Le médiocre loue le médiocre

Il y a quelques jours une femme et sa fille sont mortes d’une intoxication à la toxine botulique. L’ONSSA (Office National de Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires) a sorti deux communiqués, voir ici et ici, louant, contre tout bon sens, le travail de la société au produit incriminé sans la nommer ! La presse a indiqué le nom de KOUTOUBIA, leader de la charcuterie à base de « VSM » (Viande Séparée Mécaniquement) au Maroc, comme le fabricant du produit incriminé.

Il est intéressant de noter que, contrairement à l’habitude, les communiqués de l’ONSSA sus-évoqués ont été rédigés cette fois en arabe uniquement. Probablement qu’en français, les chances auraient été  grandes qu’ils soient lus ailleurs en Afrique, ce qui ferait de l’ombre sur les hauteurs du Plan Maroc Vert qui promeut l’image d’un Maroc leader du secteur agroalimentaire africain. L’ONSSA aurait-elle cédée à une pression d’ordre politique pour faire une entorse à ses communiqués habituellement bilingues ? Ce qui est certain, c’est que l’organisme de tutelle a été mis en place pour veiller sur la salubrité des aliments consommés par l’homme et l’animal. Tresser des lauriers à une société dont un produit a causé les décès de consommateurs est simplement ahurissant. A titre personnel, je suis habitué au travail bas de gamme de cet organisme (voir différents articles de ce blog). En effet, depuis près de vingt-cinq ans à présent que j’exerce dans le métier d’expertise judiciaire, comprenant des centaines d’expertises d’ordre légal faites pour différents tribunaux du Royaume, je peux dire que de nombreux responsables de la répression des fraudes, dont j’ai eu les opportunités d’observer les agissements, dont certains sont peut-être drapés à présent de la couverture ONSSA, ne sont tout simplement pas à la hauteur des exigences que demande ce type de mission. La question qui se pose est pourquoi ces services en particulier, au contraire d’autres services de l’Etat, n’ont pas bénéficié d’une mise à niveau ? Il est difficile de répondre à cette interrogation compte tenu de la sensibilité et la portée du contrôle alimentaire. Mais, habituellement, le Maroc est prompt à mettre en œuvre des opérations de mise à niveau s’il reçoit des critiques d’organismes européens sur tel service ou tel organisme etc. Il est vrai que les européens (certains en tout cas) louent directement et indirectement les prestations de responsables de l’ONSSA alors que ces prestations sont pour nous autres les marocains au-dessous de ce qui est médiocre. Cela amène à la question suivante : Pourquoi diable, les européens sont si complaisants avec l’ONSSA et ses affiliés. Il n’y a pas de preuve et on risque de verser dans la diffamation. A présent, si on regarde par une autre entrée, on réalise que, sans certification de nos voisins du Nord, on ne peut rien exporter sur le marché européen, de très loin le premier marché pour les produits agroalimentaires (agricoles) marocains et africains en général. Lu dans l’autre sens, cela indique que la crédibilité de l’« accréditation » ONSSA est au niveau zéro pour les donneurs d’ordre de l’autre côté de la rive méditerranéenne. La boucle est bouclée : ce qui affaiblit la crédibilité de l’ONSSA verse dans l’augmentation de celle des autres intervenants privés européens pour, dans bien des cas, racketter nos opérateurs locaux. Il existe de nombreux exemples qui soutiennent cette réalité.

Selon les informations que je tiens de sources directes, certaines coopératives vivent l’enfer avec un « grand » certificateur européen qui s’est débrouillé pour s’imposer par Arrêté ministériel (un scandale tout simplement !) pour un quasi-monopole sur la certification relevant du domaine du « BIO » au Maroc. Régulièrement, les produits alimentaires de ces coopératives, certifiés par cet organisme, sont bloqués à l’entrée de certains marchés européens dans l’attente que ces exploitants produisent les certificats sanitaires afférents aux produits en question. Et chaque fois, le certificateur concerné met des semaines, voire des mois, pour délivrer ce type de document réglementaire. Il y a lieu de rappeler que la certification « BIO », ou « terroir » ou autre qualificatif de ce genre, ne préjuge pas de la qualité sanitaire du produit laquelle chez nous est définie par la loi 28-07, qui prévoit des peines pénales en cas d’infraction à la loi. Or ces « certificateurs » sont au Maroc et en Afrique pour faire de l’argent sans aucun risque, surtout pénal ! Comme c’est le cas pour les certifications dites « BIO ». Justement, un autre de ces certificateurs européens m’avait contacté il y a quelque temps pour me demander (de manière pudique) si je voulais bien, sur la base des données analytiques qu’il m’enverrait, lui rédiger un Bulletin d’Analyses (BA) et le signer contre paiement. J’ai bien sûr refusé car cette pratique relève d’un travail non professionnel ou même frauduleux aux yeux de la réglementation en vigueur. Mais ces gens finissent par trouver un professionnel « bonne pomme » pour exécuter le travail comme ils le lui demandent. Ceci leur donne une couverture d’ordre juridique et leur permet, dans le cas des coopératives bloquées citées plus haut,  d’éditer un BA à destination des douanes étrangères en toute quiétude.

Il semble que le gouvernement marocain n’ait pas encore décidé de faire de la mise à niveau des structures de l’ONSSA une priorité. Peut-être que, malheureusement, ces intoxications avec décès successifs de consommateurs innocents le persuaderont de donner un coup de balai « sanitaire » dans un organisme dont la médiocrité des prestations ne fera que nuire aux objectifs du Royaume de devenir leader exemplaire du secteur agro-industriel africain.