Avis de Constitution de : l’« A.E.F.S»

Cette note est pour informer que nous sommes activement engagés dans le processus de constitution de l’Association des Experts Africains en Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires, ou A.E.F.S. (the African Experts of Food Safety), dont le siège provisoire sera domicilié au LEAA (Laboratoire Essadki d’Analyses Alimentaires), sis au 34, Bd Mohamed V à Casablanca, Maroc. L’assemblée Générale constitutive est prévue pour début 2016 à la Chambre de Commerce d’Industrie et de Services de Casablanca. Les personnes éventuellement intéressées par le développement de ce projet peuvent avoir plus d’informations auprès du secrétariat du LEAA au téléphone : +212 522 272 708/713 ou par fax : +212 522 260 450 ou par email au : laboratoire.essadki@gmail.com

Ahmed Essadki, PhD
Expert habilité en sécurité sanitaire des aliments
Expert (National) assermenté près la CA de Casablanca, agréé par la Cour Suprême
Expert autorisé en Suisse
Membre de l’ACS (American Chemical Society)
Expert agréé par la FDA (United States Food and Drug Administration)
Président Directeur Général
Groupe Maroco-Suisse de Cabinets d’expertises
Web: www.foodexpertises.com
Blog: www.Alkhabir.org
Directeur,
Laboratoire Essadki d’Analyses Alimentaires
34, Bvd Mohamed V, 2ème étage n°49, 3ème étage n°42, 20080 Casablanca
Tel: 0522 272708/13
Fax: 0522 260450

 

 

La crédibilisation de l’ONSSA

Si la réputation d’un organisme relève d’abord et avant tout de la qualité de son personnel, on peut dire que celle de l’ONSSA (Office National de Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires) était entachée de médiocrité dès sa naissance en 2009. En effet, le corps des verbalisateurs de cet organisme pratiquait, dernièrement encore, selon une approche de travail coloniale en n’annonçant pas leurs visites à l’avance aux exploitants, en ne déclinant pas leur qualité, en échangeant avec les exploitants uniquement par voie orale et en ne laissant aucune trace écrite  de leurs « visites de travail » ou bien de leurs remarques éventuelles sur l’Unité inspectée, pour ne citer que ces quelques exactions courantes. En réalité, le but essentiel poursuivi par ces gens était de racketter les opérateurs, point final. Au cas où, pour une considération ou une autre, un reproche venait à leur être adressé, ils niaient tout en bloc et il était impossible de prouver quoi que ce soit devant quelque instance que ce soit. Le résultat net de cette approche de « travail de contrôle » proprement mafieuse aura été l’adaptation des exploitants marocains à ce système d’extorsion par des productions médiocres et frauduleuses ce qui a rendu de facto le travail de notre système de production agroalimentaire très loin des standards reconnus de par le monde et hautement non compétitif. Le cri d’alarme du Directeur Général de l’ONSSA lancé  dernièrement devant l’ampleur des produits périmés et/ou frauduleux retirés juste à temps avant leur introduction dans le circuit commercial marocain est révélateur du délabrement atteint par le  système de contrôle alimentaire chez nous. Cela aura finalement duré un temps infini pour se terminer à présent, ou à tout le moins de tels abus sont appelés à grandement diminuer à partir de maintenant. En effet, l’État a enfin initié  une démarche pour revêtir l’ONSSA de la crédibilité qui lui fait défaut. Désormais, après avoir suivi une formation sur les domaines traités par la loi 28-07 de sécurité sanitaire des produits alimentaires et prêté serment pour appliquer la nouvelle réglementation, les verbalisateurs attitrés à la tâche du contrôle seront détenteurs d’une carte professionnelle qu’ils doivent porter de manière apparente lors de l’accomplissement de leurs missions. Dit autrement, les exploitants seront à l’avenir fondés par la loi de refouler tout fonctionnaire de l’ONSSA qui n’arborerait pas sa carte professionnelle. Les agents ONSSA doivent aussi mettre par écrit sur un registre à cet effet, avant de repartir de l’Unité auditée, les remarques et observations relevées durant leur travail d’inspection et dater et signer en même temps que les opérateurs inspectés.

Il ne faut pas s’y tromper ; il s’agit bien d’un changement radical au comportement habituel des verbalisateurs ONSSA auquel il leur est demandé de se conformer immédiatement. Alors que ces fonctionnaires fermaient volontiers leurs yeux auparavant sur les insuffisances de sécurité sanitaire des aliments, constatées lors de leurs tournées d’« inspections », qui n’étaient alors signalées nulle part, et, en somme, monnayaient ce silence en argent sonnant et trébuchant ; ils sont tenus dorénavant de coucher de telles observations par écrit, faute de quoi ils seraient coupables d’une transgression de la réglementation, acte répréhensible puni par la loi.

La dernière campagne d’assainissement à l’occasion du Mois sacré de Ramadan doit avoir joué un rôle de pousser les autorités à accélérer enfin l’implémentation de la loi 28-07 votée en 2010 déjà. Les milliers de tonnes de marchandises impropres à la consommation qui auraient, autrement, pu être consommées sans cette vigilance (des forces de l’ordre d’abord), avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer sur la santé publique, est un facteur significativement éloquent de l’ampleur de la déliquescence à laquelle le système national d’importation, de production, contrôle et distribution des denrées alimentaires est arrivé. Tout le monde est responsable à commencer par les différentes fédérations concernées de la CGEM (Confédération Générale des Entreprises du Maroc) regroupant les importateurs, producteurs et distributeurs. Il y a aussi les grandes surfaces et les consommateurs mêmes et il y a l’ONSSA, organisme de tutelle sur le secteur et sur ses verbalisateurs. Alors, en plus des décrets promulguant la nouvelle manière de procéder pour l’audit des entreprises, l’État s’est également adressé à chacun des groupes d’intérêt du secteur pour les rappeler à leur responsabilité citoyenne et les inciter à abandonner les politiques de complaisance que chacun a pu avoir à ce jour vis-à-vis du circuit d’import, de production et de  commerce des produits alimentaires dans notre pays. Les fédérations doivent intervenir auprès de leurs adhérents pour les pousser à décrocher leur autorisation/agrément auprès de l’ONSSA. Ce dernier doit respecter dans les faits le délai de 45 jours entre le dépôt d’un dossier complet et la visite sur site en vue des vérifications d’usage pour l’attribution de l’autorisation/agrément. Les importateurs sont à présent instruits de cette obligation d’être autorisé et/ou agréé par l’organisme de tutelle sous peine de voir leurs produits importés être bloqués en douane. Les grandes surfaces sont informées qu’à partir de ce premier Septembre 2015 ils ne doivent s’approvisionner en produits alimentaires que chez des producteurs et/ou importateurs qui sont dûment agréés/autorisés par l’ONSSA. Dans le cas contraire, ils seraient considérés des complices d’un trafic illicite de denrées alimentaires et paieraient un prix extrêmement cher en mauvaise publicité au regard d’un calcul étroit sur de petites économie d’un niveau d’épicerie. Enfin, les verbalisateurs savent à présent que l’ère du laxisme est révolue et obligation leur est faite de se conformer strictement à la loi dans l’exécution de leurs opérations de contrôles.

Mais peut-on pour autant considérer que le secteur agroalimentaire national s’est affranchi à présent de tous les handicaps qui l’ont miné depuis l’ère coloniale ? Bien sûr que non, car le diable est dans les détails. Le système que la nouvelle réglementation vise à juguler est en place depuis de nombreuses décennies et, à ce titre, a eu le temps de créer sa propre synergie. Des acteurs individuels ayant intérêt que le système perdure ont eu le temps de s’acoquiner et n’épargneront aucun effort pour freiner l’évolution normale de l’implémentation de la nouvelle réglementation. N’oublions pas que l’ONSSA est là depuis plus de six ans sans résultat probant permettant de distinguer son action par rapport aux services de la répression des fraudes qui l’ont précédé.  Les agents verbalisateurs pourraient être tentés de déclarer moins de visites que ce qu’ils auraient réellement effectuées lors de leurs tournées à venir. Mais, il leur faudra pour cela la complicité des exploitants et seront ensemble hors la loi le cas échéant. Sous ce rapport, les instances hiérarchiques ONSSA seraient bien inspirées de fixer à l’avance le calendrier des tournées aux verbalisateurs et mettre sur internet les résultats de leurs visites effectuées dans les Unités concernées. Dans le même ordre d’idées, le délai de 45 jours pour la visite de l’ONSSA, après le dépôt d’un dossier complet pour autorisation et/ou agrément, devrait être scrupuleusement respecté par l’organisme ce qui, selon nos informations, n’est toujours pas le cas actuellement. Enfin, le système de prélèvement des échantillons, confié encore, en dehors des normes, à des personnes qui ont fait leur temps sous l’« ancienne loi répressive 13-83 » de répression des fraudes, qui ne portent pas de responsabilité aux yeux de la réglementation actuelle, continuera de perturber la mise en place ordonnée de la nouvelle réglementation. Le lobbying de ces préleveurs à la petite semaine auprès de leurs ex-collègues du LOARC (Laboratoire Officiel d’Analyses et de Recherche Chimiques) et autres laboratoires officiels pour influer sur le déroulement des analyses, n’ajoute rien à la clarté du système mais, bien au contraire, le rend davantage opaque et risque de remettre l’adhésion des importateurs à l’autorisation et/ou agrément ONSSA aux calendes grecques. Il y a lieu de remédier également à un autre travers des auxiliaires ONSSA sur le terrain ; certains, parmi ces fonctionnaires, font copier des documents, cela peut être un programme HACCP (Hazard Analysis & Critical Control Points) par exemple, faits pour une entité donnée et les remettent à une autre entreprise qui peut les falsifier et les revendiquer comme siens. La hiérarchie ONSSA doit indiquer clairement qu’un document non correctement renseigné ou qui ne porte pas, en particulier, les identifiants de celui qui l’a fait et pour quelle Unité, et daté et signé devrait être considéré comme anonyme et sans valeur pour la demande d’agrément et/ou d’autorisation.

Ainsi seulement la crédibilité de l’ONSSA sera mise sur les rails pour hisser le niveau de qualité du marché marocain et donner l’assurance qu’il faut aux organismes équivalents étrangers pour contribuer à booster l’export de nos produits alimentaires sur un continent africain qui en a tant besoin.

Les revers de la Politique Agricole Commune

Depuis quelques années, le secteur agroalimentaire français, le premier de l’Europe des 28, va de plus en plus mal, tire vers le bas l’ensemble de l’économie française et risque d’impacter négativement l’économie des pays de la « zone euro ». Or ce secteur vital de l’économie française ne fait que ce qu’il a l’habitude de faire depuis bien longtemps. Juste après la deuxième guerre mondiale, des pays européens parmi ceux qui ont souffert de la faim, ont passé des lois prioritisant l’autosuffisance alimentaire. Mais au début des années mille neuf cent soixante déjà, des études de prospective montraient clairement la divergence entre la courbe de croissance de la population mondiale et celle des ressources alimentaires de la planète ; la première augmentant plus rapidement que les secondes. La Politique Agricole Commune européenne (PAC) a alors été instaurée pour, entre autres, booster le rendement agricole dans les pays européens signataires. Depuis ce moment là, la France aura été le pays qui a profité des enveloppes d’aides financières de la PAC plus que n’importe quel autre pays de l’Union Européenne (UE). Cela a permis notamment à des milliers d’exploitants agricoles français d’être individuellement bien équipés et d’avoir un train de vie décent voir parfois enviable auquel ils n’auraient pas eu droit s’ils étaient jugés simplement à l’aune de leur compétitivité. Mais aujourd’hui, le secteur agroalimentaire français est dans une situation de détresse dont la genèse remonte à il y a plus de cinquante ans.

