Razzia européenne sur les ressources agricoles africaines

Lors d’une interview récente sur « TV5MONDE », le Président guinéen, Alpha Condé, qu’un journaliste questionnait au sujet de la démocratie en Afrique, a répondu sèchement  « Pourquoi les Européens ne font pas de leçons sur la démocratie aux pays asiatiques ». De son côté, le Président congolais, Joseph Kabila a eu une réponse cinglante au journaliste du Spiegel ONLINE (http://www.spiegel.de/international/world/spiegel-interview-with-congo-president-joseph-kabila-a-1150521.html) qui voulait l’informer que l’Allemagne a l’idée de promouvoir un Plan Marshall pour le continent : «… je ne crois pas en cela. Les africains ont été assommés par ce type de langage depuis cinquante ans... ». Les exemples sont nombreux de ce type de réaction d’agacement et de ras le bol de responsables africains envers une attitude perpétuellement hautaine de responsables européens donneurs de leçons.

Monsieur Kabila a raison, sur ce point, de souligner que les européens cherchent simplement un moyen d’endiguer le flux de réfugiés africains poussés vers l’Europe en grand nombre par la pauvreté et la faim qui rappellent les séquelles de la colonisation européenne sur l’Afrique. Cette pauvreté peut parraitre atypique en ce sens que les pays de notre continent, indépendants depuis plus d’un demi-siècle, sont potentiellement riches de leurs ressources. Mais les pays africains sont les seuls, dans leur globalité, à dépendre excessivement de ce que génère l’export de leurs matières premières qui sont valorisées principalement en Europe. Et, au lieu de se résorber dans le temps, cette anomalie ne cesse de se renforcer. La situation, qui dure depuis des siècles, n’est évidemment pas le fruit du hasard et résulte d’une planification habilement menée et entretenue par les puissances européennes. Les exemples sont nombreux qui montrent que la cuirasse, dont l’UE s’est dotée durant les vingt dernières années, composée de normes et standards devenus pour ainsi dire indépendants du Codex, adossés à des technologies bien étudiées, permet à l’UE de filtrer à l’aise les produits qu’elle veut bien laisser passer et refouler ceux qu’elle ne désire pas sur des « bases réglementaires » inattaquables. Cette approche, hautement élaborée, permet dans le même temps aux caciques de Bruxelles, suivant leur appréciation de l’adhésion ou non d’un gouvernement à « leurs messages sibyllins », de gratifier tel pays exportateur, ou de pénaliser tel autre, parfaitement à leur guise.

Mais on peut se demander les raisons de cette dépendance quasi viscérale des européens sur nos ressources agricoles. L’explication est à chercher peut-être dans la tournure de plus en plus concurrentielle que prend le commerce international particulièrement dans le secteur agroindustriel, en plus du manque de volonté de nos dirigeants de prendre leur destin entre leurs mains. Pour rappel, la Suisse, pays riche, a expérimenté pendant la deuxième guerre mondiale les affres du rationnement alimentaire et compris, comme d’autres pays européens qui dépendent de l’import pour couvrir leurs besoins alimentaires, que cela peut être un énorme frein au développement. Bien évidemment, lorsque l’on a sur son territoire les ressources qu’il faut, on peut planifier en confiance pour la production d’aliments transformés pour l’utilisation locale et pour l’export. C’est ce que les américains et les asiatiques font et que l’UE veut concurrencer en tablant sur une importation massive, continue et bon marché des ressources africaines.

Il ne faut pas se leurrer, nos voisins du Nord ne lâcheront pas prise sur ces ressources vitales pour le maintien de leur standard de vie ni devant les américains ou chinois ou qui que ce soit d’autre étranger au continent. Le salut viendra, selon l’adage « on n’est jamais si bien servi que par soi-même ». Nous devons faire émerger une expertise propre africaine de ce secteur pour aider à son industrialisation et, par la même occasion, pousser à la valorisation de nos ressources agricoles sur place.

L’agro-industrie africaine à l’heure des choix

Dans sa dernière livraison le magazine hebdomadaire Der Spiegel International a sorti un éditorial  signé de la main de son rédacteur en chef Monsieur Klaus Brinkbäumer sous le titre : Europe Must Defend Itself Against A Dangerous President (L’Europe doit se Défendre Contre un Président Dangereux). L’article est incendiaire à l’adresse du nouveau président américain mais reflète largement l’opinion à propos de Monsieur Donald Trump ailleurs dans l’UE. Ce qui a davantage attiré l’attention de ce blog est que le responsable allemand lance un appel à la formation d’une coalition internationale comprenant l’Afrique pour contrer le nouveau locataire de la maison blanche. Dans la mesure où notre continent offre essentiellement ses matières premières d’origine agricole pour le moment au reste du monde, on peut légitimement déduire de l’appréciation européenne que quelque part la nouvelle administration US poserait un risque sur nos secteurs agricoles, vitaux pour nos pays. Alors, il peut être utile d’essayer de regarder de plus près, selon les informations disponibles, s’il y a des dangers éventuels spécifiques que la nouvelle administration Trump pourrait poser sur les activités agricoles et/ou agro-industrielles du Continent africain.

La tentation récurrente vers un comportement autarcique a depuis toujours caractérisé les Etats Unis parce que, en particulier,  tout ce dont ils ont besoin, ou presque, ils l’ont sur leur propre pays-continent. Ainsi, pendant la deuxième guerre mondiale il a fallu toute l’habileté tactique de Churchill, plus l’attaque de Pearl Harbor, pour décider les américains de se départir de leur neutralité dans la guerre qui faisait déjà rage en Europe depuis deux ans. Les anglais ont joué un rôle de catalyseur pour pousser les américains à entrer en conflit militaire avec les allemands à cette époque. A présent, de nombreux indicateurs permettent de conjecturer que ce sont les français qui pressent les allemands pour prendre une attitude commercialement agressive envers les américains.

