Une FDA continentale pour la Zleca

Habituellement, nous réservons les écrits de ce blog aux activités du secteur agroalimentaire. Pour les besoins de cet article, nous joignons à notre intérêt le secteur pharmaceutique Marocain, que nous connaissons, et Africain sur lequel nous avons des échos. La raison est que nous avons collaboré et/ou  travaillé avec ce secteur pour de nombreuses années d’abord à Lausanne (Suisse) en tant qu’Assistant à la Faculté de Médecine, ensuite à Bâle (Suisse), en tant que chercheur junior dans l’une des plus grandes multinationales, et ici à Casablanca en tant qu’Attaché scientifique et Administratif de l’un des groupes de la place. Maintenant, il y a le fait que la presse locale rapporte, ces derniers temps, que le secteur pharmaceutique marocain est en grande déprime et accumule depuis un moment les bourdes comme des ruptures de stock, le manque de médicaments essentiels pour des patients et autres défaillances qu’on n’a pas vues durant les trente-cinq dernières années. Ailleurs en Afrique, la presse internationale parle des cas de médicaments médiocres (substandard), des génériques d’antibiotiques notamment, prescrits à des malades et, au lieu de guérir, les produits ont précipité le décès de patients (voir plus bas). Au moment de l’entrée en vigueur de la Zleca (Zone de Libre Echange Continentale Africaine), le sujet a retenu notre attention pour cette réflexion qui se veut pédagogique sans trop focaliser sur les noms ni de médicaments décriés ni sur des Laboratoires pharmaceutiques incriminés ni sur les noms de responsables impliqués du privé ou du public.

S’agissant du Maroc, l’encouragement actif de la France métropolitaine, au tournant de l’indépendance, pour la naissance d’un secteur productif local de médicaments peut paraitre énigmatique à première vue. En effet, l’industrie pharmaceutique, plus que la plupart des industries, est une profession hautement capitalistique qui est tributaire d’une activité Recherche/Développement dynamique. A l’époque dont nous parlons, seule la Faculté des sciences de Rabat était relativement opérationnelle (pouvait importer quelques rats de laboratoire par exemple). De plus, en dehors de l’alcool et du sucre, où la demande du secteur pouvait partiellement être satisfaite par la production locale, l’ensemble des autres besoins (Matières Premières, consommables, équipement, matériel, savoir-faire etc.) devait être importé de la France métropolitaine. En effet, compte tenu que le colonisateur avait pris soin de verrouiller par des règlements et normes (certains sont toujours en vigueur), l’activité du secteur de la santé nationale en sa faveur, il était plus que recommandé d’importer les fournitures énumérées de la Métropole. Et, dans la mesure où la France n’est pas connue pour produire sur son sol une bonne partie des articles mentionnés (qu’elle-même importe d’ailleurs), l’achat de ces outils pour le marché marocain auprès d’intermédiaires français les rendait particulièrement onéreux. Comme conséquence, les prix des médicaments au Maroc revenaient relativement beaucoup plus chers aux patients comparés à leurs coûts ailleurs dans le monde. Mais, les partenaires français y ont trouvé l’occasion de se servir copieusement dans les poches des industriels marocains en évitant eux-mêmes de payer quoi que ce soit à l’administration locale. Il est probable que la France métropolitaine ait agi dans d’autres pays de l’Afrique francophone de la même manière qu’ici au Maroc.