En se retirant, en apparence pour le moins, à partir des années cinquante du Maroc et ses autres colonies africaines, la France a pris les précautions de laisser sur place une élite francophone et de mettre sous tutelle les secteurs agricoles pour se faire approvisionner en Matières Premières et réexporter sous un régime préférentiel ses aliments industriels vers ces mêmes pays. Sous ce rapport, si la balance commerciale française a régulièrement été excédentaire c’est dû avant tout à son export de produits alimentaires transformés. L’élite francophone des ex-colonies en était le marché cible principal en Afrique et au moyen orient. D’autres pays à fort potentiel touristique mais à faible performance agroalimentaire, comme la Grèce, peuvent également être ajoutés à cette liste. Le pouvoir d’achat de l’élite des pays dont il est question, ou bien des touristes et les hommes d’affaires européens qui y séjournent, pouvait très bien s’accommoder de la cherté relative des produits alimentaires « Made in France ». Les effets conjugués des aides de la PAC et des ventes sur ces marchés bien accommodants d’Afrique et du Moyen-Orient ont eu un effet dopant sur le business agricole français. Cependant, aucun effort suffisant n’a été entrepris en parallèle pour améliorer la performance au travail des producteurs français de l’agroalimentaire. Ce type d’export a néanmoins pu se maintenir pour plus d’un demi-siècle grâce en particulier à des normes « appropriées », sanitaires et autres, faites sur mesure par la France pour favoriser ses propres produits transformés à l’export vers les marchés sus-évoqués, reprises telle que par la réglementation marocaine et celles d’autres ex-colonies. Les marchandises de la métropole en question bénéficiaient ainsi, jusqu’à très récemment, d’un transit douanier marocain souple et rapide au détriment des autres produits comparables quelle que soit leur origine ou leur qualité. Mais dernièrement, une nouvelle réglementation au Maroc, d’inspiration anglo-saxonne, a rompu avec cette habitude. Des démarches équivalentes en cours dans d’autres pays de la zone, ajoutées à l’aspiration de plus en plus manifeste des consommateurs de notre région d’acheter à l’international à des rapports qualité/prix plus justes, réduisent chaque jour un peu plus les privilèges dont le produit « Made in France » a joui à ce jour. Comme conséquence, et pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, l’« agroalimentaire » français ne sait plus comment faire pour continuer à se vendre à l’étranger et même sur le marché intérieur français.

Ces derniers mois, les choses se sont encore davantage gâtées suite à la fermeture du marché russe aux produits alimentaires européens et la détérioration toute récente de l’activité commerciale en Grèce qui continue en ce moment même. Alors, si dans le passé la France a rarement pris le contre-pied de l’Allemagne sur un problème européen, le Président François Hollande n’a pas hésité à affirmer sa détermination à garder la Grèce au sein de l’« Euro » au moment même  où la sortie de la Grèce de l’Union monétaire européenne, largement souhaitée par le peuple allemand, a été formellement proposée par son gouvernement au sein de l’« Euro groupe ». En plus du fait que la Grèce est un bon client de l’agroalimentaire français, il n’était pas difficile de réaliser que cet État n’avait pas de porte de sortie, pour dépasser sa crise, en dehors de la dévaluation d’une monnaie qu’il ne possède pas. La France en est au même point avec ses agriculteurs qui ne sont définitivement plus compétitifs et pour lesquels elle n’a pas non plus une monnaie à dévaluer pour leur restituer une telle compétitivité. Enfin,  si la Grèce devait, par accident, quitter l’« Euro » pour revenir à sa propre monnaie la « Drachma » très dévaluée, cela rendrait les exportations alimentaires françaises hors de prix pour les grecs qui seraient forcés de se tourner vers les produits équivalents de la Turquie beaucoup moins chers. Mais les opérateurs turcs de l’agroalimentaire sont ceux là mêmes qui prennent chaque jour plus de parts de marché aux produits alimentaires « Made in France » dans la région d’Afrique / Moyen Orient. Alors, laisser la Turquie prendre pied en Grèce est simplement hors de question pour la France.

Aujourd’hui, il ne fait plus aucun doute que le secteur agricole français, lâché par la PAC devenue trop coûteuse pour les autres membres de l’UE, rend les produits agroalimentaires français beaucoup trop chers pour les petites bourses des citoyens subsahariens. Mais il faudra plusieurs années dans les cas les plus favorables pour que ces pays soient en mesure d’assurer les besoins en aliments de base pour leurs populations. En attendant, les jeunes africains sans emploi et affamés n’ont plus d’autre choix que de migrer vers le Nord. Comme il n’y a rien à manger en Lybie en proie à un désordre tous azimuts, ils continuent au péril de leur vie vers l’Europe. Fait notable, ces personnes s’arrêtent à présent au Maroc parce qu’il y a à manger et peut être même du travail. Ceci fait de notre pays un des rares État qui a le potentiel en infrastructures et un climat favorable pour produire des aliments et les exporter vers d’autres pays de l’Afrique à des prix accessibles pour les citoyens de ces pays. Mais il nous faut pour cela tirer la leçon des déboires des agriculteurs français et faire de manière à devenir bien plus compétitifs si nous voulons réussir.

Report indéfini de l’entrée de la loi sur la sécurité alimentaire

La loi 28-07 de sécurité sanitaire des aliments (ci-après la loi) a été promulguée en Février 2010 et, mis à part les élucubrations linguistiques de l’ONSSA (Office National de Sécurité Sanitaire des Produits Alimentaires), ce dernier ne semble pas être prêt, cinq ans après, pour passer à la phase d’implémentation. L’organisme a pourtant rédigé le 22 septembre 2014 une circulaire, avec comme objet : « Agrément ou autorisation sanitaire des entrepôts de stockage des produits alimentaires importés », pour prévenir les importateurs qu’à partir du 1er décembre 2014, l’accès au marché marocain serait refusé à leurs produits alimentaires importés s’ils ne disposaient pas à cette date d’un agrément et/ou autorisation pour les locaux de stockage de ces marchandises. Mais la presse vient de se faire l’écho ces derniers jours d’une nouvelle circulaire de l’ONSSA du 12 décembre dernier aux directeurs régionaux de l’organisme annulant la note du mois de septembre jusqu’à nouvel ordre, et le blocage subséquent qui planait sur les produits importés, et prolongeant par voie de conséquence le statu quo, c’est-à-dire l’éloignement de l’entrée en vigueur de la loi. Le présent article réfléchit sur ces couacs à répétition que l’ONSSA n’a pas fini de produire depuis sa création réduisant chaque jour un peu plus le peu de crédibilité qui lui reste auprès d’organismes équivalents d’autres pays et, surtout, auprès des consommateurs marocains dans l’intérêt desquels cette autorité est supposée agir.

 Eclairage sur l’importation de produits alimentaires

 En même temps que la France coloniale déployait tous ses talents pour torpiller la naissance d’une activité agroindustrielle nationale (voir sous : http://alkhabir.org/linstrumentalisation-du-controle-production/), ce pays n’a eu de cesse de manigancer pour garder, en particulier, le marché marocain du commerce de produits agroalimentaires sous sa coupe. Le développement relativement démesuré du business d’import/distribution au Maroc de produits alimentaires venant de l’hexagone fait partie d’une telle stratégie. Il s’agit d’une activité où il y a peu de risque, si on dispose notamment de la bonne information de quoi importer auprès de la puissante chambre de commerce française de Casablanca. Ceci explique par ailleurs la facilité avec laquelle les opérateurs français, ou adhérents de la cause commerciale française, s’installent et progressent rapidement sur ce secteur des produits alimentaires importés. Ils sont aussi solidement assistés par de puissants prestataires de service, à l’exemple de la SGS, Veritas et autres, présents dans le pays depuis le protectorat et très au fait des pratiques que l’ancien colonisateur a inculquées depuis à  l’administration marocaine. Certains parmi ces prestataires possèdent des entrepôts de stockage qu’ils louent aux importateurs. Pour dire les choses simplement, les produits, et les opérateurs, en provenance de la France métropolitaine se taillent la part du lion du marché marocain de l’importation/distribution des produits agroalimentaires, et dans toute l’Afrique francophone d’ailleurs. Il est alors facile de comprendre que la diffusion de la note circulaire de l’ONSSA du 22 Septembre passé, menaçant la fermeture du marché marocain devant les importateurs en décalage avec la nouvelle réglementation, a dû touché un point névralgique et qu’une réaction violente et argumentée a pu se produire pour amener les responsables de cet organisme à suspendre sans autre avis l’application des mesures annoncées dans la circulaire en question. Comme le site de l’ONSSA reste muet sur les conditions qui ont obligé cette autorité à faire marche arrière sur l’entrée en phase d’application de la loi, il nous reste uniquement la voie des supputations et conjectures pour essayer de comprendre ce qui a bien pu se produire pour empêcher une fois encore la nouvelle réglementation d’entrer effectivement en vigueur.

 L’importation, une activité commerciale

 Le point commun de l’importation avec le travail d’une entreprise de production est que dans un cas comme dans l’autre il y a besoin d’un local de stockage. Dans la démarche HACCP, un tel local doit être propre et facile à nettoyer et désinfecter dans tous ses coins et recoins. Ensuite, dépendant des produits à y entreposer, il doit être possible d’y définir une température donnée et la maintenir, ou avoir des équipements adaptés en lieu et place (réfrigérateurs, congélateurs etc.), et avoir le même soin pour la teneur en humidité. Le local doit également être à l’abri de contaminations et/ou de contaminations croisées. Mais, dans les situations de location, il arrive que plusieurs importateurs se partagent un même espace de stockage. De plus, parmi ces opérateurs, il y en a qui ont en plus besoin d’un atelier pour répartir des produits reçus en grande quantité comme des poudres par exemple en de plus petits contenants et les étiqueter. Il est cependant rare qu’un importateur nécessite un dispositif plus étoffé pour faire son travail. Pour cette raison, les opérations de ce segment du secteur agroalimentaire sont plus proches d’une activité commerciale que de celle de production. Si, en plus, l’importateur loue simplement un espace chez un propriétaire, son business se rapproche davantage encore d’une activité de rente ! Mais ce sont des activités lucratives car la clientèle marocaine visée par les produits importés de France est celle de la classe moyenne supérieure et au-delà qui dispose d’un bon pouvoir d’achat. Alors, le fait que l’ONSSA soit revenu sur sa volonté notifiée de commencer à implémenter la loi quelques jours seulement après l’entrée en vigueur supposée de sa circulaire évoquée plus haut sans autre explication laisse supposer que l’obstacle rencontré à l’application devait être de taille. La presse parle de difficultés que les importateurs ont trouvées à essayer de se conformer à la loi. En fait, y’a-t-il une différence dans ce que demande la loi aux importateurs par rapport aux autres exploitants du secteur agroalimentaire pour l’obtention de l’agrément ? Ensuite, l’idée de l’ONSSA de tester l’application de la loi au niveau des importateurs en premier lieu était-ce vraiment une bonne initiative ?