Selon des informations convergentes, cela a commencé au lendemain de la chute du mur de Berlin. Pour « permettre » la réunification allemande, le président Mitterrand avait subordonné son accord, entre autres,  au resserrement des liens commerciaux avec l’Allemagne au sein de l’EU moyennant une monnaie unique. Les responsables allemands, qui étaient dans une position délicate, ont fini par se plier à l’exigence. Ils ont ensuite fourni un effort herculéen pour pousser leurs citoyens à troquer leur Deutschemark chéri contre un Euro en partage. Une fois fait, les allemands ont montré, comme toujours, une formidable aptitude d’adaptation à la nouvelle monnaie dont le montage la rendait moins chère que le Deutschemark et donc avantageuse pour l’export. Comme conséquence, l’Euro se sera révélé un formidable Bonanza sur le plan commercial et a dopé les performances allemandes à l’export. D’un autre côté, privés de la possibilité d’une monnaie à dévaluer pour rester compétitifs, les pays de l’Europe du sud ont dû se résigner à subir l’hégémonie industrielle et commerciale de la puissance allemande au détriment de leur tissu industriel qui s’est effrité depuis lors de manière substantielle. Le cas de la France pose davantage souci parce que le pays continue de se voir comme une grande puissance planétaire. La Grande Bretagne avait la même attitude jusqu’au début des années soixante-dix. Mais après avoir été obligés de recourir au FMI, à l’instar des pays miséreux, pour s’en sortir, les anglais ont pris toute la mesure de leur nouvelle détresse, ont retroussé leurs manches et se sont de nouveau remis au travail au lieu de continuer sur une politique de rente qui caractérise habituellement les rapports commerciaux des anciens maîtres avec leurs ex-colonies. La France ne s’est apparemment pas encore résolue à faire cette introspection et préfère s’accrocher à l’avantage que lui a procuré jusqu’à présent son statut d’ex-puissance coloniale sur une bonne partie de l’Afrique. Mais l’ex-métropole réalise bien à présent que la perpétuation de ce statut vis-à-vis de notre continent est mieux servie en se drapant des oripeaux de l’UE sous tutelle de l’Allemagne comme Trump l’a bien souligné.

Alors, après avoir bien assis la puissance de leur industrie exportatrice au sein de l’UE, et selon l’adage l’appétit vient en mangeant, les allemands se devaient de pousser « leur Euro » ailleurs dans le monde. Mais voilà, souvent la place était déjà prise par le  Dollar. Ceci a fait dire à Monsieur Peer Steinbrück, ministre fédéral des finances du premier gouvernement d’Angela Merkel, que le Dollar aspirait les 70% de l’épargne mondiale. Dit autrement, les allemands ne dédaigneraient pas de récupérer partie de cette épargne qui arrangerait bien les affaires de l’Europe monétaire, la France en premier. Et le continent où l’Euro a naturellement trouvé une position relativement favorable par rapport au Dollar est bien évidement l’Afrique compte-tenu du volume des échanges commerciaux largement en faveur du vieux continent.

En réalité, nulle part ailleurs le Président Trump n’est décrié autant que dans les pays de l’Europe monétaire. Parmi tous les maux dont on l’accable, il y a qu’il serait dictateur avec tout ce à quoi ce terme renvoie comme images d’Idi Amin Dada ou Jean-Bedel Bokassa par exemple. Mais, considérant la stature des différents centres de pouvoir légitimes aux USA, que tout le monde connait, le qualificatif est au minimum exagéré sinon hors de propos. On l’accuse de vouloir saper l’ordre mondial en vigueur particulièrement pour ce qui relève des règles multilatérales du commerce international. En fait, considérant les discussions passées au sein de l’OMC qui étaient arrivées à une impasse, chacun avait mis du sien dans ce blocage, la France entre autres. Ce qui est surprenant est que dans le raisonnement des responsables européens, article sus-évoqué compris, est qu’ils mettent l’UE sur le même niveau que des structures internationales statutairement désintéressées comme l’ONU par exemple. Il s’agit au minimum d’une confusion sinon d’une imposture.

La réalité, selon mon appréciation, est que le vieux continent a fait son temps et qu’il n’a plus grand-chose d’important à offrir au reste du monde, d’où le qualificatif d’Union Soviétique  dont il commence à être affublé un peu partout. Cela gêne bien évidemment les responsables et le public de l’UE. Pas de croissance, chômage élevé et inflation de normes sur tout et son contraire. Il en découle  qu’au sein de l’Europe monétaire, ils ont terriblement peur de la compétition US, notamment sur le continent africain que la France voit en grande partie comme son pré carré et où elle garde encore pour le moment quelques  avantages comparatifs sur le plan commercial grâce justement aux différents leviers laissés en place depuis la période coloniale, et entretenus à mesure, et sur lesquels l’ex-métropole continue encore de manœuvrer. Pour nous autres africains, la venue des USA apporterait une touche nouvelle qui secouerait un peu le statu quo actuel qui n’a absolument pas profité aux pays africains jusqu’ici.

Le fait est que l’Allemagne en tant que telle, à l’instar du Japon, n’a pas grand-chose à craindre de la compétition avec les USA. Peut-être même le contraire. Par contre, il est hautement probable, si les américains venaient à s’installer pour faire business sur notre continent, que la fragilité de la position française ne tarderait pas à apparaitre au grand jour, particulièrement dans l’agro-industrie.

