L’export de notre industrie alimentaire à l’épreuve du feu

Les efforts visibles que le Maroc effectue depuis plusieurs années ne laissent pas de doute sur l’intention arrêtée du Royaume d’aller vers la valorisation industrielle de nos ressources agricoles en tant que produits finis. Le but affiché est d’en tirer un meilleur profit à l’export sur notre Continent africain et ailleurs. Il en découle que nos exploitants agricoles devront en toute logique être correctement  encadrés et mieux rémunérés à l’avenir pour un approvisionnement régulier des Unités de transformation industrielle permettant à celles-ci de travailler de manière régulière et sereine. Certaines de ces Unités sont en gestation alors que la mise en place est en cours pour d’autres à travers le Maroc. Un immense effort a également été fourni sur le plan de préparation ou de mise à niveau des infrastructures, routes, autoroutes, ports et autres besoins en logistique.

Au vu de tout cela, on est tenté de conclure que, pour nous autres intervenants sur le secteur agroalimentaire national, le but d’exporter davantage de produits finis « Made in Morocco » est déjà dans la poche. Mais cela serait, selon notre opinion, pour le moins prématuré.

En effet, il y a quelques semaines à peine, le Ministre de l’Industrie et du Commerce, Monsieur Ryad Mezzour, se plaignait devant les sénateurs marocains de ce que nos concitoyens dédaignaient les produits « Made in Morocco », de qualité supérieure selon le ministre, au profit de produits de moindre qualité importés de l’étranger.

Nous rappelons que la loi 28-07 de sécurité sanitaire des produits alimentaires est tout à fait claire comme quoi les Unités industrielles ont l’exigence de produire leurs articles alimentaires dans le respect de la loi indépendamment de la destination des produits (marché local ou export). Or, il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que si nos compatriotes dédaignent les produits fabriqués chez nous, les clients d’ailleurs ne vont pas se bousculer non plus pour les acheter. Il ne fait donc pas de doute à nos yeux que la déception de Monsieur le Ministre, que nous partageons, est sincère. Les méventes sur notre marché national de produits alimentaires fabriqués localement est un fait incontestable. Mais si le constat rappelé par Monsieur le Ministre est correct, la « pose du diagnostic » qu’il fait en tant que membre du gouvernement peut être sujet à caution. Car son « diagnostic » pourrait signifier, par exemple, que le consommateur marocain préfère acheter par principe des aliments venant de l’étranger. Et cela reviendrait, en somme, à mettre en question le comportement civique des consommateurs marocains. Sauf qu’une telle supposition est largement contredite par des exemples éloquents où les marocains n’ont pas hésité à témoigner leur solidarité pleine et entière à une cause nationale qui emporte leur adhésion. Si cette adhésion manque à présent pour ce qui est des achats de nourriture « Made in Morocco », c’est probablement que les défaillances ont davantage à voir avec la qualité même des aliments industriels qui sont offerts au consommateur marocain.

Pour mieux appréhender la problématique qui sous-tend la démarche d’achat de nourriture, il est utile de se souvenir que nous vivons dans un monde ou les canaux de communication sont très ouverts. Les marocains voient donc, via un média ou un autre, que chez nos voisins européens, ceux d’Amérique et d’ailleurs, les autorités de régulation annoncent régulièrement le retrait, ou le rappel, de produits alimentaires défectueux qui se trouvent soit dans les circuits commerciaux (non encore vendus) ou bien déjà achetés par le consommateur. Dans ce cadre, il faut savoir que les statistiques d’organismes spécialisés sur la gestion de la qualité de produits alimentaires montrent qu’en moyenne jusqu’à une proportion de 5% des produits fabriqués s’avère ensuite non conforme. C’est cette catégorie de produits qui fait l’objet de retrait ou de rappel chez nos partenaires européens et autres. Ceci étant, les consommateurs marocains n’ont jusqu’à présent pas eu la chance de voir cette démarche appliquée par l’Autorité de tutelle sur le secteur agroalimentaire chez-nous. Dans les faits, et à l’échelle d’un pays comme le Maroc, cela peut représenter des dizaines de milliers d’échantillons de produits qui sont dans les circuits de distribution et qui posent un danger potentiel sur la santé du consommateur. Alors, en l’absence de garantie de l’enlèvement éventuel par l’Autorité de tutelle de tels produits défectueux, le consommateur marocain préfère orienter ses achats vers des produits d’autres compétiteurs en importation.

Ces observations laissent penser que la suspicion du consommateur marocain à l’égard de la nourriture « Made in Morocco » trouverait son origine dans le manque de confiance dans le travail de l’Autorité de tutelle sur le secteur agroalimentaire.

Or, d’après la loi, cette charge revient formellement à l’ONSSA (Office National de Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires), relevant du Ministère de l’Agriculture, qui est responsable de l’application de la loi 28-07 de sécurité sanitaire des aliments dans les entreprises et les établissements de production de nourriture.

