Durant ces deux dernières années, la pandémie du Covid-19 a largement épuisé l’énergie, les ressources et la patience de la plupart des Etats de la planète. Ensuite, juste au moment où l’acuité du fléau semblait faiblir, et les pays affectés entrevoir un retour progressif à la vie habituelle, voilà que la guerre Russie/Ukraine vient chambouler ces prévisions optimistes et faire replonger de nombreuses nations dans l’incertitude du lendemain. Mais, contrairement au Covid-19, dont on ne sait pas grand-chose avec certitude sur l’origine, le déclenchement de la guerre sur l’Ukraine, que la Russie considère comme une simple « opération militaire spéciale » pour stabiliser l’ethnie russophone de son voisin, est bel et bien revendiqué par la Russie.
Or, derrière les horreurs et le drame humain indescriptibles de cette guerre (non considérés ici), qui s’intensifient de jour en jour, il y a, en substance, des raisons et des calculs d’ordre politiques et géostratégiques, qui n’entrent cependant pas dans nos compétences ni dans le focus de ce Blog.
Par contre, les données d’information accessibles publiquement, que ce conflit armé est en train de révéler au grand jour au niveau des secteurs agricole et agroalimentaire européens et au-delà, sont d’un grand intérêt pour cet article. Nous allons donc essayer d’éclairer quelques facettes du chamboulement en cours au sein de l’Europe, qui affectent déjà leurs échanges dans les secteurs agro-industriel, énergétique et autres, pour mieux apprécier les changements considérables qui préfigurent à coup sûr l’arrivée d’un nouvel ordre mondial. L’ordre dont il s’agit, qui rejoint selon nous le but visé par le NMD (Nouveau Modèle de Développement) dont l’installation avance au Maroc (voir ici), est pressenti pour apporter plus d’équilibre dans les échanges entre les donneurs d’ordres actuels, l’UE en particulier, et nos différents Etats africains.
On peut déjà déduire à ce stade que l’ordre planétaire actuel, sur lequel les pays de l’UE continuent de régner en grande partie, basé sur l’exploitation effrénée (spoliation) des matières premières de pays pauvres, notablement africains — pour nous maintenir dans une situation de vassalisation pérenne vis à vis des lobbies européens — peut d’ores et déjà être considéré comme obsolète.
N’oublions pas que les pays européens qui nous ont colonisés, qui ont pillé nos ressources et maintiennent à ce jour les économies de nos territoires sous leur tutelle, ont toujours clamé haut et fort, la main sur le cœur, y compris devant des instances onusiennes, qu’ils ne veulent que du bien à nos pays africains et que toutes leurs actions sont prévues pour nous venir en aide et permettre progrès et développement à l’Afrique. Evidemment, nous comprenons mal pourquoi, à contrecourant de cette thèse, les métropoles en question ont systématiquement refusé d’investir dans l’amélioration de nos Ecoles supérieures et Universités publiques. Ils continuent de préférer la formation de nos élites locales dans leurs propres structures. A y regarder de plus près, c’est peut-être plus facile pour eux dans ces conditions de faire le tri, parmi les candidats en formation, entre celles et ceux qui sont acquis au paradigme de l’« Indépendance dans l’interdépendance » (autre forme de subordination), qui devront ensuite être aidé(e)s par tout moyen pour une insertion réussie dans leur pays d’origine (vassal) — pour servir les intérêts de ces Métropoles — et celles et ceux qui sont réfractaires à ce dictat et qui doivent être tenus à l’œil.
Nous avons des informations robustes dans nos archives qui montrent le recours à cette dernière pratique.
Sur ce plan, on peut aussi mentionner que le soin que les Etats de l’UE apportent à la formation d’une bonne partie de l’élite de notre Continent résigné, pour en faire sorte de « courroie de promotion » de la conception UE de coopération avec nos pays au bénéfice des lobbies européens, est une vision définitivement coloniale. Cette approche, que les pays UE essaient de faire perdurer coûte que coûte, aura été intimement liée à la disponibilité et aux conditions de circulation de l’information (ou savoir), notamment de type scientifique et technique.