Les larmes précieuses de l’acacia

L’acacia est endémique des régions sahariennes comme le sud du Maroc. Cet arbre est connu pour donner la gomme arabique dont la demande à l’échelle internationale est largement au-dessus de l’offre. Ceci vient du fait que l’industrie alimentaire est gourmande de cette substance, également connue sous le code E414, qui est incorporée dans une gamme illimitée de préparations alimentaires en tant qu’additif pour ses propriétés émulsifiantes, de stabilisation, d’épaississement etc. La gomme arabique est également connue pour ses usages dans la fabrication de produits pharmaceutiques, cosmétiques et autres. Elle est récoltée de l’arbre sous forme d’exsudats naturels ou, le plus souvent,  provoqués principalement pendant la période de sécheresse. La sève durcit à l’air libre pour former des nodules parfois appelés « larmes d’or » en référence à leur couleur. On ne connait pas d’effet nocif de la substance sur la santé du consommateur, raison pour laquelle la FDA (United States Food and Drug Administration) a classé ce produit sur la liste GRAS (Generally Recognized As Safe) qui implique que l’ingrédient est reconnu comme salubre et son addition en tant que complément dans les préparations de produits finis n’a pas besoin, contrairement à d’autres additifs, d’autorisation préalable. C’est sorte de feu vert pour l’export de cette substance sur l’énorme marché américain et autres marchés assimilés. Ceci, ajouté à d’autres propriétés relevant de sa facilité de préparation et d’utilisation font de la gomme arabique une matière particulièrement recherchée par les grandes centrales d’achat. Il s’en exporte annuellement plusieurs dizaines de milliers de tonnes vers le marché de l’UE où la matière est « transformée » pour vente aux utilisateurs de fin de chaine moyennant de juteuses plus-values. S’agissant de la gomme arabique générée en Afrique de l’Ouest, la France peut être considérée comme le grand « Broker » en la matière. Le pays centralise la gomme en provenance de nos régions et l’apprête pour l’export aux industriels du reste du monde dont le marché US.

 En vérité, la dépendance africaine sur l’Europe en particulier pour la valorisation de nos ressources naturelles, les PAM (Plantes Aromatiques et médicinales) en premier lieu, date de plusieurs siècles et cette réalité fait partie de notre paysage socioéconomique à présent. On s’attendait peut être à ce que les USA s’intéressent davantage au continent africain après la deuxième guerre mondiale, moment où l’Amérique est devenue la plus grande puissance occidentale sans conteste. Mais, compte tenu probablement du choix de contenir en priorité l’extension de l’empire soviétique, les américains ont dû laisser les coudées franches aux européens sur notre continent. De ce fait, les ex-puissances coloniales, qui ont développé une connaissance intime du potentiel économique africain, se sont données à cœur joie de quadriller l’Afrique et de concevoir, directement et indirectement, leur positionnement en tant que carrefour incontournable de l’exploitation des richesses naturelles des pays africains. La gomme de l’acacia est un exemple parmi des centaines ou des milliers d’autres.

 La mainmise de l’Europe sur nos richesses de base, bien préparée et ferme, était vraisemblablement conçue pour durer très longtemps. Mais la chute du mur de Berlin aura certainement été un facteur perturbateur de ce calcul. En effet, cette chute, qui a entériné la déliquescence de l’ère soviétique, a profondément modifié le paradigme qui caractérisait l’équilibre mondial précédent. La course effrénée sur le plan militaire s’est largement déplacée sur le terrain économique, agroindustriel en particulier. Alors, si dans le passé les américains s’accommodaient du passage obligatoire  par les européens pour acheter des matières premières d’Afrique ou bien pour nous vendre des équipements et produits finis, ils ne veulent ou ne peuvent plus se le permettre aujourd’hui. Rien ne justifie plus cette « dîme » qu’ils doivent payer sur chaque transaction qu’ils veulent effectuer avec l’un ou l’autre de nos pays. Les responsables de l’Europe continentale l’ont bien compris eux qui « menacent » à présent de faire à leur tour le forcing pour s’installer en Amérique latine, pré carré habituel de l’Oncle Sam.

 Cette « bataille » au leadership économique et commercial, qui couve entre l’Amérique et l’Europe continentale depuis les années quatre-vingt-dix, s’est subitement accélérée avec le lancement de l’Euro que des responsables européens avaient indiqué leur désir de le voir supplanter le Dollar. Le président Trump n’a pas manqué de leur rappeler cette préméditation lors de l’une de ses dernières interviews. Sous ce rapport, la « bataille de l’Afrique », sur un arrière-fond de valorisation de ses ressources naturelles, ne fait que commencer entre les USA et l’UE. Mais dans ce type de bras de fer, il n y a pas un gagnant et un perdant mais seulement un premier et un suivant. Le perdant éventuel en réalité c’est l’Afrique. Le Maroc peut perdre également un peu de son lustre dans le sens où il est pressenti pour un rôle de leader africain pour montrer la voie aux autres sur le chemin du décollage économique alors qu’il ne parait pas en mesure de valoriser une bonne partie de ses richesses naturelles, l’acacia entre autres, pour en faire profiter sa propre population d’abord. Dans le cas de la gomme arabique, cette valorisation, ou « transformation », signifie, peu ou prou, recueillir la sève dans des conditions correctes ensuite pouvoir la concasser et conditionner. Les européens ne font pas mieux pour pérenniser leur économie de rente sur cette substance en raflant au passage la plus grande plus-value commerciale sur la distribution de ce produit à l’international.