 Dossier d’agrément ou d’autorisation

Le décret de la loi définit pour les entreprises et établissements concernés les exigences appartenant à l’agrément d’un côté et celles qui relèvent de l’autorisation de l’autre  et donne la liste de catégories d’entreprises soumises à l’agrément mais ne différencie pas, sous ce rapport, les importateurs des autres exploitants de la chaine alimentaire par référence à une priorité d’implémentation de la loi. De la même manière, l’arrêté relate bien les éléments du dossier à fournir à l’ONSSA pour l’obtention d’un agrément ou une autorisation mais se réfère aux établissements et entreprises agroalimentaires et ne discute pas isolément du cas des locaux de stockage des importateurs. En somme, la réglementation en vigueur raisonne, à l’instar des autres lois de pays avancés, en termes de dangers potentiels que pourraient poser un aliment sur la santé du consommateur pour déterminer si l’entreprise qui le fabrique se doit d’avoir un agrément (producteurs de viandes, produits laitiers, œufs, poissons etc.) et mettre en œuvre par conséquent un système HACCP ou bien  une simple autorisation (producteurs de pâtes sèches, farine, confiseries etc.) et satisfaire dans ce cas aux BPHs (Bonnes Pratiques d’Hygiène). Selon les informations dont nous disposons, les importateurs souhaitant être agréés doivent fournir le même type de dossier qu’une entreprise qui fabrique localement l’équivalent du produit importé. Si cela est compréhensible, on comprend moins pourquoi la date limite (deadline) du 1er décembre pour se mettre en conformité a été exigée des importateurs mais pas des autres segments du secteur agroalimentaire national. Ensuite, à y regarder de plus près, des informations exigées dans le dossier de demande d’agrément d’un importateur, telles que : « les diagrammes détaillés de production ainsi que les capacités de production journalière et/ou annuelle etc. » (http://www.onssa.gov.ma/fr/images/reglementation/transversale/ARR.244-13.FR.pdf) et autres peuvent s’avérer non pertinents pour cette catégorie de professionnels. Le Directeur Général de l’ONSSA doit sûrement avoir rédigé sa circulaire évoquée du 22 Septembre après avoir réfléchi aux implications potentielles de sa démarche sur les importateurs dans leur ensemble, mais à voir le résultat du blocage actuel de la loi, ou bien sa réflexion a été hâtive, ou bien son raisonnement a été hors de propos. En tout état de cause, les importateurs sont fondés d’exiger une date limite pour le respect de la loi qui soit harmonisée avec celle exigée des producteurs locaux de produits équivalents.

 Comment les organismes équivalents font ailleurs

 S’agissant de sécurité sanitaire des aliments, la FDA (Food and Drug Administration), l’autorité à l’échelle mondiale la plus ancienne et la plus expérimentée pour le traitement de ce type de problématique, fixe les exigences auxquelles doivent satisfaire les opérateurs en fonction des dangers potentiels, et leurs occurrences, que les aliments qu’ils produisent sont susceptibles de poser sur les utilisateurs. La bactérie du botulisme, qui est fatale, est celle reconnue comme posant le maximum de risque alimentaire sur le consommateur et se rencontre fréquemment dans les produits en conserve. Dans ces conditions, la réglementation américaine est extrêmement exigeante sur la production de conserves alimentaires concernant aussi bien les producteurs américains que ceux de l’étranger. Pour ces derniers, que la FDA ne peut pas inspecter avec la même facilité que dans le cas de producteurs locaux, l’autorité fédérale responsabilise l’importateur qui  approvisionne la marchandise. Celui-ci a l’obligation de prendre toute mesure appropriée pour vérifier que son fournisseur applique une réglementation équivalente à celle de la FDA pour la production de denrées alimentaires, les conserves notamment. L’importateur doit avoir sous la main les documents qui attestent de la qualité de travail de son fournisseur pour la marchandise approvisionnée qu’il doit présenter sur demande aux inspecteurs FDA. Il doit par ailleurs satisfaire à tous les autres points de la loi qui peuvent s’appliquer à son travail. Dans ce sens, l’importateur américain est traité par la FDA comme un professionnel à part entière et quand une nouvelle règle sanitaire à respecter est prévue pour entrer en vigueur, la date limite fixée aux opérateurs pour se conformer à la loi a moins à voir avec le statut propre d’un opérateur (producteur, importateur, distributeur etc.) qu’avec des difficultés objectives à mettre la nouvelle règle en œuvre sur le terrain.

 Comment l’ONSSA devrait faire

 L’ONSSA arrose régulièrement la presse écrite et audio-visuelle avec toutes sortes de chiffres (souvent invérifiables d’ailleurs) par rapport à ses interventions sur la chaine alimentaire. Il devrait donc être possible d’extraire de ce fatras de données des listes d’exploitants (producteurs, importateurs, distributeurs etc.),  rangés par catégories d’aliments (sensibles, moins sensibles etc.) qu’ils mettent sur le marché. Le degré de sensibilité des produits est fonction du danger potentiel qu’une telle denrée est susceptible de poser sur la santé du consommateur. La priorité évidemment serait la mise en application de la loi pour les produits présentant le plus de risque sur le consommateur que ce soit en importation ou en production locale. C’est de cette façon que procèdent les instances réglementaires équivalentes de l’ONSSA dans d’autres pays avancés. En notifiant sa volonté d’appliquer la réglementation selon cette approche, personne n’y trouverait quoi que ce soit à redire y compris les privilégiés chez nous qui sont sur le créneau luxueux de l’import de produits agroalimentaires français parce qu’ils auront été traités de la même manière que les autres intervenants du secteur. Le délai donné aux professionnels pour appliquer la loi devrait en même temps leur permettre de faire parvenir à l’ONSSA par écrit pour une date butoir s’ils ont des doléances ou arguments pour justifier un éventuel retard de l’application de la loi. Mais une fois réglés ces détails de procédure, la date limite pour l’application de la réglementation doit impérativement être respectée. En effet, l’organisme qui doit faire respecter la loi aura de la peine à remplir sa mission si lui-même n’inspire pas le respect. Les tergiversations répétées de l’ONSSA depuis sa création ne l’aident pas dans cette tâche pour le moment.

Le défi de réinsertion de compétences marocaines de l’étranger

Depuis quelques temps, la presse abonde d’informations sur le désir du gouvernement d’encourager les compétences marocaines qui exercent à l’étranger à regagner leur pays pour y développer les activités qu’elles mènent actuellement ailleurs. J’étais, autant que je sache, le premier marocain à accéder à la « citadelle » Hoffmann-La-Roche à Bâle en tant que chercheur postdoc et j’ai préféré ensuite rentrer dans mon pays. Considérant les trente années passées depuis au Maroc, il y aurait de quoi remplir quelques tomes à parler de cette expérience de « réinsertion ». Au lieu de disserter sur mon parcours personnel, j’ai pensé plus utile dans cet article de discuter du genre d’obstacles qui contribuent, selon mon opinion, à dissuader les compétences marocaines de revenir au Maroc. Pour rapprocher le lecteur de ces problèmes, j’ai choisi d’illustrer les difficultés en question au travers de deux tentatives marocaines pour mettre sur pied, dans les années quatre-vingt-dix, un laboratoire de dosage du dopage qui ont avorté. J’ai été témoin de la première tentative et acteur directement concerné dans la seconde (mes archives). Pour rappel, les athlètes qui se dopent le font à l’aide de certains médicaments qu’ils prennent et/ou la nourriture qu’ils consomment. Je précise que si le CNOM (Comité National Olympique Marocain), dirigé par le Général de corps d’armée Hosni Benslimane, est incontournable dans cette narration, l’article traite et commente uniquement sur la gestion par cet organisme public de la problématique du dopage.

 Le comportement paradoxal du CNOM

 Au début des années quatre-vingt dix, le Président du CNOM envoie l’un de ses émissaires au siège du CIO (Comité International Olympique) à Lausanne pour  demander  l’autorisation de mettre sur pied un laboratoire de dosage du dopage, un peu comme on demanderait l’autorisation d’ouvrir une boulangerie de quartier. La démarche au regard de la pratique internationale, pour ce type d’agrément, est on ne peut plus cavalière ! Avant d’en arriver là, les prétendants à ce service du CIO s’assurent l’aide d’un laboratoire déjà agréé pour l’analyse du dopage qui vous aide à réaliser la structure selon les règles préétablies, vous assiste pour le travail et la formation des compétences nécessaires sur quelques années après quoi il contribue (éventuellement il valide) avec vous à la préparation de votre dossier de demande selon les règles de l’art à présenter au CIO. Durant l’entretien de l’émissaire marocain avec les responsables du Laboratoire Suisse d’Analyse du Dopage (LAD), vers lesquels le délégué du CNOM a été orienté par le CIO, mon nom avait été mentionné. En même temps que j’apprenais la nouvelle de mes amis à Lausanne, ville où j’ai séjourné plus de onze années pour mes études universitaires et mon travail d’assistanat, je recevais un téléphone du général Hosni Benslimane, par son directeur de cabinet le colonel Mokhtar Moussamim, qui souhaitait me voir à une date et une heure préfixées par lui-même. Je vais au rendez vous à Rabat mais il n’était pas à son bureau. On m’apprend qu’il a une réunion au complexe sportif Moulay Rachid où je me dirige immédiatement. A la fin de son intervention, je lui pose la question courtoisement devant tout le monde pour ce qui est du dossier de mise en place d’un laboratoire d’analyse du dopage. Il se tourne alors vers un citoyen français à sa droite et lui dit : « Mais nous avons réglé cette question, non ? » et le conseiller, je présume, lui répond : « oui, mon général ». A cet instant, je me suis dit que « les jeux sont faits ». Sous ce rapport, les français améliorent sûrement à mesure leurs prestations de service mais sur le plan européen ils sont considérés comme un élève juste moyen pour le contrôle du dopage. Or les informations qui circulaient à ce moment là laissaient entendre que le Président du CNOM voulait réaliser les analyses du dopage au sein du laboratoire d’analyses de la Gendarmerie Royale à Rabat. Deux de mes anciens étudiants diplômés de l’ISBB (Institut Supérieur de Biologie et de Biochimie) de Casablanca étaient techniciens dans ce laboratoire et j’étais informé de première main de l’excellent travail qui y était effectué. Mais ces candidats n’étaient pas formés pour des analyses du domaine du dopage qui exigent des connaissances de disciplines scientifiques à un degré plus élevé et la maitrise d’un équipement technique hautement sophistiqué. Questionnés à ce sujet, mes amis suisses croyaient peu aux chances du laboratoire de la gendarmerie de recevoir l’agrément du CIO pour le dopage parce que cela aurait été contraire aux directives de la charte du CIO pour la délivrance de cet agrément. Mais, je suppose, le conseiller français a dû omettre d’en informer le Président. On comprendrait mal autrement comment le général soit passé quelque temps après à la télévision publique au journal du soir (de grande écoute) flanqué du Ministre de la santé (Dieu ait son âme) et du Ministre de la jeunesse et des sports de l’époque avec le commentateur du journal qui affirmait que la Laboratoire de la Gendarmerie Royale allait procéder dorénavant aux analyses du dopage, alors que la caméra montrait dans ce laboratoire un matériel très conventionnel. La réalisation de ce type de jonglerie ne devait pas coûter un grand effort pour un homme aussi puissant que le général Hosni Benslimane sauf que pour le pays, c’est exactement le type de pitreries qui sape la crédibilité des institutions nationales et qui nous font passer pour des clowns aux yeux des instances internationales.

