L’UE a, en chantiers plus ou moins avancés, des accords de libre-échange avec de nombreux pays dont le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay dans le cadre du Mercosur, avec le Canada et aussi le Japon. Le Bloc a aussi en vue de nouveaux accords avec plusieurs autres pays. L’UE met ce type d’accords qu’elle signe avec des pays tiers sous le Label du Multilatéralisme et considère, sous ce rapport, que les accords bilatéraux que recherche l’Administration américaine sont contraires à l’esprit du Multilatéralisme. Il s’agit là d’un facteur parmi d’autres qui exacerbent les relations déjà tendues entre les deux grands protagonistes transatlantiques sur le plan commercial, diplomatique et autres (voir plus bas). Il reste que les tractations pour ce type d’échanges avec l’UE sont complexes et laborieuses. L’accord doit en effet recevoir l’avis favorable de chacun des 27 pays du Bloc, ensuite être soumis pour ratification à une quarantaine de parlements locaux avant de finir devant le parlement UE pour validation et signature définitive. La procédure est donc longue et tortueuse, pouvant durer de nombreuses années, et peut à chaque moment être retardée et/ou bloquée par l’un ou l’autre des nombreux groupes activistes d’un pays ou un autre de l’UE. Le blocage peut venir aussi des hautes instances d’un pays suite, par exemple, à des querelles de personnes comme l’a rapporté dernièrement la presse internationale à propos d’un différend entre les Présidents français et brésilien. Toutefois, les plus bruyants des groupes européens de pression sont sans conteste les opérateurs du secteur agricole français qui ne veulent entendre parler d’aucun accord de libre-échange quel qu’il soit qui remettrait en cause les privilèges que ces militants français ont acquis depuis la création du marché unique européen et la mise en œuvre de la PAC (Politique Agricole Commune).
S’agissant de la nourriture, le choix européen d’ultra-protéger leur secteur agricole, pour garantir leur autonomie alimentaire, dérive à l’origine de leurs souvenirs de la dernière grande guerre pendant laquelle de nombreux pays européens ont souffert de la faim. Cependant, les privilèges accordés aujourd’hui aux professionnels du secteur agricole UE peuvent ressembler à une politique de rente en permettant à des éleveurs, parfois avec seulement quelques dizaines de vaches laitières, de vivre comparativement confortablement, voire de s’offrir des congés payés. Mais l’Allemagne, le premier des contributeurs nets de la PAC qui permet ces largesses, semble être fatiguée de soutenir ces subsides et ne cache plus son agacement à l’égard de telles dépenses qui profitent en premier lieu aux pays latins de l’UE. Il est hautement probable qu’après le « Brexit », et la sortie de l’UE de la Grande Bretagne, autre gros contributeur net de la PAC, les allemands seraient encore plus réticents à l’avenir pour soutenir les versements occasionnés par la PAC. Pour le moment, le lobbying agressif de la France aide à faire durer le système de subventions au secteur agricole UE tel qu’il est. Les français considèrent en effet que la protection du secteur agricole/agroalimentaire UE bénéficie à toute l’Europe y compris l’Allemagne. Pour comprendre cette affirmation, il est utile de rappeler que, considérant les normes mises en place par l’UE Agricole (synonyme de France Agricole), en dehors du Codex et/ou autre réglementation internationale, les produits agricoles et agroalimentaires africains, ou en provenance d’autres pays comparables, peuvent être interdits d’accès au marché UE même s’ils sont conformes au Codex. Et dans ce cas de figure, comme le montrent différents exemples documentés, nos exportateurs concernés deviennent les victimes de spéculateurs européens bien rodés qui leur achètent leurs matières premières agricoles refoulées à des prix dérisoires avant de les acheminer selon des stratagèmes élaborés sur le marché UE et les revendre avec des marges substantielles au profit de tous les pays européens l’Allemagne y compris.