L’instrumentalisation de l’ISO 17025

Parmi les rubriques essentielles qui définissent la qualité d’un article scientifique soumis pour publication, il y a le chapitre « Materials & Methods » où sont expliquées les conditions du protocole suivi et du déroulement du travail. Les grands journaux scientifiques sont particulièrement exigeants sur ce chapitre parmi lesquels il y a l’« European Journal of Physiology » dans lequel j’ai eu le privilège de sortir un article dans le passé*. Les instruments, équipement, matériel, consommable etc., et les divers outils (statistiques et autres) mis en application, pour conduire les essais, pour estimer les erreurs et incertitudes inhérentes à tout travail expérimental, sont également définis. Cette approche du travail judicieux et l’importance de s’y conformer ont toujours cours car la non maitrise de cet arsenal vide de sens tout travail de recherche, ou de contrôle et analyses de routine, et annule bien évidemment les résultats qui en découlent. Par contre, pour des considérations qui incorporent à présent la dimension commerciale, il y a eu reformulation du concept que l’on se plait aujourd’hui à désigner sous la norme ISO 17025. En tout état de cause, on peut en déduire que, préalablement à l’ouverture d’un laboratoire d’analyses et de contrôle, les autorités compétentes veillent à ce que le responsable désigné sur cette activité possède dans son curriculum la maitrise des éléments sus-évoqués, résumés sous cette dénomination ISO 17025, avant de lui remettre l’autorisation d’exercer. C’est ce qui se fait ailleurs dans le monde. Chez nous, cette charge devrait normalement revenir au CMC (Comité Marocain d’Accréditation) qui est habilité, selon la « loi 12-06 relative à la normalisation, à la certification et à l’accréditation ». En fait, il n’en est rien. En l’absence d’un texte de loi qui traite  spécifiquement de l’autorisation d’ouverture d’un laboratoire d’analyses et de contrôles des produits alimentaires, les personnes intéressées de travailler dans ce domaine peuvent entrer dans cette activité en deux temps. D’abord en demandant, selon une procédure courante, l’ouverture d’un Bureau d’Etude. Ensuite, dépendant des motivations des individus, une personne peut très bien démarcher des clients et leur proposer de faire les analyses de leurs produits. Pour « fidéliser » ces gens, tout en garantissant la rentabilité de ses opérations, cette personne peut également délivrer des Bulletins d’Analyses (BA), éventuellement  « taillés  selon le désir de l’opérateur ».

En réalité, il y a très peu de laboratoires d’analyses des aliments au Maroc, peut être une douzaine, comparée à plusieurs centaines pour les analyses médicales par exemple. Le fait que, en pratique, les laboratoires de l’Etat monopolisent le travail sur ce créneau, en offrant des prix officiels relativement bas, explique en grande partie le désintérêt des investisseurs pour cette activité difficilement rentable en l’état actuel des choses. Il y a l’histoire aussi qui montre que la répression des fraudes s’est toujours mêlée de très près de ce secteur, lucratif pour eux, et ont de la peine, même sous l’ONSSA (Office National de Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires) actuel, à se limiter au rôle qui leur est défini par la loi 28-07 de sécurité sanitaire des aliments, c’est-à-dire de veiller à l’application de la loi en se soumettant eux-mêmes, pour le bon exemple, à la traçabilité de leurs actions. Le résultat net est que chez nous, l’expertise en général, et les analyses de laboratoire en particulier, souffrent d’une insuffisance (ou absence) de crédibilité et les informations dont je dispose montrent que c’est le cas également ailleurs en Afrique. Alors que nous avons le CMC sus évoqué, ce sont essentiellement des prestataires étrangers, rémunérés pour leur service, qui accréditent jusqu’aux laboratoires officiels de l’Etat et fixent les règles privées de certification qu’ils nous imposent comme à de nombreux autres pays africains. Aujourd’hui c’est l’ISO 17025 qui est mis en vedette. Demain, toujours dans le souci de maintenir leur monopole sur les différentes composantes de l’activité d’expertise, ce sera le tour pour une autre norme fixée par ces « bailleurs de crédibilité » en fonction de leur agenda et non celui de l’Afrique.

Le Maroc, pays africain qui a le plus grand potentiel agroalimentaire, a le devoir de se bouger sur le front de l’expertise pour acquérir son indépendance sur ce registre, condition sine qua non s’il veut effectivement prendre le leadership continental, comme nombre de nos responsables se plaisent à le répéter dans la presse écrite et audiovisuelle. En effet, la crédibilité, sur laquelle on peut asseoir son leadership, ne se décrète pas mais se gagne à la force du travail et de l’exemple. Sur ce chapitre, il y a encore du travail à faire que le Maroc peut choisir d’ériger en priorité ou bien de le renvoyer simplement aux calendes grecques et enterrer par la même occasion sa chance de servir à jamais d’exemple à suivre aux autres nations africaines.

Le cas du Japon d’après-guerre pourrait éventuellement nous servir d’exemple. Dans le livre de Nikos Kazantzakis, Voyages : Chine-Japon, l’auteur décrit un pays dévasté où la pauvreté et la faim étaient visibles partout. Le Japon était à plat et exsangue. Mais les professionnels japonais n’ont pas baissé les bras. Un ingénieur hollandais témoin de cette époque, qui travaillait pour une société de textile britannique, me racontait que dans chaque salon professionnel des années cinquante où il avait été, il y avait toujours des japonais. Ils venaient à l’ouverture et repartaient à la fermeture du salon. Ils observaient, étudiaient, posaient des questions, prenaient des notes et des schémas des machines exposées. Six mois après, ils mettaient sur le marché des machines comparables ou plus performantes. A la fin des années soixante, soit juste vingt ans après la guerre, le Japon était déjà un concurrent sérieux dans l’industrie du textile.

Cet exemple devrait inciter à la réflexion sur le rôle de notre pays pour l’Afrique. Après la Cop22, que le Royaume a organisée avec succès en un temps record, les nations africaines lui ont demandé, entre autres, d’être leur porte-parole pour la défense de l’environnement. Cette marque de confiance implique que le Maroc est perçu comme un leader capable de mettre en œuvre une expertise indépendante et crédible pour permettre des avis motivés dans le domaine environnemental qui pourront servir pour la protection des richesses naturelles africaines. Ces mêmes richesses qui ont servi de politique de rente à de nombreux pays européens à ce jour. Sous ce rapport, si le Maroc ne développe pas son expertise propre, il ne faut pas qu’il compte sur les pays mentionnés pour lui offrir la leur contre leurs propres intérêts.