 Un laboratoire privé d’analyse du dopage au Maroc

 Sur ces faits, mes amis suisses m’informent qu’ils vont installer au LAD de nouveaux équipements et que je pouvais disposer gratuitement des anciens (en excellent état) si je m’engageais à les utiliser pour les besoins d’analyse de dopage. Il y en avait pour des millions de Francs suisses en matériel spécialisé et l’engagement de me le fournir était signé par le Professeur Laurent Rivier, pionnier des analyses de dopage et directeur du LAD à ce moment là (Dr Martial Saugy en est le directeur actuel). Le LAD s’engageait également à former gracieusement le personnel technique pour les analyses de dopage.

 Consultation de deux banques

 Après cette proposition écrite, je consulte la banque populaire et la banque du Crédit du Maroc où le directeur des engagements, Monsieur Ahmed Ouazzani pour la première et l’adjoint au directeur central, Monsieur Ahmed Fargho pour la seconde comptaient parmi mes amis. Les deux ont été formels que si je pouvais justifier d’un terrain à bâtir pour le projet, la garantie d’avoir gratuitement le matériel suisse et l’assurance de pouvoir effectuer les analyses de dopage ensuite, sachant qu’elles sont une exigence incontournable pour le Maroc (activité sous traitée à présent)  pour la crédibilité de ses compétitions à l’international, l’une et l’autre banque suivraient pour l’octroi d’un crédit bonifié de réalisation du projet sans hésitation. J’avais déjà le document pour le matériel. La Wali de Tétouan de l’époque, Docteur Mohamed Belmahi, qui avait inauguré mon ISBB de Tétouan et devenu ensuite un ami a, sur ma sollicitation, téléphoné à son collègue le gouverneur de l’agence urbaine de Casablanca, Monsieur Abdelfettah Moujahid qui m’avait reçu après et satisfait ma demande dans les formes pour l’acquisition d’un terrain à prix symbolique dans la nouvelle ville de Nouaceur (mes archives). Il me restait à avoir un document, sorte de bénédiction du CNOM. C’était le chemin de croix qui m’attendait. Pour être bref, j’ai fait de nombreux courriers au directeur général du CNOM et au Général Hosni Benslimane, son président (mes archives); j’ai été voir le directeur général au siège du CNOM à Rabat et me suis entretenu avec lui pour plus d’une heure et effectué d’autres démarches peu orthodoxes pour avoir une réponse écrite, même négative, pour au moins justifier la fermeture correcte de ce dossier auprès de mes amis suisses qui avaient fourni un effort colossal pour faire accepter par leur hiérarchie le principe de l’envoi du matériel coûteux gratuitement et assurer par la suite la formation du personnel et prendre en charge la présentation du dossier d’agrément au CIO. Mais rien n’y a fait et il n’était pas possible de balayer l’idée que pour l’Université où j’ai étudié et fait mes preuves je sois devenu un simple fanfaron ! Le pire qui puisse arriver à l’ensemble de ces marocains qu’on voudrait voir revenir dans leur pays pour y exercer à présent c’est d’avoir en face d’eux des gens « responsables » de ce type qui handicapent, selon moi, plutôt qu’ils ne favorisent le développement du Royaume. Or, ils sont encore légion dans l’administration marocaine où ils continuent de sévir impunément.

  Quid du fléau du dopage au Maroc

 Après un épisode intermédiaire, où j’ai été aux Etats Unis et ensuite en Suisse en tant que directeur d’un Cabinet d’Audit américain pour l’Europe et la zone MENA (Middle East North Africa), je suis revenu pour continuer mon travail à Casablanca. A cette époque, début des années deux mille, je voyais régulièrement, entre autres, un ami journaliste. Quand l’affaire de dopage de Monsieur Brahim Boulami est apparue dans les journaux, le nom du Docteur Martial Saugy avait circulé également parce que le coureur le rendait responsable de ses propres turpitudes. Comme le journaliste ami me demandait mon avis sur le sujet, je lui avais donné le téléphone du Docteur Saugy, un copain d’étude et ami de la famille que j’avais visité au LAD et chez lui il n’y avait pas longtemps, pour qu’il lui téléphone lui-même et lui pose la question. Une fois avoir communiqué avec Monsieur Saugy, le directeur actuel de l’hebdomadaire « LAVIE-éco », Monsieur Saâd Benmansour en avait rendu compte dans un article de l’édition du journal du 21 Février 2003. Mais les jérémiades du sprinter marocain sur ses désagréments avait fait de lui un sujet de toutes les conversations et plusieurs personnes m’avaient demandé si je pouvais voir avec lui pour l’aider. Saâd Benmansour me procura son numéro de portable. Au téléphone nous avons convenu de nous voir un soir à l’hôtel Ibis près de la gare de l’Agdal à Rabat où il était descendu.  Nous avons bavardé et je lui avais indiqué qu’on peut bien reprocher des choses au Docteur Saugy sauf de ne pas être objectif dans le travail d’analyse. Mais ceci étant, s’il me donnait sa parole d’honneur qu’il n’avait pas triché, j’étais prêt à l’accompagner au LAD à Lausanne pour voir le Docteur Martial Saugy pour repasser avec nous l’ensemble du dossier source de ses ennuis. A ma grande surprise, Monsieur Boulami a botté en touche en répondant qu’en fait, il n’avait même pas été autorisé par le CNOM pour venir me voir. Pour moi, tout était dit.

 La morale de cette narration

 Quand j’ai voulu créer l’ISBB de Casablanca, j’avais présenté au Ministère de l’éducation Nationale la première mouture du projet en accord avec la grande école professionnelle de Lausanne, dont le directeur me promettait par courrier une assistance et du matériel gracieux,  qui a été refusée pour cause que nous n’avions pas d’accord sur l’enseignement avec ce pays. Il m’était réclamé un partenaire français, un point c’est tout. Que cela me coûte plus d’argent sans aucun avantage comparatif était le dernier souci des fonctionnaires qui restent obtus et imbus de leur pouvoir. Dans un autre cas, lors de la création de la société PhF Maroc, une « joint venture » entre la PhF Specialists, société américaine et le Cabinet Dr Essadki d’expertises, société marocaine, notre avocate conseil, Maître Chems Eddoha Lyoubi avait pris en charge le dossier pour avoir les autorisations nécessaires pour l’exercice de l’audit et certification des entreprises du secteur agroalimentaire marocain. La démarche avait buté, de nombreux mois durant, sur un soi-disant manque de satisfaction à des pratiques qui remontent au Protectorat. En particulier, il était exigé de la partie américaine de donner des équivalences des diplômes du signataire américain, le vice président de la compagnie, par référence aux diplômes français ! J’ai demandé alors une entrevue avec le président du tribunal de commerce de Casablanca pour voir quelle était cette loi qui obligeait un homme d’affaires américain à se référer à la réglementation française pour investir au Maroc. Le magistrat a été sensible à mes arguments mais de peur d’enfreindre un règlement qu’il ne savait de toute façon pas où le trouver, il avait autorisé, mais par dérogation seulement, la naissance de l’entité mixte Maroco-américaine. La procédure avait pris plus d’une année (mes archives). Mais, s’il s’était agi d’une entité franco-marocaine, sa création aurait sûrement eu le vent en poupe. Ce type de contraintes est encore monnaie courante aujourd’hui. Alors, avant d’inviter les compétences marocaines de l’étranger à revenir exercer au pays, il serait plus pertinent d’assainir une fois pour toute cette administration publique qui a l’air complètement déboussolée dès qu’on sort des clous définis par les pratiques laissées par le protectorat pour servir les intérêts strictes de la France métropolitaine.

Les opérateurs de l’agroalimentaire face à l’Hygiène

Les historiens de la science font remonter la prise de conscience de l’impact de l’hygiène sur la salubrité des aliments et le bien être des consommateurs à l’époque grecque déjà mais ce sont les romains qui ont été les premiers à légiférer en la matière et la loi prévoyait la peine de mort pour toute personne reconnue coupable de la pollution de l’eau pour boire. Chez nous, la loi 28-07 de sécurité sanitaire des aliments en vigueur insiste sur l’application des principes d’Hygiène à travers l’exigence de la mise en place d’un système HACCP pour l’autocontrôle à l’instar des autres réglementations des pays avancés dans ce domaine. Mais, ici comme ailleurs il est plus facile d’énoncer des principes que de changer des habitudes de faire qui sont enracinées dans la société depuis très longtemps. L’article a pour but, à travers quelques exemples choisis, de montrer la difficulté récurrente de faire coïncider la compréhension que nos opérateurs locaux ont de l’application de la notion d’hygiène dans leurs unités industrielles avec les pratiques observées dans les pays en avance sur nous dans ce domaine.

L’hygiène grand public

Il y a une trentaine d’années, j’avais reçu un couple d’amis suisses dont c’était la première venue au Maroc et, pour la femme, sa deuxième visite hors Suisse après un précédent voyage à Londres. En tant que bonne suisse allemande, la dame faisait honneur à la bière et en avait consommé, ce jour où je me proposais de leur faire visiter le zoo de Temara près de Rabat, plusieurs petites bouteilles au repas de midi. A un moment donné, le besoin de faire pipi était devenu irrépressible et, faute d’alternative, la suissesse s’était rapprochée d’une haie pour se soulager. Pas très loin, il y avait une fontaine publique où des gosses approvisionnaient de l’eau pour chez eux. Alors, une partie de la ribambelle d’enfants était montée sur le muret qui entourait la fontaine pour avoir une « meilleure vue ». L’homme s’est alors tourné vers moi et m’a dit : « ils veulent vérifier si le dos d’une suissesse est aussi blanc que son visage ». Il est vrai que pour des gens habitués à la disponibilité de toilettes publiques en nombre raisonnable dans les agglomérations urbaines chez eux, n’en voir aucune chez nous peut laisser perplexe. En effet, la capacité et la résistance de la vessie étant ce qu’elles sont, il doit forcément y avoir des gens qui sont réduits à se soulager là où ils peuvent et les mauvaises habitudes se prennent vite. Ceci peut éventuellement expliquer pourquoi dans certaines usines les ouvriers ne rechignent pas quand il y a insuffisance de toilettes pour l’ensemble du personnel, voire parfois ces W.C. n’ont tout simplement pas été prévus, et les femmes s’armer de couches-culottes. Mais, dans le cas de l’agroalimentaire, c’est une faute rédhibitoire à la certification HACCP que certaines PME et PMIs font mine de ne pas comprendre.