A présent, si les risques sanitaires peuvent concerner aussi bien les produits alimentaires que les produits pharmaceutiques, la gravité des dangers potentiels n’est pas du même degré ainsi que les incidences éventuelles sur la santé du consommateur ou patient. Dans cette perspective, la gestion des menaces en question doit être adaptée au type de risque véhiculé par la prise d’un aliment d’un côté et, de l’autre, suite à la prescription d’un médicament (voir plus bas). Par exemple, dans le cas d’une infection d’origine alimentaire, les chances sont grandes pour que quelques heures, ou quelques jours, après la consommation d’un repas, des symptômes (communs aux maladies d’origine alimentaire) telle que la fièvre, vomissements, maux de tête et autres apparaissent comme signes annonciateurs de problèmes sanitaires plus graves à venir. Cela peut permettre, en quelque sorte, de prendre les devants et chercher les soins médicaux appropriés. Dans le cas d’un médicament falsifié, l’effet peut être beaucoup plus pernicieux car il faut prendre en considération l’« effet placebo ». Ceci veut dire qu’à l’idée de recevoir un médicament prescrit, des malades peuvent, provisoirement, se sentir mieux même si le produit est factice. Dans ces conditions, si le médicament administré est frauduleux et que son effet nuisible ne se révèle que bien plus tard (produit cancérigène et autres), le patient peut avoir le sentiment (effet placebo) de guérison momentanée alors qu’en réalité des effets désastreux, sous l’action du médicament défectueux, couvent dans son corps à son insu pour émerger à un moment où il sera trop tard pour remédier au problème. Pour cette raison, la qualité et la rigueur du contrôle des médicaments sont plus impérieux ici que dans de nombreuses autres sphères d’activité.

Sous ce rapport, les données disponibles laissent penser que certaines sociétés qui exercent sur le créneau des médicaments génériques, principalement en Chine et en Inde, définissent les critères de Contrôle/Qualité en fonction du pays auquel ils destinent le produit pharmaceutique à l’export. La fabrication la moins soignée (réduction de la teneur en principe actif par exemple) et le contrôle subséquent le plus laxiste (Bulletins d’Analyses falsifiés) est réservé aux produits destinés à nos pays africains. Apparemment, ces professionnels de type mafieux se renseignent bien sur le sérieux (ou permissivité) du contrôle du pays de leur intérêt pour ne pas prendre de risque « inconsidéré » pour leur business. Ceci explique notamment les résultats de sous dosage récurrents que l’on trouve dans des antibiotiques importés en Afrique et qui nuit gravement (désastre des résistances bactériennes) à la santé de nos concitoyens. Parallèlement, ce constat corrèle avec le manque de rigueur du contrôle qualité institutionnel dans nombre de nos pays africains qui est décrié régulièrement par des organisations non gouvernementales. Par contre, ces mêmes entreprises de génériques procèdent à des opérations de fabrication correctes et des contrôles rigoureux et sans faille sur les lots de produits qu’ils destinent, par exemple, au marché américain qui est considéré le plus sévère dans le monde pour la vérification de la qualité des produits pharmaceutiques. Les grandes firmes pharmaceutiques mondiales confirment régulièrement que la réussite de l’épreuve du contrôle qualité de la FDA améliore notablement les chances de commercialisation réussie d’un médicament à l’international.

Mais tous les pays n’ont pas les moyens de s’offrir des structures de contrôle du niveau de la FDA. Par exemple, les informations rendues publiques après le désastre du « benfluorex-Mediator » en France ont montré qu’en plus de coûter très cher à mettre en place, les structures de contrôle des médicaments dans L’Hexagone sont loin d’être simples à gérer. Néanmoins, le résultat du désastre du médicament susnommé, avec des centaines (voire des milliers) de morts et le compte continue, reste impardonnable pour les familles victimes de la catastrophe. On déduit également que si la gestion de telles structures de contrôle des médicaments est considérée comme onéreuse et complexe pour un grand pays comme la France, autant dire que l’effort est largement au-dessus des possibilités d’un pays africain individuel. Dans le même temps, se passer d’un organisme de contrôle de produits pharmaceutiques, locaux ou importés, n’est pas une option non plus. Sinon, nos  pays africains risquent de devenir des places de recyclage de produits médiocres (substandard) voire tout bonnement périmés.

Dans le passé, des pays européens ont eu recours à l’assistance de la FDA pour les aider à remettre sur pied leurs structures de contrôle détruites lors de la dernière grande guerre. Une idée serait que nos futurs responsables sur la Zleca ouvrent un dialogue avec la FDA (Agence Fédérale Américaine de Contrôle des aliments et des Médicaments) avec le souhait de bénéficier du même type d’assistance dont les européens ont profité avant nous. Il n’y a aucune raison de penser que la FDA leur refuserait un service qu’elle a rendu à un autre continent dans le passé.