*: Essadki, A, J. ATKINSON (1981). Renin release by renin-depleted rats following hypotensive haemorrhage and anesthetics. Pfluegers Arch., 392: 56-50

Remarque : ce travail était inédit à l’époque

L’amateurisme au sommet de l’ONSSA

Fin de ce mois de Novembre a eu lieu du 22 au 26 la première édition des JIED (Journées Internationales d’Etudes de Dakhla) sous le thème : « La Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires au Service de la Coopération Sud-Sud ». Des invités européens et américains ont, avec leurs collègues maghrébins, participé à cet événement qui a connu une présence remarquée de nombreux experts africains représentants leurs différents pays dont nous citons la Mauritanie, le Sénégal, le Cameroun, le Burkina-Faso, le Bénin, le Niger et j’en passe. Ces journées ont été clôturées par la déclaration de Dakhla qui remercie chaleureusement les organisateurs marocains et salue le rôle de leader du Royaume du Maroc pour développer une coopération Sud-Sud qui profite d’abord et avant tout aux populations du Continent Africain. Les recommandations demandent également la poursuite des efforts en vue de faire émerger une expertise africano-africaine basée sur les normes des organismes de référence, le Codex Alimentarius notamment, qui réglementent le commerce international pour le secteur. Les experts africains demandent également à leur association, l’AEFS (African Experts of Food Safety) de mutualiser ses efforts avec l’ASDI (Association Saharienne du Développement durable et de la promotion de l’Investissement) et initier les démarches requises pour aller vers une reconnaissance réciproque de l’expertise africaine avec les autres continents à l’instar de ce qui a été instauré en Europe sur la base du « Principe du cassis de Dijon ».

La manifestation aurait été une parfaite réussite si l’ONSSA (Office National de Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires) n’avait, inopportunément, choisi volontairement de boycotter l’événement hormis un passage furtif et fugace le premier jour d’un chef de service local. Les experts africains hôtes, responsables dans leurs pays respectifs des organismes de tutelles de la chaine alimentaire, ont vite fait de remarquer cette absence et, pour certains, ont été abasourdis d’apprendre que le Directeur Général de l’ONSSA, qui a été invité dans les formes requises par l’AEFS,

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et qui avait promis au téléphone de nous honorer de sa présence, ait décidé de snober l’ensemble de nos invités de marque dans un événement qui constitue le corps du travail de l’ONSSA. Non seulement il n’est pas apparu à cet événement majeur qui vise à consolider la place de Dakhla comme Hub marocain pour la coopération Sud-Sud, selon les orientations de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, mais de toute évidence, Monsieur Bentouhami a également décommandé à son Staff d’assister aux JIED.

Au sommet de l’Etat, l’appel est fait pour que chaque responsable marocain qui se respecte s’implique dans la politique du Royaume d’aller vers davantage de coopération Sud-Sud. Nos voisins subsahariens faisant principalement commerce de produits agroalimentaires, il est naturel que le Maroc prête une attention particulière à la coopération sur ce secteur dans laquelle les organismes concernés, au premier rang desquels il y a l’ONSSA, doivent répondre présents. Mais est ce que Monsieur Bentouhami est conscient de la portée de l’enjeu de la sécurité sanitaire des produits alimentaires dans la politique de notre pays pour servir d’exemples à nos voisins du Sud ? Il est malheureusement permis d’en douter. J’en veux comme preuve l’exemple suivant (de nos archives) du travail d’amateur de Monsieur Bentouhami :

Il y a un peu plus d’une année, une société de la place de Casablanca demande mon avis d’expert sur le refoulement (qui lui parait injustifié) de l’un de ses produits (colorant carmin de cochenille), importé d’Amérique Latine. scan-bloquage-cochenille-onssa

Après examen du dossier, il m’est clairement apparu qu’il s’agissait d’une décision arbitraire et abusive. Je rédige alors une note à l’adresse de Monsieur Bentouhami qui lui est remise en main propre avec décharge.scan-note-onssa-sur-cochenille

Quelques jours (ouvrables) après, les services ONSSA du port de Casablanca appellent au téléphone le transitaire de la société et lui demandent de venir récupérer la marchandise devenue tout d’un coup acceptable.

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Mais vous savez ce qu’on dit : le ridicule ne tue pas. Car à y regarder de plus près, le premier document de refus et le deuxième d’acceptation sont superposables en ce sens qu’ils sont signés par les mêmes personnes, à des jours d’intervalle, une fois pour le refoulement et une deuxième fois pour l’acceptation sans aucune explication ni écrite ni orale. On peut imaginer l’inverse, des produits alimentaires qui entrent au Maroc sur des bases tout aussi arbitraires. Si ce n’est pas le comble de l’amateurisme, cela y ressemble beaucoup. Alors quelle est la crédibilité de l’organisme ONSSA dans tout cela sous la direction de Monsieur Bentouhami. Sous d’autres cieux, le Dirigeant d’un organisme pareil aurait donné sa démission pour moins que cela et les « ingénieurs » signataires des documents auraient été passés en conseil de discipline et révoqués pour ne pas être à la hauteur de la tâche qui leur est définie. Mais si Monsieur Bentouhami n’en a rien fait c’est, selon moi, parce que tout cela lui passe au-dessus, un peu comme pour le boycott des JIED.

La nébuleuse des accréditations au service de l’UE agricole

Il y a environ une dizaine d’années, j’ai été amené à donner un avis, sur demande d’une unité agroalimentaire de Fès (mes archives), à laquelle l’USFDA (Agence américaine de contrôle des aliments et des médicaments) avait refusé l’enregistrement de l’un de ses produits à l’export et lui avait retourné le dossier reçu dans ce but. La procédure FDA en vigueur veut que l’unité industrielle charge une personne désignée (expert) auquel la société délègue la qualité d’effectuer les formalités d’enregistrement de produits en son nom auprès de l’agence fédérale. L’original du document de délégation de pouvoir doit être adressé en même tant que le dossier d’enregistrement renseigné. En l’occurrence, pour des considérations obscures, cette délégation (conduite en dehors des formes requises) avait été faite à un fonctionnaire de l’EACCE (Etablissement Autonome de Contrôle et Coordination des Exportations) lequel, au lieu de mettre son nom et sa qualité sur le dossier d’enregistrement comme l’exige la réglementation en question, avait indiqué en lieu et place le nom de l’EACCE. Il  pensait vraisemblablement, peut-être par analogie des contacts que ces gens ont avec leurs homologues de l’autre côté de la méditerranée, qu’il avait là un atout à jouer. De plus, l’examen de comment le dossier était renseigné montrait à l’évidence que le fonctionnaire en question était novice pour une telle démarche. Ceci ajouté à cela a fait que le dossier en question a été rejeté par l’agence américaine et la société devait, dans une position désagréable, reprendre le processus depuis le départ. Il y a lieu de noter que la FDA indique sur son site qu’elle se réserve le droit de poursuivre en justice toute personne qui se rend coupable de lui adresser un dossier frauduleux. Dans le cas qui nous occupe, l’Etat marocain, par la légèreté d’un fonctionnaire inconscient, devient susceptible d’être poursuivi en justice par les autorités américaines.