La propreté chez soi mais pas à l’usine

 Au commencement de ma collaboration avec un Cabinet d’Audit américain, j’avais été invité à assister au travail de définition d’un barème de stérilisation dans un autoclave pour un type de préparation d’olives dans une unité à Fès. L’entreprise appartient à une famille fassie bien connue, qui fait ce métier depuis des générations, et emploie pas loin de 100 personnes dans la grande zone industrielle de la ville. Nous nous sommes très vite rendu compte, l’ingénieur américaine et moi, que l’autoclave (Barriquand Steriflow) ne fonctionnait pas correctement. La raison était que les orifices de ruissellement (caractéristique du Steriflow) à l’intérieur de l’autoclave étaient en grande partie bouchés à cause du cumul sur une longue période de quantités de matières grasses qui proviennent des boites de conserves d’olives mises à stériliser. Dit autrement, ces gens n’avaient pas nettoyé l’enceinte encrassée de l’autoclave depuis bien longtemps, voire depuis son acquisition. Il en découle que les marchandises que cet industriel vendait alors comme stérilisées ne l’étaient probablement pas et devaient, par voie de conséquence, avoir occasionné des maladies et/ou malaises d’origine alimentaire chez un nombre indéfini de consommateurs. Or, il n’y avait pas dans ce cas de dépenses à faire pour assurer un bon fonctionnement de l’autoclave, seulement un nettoyage de temps à autre avec de la lessive de soude, qui ne coûte rien ou presque, et un rinçage avec l’eau du robinet. Un peu d’hygiène quoi ! Mais, le temps pris pour remettre en ordre la propreté de l’autoclave avait retardé notre travail de ce jour là et poussé la fin de nos opérations au-delà de minuit. Ensuite, alors que j’échangeais quelques propos avec un technicien de l’usine, j’ai entendu un cri de ma collègue et suis revenu en courant pour voir.  « I have seen a rat »  (j’ai vu un rat) m’a dit l’ingénieur. C’était l’été et elle chaussait des sandales et le rat lui était passé sur le pied, de là le cri strident ! Le lendemain, un vendredi, nous étions invités à partager un couscous avec le patron de la société chez lui. Une villa cossue de grand luxe, avec grande pelouse et un travail sur les boiseries digne des grands musés, des colonnes de marbre etc. Tout était étincelant de propreté. L’hygiène parfaite. Au contraire, les latrines de l’entreprise étaient dans un état déplorable avec peu ou pas d’eau courante et pas de papier hygiénique et pas de savon ou de quoi se sécher les mains ! Les ouvriers n’avaient pas d’endroit où se changer et ils prenaient leurs sandwichs accroupis chacun là où il le pouvait dans un coin de l’unité ! L’autoclave et quelques accessoires mis à part, on se serait cru dans une entreprise du moyen âge. Mais voilà ; les observations faites à propos de cette unité sont pour ainsi dire communes à de très nombreuses entreprises de l’agroalimentaire dans notre pays. Sachant que les grandes centrales d’achat étrangères envoient régulièrement un de leurs experts pour vérifier, en particulier, la conformité du travail sur place aux BPH (Bonnes Pratiques d’Hygiène) et au HACCP, ceci explique en grande partie pourquoi nous avons de la peine à percer sur les marchés extérieurs pour les produits alimentaires transformés industriellement alors que ces produits ne sont généralement soumis à aucun quota !

La problématique de l’eau potable

Il y a quelques années, une grande société d’export d’agar-agar avait demandé mon assistance, en tant que directeur local du Cabinet d’Audit américain mentionné, pour commencer à exporter ses produits sur le marché US. J’étais impressionné, lors de ma tournée d’usine le premier jour de travail, de l’équipement moderne et coûteux de l’entreprise, qui travaillait en quasi exclusivité pour l’export, dont la plupart des opérations étaient automatisées. Le nombre d’analyses effectuées sur le produit fini était également considérable compte tenu que l’agar-agar pouvait constituer un substrat pour des déterminations d’ordre microbiologique dans un laboratoire d’analyses médicales. Mais, alors que j’effectuais, une semaine plus tard, ma deuxième visite de travail, le technicien qui commentait les opérations pour moi m’informa, contrairement à son prédécesseur, que l’eau, nécessitée en grande quantité pour le travail de la matière première (des algues), était une eau de puits. Questionné à ce sujet, le Président de l’entreprise s’est fait rassurant parce que, disait-il, les gens viennent de loin pour boire l’eau de Fouwarat (région de Kénitra). Sous ce rapport, l’eau potable est définie par l’OMS et doit, en particulier, être chlorée (addition de l’élément chlore pour désinfection). Or, le codex Alimentarius et l’OMS préconisent l’utilisation de l’eau potable (désinfectée) pour le travail sur aliments. Faire autrement, c’est-à-dire utiliser une eau qui s’éloigne de cette définition, revient aux yeux de la réglementation internationale à un acte de fraude. Le dilemme pour la société était, sans aller dans les détails, que la correction des pratiques de l’entreprise aurait nécessairement pris du temps alors que les responsables voulaient saisir une opportunité d’export dans le pays de l’Oncle Sam même si nous, nous ne les avions pas certifiés dans ce but. Mais à qui la faute, sinon à l’autorité de tutelle qui a tendance, selon mon opinion, à considérer que l’accès aux marchés extérieurs se décrète par la seule volonté administrative des fonctionnaires d’hier, essentiellement la DPVCTRF (Direction de la Protection des Végétaux des Contrôles Techniques et de la Répression des Fraudes) ou l’ONSSA aujourd’hui.

Eclairage et conclusion

Depuis la promulgation des premières normes d’hygiène il y a plus d’un siècle le but est toujours le même, celui de lutter contre la prolifération des germes pathogènes qui représentent plus de 90% des affections d’origine alimentaire. La différence c’est qu’il est possible aujourd’hui de quantifier le degré d’adhésion d’une entreprise à l’application des principes d’hygiène grâce aux analyses microbiologiques. Selon mon expérience de plusieurs dizaines d’années, les opérateurs sont bien plus sensibles à l’application d’une règle donnée quand ils en ont bien compris la finalité et les implications positives sur le rendement de leur travail. S’agissant du secteur agroalimentaire, c’est aux fonctionnaires de l’ONSSA, qui font régulièrement la tournée de tous les exploitants, d’accepter de réserver une partie du temps de leurs visites à la sensibilisation des professionnels sur les liens entre l’hygiène et la prévention des maladies d’origine alimentaire et ils doivent se préparer sérieusement dans ce but pour augmenter les chances de voir leur message aboutir. A ce jour, selon ma perception des choses, ce travail n’est pas fait ou simplement bâclé et le résultat est un manque flagrant de l’application des principes d’hygiène le long de la chaine alimentaire comprenant les hôtels et les restaurants. Sous ce rapport, en tant que Cabinet de consultance, nous intervenons également (à une échelle plus réduite) sur le secteur agroalimentaire. Les données de nos archives (nombreuses) montrent que parmi les exploitants avec lesquels nous avons travaillé, certains sont habitués au laxisme de l’autorité de tutelle (ONSSA actuellement) et montrent de l’intérêt surtout pour le document de certification en tant que tel, « Certificat HACCP » par exemple, que nous sommes en mesure de leur octroyer, pour le faire valoir et augmenter leur chiffre d’affaires ou bien répondre à une exigence d’un partenaire étranger, et se moquent de l’application des règles qui en découlent comme de l’an quarante. Ils ne le disent pas comme cela évidemment et se réfugient derrière toutes sortes de prétextes sur lesquels il arrive qu’on se fasse avoir au début tout au moins. Mais avec le temps, on finit par réaliser que ces types d’exploitants sont à la recherche uniquement de documents de complaisance. Même si notre situation d’opérateur privé est plus contraignante financièrement que celle des fonctionnaires de l’ONSSA, nous n’avons pas hésité à rompre la relation de travail dès qu’il est devenu « crystal-clear » que nous avions affaire à des opportunistes sans foi ni loi à la recherche du gain coûte que coûte et advienne que pourra pour les consommateurs. A titre d’exemple, un exploitant qui demande qu’on lui envoie le certificat contre paiement de la facture ! Le cas échéant, nous en avons informé l’ONSSA dont les responsables restent imperméables à ce type de communications.

En guise de conclusion, le comportement du patron de l’unité de traitement d’olives évoqué plus haut dans le texte semble être de la même nature que celui de fonctionnaires de l’ONSSA. Dans le premier cas, on peut dire que la propriété (villa cossue) du patron est le fruit de son travail dont l’instrument est son entreprise et les gens qui bossent dedans qui représentent son capital en définitive. Un peu comme un arbre qui donnerait des fruits. Mais un patron aux petits soins, dirions nous, beaucoup plus pour la pomme que pour le pommier dénote d’un comportement qui ne respecte pas le bon sens et ne dure que parce que l’autorité de tutelle, qui doit veiller à l’application de la loi, ne fait point son travail. En effet, en tant que représentants de l’autorité de tutelle, ces fonctionnaires ont l’exigence de pousser à l’application de la loi dont le principe fondamental est le respect de l’hygiène qui ne coûte souvent rien sinon retrousser ses manches et effectuer le travail pour lequel on a demandé à être autorisé. Or il faut vraiment être aveugle pour ne pas voir l’état de décrépitude dans lequel se trouvait l’entreprise évoquée plus haut et d’autres du même genre encore aujourd’hui. Au-delà des agents de l’ONSSA, il y va de la crédibilité de l’Etat qui le dit haut et fort, et on voudrait bien le croire, que le Royaume vise à être un leader qui montre la voie aux autres pays africains !

Votre avis nous intéresse

Chers lecteurs,

Votre avis nous intéresse que ce soit pour des suggestions sur comment améliorer la présentation des articles, une critique sur le traitement même des sujets ou autres. Par ailleurs, si vous-même avez fait l’expérience d’une situation ou une autre traitée (ou bien similaire) dans l’un ou l’autre des articles de ce blog, cela me ferait plaisir d’en revoir les détails avec vous et, si vous le souhaitez, traiter la question comme sujet à part entière d’un article pour le partager avec les autres lecteurs et les responsables concernés qui visitent régulièrement ce site. Nous nous intéressons tout particulièrement au travail dans l’agroindustrie et les domaines assimilés comme le cosmétique.

 Dans l’attente de vous lire,

Merci de votre intérêt pour le blog.

Ahmed Essadki, PhD
Blogger
Email I: aessadki@alkhabir.org
Email II: aessadki@gmail.com 

La politique du dénigrement

 Dans une société, les activités d’ordre public et d’ordre privé se côtoient, chacune s’exerçant dans le cadre de la réglementation en vigueur. Mais, le secteur public ne dépend pas toujours du secteur privé pour remplir ses fonctions alors que pour croitre et se développer, ce dernier a besoin, d’une manière ou d’une autre, du soutien du secteur public. Il y a certainement eu des progrès dans les prestations du secteur public marocain d’aujourd’hui par rapport à il y a une vingtaine d’années par exemple. Ceci étant, quel est ce professionnel exerçant dans le privé qui n’a pas expérimenté le mépris de certains officiels de l’Etat qui refusent de répondre à votre courrier motivé et/ou qui répondent à côté de l’objet et/ou font pression sur vous au téléphone en vous contraignant parfois de venir les voir pour échanger par voie orale tout en vous forçant vous à faire des écrits comme eux le souhaitent et mille autres procédés tordus pour pérenniser leur domination (leur rente) sur les rouages de l’activité économique du pays. Ce sont ces pratiques que nous qualifions de dénigrement pour les besoins de cet article.

 Il est facile de calomnier quand il y a impunité

 Après avoir, au milieu des années quatre-vingt dix, rendu mon rapport sur un travail d’expertise judiciaire de ce qu’on a appelé alors le blé de l’Inde, un haut fonctionnaire du Ministère de l’Intérieur avait téléphoné à mon laboratoire et demandé que je vienne le voir à Rabat. J’ai été reçu affablement et l’officiel m’a mis à l’aise en m’offrant une tasse de thé. Il m’a ensuite montré une note, signée au nom du Ministre de l’agriculture de l’époque, reprenant les points de l’ordre du jour d’une réunion interministérielle devant se tenir le lendemain. Un des points à discuter portait sur ma personne nommément désignée (Dr Ahmed Essadki) avec le qualificatif « subversif ». Sous ce rapport, le haut fonctionnaire m’a tranquillisé en ce qui concerne la position de son Ministère et m’a présenté un ingénieur à qui je devais donner des d’informations exhaustives et circonstanciées sur mon travail rendu à la Cour (ce qui fût fait) pour, comme je l’ai compris, leur donner des éléments objectifs de réponses à échanger, le cas échéant, avec les responsables du DPVCTRF (Direction de la Protection des Végétaux, des Contrôles Techniques et de la Répression des Fraudes) du Ministère de l’agriculture qui paraissaient m’avoir pris en grippe pour avoir réfuté leur point de vue sur le dossier évoqué devant le tribunal.

