L’Afrique ou le dernier continent colonial

Parmi les points importants auxquels il est fait régulièrement allusion pour caractériser le manque d’efficience de l’activité du secteur privé chez nous, il y a la difficulté de recouvrer le paiement dû pour une marchandise vendue ou un service rendu. Même que, dans de nombreux cas, des opérateurs hideux en ont fait un fonds de commerce. Ils sont encouragés en cela par la lenteur judiciaire et/ou son inefficacité qui rebute les créanciers à demander leur avoir par voie de justice et parfois abandonnent même de réclamer. Il y a, peu ou prou, des difficultés comparables au niveau du commerce international pour nos pays africains. En fait, s’agissant des produits alimentaires, l’OMC, l’instance internationale de régulation, se réfère bien au Codex Alimentarius pour son rôle d’arbitrage des litiges, principe sur lequel tout le monde est d’accord. Mais, le processus est lourd, très onéreux et extrêmement lent ce qui contrevient à la dynamique d’un commerce profitable. De plus, les experts qui peuvent instruire ce genre de dossiers sont dans l’hémisphère nord ainsi que les « instances habilitées à les reconnaître ». On comprend alors que, malgré les nombreux cas d’injustices commerciales flagrantes, et documentées, de pays de l’UE envers des pays africains, aucun de nos Etats n’ose porter un litige devant l’OMC.

Certains objectent à ce constat en faisant valoir que les transactions commerciales sont l’apanage d’opérateurs privés dont les marchandises sont elles-mêmes certifiées par des prestataires privés. Ils n’ont pas tort sur la forme, mais à côté de quelques prestataires qui font simplement le travail qu’on leur demande, la réalité est bien plus complexe. Le commerce des aliments, dans le sens du sud vers le nord, est à présent otage de milliers de textes et de standards dont le nombre ne cesse d’augmenter d’années en année. A moins d’être parfaitement naïf, il est difficile d’adhérer à l’hypothèse que tout ce déluge de normes, dont la majorité est produite par l’UE, a pour seul but la vérification stricto sensu du statut de salubrité des produits alimentaires en question. Or, les exemples sont multiples, dont certains ont été traités dans plusieurs articles de ce même blog, qui illustrent le manque à gagner énorme sur le plan financier pour nos pays africains comme conséquence de l’application de normes imposées à l’export de nos marchandises pour des considérations manifestes de restriction commerciale très éloignée de la salubrité alimentaire même. La difficulté n’est toutefois pas dans le diagnostic, mais dans la recherche de la solution éventuelle à apporter pour initier un cheminement, qui sera forcément lent et difficile, dans le sens de diminuer un peu de l’inégalité dans les échanges Afrique/reste du monde, et avec l’UE en premier lieu.

D’aucuns suggèrent parfois de s’adresser aux instances du Codex Alimentarius sans avoir une idée précise ni sur ce qu’il faut demander exactement à cet organisme ni si l’Instance en question a quelque prérogative que ce soit pour apporter une solution au déséquilibre commercial que vit l’Afrique. Car à la fin des fins, en schématisant un peu, il s’agit de la tutelle sur un recueil de textes qui ont été adoptés par consensus, fréquemment en l’absence de pays concernés, mais qui sont à présent en vigueur. Sans oublier qu’en jouant un peu, avec un petit degré de mauvaise foi, sur le fameux « Principe de précaution » et la non moins fameuse clause comme quoi chaque pays a le droit de prendre des mesures de nature à préserver la santé de ses citoyens, et d’autres rubriques, de type technique et de procédure du même genre, inscrites dans les textes du Codex, il y a là des échappatoires en forme de boulevard pour tout pays qui souhaite utiliser de tels outils à son avantage pour barrer la route à des produits dont il ne veut pas sur son marché pour une raison ou une autre.

Comme on peut le déduire, nos pays africains ne sont présentement pas en mesure, loin de là, de rééquilibrer nos balances déficitaires avec nos voisins du nord, basées essentiellement sur le commerce de vente en vrac de produits agricoles et assimilés, en empruntant les voies réglementaires qu’ils ont eux-mêmes mises en place et qu’ils veulent bien mettre à notre disposition. Un accrochage frontal sur l’inflation des normes ne serait pas indiqué non plus car dans le scénario le plus optimiste, cela conduirait éventuellement à une victoire à la Pyrrhus sans aucun intérêt pour nos pays qui manquent cruellement de ressources.

Au collège, nous avons appris que la compréhension d’un problème est 50% de la solution. Alors, quels sont nos problèmes en Afrique dans le secteur agroalimentaire? Nous vendons nos matières premières agricoles à prix ridicule et nous achetons les produits finis correspondants à prix prohibitif. Sous ce rapport, le problème est beaucoup moins grave que si nous n’avions pas de matières premières. En plus, tout le monde est conscient que le savoir-faire existe chez nous ou bien il est facilement accessible. Le financement suit les précédentes considérations. Pour ce qui manque, le Roi Mohammed VI a bien mis le doigt dessus lors de son discours du 31 Janvier 2017 devant le 28ème Sommet de l’Union Africaine à Addis-Abeba, à savoir que l’Afrique doit dorénavant faire confiance à ses propres ressources humaines au lieu d’emprunter chaque fois une expertise de l’extérieur qui revient très chère et se révèle de plus en plus inadaptée pour aider à faire avancer le développement en Afrique.

Pour tout ce qui précède, et d’autres considérations plus intimistes, le temps est venu de lancer un  Label-Qualité  Continental de Certification pour l’Afrique, basé sur des critères scientifiques et techniques rigoureux et qui soit financièrement à la portée des PME et des coopératives locales, pour honorer les opérateurs de notre continent qui œuvrent à l’émergence d’une approche de travail conforme aux règles de Sécurité Sanitaire prônées par le Codex Alimentarius au niveau de la chaîne alimentaire. Et pour booster le commerce interafricain sur le secteur agroalimentaire qui est le premier but à atteindre dans l’avenir proche.