La FDA est plus que centenaire à présent et, au lendemain la deuxième guerre mondiale, a assisté nombre d’agences de réglementations de pays européens qui avaient, pour partie d’entre eux, perdu leurs archives et protocoles, à reprendre leurs activités sur des bases correctes. C’est probablement pour cette raison que, au moment de mettre sur pied leur propre agence EFSA (European Food Safety Agency), Monsieur Romano Prodi, président de la commission UE à l’époque, a fait le déplacement à Washington pour voir et s’inspirer de l’expérience FDA. Mais si le consensus de mettre l’EFSA en œuvre était acquis, les pays européens étaient loin d’être d’accord sur de nombreux points à commencer par où mettre le siège de l’organisme européen. Les français ont défendu farouchement leur vue d’avoir un siège français pour l’agence. Le fait est que les italiens (romains) ont été précurseurs, des siècles avant Paris, pour ce qui relève de la réglementation alimentaire. Mais si le bon sens et la logique ont prévalu par l’attribution du siège de l’EFSA à Parme en Italie, les français ont donné depuis lors des signes d’agacement qui confinent à la marginalisation de cette agence pour ce qui les concerne et, à ce jour, préfèrent chaque fois qu’ils le peuvent mettre en avant sorte de préséance de leurs agences réglementaires nationales sur celle de l’agence européenne. Sachant que les français sont foncièrement cartésiens, la question se pose pourquoi l’aveuglement cette fois. La réponse pourrait bien venir du fait que « la jouer cartésien » en les circonstances entraînerait des risques pour le prestige de la France au niveau de ses anciennes colonies, toute l’Afrique francophone pour ce qui nous concerne, devant lesquels la Métropole coloniale a glorifié pendant des siècles la prééminence de l’expertise et du savoir-faire français sur ceux dans le reste du monde. En effet, à supposer que la France joue le jeu de promouvoir la position de l’EFSA, comme cela est requis selon les traités de l’Union, cela signifie que les prestataires de service français, qui abondent sous nos latitudes, doivent promouvoir l’image de l’EFSA en priorité. Mais alors, une fois ce travail de promotion fait, un prestataire de service de n’importe quel autre pays de l’UE pourrait faire l’affaire pour, par exemple,  prendre en charge des dossiers d’export de produits alimentaires vers l’UE. La France, sur ce qu’elle considère comme son « son pré carré » de pays africains, qu’elle répugne à considérer aujourd’hui encore autrement que comme des « DOM-TOM » (mes archives), se retrouverait à faire un travail qui bénéficierait aux citoyens européens avant ses nationaux sans rien en retour pour ces derniers. En tout état de cause, cela ne correspond pas à l’image que la Métropole a construite d’elle-même depuis des siècles auprès de ses ex-colonies. Il y a donc blocage. Cela tranche évidemment avec les prestataires américains qui promeuvent la réglementation FDA quel que soit l’Etat de l’Union auquel ils appartiennent. Mais si on considère la question sous un autre angle de vue, nous avons une autre image. Car si les règles FDA doivent être respectées pour l’entrée d’une marchandise sur le marché américain, et peu importe le port d’entrée ; s’agissant de l’UE, c’est la réglementation du pays qui reçoit le premier la marchandise qui prime. Comme la plus part des marchandises de l’Afrique francophone qui vont vers l’UE aboutissent vers, ou transitent par, la France, la Métropole a, financièrement parlant, tout à gagner à continuer de mettre en avant sa réglementation propre avant celle des autres. Mais ses partenaires européens observent la démarche et se disent si la France met en avant ses réglementations nationales pourquoi pas nous. Bien évidemment, le choix entre mettre en avant la réglementation EFSA ou bien nationale est cornélien pour tout le monde. C’est, selon toute vraisemblance, pour « résoudre » ce conundrum propre à la cacophonie horizontale qui caractérise les lois et règlements de l’UE qu’un consensus tacite s’est forgé pour la promotion massive de prestataires de service privés en Afrique. Sur tout le continent, nous avons à présent des bureaux de consultance, majoritairement français mais également d’autres pays de l’UE, qui sont prêts à vous certifier tout ce que vous voulez et son contraire pour peu que vous ayez de quoi payer. Ils ont en commun d’être tous accrédités, moyennant finance, par un organisme ou un autre de leur propre pays, s’arrangent pour n’être comptables de leurs actes devant qui que ce soit, et en tout cas pas devant les juridictions des pays africains où ils gagnent leur argent. Ils ont également la solidarité de groupe des pays de l’UE pour bloquer tout produit qui ne serait pas certifié par l’un ou l’autre de ces agents parfaitement instruits. Cerise sur le gâteau, c’est l’EACCE chez nous, vestige du protectorat, dont on a simplement procéder au changement de l’intitulé,  qui doit veiller à l’application de ces exigences que l’UE agricole nous impose en dehors des standards de référence pour le commerce international.