 L’histoire rapportée plus haut est un simple exemple symptomatique, parmi de nombreux autres (voir différents articles de ce blog), de l’esprit de dénigrement de certains fonctionnaires de l’administration marocaine pour le travail des autres, dans le privé en particulier. Il s’agit, selon moi, d’un triste héritage de l’ère coloniale française. Or, selon les règles établies pour les contre-expertises (second assessment), il aurait été plus rationnel de démontrer d’abord par des essais de laboratoire que mon travail n’était pas objectif, le remettre ensuite en cause et seulement après conclure que mon comportement était de « nature subversive » et non pas procéder en « mettant la charrue avant les bœufs ». Mais cette approche est jugée inopportune et indigne  de fonctionnaires inspirés de l’esprit (laissé par les français) de travail de l’administration centrale de la métropole qui exige obéissance et soumission de la part des citoyens devant le diktat des fonctionnaires qui ont toujours raison du fait qu’ils représentent l’Etat qui « ne se trompe jamais ». Cet article passe en revue quelques situations vécues ou bien observées de près pour voir dans quelle mesure le discours qui veut que les marocains ne soient bons que pour les seconds rôles, le premier revenant par principe aux français du fait que nous leur empruntons passagèrement leur langue, est conforté par le vécu chez nous en particulier dans le secteur agroalimentaire.

 Du malaise de se servir de notre langue entre nous

 Je me rappelle quand j’avais intégré, en tant que chercheur junior, Hoffmann-La-Roche, le concierge espagnol de l’immeuble, propriété de la société, était venu me conseiller d’ajouter tout de suite à côté de mon nom sur la boite à lettre ma qualité de « PhD » pour éviter des confusions. Dit autrement, pour qu’on ne me confonde pas, vu mon teint, avec un travailleur subalterne. J’ai appris par la suite que la pratique faisait partie de recommandations de l’employeur pour veiller à la quiétude et le confort de ses chercheurs en général à l’instar de l’encouragement de l’utilisation de la langue anglaise pour les échanges d’idées dans le travail au sein de ses entreprises de Bâle de près de sept mille employés. Plus tard, quand j’ai voulu, à la fin des années quatre-vingts, m’installer à mon compte sur Casablanca, et que je devais pour cela faire le tour de quelques administrations, j’ai été conseillé de m’adresser aux fonctionnaires de mon pays en français sous peine de les voir amoindrir mon statut ! C’est navrant, car aucun citoyen d’un pays européen ne s’adresse dans une langue étrangère à des fonctionnaires de son propre pays comme moyen de protéger son statut social. Sous ce rapport, alors que je recevais à la demande de la Cour, dans le cadre de l’instruction d’un dossier litigieux, les adversaires d’un conflit pour recouper des événements, j’ai constaté une difficulté de communication entre les parties opposées. Les représentants de l’Oréal (accusé), une femme et un homme citoyens français et voulant parler leur langue d’un côté et les plaignants, une femme marocaine et son mari citoyen anglais et voulant les deux communiquer en arabe. A la fin de cette réunion de travail, j’avais demandé informellement à la citoyenne française depuis combien de temps elle vivait au Maroc et sa réponse était : dix ans. Mais, a-t-elle ajouté : « je ne parle pas l’arabe parce que tout le monde me parle en français » ! Alors, non seulement nous sommes coupables de ne pas échanger suffisamment dans notre langue, mais en plus nous portons la responsabilité apparente de décourager les français de communiquer avec nous en arabe !

 Qu’en est-il dans l’agroalimentaire

 Après avoir prêté serment en tant qu’expert biologiste ce Janvier 1984, j’avais adressé une circulaire aux tribunaux du Royaume en mettant à leur disposition mon savoir faire et un laboratoire d’analyses des produits alimentaires outillé pour ce travail. A l’époque, il n’y avait que la loi 13-83 en vigueur (abrogée depuis en 2010). Cette loi autorisait les services de la répression des fraudes, dans le cadre de leurs inspections des entreprises agroindustrielles nationales, à effectuer les analyses d’expertises sur les échantillons prélevés et, en cas de contestation sur leurs opérations, de refaire eux-mêmes le travail de contre-expertise. Les multinationales trouvaient cette situation étrange aux yeux des pratiques internationales mais il n’y avait que cette loi héritée (en substance) du protectorat. Dans ces conditions, une fois qu’une entreprise a été épinglée par les services en question, elle était systématiquement (sauf miracle) condamnée au Tribunal de Première Instance et devait attendre que le dossier passe en appel, plusieurs mois voir plusieurs années après, pour essayer de faire valoir son point de vue (mes archives). Et si, entre temps, il y avait un appel d’offre lancé par un organisme étatique, la société en question en était exclue compte tenu de sa condamnation « provisoire » au tribunal ce qui irritait fortement les multinationales car elles avaient les mains liées contre cette entorse à la réglementation internationale. La pression était très forte sur la Cour d’Appel de Casablanca pour trouver une solution parce qu’en définitive c’est le tribunal qui condamne même si tout le travail pour cela est effectué en amont par la répression des fraudes. Alors, dans une décision courageuse et inédite, le premier Président de la Cour d’Appel de Casablanca de l’époque, Monsieur Hammou Mestour, avait  ordonné que l’on envoie à mon cabinet tous les dossiers où il y avait un différend entre la répression des fraudes et les entreprises et il y avait un sacré cumul. Sous ce rapport, en demandant à chacune des entreprises concernées de me remettre formellement leurs points de vue sur les litiges les opposant à la répression des fraudes, j’ai entrouvert sorte de boite de Pandore qui m’a permis de réaliser l’état de déliquescence avancé de notre système de contrôle et de supervision du secteur agroindustriel national et du comportement de responsables de la répression des fraudes  proche de celui de la « Cosa Nostra » (mes archives). Il est d’ailleurs possible que le retard pris à ce jour dans l’application de la nouvelle loi 28-07 de sécurité sanitaire des aliments soit le fait d’agissements de certains des anciens cadres de la DPVCTRF qui officient encore au sein de l’ONSSA (Office National de Sécurité Sanitaire des Produits Alimentaires). Les fonctionnaires de l’époque régnaient en maitres absolus sur le secteur agroalimentaire et ne toléraient aucune parole au dessus de la leur. Ils rançonnaient tous ceux qu’ils voulaient sinon réprimaient les récalcitrants en instruisant à leur encontre des dossiers, dignes des périodes noires du moyen âge, qu’ils adressaient ensuite au tribunal comme on envoie quelqu’un à l’échafaud. Dans ce cadre, sur les centaines de courriers que j’ai adressés sur plusieurs années en tant qu’expert judiciaire à un responsable ou un autre de la structure évoquée (DPVCTRF), au LOARC (Laboratoire Officiel d’Analyses et de Recherches chimiques), à l’ONICL (Office National Interprofessionnel des Céréales et Légumineuses) et autres services de l’Etat, j’ai reçu, des semaines ou des mois après l’envoi de mes lettres, moins de cinq « réponses » sous forme de langue de bois et donc sans aucune utilité pour les objets de mes courriers. Quoique les pratiques dont je prenais connaissance fussent répressives et archaïques, les juges n’avaient pas tous conscience qu’ils tiraient les marrons du feu au profit de la répression des fraudes lorsqu’ils condamnaient systématiquement les entreprises en première instance. L’idée m’est alors venue de compiler mes observations sous forme d’un livre (« Les Rouages de la Répression des Fraudes », édition 2005, Sochepress) didactique à l’usage des magistrats que j’ai ensuite distribué gratuitement à plusieurs tribunaux du Royaume pour les rendre attentifs au rôle de « subalternes » où la loi 13-83 les avait confinés.

 L’ONSSA dans tout cela

 Avant d’adopter une nouvelle pratique de travail, la FDA, et d’autres organismes comparables, met le texte considéré en ligne et donne la parole et du temps aux professionnels concernés pour formuler leurs avis, éventuellement de critiquer, amender ou faire de meilleures propositions avant l’adoption définitive de la nouvelle approche de travail. On ne voit pas cela avec l’ONSSA qui préfère adopter un comportement régalien en la matière (voir article : Différend sur un certificat sanitaire de l’ONSSA). Mais en essayant d’éviter la confrontation des idées, cet organisme ne fait que perpétuer les pratiques de ses prédécesseurs sous le règne de la défunte loi 13-83. Dans le même registre, alors que, par coïncidence, j’ai été témoin d’un comportement irrégulier et irresponsable de représentants de l’ONSSA dans un établissement hôtelier de Casablanca (mes archives) et pris la peine ensuite de mettre tous les éléments de cet incident dans une lettre envoyée par fax au Directeur Général de l’ONSSA, et rapporté sur ces faits par la suite au Ministre de l’agriculture, il n’y a, à ce jour, jamais eu aucune réponse de l’un ou de l’autre. Comme il n’y a jamais eu de réponse à des courriers que j’adresse de temps à autre à l’ONSSA sur des faits similaires. Alors, selon mon opinion, si quelqu’un pense que le redressement des comportements anti-professionnels des fonctionnaires de l’ONSSA se fera tout seul avec de la patience, il lui faudra probablement attendre encore bien longtemps. Le plus raisonnable serait de renvoyer chez eux les anciens cadres qui ont exercé des responsabilités effectives au sein du DPVCTRF et la Direction de l’élevage dans la période de la loi abrogée 13-83, avec indemnisation pour une retraite anticipée s’il le faut. Cela rendrait service à l’ONSSA et en même temps accélérerait l’implémentation de la nouvelle loi 28-07 de sécurité sanitaire des aliments. Faute de quoi, les français, qui misent sur la défaillance de nos organismes pour revenir se mêler encore de nos affaires, doivent se frotter les mains en espérant qu’on fera une fois de plus appel à eux pour jouer les premiers rôles et mettre de l’ordre dans nos secteurs productifs vitaux. Les pays africains eux finiront par avoir des doutes sur la capacité du Maroc à remplir le rôle de leadership que tout le continent voudrait le voir endosser.

Le fléau du contrôle alibi

Un resquilleur dans le contrôle des médicaments

 Quand j’ai débuté mon travail ce mois de Septembre 1984 dans une unité pharmaceutique de la place de Casablanca, numéro un des ventes à l’époque, j’avais enfilé une blouse blanche et commencé à analyser les produits sur la paillasse à l’instar des autres techniciens ; voulant leur montrer que j’étais l’un des leurs. Par coïncidence, l’hebdomadaire Jeune Afrique, qui avait obtenu une autorisation pour ce travail des semaines avant et qui prenait des images à ce moment là, a pris une photo de moi opérant en tant que laborantin, sortie ensuite dans le magasine. Lorsque, semble-t-il, le président de la société a vu l’image, il s’est exclamé : « Je le paie comme Attaché scientifique et voilà qu’il s’amuse à faire le technicien ! ». Après cet intermède, j’avais entrepris de regarder d’un peu plus près le travail à tour de rôle de chacun des techniciens. Mais, l’un d’entre eux perdait ses moyens chaque fois qu’il me voyait s’approcher de lui et faisait tout de travers. En consultant son dossier remis par le service du personnel, j’y avais seulement trouvé une attestation de travail antérieur dans les tanneries de Fès ! Sommé de me donner une explication sur comment il a pu atterrir au service de contrôle des médicaments, il m’avait avoué que c’était « par l’intermédiaire de quelqu’un qui connaissait quelqu’un etc. ». Il était l’un des techniciens les mieux payés, ce qui rendait la situation encore plus incompréhensible. Mais, il a finalement compris que ce n’était pas sa place et était parti sans faire d’histoire. Avec la complicité d’autres techniciens, le resquilleur avait développé quelques tours de passe-passe (non discutés ici) pour ne pas voir ses Bulletins d’Analyses rejetés par la pharmacienne responsable. Mais son stratagème n’aurait pas résisté un instant à un examen rudimentaire de « questions/réponses » avant de l’accepter au poste de travail, ce qui bien sûr n’a pas été fait au moment du recrutement ou bien courant les trois années de son travail. Durant cette période, au bas mot, plus d’un millier de lots de médicaments devaient avoir transité entre ses mains avant d’être vendus dans les pharmacies.