Pour ce qui concerne la querelle « Multilatéralisme VS Bilatéralisme » qui oppose l’UE aux USA, il y a lieu de jeter un éclairage sur ces concepts pour mieux analyser le raisonnement sous forme de sophisme de l’UE. La Commission de l’UE, le « Gouvernement des 27 », négocie effectivement les traités d’accords de libre-échange et les signe. Formellement, il s’agit d’un « acte bilatéral » entre deux entités comme le feraient par exemple les Etats Unis et un autre pays tiers. Mais alors que dans ce dernier cas, la loi fédérale s’applique exactement de la même manière aux produits importés du pays tiers quel que soit le port américain d’entrée ; la réglementation UE, dans le cas du Bloc européen, peut être interprétée et appliquée différemment selon la compréhension que le pays souverain de l’UE (qui comprend le port d’entrée de la marchandise) veut bien lui donner. Les exemples existent qui montrent que cette compréhension peut largement différer d’un pays à un autre de l’UE et se traduire in fine par un manque à gagner sur le plan économique et/ou commercial pour le pays exportateur du produit. Compte tenu que la plupart de nos produits d’Afrique de l’Ouest pénètre le marché UE via la France, il s’ensuit que notre compréhension de la réglementation UE se confond avec celle que la France en fait. Cela n’est toutefois pas le cas pour d’autres pays qui font entrer leurs produits (les mêmes) par différents ports de l’UE. Parmi les pays concernés par ce cas de figure, il y a les USA, par exemple, qui s’est plaint dans le passé des traitements différents de ses produits exportés selon justement le port d’accès au marché UE. Par ailleurs, quoique cela ne soit pas évident de prime abord, le système réglementaire UE d’importation/distribution de nos produits africains, et autres semblables, est tout sauf innocent. Selon des rouages bien conçus (non abordés dans cet article), le système facilite aux officiels européens d’accepter à leur guise les produits qu’ils souhaitent faire accéder au marché unique. Il leur permet dans le même temps de rejeter tous les autres produits selon des canevas qui ne prêtent pas le flanc à la critique. Pour faire simple, le protocole permet, par exemple, de fermer le marché UE « selon les règles de l’art » à tout exportateur africain qui aurait des velléités de recherche d’autres débouchés pour ses produits en dehors de l’UE.
Pour revenir aux tensions US/UE, il y en a qui pensent, dont nous-même, que le schisme transatlantique actuel est trop profond et très sérieux pour être expliqué seulement par un différend d’ordre commercial. Le contentieux serait plus global et remettrait en cause, sur tous les plans, les fondements mêmes des relations internationales telles qu’elles ont été posées après la dernière Grande Guerre. A l’époque, on a vu naître le FMI, la Banque mondial, l’OMC et d’autres organismes internationaux qui organisent les relations de pays à pays sur le plan commercial, économique, diplomatique et autres. Les pays y avaient chacun une place et droit à donner son point de vue et, le cas échéant, sanctionner une décision en lui accordant sa voix au vote. Ce schéma, conçu et validé en ce temps-là par les USA, était relativement simple et consacrait l’omnipuissance des Etats Unis qui avait, compte tenu de ses moyens et capacités, prééminence sur chacun des pays du globe pris individuellement. Après la chute du mur de Berlin, et la réunification allemande, les pays européens ont défendu bec et ongle le projet et obtenu que l’UE ait un statut équivalent à celui d’un Etat souverain avec drapeau, hymne, ambassades et représentations diplomatiques etc. En faisant ainsi, ils ont apparemment pris les USA au dépourvu et, comme conséquence, ils ont chamboulé toutes les règles et pratiques suivies jusqu’alors au niveau des instances de régulation internationale. Par ce tour de passe-passe, la voix de l’UE est devenue plus imposante au niveau de l’OMC, du FMI, du Codex Alimentarius et ailleurs. En quelque sorte, les européens imposent dorénavant aux américains l’obligation de transiger à propos de quoi que ce soit avec l’UE au niveau de chaque organisme régulateur international. Sous ce rapport, lorsque, il y a quelques années, les américains ont, au FMI, adopté une position contrariant celle de l’UE sur la dette grecque, les européens, l’Allemagne au premier rang, ont brandi la menace de mettre sur pied un FMI parallèle. Il semblerait donc que l’Allemagne, qui a perdu la guerre militaire il y a une éternité de cela, soit revenue, drapée cette fois de la couverture opportune de l’UE, dans le but de prendre sa revanche sur le plan économique et commercial. Pour l’Uncle Sam, ce nouveau paradigme germano-franco-européen est simplement au-dessus de tout ce que les américains seraient prêts à tolérer.
Les américains sortiront très probablement vainqueurs de ce bras de fer (multilatéralisme, tarifs et autres) qui les oppose au Bloc UE. Il ne fait plus de doute non plus que l’avenir de la PAC, qui attend sa fin, est derrière elle à présent. En effet, de nombreux pays qui convoitent un accord de libre-échange avec l’UE sont intéressés davantage par la technologie allemande que par les produits fermiers de l’Hexagone. Mais à présent que les américains ont, dans le sillage de la guerre commerciale avec la Chine, mis le turbo pour fragiliser l’économie allemande, la France veut croire à l’opportunité de son leadership sur l’UE. Cette querelle franco-allemande ne fait que commencer mais emportera à coup sûr avec elle ce qui reste du système de la PAC. Ce qui est probable aussi, c’est que les normes UE en vigueur actuellement resteront en place pour l’avenir prévisible et continueront d’impacter négativement l’exportation de nos ressources agroalimentaires africaines vers le marché unique européen. Si l’Afrique, comme elle y a intérêt, veut changer les choses, la Zleca (Zone de Libre-Echange Continentale Africaine) devrait mettre en priorité le chantier de mise en œuvre de normes africaines adossées au Codex Alimentarius le plus rapidement possible.