Un exemple, tiré de mes archives, illustre bien l’anarchie, et l’absence de crédibilité, de bureaux qui s’activent chez nous, et certainement dans d’autres pas d’Afrique, dans le domaine de la certification et qui se servent au Maroc de l’EACCE pour leur dessein. Il y a quelques années, un opérateur de Marrakech avait demandé mon assistance pour la certification de son huile d’argan grade alimentaire. Le Maroc dispose, une fois n’est pas coutume, d’une norme pour cet article. Durant mon séjour de travail, l’opérateur m’apprend, en substance, qu’il exporte déjà le produit qu’il voulait certifier mais sous  « label cosmétique ». Devant mon étonnement, il m’informe que l’astuce lui avait été soufflée, moyennant finance, par son consultant français (en même temps certificateur) qui avait arrangé la combine avec l’importateur qui changeait simplement l’étiquetage après la réception du produit en France. Exporté sous label cosmétique (pour la forme), le produit devient alors alimentaire. A ma question sur le rôle de l’EACCE dans tout cela, sa réponse était que quand les responsables de l’organisme en question voient la signature d’un certificateur français, le produit passe comme une lettre à la poste.

A présent, la lecture comparée du site http://www.onssa.gov.ma/, de l’ONSSA (Office National de Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires) et du site http://www.eacce.org.ma/, de  l’EACCE, montre clairement, s’agissant de la vérification de la qualité et de la salubrité des produits alimentaires, des prérogatives qui chevauchent parfaitement. Le problème est que l’action de l’EACCE intervient après celle de l’ONSSA, au moment de préparation de l’opération d’export. Alors, quel que soit l’angle de vue par lequel on peut considérer cet imbroglio, il ressort que l’intervention de l’EACCE amoindrit les prérogatives de l’ONSSA et, par voie de conséquence, heurte de front la loi même qui met toute la chaine alimentaire nationale sous l’autorité de l’ONSSA. A moins de considérer que, contrairement à l’esprit et la lettre de la loi 28-07 de sécurité sanitaire des produits alimentaires en vigueur, les opérateurs du secteur agroalimentaire préparent des produits pour nous marocains pour lesquels l’avis de l’ONSSA est suffisant et d’autres prévus pour l’export pour lesquels le « super-avis » de l’EACCE est prépondérant. Si tel était le cas, cette vision aurait au moins le mérite d’être en cohérence avec l’arrêté viziriel de 1944 instituant le « Contrôle Technique de la Fabrication, du Conditionnement et de l’Exportation Marocaine » (mission d’origine de l’actuel EACCE).

Quand la loi progresse mais les pratiques rétrogradent

A l’origine, la réglementation nationale sur la sécurité sanitaire des aliments était bicéphale. Les services de la répression des fraudes s’occupaient du marché intérieur et l’EACCE (Etablissement Autonome de Contrôle et de Coordination des Exportations) s’assurait de la qualité des produits alimentaires vers l’Europe, soit essentiellement vers la France à laquelle revient le « démérite » d’avoir imposé au Maroc la mise en place de cet organisme. En somme, les marocains devaient consommer ce qu’on leur offrait alors qu’on mettait à la disposition des européens le privilège d’effectuer des choix. Dans ce contexte, la promulgation de la loi 28-07 sur la sécurité sanitaire des aliments était un grand progrès en imposant les mêmes règles à respecter par les exploitants indépendamment de la destination des denrées produites, pour le marché local ou pour l’export. En conséquence, il n’y a plus de raison valable pour justifier le maintien de l’EACCE. Mais s’il est encore là, il est hautement probable, selon mon appréciation, que ce soit suite à  la volonté de donneurs d’ordres étrangers, la France en particulier, qui doit insister pour que l’EACCE reste son interlocuteur de référence pour les produits exportés. Cet état des choses nuit à nos efforts pour la mise à niveau du secteur agro-industriel national et sabote l’image de marque que  nous voulons brandir comme modèle pour servir les intérêts des autres pays africains. Dans le même temps, selon une approche sournoise et assassine, cette manière de faire freine de façon dangereuse, voir existentielle, les efforts du Maroc dans sa quête de jouer un rôle positif pour le continent africain sur le plan de la valorisation des produits agroindustriels qui constitue l’un des principaux moteurs potentiels sur laquelle veulent compter les pays africains pour sortir du sous-développement.

Avant l’avènement du HACCP (Hazard Analysis Critical Control Points), la qualité des aliments était « mesurée » par une approche qu’on désignait de « contrôle par échantillonnage » : Après avoir produit (fabriqué) un aliment, des échantillons étaient prélevées et contrôlés sur le plan physico-chimique et microbiologique (comprenant des tests qu’on désigne habituellement de tests de stabilité) et si les contrôles réglementaires étaient satisfaisants, les produit étaient comme on dit « débloqués ». Mais l’expérience, à l’échelle mondiale, a montré, entre autre chose, que l’écrasante majorité des produits finis étaient « débloqués » après les contrôles par échantillonnage. Par exemple, les industriels refaisaient plusieurs fois les contrôles et gardaient dans leurs archives seulement les analyses qui ont donné les résultats souhaités pour justifier la libération de leurs produits dans le commerce. Pour cette raison, la nouvelle réglementation marocaine, à l’instar des autres lois à l’échelle de la planète, a adopté le HACCP comme nouvel étalon de mesure de la qualité des produits alimentaires. En clair, la loi 28-07 impose aux exploitants la mise en place de l’autocontrôle (de produits alimentaires qu’ils fabriquent) selon une approche du HACCP dans leurs unités de préparation et/ou de traitement des aliments. Ce principe, appliqué aux industriels de la conserve, implique que ces exploitants doivent, entre autre, définir par un expert habilité un barème de stérilisation de leur produit conforme aux exigences requises sous ce rapport et garder dans leurs archives, durant la vie commerciale du produit commercialisé, le dossier de fabrication entier de l’aliment en question pour montrer aux autorités compétentes en cas de besoin (Cette exigence est d’ailleurs du même niveau que celle imposée aux industriels du médicament par le Ministère de la Santé). Bien évidemment, parmi les éléments qui figurent habituellement dans le dossier de fabrication il y a les paramètres qui concernent les différents étalonnages et les opérations de nettoyage et de maintien des autoclaves pour un travail propre.

