Les statistiques de 2018, dévoilées dernièrement, ont montré que, pour la première fois de son histoire récente, la France est devenue importatrice nette de nourriture. La PAC (Politique Agricole Commune) aura finalement profité à d’autres pays de l’UE qui, comme la Pologne (produits d’origine végétale) et l’Espagne (produits d’origine animale), lui ont pris des parts de marchés sur le secteur agroalimentaire au sein même du marché communautaire. Quoique les responsables français continuent de clamer la meilleure qualité de leurs produits sur les autres concurrents, et les normes françaises supérieures à celles défendues par l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments), les consommateurs européens achètent là où ils trouvent le meilleur rapport Qualité/Prix et l’impression est que ce rapport s’éloigne de plus en plus du « Made in France ». Ce comportement des citoyens de l’UE est renforcé par la baisse continue du pouvoir d’achat des européens comme conséquence, en particulier, du déclin de l’export de l’UE pour manque de compétitivité du Bloc face à la concurrence internationale. Finalement, les raisons du déclin de la France Agricole (synonyme dans cet article de l’UE Agricole) sont nombreuses et variées (voir plus bas) qui vont toutes dans la direction d’un amoindrissement irréversible de l’influence de l’UE Agricole dans le monde. Dans le même temps, il s’agit d’une opportunité dont la Zleca (Zone de libre-échange Continentale africaine) devrait profiter pour rééquilibrer à l’avenir les relations commerciales de notre continent avec nos partenaires sur le marché globalisé.
Nous revenons un peu en arrière pour retracer sommairement le parcours qui a conduit l’Europe Agricole à jouer les premiers rôles dans le domaine agroalimentaire mondial avant de contraindre, sous peu, l’UE à respecter les mêmes normes que les autres opérateurs du secteur agro-industriel du marché mondial.
Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, deux Blocs d’intérêts divergents se sont constitués. D’un côté, le Comecon regroupant l’URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques), des pays de l’Europe de l’Est et d’autres pays communistes ailleurs dans le monde et, de l’autre, les Etats Unis d’Amérique avec comme principal allié les pays d’Europe de l’Ouest. Chaque Bloc avait ses propres règles spécifiques pour les échanges commerciaux sur leurs marchés respectifs. Les Etats-Unis considéraient alors le Bloc communiste comme un risque existentiel pour l’Amérique et ont cherché à le contenir par tout moyen. Dans ce but, pour cimenter une alliance forte avec ses alliés européens, les américains ont, semble-t-il, accepté de faire certaines concessions. Par exemple, ne pas se mêler des affaires de la France gaullienne, un allié récalcitrant, sur le continent africain. Depuis, la France considèrerait ce « tacite acquiescement américain » circonstanciel comme son privilège qu’elle partage à sa guise avec ses partenaires de l’UE. Sous ce rapport, un peu à l’image du marché intérieur du Comecon, rendu hermétique au commerce occidental parce que l’on appelait en ces temps-là un « Rideau de Fer », la France Agricole s’est évertuée à s’arroger le marché africain par un « Rideau de normes » qu’elle s’est arrangée pour les faire adopter par le régulateur de l’UE. Comme conséquence, il est devenu très difficile pour les autres pays de la planète de commercer avec les pays de notre continent sans passer par les « normes UE ». Ce statu quo aurait pu continuer pour des générations à venir si la chute du mur de Berlin, et l’effritement de l’empire soviétique, n’avaient permis de rebattre les cartes. Par exemple, l’intérêt des USA d’un partenariat fort, et coûteux pour eux, avec l’Europe de l’Ouest contre les soviétiques n’avait plus tellement de raison d’être. Sur ce, l’Uncle Sam a commencé, comme les autres puissances mondiales, à montrer de plus en plus d’intérêt pour commercer directement avec les pays africains comprenant aussi les pays du Moyen-Orient. S’agissant de zones considérées par les européens comme leur pré-carré, l’UE Agricole s’est mobilisée en conséquence pour bloquer l’enthousiasme des américains pour le commerce dans ces zones. Alors, la France Agricole a fait les choses de manière structurée et soutenue. D’abord en dramatisant toutes les pratiques agroalimentaires des américains qu’elle considère comme présentant des risques sur la santé des consommateurs. Et le fait que les USA aient gagné contre ces assertions devant l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) n’a en aucune façon découragé le militantisme français. Ensuite, depuis les années quatre-vingt-dix, l’UE agricole a inondé les exportateurs africains avec de nouvelles exigences spécifiques (normes en dehors du Codex Alimentarius) à respecter pour accéder au marché de l’UE. Le cas échéant, le non-respect de ces « normes » conduit à des restrictions de l’export de l’opérateur « fautif » sur le marché communautaire. Il s’agit, considérant que l’UE est le principal débouché de nos Matières Premières africaines, d’un argument fortement dissuasif pour les opérateurs de notre continent. Ceci peut expliquer, entre autres, pourquoi l’accord de libre-échange prometteur décidé entre le Maroc et les USA il y a quinze ans fait toujours du surplace.
On peut déduire de ce constat que, malgré leur puissance et leur expérience, les américains n’ont pas été en mesure d’avoir le dessus sur les argumentaires fabriqués et avancés par l’UE Agricole pour s’opposer au commerce normal de nombreux produits agroalimentaires US sur le marché de l’UE. Par ailleurs, cette propagande de l’UE Agricole complique grandement la tâche aux américains pour pénétrer les marchés dépendants de l’UE comme le marché africain. Il faut dire aussi que l’argumentaire européen en question évoque également le fait que les prix des denrées alimentaires américaines « discréditées » sont tout aussi chers que ceux des produits européens. Ceci pour enlever tout intérêt financier pour le consommateur européen du « Made in USA »
Mais, parfois, la solution vient de là où on l’attend le moins. En effet, l’UE vient de signer un accord de libre-échange avec le Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay et Uruguay). Cette zone, les américains la considèrent à leur tour comme leur zone d’influence et les pratiques dans l’agroalimentaire y sont d’obédience FDA (Agence fédérale américaine de contrôle des aliments et des médicaments) depuis toujours. La France Agricole avance déjà les arguments de « Bœuf aux hormones » et « Poulet au Chlore » dans le but de bloquer les ratifications de l’accord conclu entre le Mercosur et l’UE. Mais, cette fois, des produits latino-américains d’origine animale, qui sont consommés partout dans le monde, y compris en Suisse, ont le rapport Qualité/Prix de leur côté, ce que recherche la plupart des consommateurs de l’UE.
Quoi qu’il en soit, l’UE Agricole sera dorénavant entre le marteau et l’enclume pour ce qui est de l’accord du Mercosur. D’un côté le consommateur européen qui cherche à acheter au meilleur rapport Qualité/Prix et favorisera donc les produits du Mercosur. De l’autre, la France Agricole, représentée majoritairement par les agriculteurs français qui sont relativement peu nombreux mais qui donnent de la voix pour ne pas avoir été habitués aux principes de compétitivité et rendus dépendants de la rente de la PAC. De belles batailles en perspective et, une fois n’est pas coutume, ce sont les américains qui seront dans les loges comme spectateurs ce qui ne serait pas pour leur déplaire.
S’agissant de notre continent, nos responsables continentaux feraient bien de suivre attentivement comment l’UE Agricole finira de sortir de cet imbroglio et d’en tirer les conséquences pour des discussions futures de l’avenir de la Zleca face à une UE décidée à garder notre marché africain sous tutelle.