Dans sa dernière livraison le magazine hebdomadaire Der Spiegel International a sorti un éditorial signé de la main de son rédacteur en chef Monsieur Klaus Brinkbäumer sous le titre : Europe Must Defend Itself Against A Dangerous President (L’Europe doit se Défendre Contre un Président Dangereux). L’article est incendiaire à l’adresse du nouveau président américain mais reflète largement l’opinion à propos de Monsieur Donald Trump ailleurs dans l’UE. Ce qui a davantage attiré l’attention de ce blog est que le responsable allemand lance un appel à la formation d’une coalition internationale comprenant l’Afrique pour contrer le nouveau locataire de la maison blanche. Dans la mesure où notre continent offre essentiellement ses matières premières d’origine agricole pour le moment au reste du monde, on peut légitimement déduire de l’appréciation européenne que quelque part la nouvelle administration US poserait un risque sur nos secteurs agricoles, vitaux pour nos pays. Alors, il peut être utile d’essayer de regarder de plus près, selon les informations disponibles, s’il y a des dangers éventuels spécifiques que la nouvelle administration Trump pourrait poser sur les activités agricoles et/ou agro-industrielles du Continent africain.
La tentation récurrente vers un comportement autarcique a depuis toujours caractérisé les Etats Unis parce que, en particulier, tout ce dont ils ont besoin, ou presque, ils l’ont sur leur propre pays-continent. Ainsi, pendant la deuxième guerre mondiale il a fallu toute l’habileté tactique de Churchill, plus l’attaque de Pearl Harbor, pour décider les américains de se départir de leur neutralité dans la guerre qui faisait déjà rage en Europe depuis deux ans. Les anglais ont joué un rôle de catalyseur pour pousser les américains à entrer en conflit militaire avec les allemands à cette époque. A présent, de nombreux indicateurs permettent de conjecturer que ce sont les français qui pressent les allemands pour prendre une attitude commercialement agressive envers les américains.
Selon des informations convergentes, cela a commencé au lendemain de la chute du mur de Berlin. Pour « permettre » la réunification allemande, le président Mitterrand avait subordonné son accord, entre autres, au resserrement des liens commerciaux avec l’Allemagne au sein de l’EU moyennant une monnaie unique. Les responsables allemands, qui étaient dans une position délicate, ont fini par se plier à l’exigence. Ils ont ensuite fourni un effort herculéen pour pousser leurs citoyens à troquer leur Deutschemark chéri contre un Euro en partage. Une fois fait, les allemands ont montré, comme toujours, une formidable aptitude d’adaptation à la nouvelle monnaie dont le montage la rendait moins chère que le Deutschemark et donc avantageuse pour l’export. Comme conséquence, l’Euro se sera révélé un formidable Bonanza sur le plan commercial et a dopé les performances allemandes à l’export. D’un autre côté, privés de la possibilité d’une monnaie à dévaluer pour rester compétitifs, les pays de l’Europe du sud ont dû se résigner à subir l’hégémonie industrielle et commerciale de la puissance allemande au détriment de leur tissu industriel qui s’est effrité depuis lors de manière substantielle. Le cas de la France pose davantage souci parce que le pays continue de se voir comme une grande puissance planétaire. La Grande Bretagne avait la même attitude jusqu’au début des années soixante-dix. Mais après avoir été obligés de recourir au FMI, à l’instar des pays miséreux, pour s’en sortir, les anglais ont pris toute la mesure de leur nouvelle détresse, ont retroussé leurs manches et se sont de nouveau remis au travail au lieu de continuer sur une politique de rente qui caractérise habituellement les rapports commerciaux des anciens maîtres avec leurs ex-colonies. La France ne s’est apparemment pas encore résolue à faire cette introspection et préfère s’accrocher à l’avantage que lui a procuré jusqu’à présent son statut d’ex-puissance coloniale sur une bonne partie de l’Afrique. Mais l’ex-métropole réalise bien à présent que la perpétuation de ce statut vis-à-vis de notre continent est mieux servie en se drapant des oripeaux de l’UE sous tutelle de l’Allemagne comme Trump l’a bien souligné.
Alors, après avoir bien assis la puissance de leur industrie exportatrice au sein de l’UE, et selon l’adage l’appétit vient en mangeant, les allemands se devaient de pousser « leur Euro » ailleurs dans le monde. Mais voilà, souvent la place était déjà prise par le Dollar. Ceci a fait dire à Monsieur Peer Steinbrück, ministre fédéral des finances du premier gouvernement d’Angela Merkel, que le Dollar aspirait les 70% de l’épargne mondiale. Dit autrement, les allemands ne dédaigneraient pas de récupérer partie de cette épargne qui arrangerait bien les affaires de l’Europe monétaire, la France en premier. Et le continent où l’Euro a naturellement trouvé une position relativement favorable par rapport au Dollar est bien évidement l’Afrique compte-tenu du volume des échanges commerciaux largement en faveur du vieux continent.
En réalité, nulle part ailleurs le Président Trump n’est décrié autant que dans les pays de l’Europe monétaire. Parmi tous les maux dont on l’accable, il y a qu’il serait dictateur avec tout ce à quoi ce terme renvoie comme images d’Idi Amin Dada ou Jean-Bedel Bokassa par exemple. Mais, considérant la stature des différents centres de pouvoir légitimes aux USA, que tout le monde connait, le qualificatif est au minimum exagéré sinon hors de propos. On l’accuse de vouloir saper l’ordre mondial en vigueur particulièrement pour ce qui relève des règles multilatérales du commerce international. En fait, considérant les discussions passées au sein de l’OMC qui étaient arrivées à une impasse, chacun avait mis du sien dans ce blocage, la France entre autres. Ce qui est surprenant est que dans le raisonnement des responsables européens, article sus-évoqué compris, est qu’ils mettent l’UE sur le même niveau que des structures internationales statutairement désintéressées comme l’ONU par exemple. Il s’agit au minimum d’une confusion sinon d’une imposture.
La réalité, selon mon appréciation, est que le vieux continent a fait son temps et qu’il n’a plus grand-chose d’important à offrir au reste du monde, d’où le qualificatif d’Union Soviétique dont il commence à être affublé un peu partout. Cela gêne bien évidemment les responsables et le public de l’UE. Pas de croissance, chômage élevé et inflation de normes sur tout et son contraire. Il en découle qu’au sein de l’Europe monétaire, ils ont terriblement peur de la compétition US, notamment sur le continent africain que la France voit en grande partie comme son pré carré et où elle garde encore pour le moment quelques avantages comparatifs sur le plan commercial grâce justement aux différents leviers laissés en place depuis la période coloniale, et entretenus à mesure, et sur lesquels l’ex-métropole continue encore de manœuvrer. Pour nous autres africains, la venue des USA apporterait une touche nouvelle qui secouerait un peu le statu quo actuel qui n’a absolument pas profité aux pays africains jusqu’ici.
Le fait est que l’Allemagne en tant que telle, à l’instar du Japon, n’a pas grand-chose à craindre de la compétition avec les USA. Peut-être même le contraire. Par contre, il est hautement probable, si les américains venaient à s’installer pour faire business sur notre continent, que la fragilité de la position française ne tarderait pas à apparaitre au grand jour, particulièrement dans l’agro-industrie.