Dans ce cadre, et jusqu’à récemment, le savoir était obtenu principalement par le biais d’organismes étatiques spécialisés : Ecoles supérieures, Universités, Bibliothèques et autres. Or, les européens, qui ont activement travaillé au délabrement de nos sociétés depuis des siècles, savent très bien que les prestations de nos structures susmentionnées ont été rarement efficientes à cause, principalement, du manque de moyens. Donc, pour les membres de l’UE, le maintien de nos institutions en question en l’état était en soi un gage de la continuité de notre vassalisation vis-à-vis de nos ex-colonisateurs. Ceci évidemment avec la précaution supplémentaire de tenir sous contrôle les « élites réfractaires » évoquées plus haut pour que « elles » ou bien « ils » ne perturbent pas ce « statu quo » en favorisant la transmission du savoir une fois rentré(e)s chez eux. Autrement dit, les responsables des pays européens, « équivalents modernes » des romains des temps anciens, semblent avoir défini une fois pour toutes la place des pays de notre Continent et celles des pays de l’UE. A nous les africains devait revenir le travail informel, bâclé et sous-payé pour une consommation locale et à eux, les « nantis du savoir », devait revenir « par essence » le travail supposément structuré, de qualité et bien rémunéré, éligible à une exportation. Il en découle que les pays de l’UE ressentent comme un besoin vital pour eux de continuer à disposer exclusivement du Savoir-faire, par exemple de comment mettre en valeur les matières premières pour les conserver plus longtemps et en tirer commercialement le meilleur profit, et que nous, les incompétents, devrions continuer à nous contenter de leur vendre ces ressources pour des clopinettes.
Ensuite, nous sommes bien sûr obligés de leur racheter nos propres Matières Premières sous forme de « Produits Finis » en Euro et à des prix spéculatifs.
Ceci étant, le monde évolue et la remise en cause du « statu quo », tant craint par les ex-colonisateurs, est finalement venue de là où on ne le soupçonnait pas. Il s’agit du développement de l’Internet où les Etats Unis d’Amérique ont le plus lourdement investi. Ce réseau informatique mondial a largement contribué à démocratiser le savoir et le Savoir-faire. Sous ce rapport — considérant que les performances des plates-formes électroniques pour l’importation sur le marché US de produits agroalimentaires ont une bonne longueur d’avance sur les portails européens censés jouer le même rôle —, il est plus facile didactiquement d’exporter les produits alimentaires africains sur le marché US que de le faire sur le marché UE. Nous comprenons par-là qu’un producteur et/ou fabricant et/ou fournisseur et/ou distributeur, qui a fait un petit effort en anglais, qui travaille selon les règles, qui est en mesure d’utiliser quelques outils que procure l’Internet, peut très bien gérer les opérations d’enregistrement de ses produits et obtenir sans délai sur le portail FDA les numéros de codes correspondants pour l’export. Ensuite, l’intéressé(e) est en droit de démarcher les acheteurs potentiels de son choix pour vendre et écouler les produits en question à l’international sur les marchés US et/ou d’obédience FDA, qui sont les plus nombreux dans le monde. Ce professionnel peut, dans le même temps, s’informer sur la validité de protocoles de fabrications (Processes) d’intérêt pour lui et retenir le procédé qui convient le mieux à son produit en conformité de la loi.
Tout cela peut être fait par biais de l’Internet gratuitement et sans intermédiaire.
Au contraire, l’export sur le marché UE est loin d’offrir, selon notre opinion, autant d’informations utiles et didactiques ainsi que des conditions d’accès aussi rapides et sans frais. De plus, le passage par le facteur humain (intermédiaire) reste très largement répandu pour l’accès au marché européen. Ce handicap génère des frais supplémentaires pour le producteur/fabricant, renchérit son prix de revient et diminue sa compétitivité.
