après d’autres échecs suite principalement à l’opposition du Président de Gaulle) d’intégrer le marché commun (qui allait devenir l’UE) enfin acceptée. La République d’Irlande a, dans le sillon de la GB, fait son entrée au marché unique en même temps. En ces temps-là, un ingénieur anglais était payé un salaire mensuel moyen d’environ trois cent francs suisses (de l’époque), équivalent de ce que touchaient les apprentis stagiaires suisses âgé.e.s de seize à dix-huit ans. Ceci pour dire que l’économie anglaise vivait un passage à vide dramatique et les anglais essayaient coûte que coûte d’accrocher leur wagon à une grosse locomotive pour revitaliser leur économie. Une fois au sein de l’Europe communautaire, les anglais ont retroussé leurs manches et travaillé dur pour retrouver leur esprit industrieux, et des affaires, comparable à celui du « Made in Germany ». Depuis,  l’ascension de la stature britannique n’a pas cessé de se renforcer à ce jour. De plus, les anglais ont toujours été un contributeur net au projet de l’Union, c’est-à-dire qu’ils donnaient plus d’argent direct à l’UE qu’ils n’en recevaient en retour.

Depuis le Référendum de 2016, somme toute en phase avec le dernier discours du Président Trump devant les Nations Unies, indiquant qu’un pays qui a confiance en soi n’a pas besoin de se protéger sous l’ombrelle d’un quelconque Bloc — allusion bien sûr au Bloc UE comme jugée par l’intervention subséquente à la même tribune du Président du Conseil Européen, Monsieur Donald Tusk —,  les anglais veulent illustrer cette confiance retrouvée en eux-mêmes en manifestant leur désir de tracer (de nouveau) leur propre parcours parmi les nations par eux-mêmes et pour eux-mêmes. Mais, la question de savoir pourquoi ce que Theresa May a négocié il y a moins d’une année (Backstop) semble tout d’un coup obsolète pour le nouveau Premier Ministre reste pleine et entière! De plus, Monsieur Johnson donne l’impression à présent de vouloir négocier avec l’UE en position de force !

Sous ce rapport, quoique l’UE (sans les anglais) compte encore 27 pays, le tandem franco-allemand est le duo qui influe le plus sur l’orientation de la politique économique et commerciale de l’UE vis-à-vis  d’autres pays tiers. Les anglais, qui auront séjourné près d’un demi-siècle au sein de l’UE, le savent très bien. De plus, s’agissant de l’Afrique (chasse encore gardée de l’UE) et ses ressources d’ordre agricole, domaine qui intéresse ce Blog, la voix de l’Allemagne existe mais elle est souvent façonnée par celle de la France qui réside à demeure chez nous en Afrique francophone. A titre d’exemple, les instances commerciales et économiques allemandes opérant dans le privé au Maroc (ailleurs en Afrique probablement aussi) sont souvent dirigées par des français qui n’oublient jamais de prendre en considération l’intérêt de la France dans leurs actions. Pour le dire simplement, la France nous fait comprendre, nous autres francophones, qu’elle nous aide pour accéder au marché UE et fait comprendre aux allemands d’abord, et autres membres de l’UE, qu’ils ont meilleur temps de passer par elle pour le bien de leurs affaires en Afrique francophone. Seulement voilà, l’Afrique compte également une bonne moitié de pays anglophones où l’intervention des anglais peut être plus prépondérante que celle des français. Dans cette perspective, une fois sortie du bloc UE, et Boris Johnson ne cesse de répéter qu’il le fera au 31 Octobre prochain, la GB peut se révéler un outil tout aussi pertinent pour réussir ses affaires en Afrique, anglophone tout particulièrement. L’Allemagne, qui a perdu ses anciennes colonies grâce, en particulier, à des méthodes de représailles (après la première grande guerre) diplomatiques de la France, comprend ce dilemme et ne veut pas faire de faux pas cette fois-ci avec un alignement inconditionnel derrière la France au sujet du Brexit. De là, probablement, ses  prises de position nuancées voir quelques fois plus proches de la position anglaise que celle de la France. Il semblerait que les anglais, qui ont bien intégré cette divergence de vues franco-allemande sur le Brexit, aient décidé de profiter de cette brèche au maximum. Ils font comprendre, à leur manière, que le « Stress » du Brexit est davantage du côté de l’UE que du côté britannique. Dans ce cadre, ils sont déjà en prospection en Afrique pour promouvoir, localement chez-nous par exemple, une relation stratégique avec le Royaume du Maroc. En Afrique australe, ils ont entrepris de réactualiser leurs relations longtemps privilégiées avec cette zone de notre Continent, etc.

Sur un autre plan, les produits agricoles nécessaires aux consommateurs britanniques, qui leur viennent à présent principalement de l’UE, pourront dès le premier novembre prochain être suppléés par des exportations à partir du Maroc et autres pays africains, plus fraiches et largement moins chères. L’Allemagne, pour ce qui la concerne, doit vraisemblablement déjà s’être préparée pour nouer une relation forte avec la GB post-Brexit pour continuer les relations privilégiées entre les deux pays. Dans ces conditions, la solution du maintien de l’intégrité du marché unique post Brexit, primordiale selon les propos du négociateur en chef de l’UE sur le Brexit, Monsieur Michel Barnier, restera une épine dans les pieds des décideurs de Bruxelles. C’est, comme nous le comprenons, le sens à donner au « Stress » du Brexit qui se trouve à présent du côté de l’UE. Si on ajoute à cela le peu d’enthousiasme de Boris Johnson à accepter une nouvelle prolongation de séjour de la GB parmi le Bloc UE, il est facile de déduire que ce sera sorte de Bérézina au sein de la Commission UE dès Halloween prochain. Et ce n’est, selon notre opinion, que le prélude à l’autre grande catastrophe qui attend le Bloc avec le démantèlement douloureux prévisible de la zone Euro qui ne manquera pas d’y faire suite.

Nous autres africains aurons, pour la première fois, la possibilité de mettre en concurrence plusieurs marchés pour l’export de nos ressources au premier rang desquels l’USA, la GB et ce qui sera resté du Bloc UE.