 L’exemple rappelé plus haut montre à l’évidence, nonobstant les stipulations de la loi, à quel point la culture du contrôle qualité  manquait, au profit d’un contrôle alibi, il y a une trentaine d’années dans cette unité de production des médicaments, et possiblement dans d’autres également. Mais le patron pouvait toujours soulager sa conscience en s’assurant que certains des produits sensibles étaient soumis au contrôle du commettant français avant leurs mises sur le marché. On peut bien sûr se poser la question jusqu’à quel point cet état des choses n’arrangeait pas les visées de la France métropolitaine en premier lieu. En effet, chargée d’assister le Maroc pour la préparation des cadres à l’aube de l’indépendance, elle aurait sciemment, ce que je pense, décidé d’ignorer totalement une telle formation pour l’agroindustrie (voir article : l’instrumentalisation du contrôle de production) et l’avoir fortement négligée dans le cas du médicament pour garder de telles prérogatives pour elle-même, c’est-à-dire entre les mains d’opérateurs de la métropole. Nous allons développer un peu plus cette réflexion pour voir comment, depuis quelques siècles déjà, les pays occidentaux adaptent régulièrement leurs « outils de travail » dans l’intention de soumettre les autres, dans ces secteurs et d’autres, pour maintenir les pays du sud sous contrôle.

 Rappel historique

 Au début du règne de l’empire espagnol sur l’Amérique latine, les indigènes avaient un statut de « subhumains » plus proche de l’animal. Cela permettait au « propriétaire » d’avoir, en particulier, droit de vie et de mort sur ses sujets sans avoir à rendre compte à qui que ce soit. Les premiers colons des Etats Unis d’Amérique ont pratiqué de même avec les esclaves africains. Mais ce type d’esclavagisme, basé au départ sur la « politique de la canonnière », avait fait son temps au début du XXème siècle et il a fallu trouver un substitut davantage dans l’air du temps. Dans ce but, et à titre d’exemple, cet ouvrage de l’encyclopédie Larousse des années trente qui décrit « scientifiquement » l’infériorité du cerveau des indigènes algériens à celui des occidentaux, instrumentalisant ainsi la science pour renforcer la chimère de la supériorité innée des occidentaux sur le reste de l’humanité. Mais à mesure que les moyens plus ou moins artificiels pour soutenir de telles velléités de supériorité disparaissent, les inconditionnels de l’exploitation des autres cherchent avec plus d’ardeur d’autres stratagèmes sur lesquels asseoir leurs prétentions de « surdoués » pour mieux tirer profit des richesses des autres. Selon ma perception des choses, le contrôle qualité sur les produits de notre pays est l’un de ces outils où, en particulier, les français de la métropole considèrent qu’ils sont mieux placés que nous pour le gérer à notre place. Ils sont aidés en cela, consciemment ou non, par certaines de nos propres structures ici même au Maroc.

 La loi abrogée 13-83 a enterré le contrôle qualité

 S’agissant du travail dans l’industrie agroalimentaire au Maroc, il faut dire que les textes, majoritairement élaborés par l’occupant français, de l’ancienne loi 13-83, abrogée en 2010, ont permis aux services de la répression des fraudes de tuer dans l’œuf les efforts de nombre d’industriels qui avaient, pour une raison ou une autre, essayé de monter leurs propres services de contrôle qualité dans l’entreprise. Les exemples sont nombreux mais je me contenterai d’un seul qui illustre tout le mal dont certains responsables des services mentionnés se sont rendus coupables en agissant contre la modernisation du travail dans ce pays. Sur demande de la Cour d’Appel de Casablanca, je devais effectuer une contre-expertise après le travail de la répression des fraudes sur un dossier relatif à la Farine Nationale de Blé Tendre (FNBT). Cela concernait une grande minoterie, près du Palais Royal de Casablanca. Alors que je faisais mon tour d’audit de l’entreprise, j’ai remarqué la présence d’équipement de contrôle de laboratoire pour ce type de travail (différents tamis, four de minéralisation, balance de précision, étuves etc.). L’équipement, dans un état poussiéreux, n’avait pas l’air d’avoir beaucoup servi. A ma question de savoir pourquoi ce matériel ne fonctionnait pas, le patron me répondit : « J’avais équipé ce laboratoire à grand frais et recruté deux techniciens pour travail à plein temps parce que cela faisait partie du cahier des charges. Le problème est que, quoiqu’on fasse, les résultats de la répression des fraudes sont toujours considérés supérieurs aux nôtres. Le laboratoire me coûtait de l’argent mais nos contrôles à nous n’avaient aucune valeur pour ces gens avec lesquels il fallait composer à chacun de leurs passages. Comme je ne pouvais pas m’occuper des uns et des autres en même temps,  j’ai préféré fermé le laboratoire. Cela me revenait moins cher et j’avais moins de tracasseries ». Combien d’entreprises ont été dans le même cas ; Dieu seul le sait. Le fait est qu’une partie des anciens fonctionnaires de la répression des fraudes continue d’officier au sein de l’ONSSA (Office National de Sécurité Sanitaire des Produits Alimentaires) actuel, trainant avec eux ces pratiques d’un autre âge, martyrisant les industriels et tout le secteur avec eux, tuant également toute possibilité d’émergence d’un secteur privé de prestations d’appui aux entreprises sans que l’on puisse y faire quoi que ce soit.

 Conséquences du laxisme de l’ONSSA

 En dehors de quelques actions d’éclat de temps à autre, dont l’impact sur le travail structuré dans le secteur agroindustriel reste à démontrer, nombre de fonctionnaires de l’ONSSA affichent, par leur comportement, un dédain ostentatoire de la nouvelle loi 28-07 de sécurité sanitaire des aliments. Dans les restaurants, les hôtels ou les entreprises où j’ai travaillé, les gens connaissent ces fonctionnaires qui les visitent régulièrement pour des « raisons sonnantes et trébuchantes ». Tous ceux avec qui je me suis entretenu sont formels que les fonctionnaires en question refusent de prévenir de leur arrivées, répugnent à faire quoi que ce soit de leur travail par écrit, ne signent aucun document avec leurs noms et qualités et donnent toutes leurs instructions oralement. En faisant comme ils font, contrairement à la réglementation en vigueur, ils font plus que transgresser la loi ; ils la méprisent, eux qui sont supposés donner l’exemple du respect des textes réglementaires. Ils empêchent en cela l’éclosion de l’esprit de contrôle qualité chez nous, dont nous avons besoin pour nous aider à exporter nos produits comme les autres nations et perpétuent ainsi l’esprit de l’occupant français en le laissant seul maître dans notre pays de la crédibilité sur laquelle repose ce type de travail. De plus, les exploitants sont enclins à déduire du comportement de ces mauvais fonctionnaires qu’ils sont, somme toute, dédouanés de leurs actions passées jusqu’à la prochaine visite de ces professionnels de la complaisance. Ensuite, c’est la porte ouverte à toutes sortes de dépassements qui éloignent davantage encore les exploitants des principes des bonnes pratiques.

 Remède à la malédiction

 Les dysfonctionnements du système de contrôle qualité dans l’agroalimentaire et ailleurs ont été vécus par d’autres nations avant nous qui les ont rectifiés parfois après des luttes acharnées avec les promoteurs intéressés par les dérives. Ce bras de fer est superbement illustré dans le film sur l’Amérique des années trente de James Cagney : « Great Guy ». Beaucoup de choses ont changé depuis cette époque pour les USA. Ils ont en particulier pris conscience de l’impact énorme pour toute la population d’une éventuelle défaillance du système de contrôle qualité des produits alimentaires et ont alors introduit une loi « Bioterrorism Act » qui criminalise, entre autres, les fraudes alimentaires. Dans ce cadre, la FDA explique que même si un produit est conforme, s’il n’y a pas un moyen objectif (documents réglementaires de contrôle qualité) pour le démontrer, l’aliment sera considéré aux yeux de la loi comme non conforme et sa destruction sera opérée à la charge de son propriétaire. L’ONSSA ferait bien de s’inspirer de cette devise, de l’afficher dans son site web et d’agir en conséquence. A la minute où les opérateurs seront convaincus que l’ONSSA dit bien ce qu’il pense, ils rentreront tous dans le rang et accorderont l’attention qu’il faut au contrôle qualité. Ce sera la plus belle des victoires pour le Royaume pour lui-même et pour toute l’Afrique qui nous regarde comme un exemple à suivre. Sous ce rapport, le premier test grandeur nature de l’ONSSA se fera dès ce Lundi premier Décembre où ses responsables dans les ports devront implémenter la loi sur le terrain en facilitant le transit des marchandises pour les importateurs qui ont fait les efforts nécessaires pour obtenir leurs agréments et/ou autorisations. Il faut espérer que ces fonctionnaires ne choisiront pas de continuer leur « business as usual » (garder le statu quo) et traiter tout le monde sur le même pied d’égalité et renvoyer de facto la mise en œuvre effective de la loi aux calendes grecques.

La culture du contrôle qualité favorise le développement

Dans le travail manuel, l’artisan termine d’abord une pièce avant d’entamer la fabrication de la suivante. L’artisanat permet en fait d’effectuer les tâches de fabrication et de contrôle de façon concomitante. Mais cette pratique n’est pas transposable telle que dans l’industrie où, dans le secteur agroalimentaire ou pharmaceutique par exemple, la cadence peut être de plusieurs milliers d’unités produites par jour, voire par heure. Dans les activités indiquées, et d’autres, les opérations de contrôle sont donc séparées de celles de la production. Comme ce travail de vérification vient forcément en aval, il détermine en fin de compte le rythme d’écoulement des produits fabriqués dans les circuits de commerce. A ce propos, si le système HACCP (Hazard Analysis and Critical Control Points), outil le plus souple de contrôle qualité, a de la peine à prendre racine dans nos pays africains c’est parce qu’il présuppose que les responsables de son implémentation, des ingénieurs qualifiés, sont en nombre suffisant dans l’entreprise considérée ce qui est loin d’être le cas généralement dans nos PME et PMI considérées. A cet égard, on doit noter que les règles de la science et de l’art du contrôle qualité dont il est question sont régulièrement revues et optimisées par les puissances industrielles, depuis bien longtemps déjà, pour justement pérenniser le fossé qui les séparent de nos autres pays en développement ou émergents. L’article jette un regard sur quelques moyens utilisés dans ce but.