Toutefois, les apparences sont parfois trompeuses. La réalité est que le contrôle de la qualité de ce que nous mangeons relève d’une autorité composite et éparpillée dont l’ONSSA constitue l’une des composantes seulement. A côté, d’autres organismes exercent au sein de cette tutelle nébuleuse sans que l’on sache qui dépend de qui et si ces fonctionnaires sont vraiment connectés entre eux. A titre d’exemple,

Il y a le Morocco Foodex — il s’agit du nouveau nom de l’EACCE (Etablissement Autonome de Contrôle et Coordination des Exportations), organisme crée dans les années quarante du siècle passé par le protectorat français pour veiller à la qualité des produits importés du Maroc par la métropole — qui est toujours là et fait un travail en principe supprimé par la loi 28-07 de sécurité sanitaire des aliments.

Il y a les Bureaux d’Hygiène municipaux, qui relèvent du Ministère de l’Intérieur, qui donnent les autorisations d’exercer aux traiteurs, aux restaurants et autres.

Il y a le LOARC (Laboratoire Officiel d’Analyses et de Recherche Chimiques), non lié directement à l’ONSSA. Ce laboratoire assume supposément l’entière responsabilité sur le travail de contrôle analytique des produits qui lui sont remis comprenant en cela les prélèvements d’échantillons. Ceci étant, le LOARC a souscrit à la délégation de sa responsabilité des prélèvements au profit d’entités privées sans responsabilité bien définie sous l’angle de la Sécurité Sanitaire des Aliments. Le laboratoire justifie cette mesure par une surcharge de travail. C’est possible. Mais cet organisme, qui a un monopole de fait sur les analyses de laboratoire, est parfaitement rentable et peut bien évidemment recruter plus de techniciens préleveurs s’il le souhaite. Selon nous, la raison de ce subterfuge (délégation des prélèvements à des organismes séparés) — hérité du service défunt de la  Répression des fraudes travaillant sous la défunte loi coercitive 13-84 du même nom — est ailleurs. En cas de défaillance sur les résultats de contrôle analytique, la détermination de la source de l’erreur, entre l’acte de prélèvement et les opérations d’analyses de laboratoire, s’avère inextricable. Cela permet à ces fonctionnaires de justifier de nombreuses années de service sans n’avoir jamais été inquiété par des mesures disciplinaires ou de justice.

Il y a également l’organisme appelé Imanor, relevant justement du ministère du commerce et d’industrie de Monsieur Ryad Mezzour, qui distribue à tous ceux qui le souhaitent toutes sortes de certifications. Or, la certification d’Unités privées par un organisme étatique (c’est-à-dire l’Etat) heurte de front les Bonnes Pratiques en vigueur ailleurs dans le monde.

En effet, la certification représente un service qu’un prestataire habilité fournit à une entreprise qui remplit les conditions réglementaires pour cela. Il s’agit d’un travail contractuel. Dans ce cadre, en cas où l’une des parties contractantes n’est pas satisfaite de sa relation avec le partenaire, éventualité qui fait partie de ce Business, il y a litige qui peut être résolu à l’amiable ou, à défaut, devant les tribunaux de commerce. Ces tribunaux ont pour mission d’agir vite pour garder un circuit commercial fluide. Mais dans le cas où un opérateur serait amené à  porter plainte contre l’Etat certificateur, il devra le faire devant les tribunaux administratifs dont le travail s’écarte notoirement de la rapidité d’exécution dévolue aux tribunaux de commerce. Ensuite, un litige avec l’Etat peut trainer des années ce qui est à l’opposé des attentes des opérateurs. Par ailleurs, l’Unité certifiée par l’Etat peut avoir la fausse impression d’être dans une position confortable qui n’exige pas de se faire assurer pour des cas de défaut sur ses produits. Cette impression est fausse, car selon la loi c’est le juge qui décide, au regard du dommage subi, de la compensation à  apporter au plaignant. Sans assurance, l’Unité peut donc être poussée à la faillite et la certification étatique ne lui sera d’aucun secours.

Si on regarde les choses de l’autre côté, un client étranger, par exemple, lésé par un fournisseur privé marocain certifié par l’Etat, aurait, en l’absence d’assurance, moins de garantie d’être compensé correctement en cas de litige commercial. Or, cette perspective fait partie des examens que les importateurs font avant de faire leur choix sur le fournisseur retenu d’un pays ou un autre.

Ce que nous venons d’évoquer dans ce qui précède est un  résumé succinct des incohérences et déficiences qui ternissent le travail des responsables chargés de veiller sur la qualité des aliments que nous consommons.

Il va sans dire que les organisations d’obédience européenne, comprenant les organismes d’accréditation, de certification, de lobbying et autres, qui pullulent chez nous, sont bien instruites de ces faiblesses de notre système de contrôle et d’expertise.

Pour le moment, le Maroc ne pose pas de risque commercial sur les exportateurs UE puisque les  Matières Premières que nous leur vendons leur servent plutôt de se remplir les poches. Mais au moment où le Maroc commencera sérieusement, comme il l’a planifié, à exporter des produits transformés, il sera catalogué comme un concurrent qu’il faudra abattre. Nul doute que les incohérences et faiblesses sus-évoquées seront alors soigneusement distillées pour nuire à la qualité et la salubrité de nos produits à l’export.

 La réalité est que nous manquons, en tant que nation, de crédibilité sur notre travail de contrôle et d’expertise pour le secteur agroalimentaire. Il devient urgent de mettre correctement en place ces structures en question et penser, dans le même temps, aux mesures d’accompagnement pour les pérenniser tout en les rendant plus robustes.

Notre ambition comme futur pays exportateur qui compte pour les produits alimentaires transformés  est à ce prix.