Par ailleurs, le passage forcé par des intermédiaires peut également constituer une porte ouverte sur toutes sortes de fraudes ou d’abus financiers et autres. Sous ce rapport, cet exemple tiré de nos archives : Un exportateur marocain, chez qui nous avions antérieurement effectué une prestation, nous a confié (et montré des échantillons du produit en question) que sur demande expresse d’un acheteur domicilié à Paris, il a été amené à préparer et lui vendre de l’huile d’argan dans des conditions particulières. Le produit exporté en bouteilles d’un demi-litre (emballage courant pour l’alimentaire) devait aller (soi-disant) pour la consommation humaine. En fait, l’intermédiaire le reconditionnait sur place en plus petits formats pour une vente (beaucoup plus rentable) en tant que produit cosmétique*. L’opération est frauduleuse bien évidemment mais il est intéressant de noter que l’initiation de la fraude vient de ces personnes mêmes qui nous reprochent notre manque d’adhésion à la loi ! Tout ceci au nez et à la barbe de leurs services de répression des fraudes.
*: La vitamine « E », dont les vertus sont recherchées dans la version cosmétique de l’huile d’argan, est en fait détruite suite au traitement par la chaleur exigé réglementairement pour la version alimentaire de l’huile.
En réalité, la vision que les européens continuent d’avoir de nous autres africains dérive du fait que ces gens persistent, contrairement à tout bon sens, à nous voir à travers le prisme du colonisateur et, pour eux, nous devons rester éternellement une vache à lait. Dans cet esprit, le maintien du statu quo susmentionné est censé rassurer ces gens qu’ils ont toujours la haute main sur nos ressources et nos activités économiques.
Curieusement, c’est là aussi que réside, selon nous, le mauvais calcul des européens. La mauvaise idée aura consisté à croire qu’ils peuvent empêcher indéfiniment, en particulier, tout le Continent africain d’accéder aux connaissances dont nous avons besoin pour nous faire une place correcte parmi les nations. A ce propos, plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest s’évertuent depuis des décennies pour réaliser dans cette partie de notre région une industrie laitière mais sans succès. Les ex-colonisateurs ont non seulement gardé la possibilité, par moyen du système de gestion du Franc CFA qu’ils ont mis en place, de bloquer des crédits bancaires pour des projets de ce type dont ils n’en veulent pas ; Mais ils persistent à ce jour à inonder les marchés de cette zone de poudres de lait en dumping commercial pour enterrer toute perspective de rentabiliser l’émergence d’une telle industrie locale.
Aujourd’hui on sait, d’après les informations révélées au cours de ce conflit Russie/Ukraine, que la surabondance de poudre de lait UE était possible parce que, en bonne partie, les européens s’approvisionnaient en céréales ukrainiennes (maïs, orge et autres) pour leurs vaches laitières à des prix dérisoires, comme les prix ridicules qu’ils paient pour nos matières premières africaines. Nous savons également que depuis le déclenchement de la guerre susmentionnée, la possibilité d’acheter des céréales ukrainiennes à un prix bas imposé par les structures de l’UE a définitivement pris fin. Pire encore pour les européens, il est très peu probable que l’UE puisse revoir à l’avenir ce type d’opportunités n’importe où dans le monde.
En somme, l’Afrique de l’Ouest pourra enfin envisager de réaliser ses unités de production laitière et autres projets industriels loin des interférences UE. En effet, nos voisins du nord seront probablement très occupés dans les prochaines années à réfléchir sur les moyens de survivre selon les règles à venir que le nouvel ordre mondial ne manquera pas d’imposer à tout le monde.
En définitive, les européens ne sont pas vraiment des équivalents modernes de l’Empire romain. Ce dernier a duré huit cent ans alors que l’«Ambition impériale UE» aura été stoppée après moins de quatre siècles.
En guise de conclusion, les pays de l’UE doivent dorénavant, selon nous, se préparer sérieusement — comme la Chine le leur faisait comprendre auparavant et la Russie actuellement — à accepter, dans le nouvel ordre mondial en cours de mise en place, de prendre la position que leurs propres ressources leur permettront d’occuper. Et pour nous autres africains, le temps est venu de comprendre que notre ambition entrepreneuriale aura de meilleures chances d’aboutir en puisant nos informations (raisonnablement vérifiées) dans le réseau de l’Internet, comprenant le Codex-Alimentarius, la FAO et autres, qu’en nous remettant à l’assistance déficiente de l’Europe.