 Rappel historique

 Lorsque l’on regarde attentivement les textes de la loi 13-83 de répression des fraudes, abrogée en 2010, on réalise que toutes les prérogatives contenues dans cette réglementation ont été mises entre les mains de certains fonctionnaires du Ministère de l’agriculture et pratiquement rien d’autre entre les mains du Ministère de la justice. En somme, quand, à ce propos, un tribunal envoyait, le cas échéant, un fraudeur en prison, il ne faisait qu’obéir aux injonctions des services de la répression des fraudes. Sous ce rapport, un juge des référés du Tribunal de Première Instance de Casa Anfa, statuant au milieu des années deux mille sur la demande pressante d’un industriel, dont le produit (encornet congelé d’Amérique latine)  était bloqué au port, pour la désignation pour contre-expertise d’un expert assermenté, a refusé la requête en demandant à l’entreprise de faire effectuer de nouveau le travail par les services de la répression des fraudes, ceux là mêmes à l’origine du blocage de son produit. La loi 13-83 prévoyait effectivement la réalisation et de l’expertise et de la contre-expertise par les mêmes services de la répression des fraudes même si cela tranche avec la réglementation internationale sur le sujet. Comme rien ne se cache dans ce microcosme, j’ai appris par la suite que le produit en question a finalement été débloqué après un coup de fil du Directeur d’une chambre de commerce étrangère  influente sur Casablanca, dont l’un des membres était lié à l’opération, au Directeur de l’époque sur les services de la répression des fraudes qui a fait le « nécessaire ». Sur le même registre, quelques années auparavant, j’avais été dûment désigné par le même tribunal pour effectuer un travail d’audit et analyses sur le système de dialyse d’une clinique dont une femme médecin soupçonnait sa partenaire de sabotage. La plaignante m’a fait un tour de leur clinique près de l’Hôpital Averroès de Casablanca et donné les explications d’usage et je devais revenir le lendemain fin prêt pour procéder aux prélèvements d’échantillons de solutés pour analyse au laboratoire. Mais, avant de faire, j’ai reçu un téléphone où elle m’a indiqué que le tribunal était revenu sur l’attribution de l’expertise judiciaire en question après avoir reçu lui-même une communication de l’ordre des médecins. Finalement, ce litige a dû être réglé devant l’ordre en question à l’abri des regards de la justice. Je pourrai ajouter d’autres exemples mais la conclusion reste la même à savoir que de telles pratiques ont, selon mes observations,  été initiées à l’origine par l’occupant français qui se méfiait du tribunal marocain peut être parce que cette instance était récalcitrante à adopter le français comme outil de travail. Mais la France se devait, selon son agenda, de garder un œil sur ce qui se passe dans les activités industrielles et de service au Maroc pour mieux manœuvrer au bénéfice de ses opérateurs et le meilleur moyen pour cela était de trouver comment influer, d’une façon ou une autre, sur les activités de contrôle qualité.

 Exégèse

 De nombreux pays qui ont subi, plus ou moins intensément, les affres d’une présence coloniale, ont mis leurs cœurs à l’ouvrage dès qu’ils ont récupéré une liberté d’agir. Un expert néerlandais, conseiller pour le secteur du textile, me racontait qu’après la deuxième guerre mondiale, lors de la tenue de salons sur les équipements pour ce secteur, des représentants japonais étaient les premiers arrivés le matin et ne repartaient qu’à la fermeture des séances. Six mois après, on retrouvait les équivalents des machines exposées au salon, fabriquées et mises sur le marché par des firmes japonaises avec seulement la disposition de certains boutons qui ont changé de place. Ce qui était valable pour les japonais l’a ensuite été pour les chinois et autres asiatiques et de plus en plus pour des industriels africains et d’ailleurs. En ce faisant, nous essayons de réduire le fossé de développement qui nous sépare des pays qui nous ont soumis dans le passé. De leur côté, il n’y a pas à en douter, les pays européens avec lesquels nous sommes en contact essaient de pérenniser cette marge qui les sépare de nous mais qui ne cesse de rétrécir comme peau de chagrin pour ce qui est des biens de consommation courants. Sous ce rapport, le contrôle qualité en général, et en particulier pour les produits alimentaires et pharmaceutiques où il obéit dorénavant aux mêmes principes, est l’un des derniers refuges où les pays du nord ont investi leurs efforts pour en compliquer l’accès aux pays du sud et le conserver pour eux, à travers un labyrinthe de codes et de normes de travail, comme un avantage stratégique.

 Les épizooties comme arguments commerciaux

 Lors de l’apparition de la maladie de la vache folle, plusieurs théories ont circulé concernant l’identité de l’agent infectieux sans qu’aucune d’entre elles n’ait été confirmée par des contrôles de laboratoire. C’est la prévention, comprenant l’abattage des troupeaux malades ou simplement ayant cohabité avec les porteurs de la maladie, et l’interdiction à l’avenir de la vente d’organes des animaux soupçonnés d’être à l’origine de l’agent pathogène en plus du changement du régime alimentaire des animaux qui ont été appliqués en Europe. Il s’agit en somme de procédés de prophylaxie qui ont stoppé le développement de l’épidémie (épizootie) de la vache folle plus qu’autre chose. Dans le même ordre d’idées, il n’existe actuellement pas une technique de laboratoire reconnue comme spécifique pour mettre en évidence le virus Ebola. Mais, au-delà du mode de consommation d’animaux sauvages dans des conditions non contrôlées par certaines populations sub-sahariennes, tout le monde est pour ainsi dire d’accord sur le fait qu’il s’agit avant tout de sorte de maladie des pauvres, c’est-à-dire des gens, vivant en promiscuité, qui ont une déficience prononcée pour ce qui relève des pratiques d’hygiène. Donc, ce constat aurait dû orienter l’aide internationale sur des efforts privilégiant l’approche prophylactique. Mais il n’y a rien à vendre sous ce thème. Par contre, faire un tintamarre publicitaire bien ciblé au tour de la question a sûrement permis aux grands groupes à l’affût de vendre toutes sortes de gadgets dont la pertinence pour la lutte contre la maladie est tout sauf démontrée, tels que des portiques aux aéroports, des thermomètres à distance et, la peur aidant, fourguer de tels équipements également à d’autres pays éloignés de ces foyers d’infections où des populations analphabètes sont prédisposées à gober n’importe quelle initiative mercantile du moment qu’elle est drapée dans des discours scientifiques abscons. Sous ce rapport, les gens qui ont été déclarés morts de l’Ebola en Afrique, ou bien antérieurement, de grippes aviaires, porcines et autres épizooties, l’ont été dans leur grande majorité sur des présomptions (plus ou moins fortes) dans la mesure où il n’y a pas de tests de laboratoire reconnus fiables pour détecter de tels virus. La mise au point de telles techniques d’analyses n’a jamais intéressé vraiment les grands groupes pharmaceutiques étant donné que les malades cibles n’ont pas d’argent de quoi les payer. Les symptômes mêmes à l’origine de ces présomptions sont communs à toutes sortes de toxiques qui transitent par le système gastro-intestinal comme les diarrhées, le vomissement et la fièvre entre autres. Ensuite, les gens meurent chaque jour de tout et de n’importe quoi. Mais le fait de les avoir comptabilisés sous la responsabilité de tel ou tel virus a certainement permis au passage à bon nombre de marchands de la peur d’écouler leurs marchandises, matériel et médicaments essentiellement postiches, à quantité de pays et d’entreprises comme cela est le cas depuis de nombreuses années avec ces fléaux qui ont la bonne idée de se développer partout mais de s’arrêter aux portes des pays occidentaux. Car, ce type d’instrumentalisation du contrôle qualité aurait en effet peu de chance d’être pris au sérieux dans les pays européens ou américains où les promoteurs de ce types de peurs factices auraient eu après coup des comptes à rendre au public, et aux scientifiques de bon sens. Alors ils le pratiquent chez nous, les africains à présent, comme moyen de vente parce qu’ils sont de plus en plus à court d’idées sur comment nous plumer sans qu’on s’en rende compte.

 Le Maroc dans tout cela

 Dans le passé, suite à de nombreuses réclamations aussi bien du public que du corps médical, le Ministère de la santé avait adressé une circulaire au début des années quatre-vingt pour exiger des industriels de la pharmacie de contrôler les antibiotiques par des tests par voie microbiologique. Ce type de dosage permet de confirmer l’intégrité de l’antibiotique recherché en le faisant agir sur des bactéries cibles pour les détruire. En effet, lorsque la détermination de l’antibiotique est faite par voie chimique uniquement, la présence de la macromolécule peut être révélée même si elle est inopérante. Pour faire simple, le contrôle chimique s’intéresse à un tout petit bout de la molécule et peut permettre effectivement la confirmation et la quantité d’antibiotique existant. Néanmoins, pour que cette macromolécule très particulière fasse son travail, c’est-à-dire détruire des bactéries pathogènes, il est nécessaire qu’elle se fixe en quelque sorte au micro-organisme infectieux pour stopper son activité. Cette action exige que l’antibiotique conserve sa conformation spatiale qui nécessite le maintien intact de son intégrité. Autrement dit,  si l’antibiotique a été conservé dans des conditions inappropriées, chaleur ou humidité excessives par exemple, la molécule peut toujours être présente mais avoir perdu sa fonctionnalité.

 L’entreprise de Casablanca où je commençais à travailler à l’époque n’avait pas répondu à temps à la demande de mise à niveau évoquée du Ministère et avait alors vu ses produits antibiotiques bloqués à la vente en 1985 pour plusieurs mois. J’ai moi-même, avec quelques conseils d’un collègue professeur chercheur canadien, mis cette technique de dosage au point dans l’entreprise après quoi une délégation du Ministère de la santé était venue en Audit pour valider le travail ; chose qui a permis ensuite le déblocage à la vente de nombreux lots du produit fini antibiotique phare de la société. Sous ce rapport, les règles et les pratiques de travail exigent que, dans l’attente de répondre à un Audit d’une autorité compétente, on a meilleur temps de s’y préparer le plus sérieusement possible. Parce que les auditeurs en question se préparent à leur tour et guettent le moindre faux pas de votre part pour, professionnellement, vous tomber dessus. Qu’elle fut alors ma surprise en réalisant, à la fin de la visite,  que la commission ministérielle,  composée en ce temps là par le Directeur de la Pharmacie Centrale, le directeur du Laboratoire National de Contrôle des Médicaments (LNCM) et d’autres, n’a pas montré grand intérêt pour la mission même de leur visite, et à laquelle je m’étais préparé, c’est-à-dire la méthode nouvellement élaborée pour contrôler la qualité des antibiotiques fabriqués par l’entreprise, en ne posant aucune question sur le sujet ! Ils ont au contraire parlé de sujets mondains et fait comme s’il s’agissait d’une visite de courtoisie et rien d’autres. Le sentiment à mon niveau était celui ressenti lorsqu’on gagne par forfait. Il y a en effet une culture à avoir pour ce type de travail résumée par la formule anglo-saxonne « In God we trust, the rest must come with data » (Nous avons foi en Dieu, le reste doit être vérifié sur la base de données). Sur le même registre, il y a un peu plus d’une année j’avais été appelé pour faire un travail dans une unité de fabrication de fromage de la région de Marrakech. A cette occasion, on m’avait montré un petit appareil, sorte de petite plaque électrifiée, sur laquelle supposément, après avoir mélangé un échantillon du produit à contrôler, le lait dans ce cas, avec quelques gouttes d’un produit chimique indéfini, la société pouvait savoir si oui ou non il y avait un antibiotique dans ces arrivages! Gadget bien surprenant en effet. Mais ce qui est encore plus étonnant, c’est qu’ils m’ont indiqué avoir montré le matériel à des officiels de l’ONSSA qui les en avaient félicités. Comme quoi, s’agissant de la culture du contrôle qualité dans l’agroalimentaire, ce n’est pas demain la veille.