Sur un autre plan, il n’y a pas à présent d’obligation réglementaire des industriels de l’agroalimentaire de recruter un (ou plusieurs dépendant de la taille de l’unité) ingénieur diplômé dans leurs entreprises (une unité pharmaceutique ne pourrait pas être autorisée sans le recrutement de pharmaciens) comme c’est le cas dans les autres pays du monde auxquels nous nous comparons. Comme conséquence, les exploitants peuvent parfois être négligents sur le plan de la maintenance par exemple. A ce propos, les industriels marocains (les plus nombreux) qui travaillent avec des autoclaves de type « Barriquand » (autoclave à haute pression qui fait ruisseler de l’eau chaude par des orifices aménagés dans l’équipement sur les boites de conserve pour les stériliser), qui négligent les opérations de maintenance (et il en existe) peuvent voir certains orifices de ruissellement d’eau être bouchés par la graisse qui s’accumule par le travail répété sur du poisson ou olives ou autres produits qui génèrent des substances graisseuses. Les boites de conserves qui se trouvent alors en dessous des orifices bouchés ne reçoivent pas, ou pas suffisamment, de chaleur pour stériliser le produit ce qui conduit plus tard à des gonflements de boites par développement microbien. L’acheteur européen éventuel d’une telle marchandise fait la remarque aux autorités de son pays qui répercutent l’observation à leur tour sur l’EACCE. Nous comprenons tous à présent que quelque chose ne va pas au niveau de l’usine qui doit être corrigée et il y a deux manières de procéder. La première, rationnelle et professionnelle, consiste à passer en revue (comme cela est préconisé par le HACCP) l’ensemble des éléments du procédé de fabrication jusqu’à mettre le doigt sur l’élément (un ou plusieurs) défaillant et le corriger. La deuxième approche, que je qualifie de « contrôle de rente » consiste à ordonner à l’industriel de garder le produit fini à son niveau pour quelques semaines, le temps de visualiser si des boites mal stérilisées gonfleraient qu’il se doit alors de mettre de côté pour destruction et de ne présenter à l’EACCE que les boites qui « se seraient bien comportées ». Dans ce jeux malsain, l’industriel aura perdu jusqu’à un mois d’attente pour vendre sa marchandise ou bien, dans l’autre sens, ne saura jamais d’où vient le problème. Les donneurs d’ordre auront trouvé matière à maintenir leur suspicion sur le « Made in Morocco » et les fonctionnaires de l’EACCE auront une fois encore trouvé un moyen ringard pour faire faire, de façon médiocre, leur travail par les exploitants en les rendant du même coup encore moins compétitifs.

En quoi le « Brexit » est bon pour l’Afrique

Un nourrisson ne peut se passer de la tétée de sa mère. Éventuellement, il peut se contenter de la substitution d’un biberon ; mais quand vient le moment de le sevrer, il entame, pour son âge, une sévère résistance que rares doivent être les parents qui ne l’ont pas vécue. Les puissances coloniales vivent un peu les mêmes angoisses et engagent, à leur niveau, le même type de résistance au moment d’être sevrés de leurs colonies. Les britanniques ont été les premiers à souffrir de ce syndrome dont les français ont tirés ensuite quelques leçons. Ainsi, au moment où le tour de la France métropolitaine est venu de rendre à des Etats africains leur liberté, ils se sont arrangés pour le faire de manière très étudiée  en maintenant leur mainmise sur l’économie de ces pays, en particulier sur le commerce de matières premières, agricoles pour ce qui nous concerne et minières également. Après, les français ont, comme on s’en doute,  négocié âprement, au sein de ce qui est devenu l’UE, le privilège de « superviser » le volet agricole des relations commerciales entre UE et l’Afrique. La Grande Bretagne, l’autre ex-grande puissance coloniale du continent, devait acquiescer à ce consensus européen préétabli au moment de son adhésion tardive à l’UE.

S’agissant de la politique de l’UE sur le secteur agroalimentaire, africain notamment, la parole de la France était prééminente. C’est un énorme levier que la Métropole a utilisé jusqu’à la corde pour  conserver son train de vie, largement injustifié autrement pour une puissance qui n’a cessé de perdre de sa superbe depuis soixante-dix ans. Mais le Brexit annoncé risque de mettre fin à cette politique française de rente, relent de l’époque coloniale, qui aurait pu, pour ce qui nous concerne, prendre fin dans les années soixante-dix déjà. A cette époque, la Grande Bretagne (GB), avec une économie tombée en chute libre, s’est résignée en tant que grande puissance à tendre la main pour l’aide du FMI. Le salaire moyen d’un ingénieur anglais était de l’équivalent de trois cents francs suisses, somme mensuelle allouée en Suisse en ces temps à un jeune apprenti. Du coup, de nombreux pays dans le monde ont recruté des ingénieurs anglais à volonté, pour leur recherche fondamentale, d’application ou bien dans des entreprises opérationnelles. La Suisse était dans ce cas. Mais l’Inde également qui ne l’a pas regretté car ces ingénieurs en question étaient parmi les mieux formés à l’échelle internationale dans de grandes Ecoles et Universités britanniques qui ont été, et qui restent toujours, à la pointe du progrès scientifique et technique dans le monde. Si l’Inde a réussi le tour de force de nourrir une population équivalente à celle de la chine pour un territoire juste au-dessus du tiers de l’empire du milieu avec des conditions climatiques peu favorables c’est grâce, notamment, à une approche inspirée du savoir-faire et de l’ingénierie britanniques. Mais, en raison d’une mainmise serrée de la France métropolitaine sur notre économie, nous n’avons pas pu nous même, ici au Maroc ou bien dans l’Afrique de l’ouest, profiter de cette manne de travailleurs anglais hautement qualifiés ce qui aurait aidé à réorienter notre politique sur le secteur agro-industriel davantage au profit de l’Afrique.

Des trois besoins fondamentaux de l’être humain, l’amour, la nourriture et l’eau, seul le premier a été sublimé. Le Taj Mahal, par exemple, a été érigé par un empereur pour l’amour d’une femme. Les besoins de se nourrir et de boire, nous les partageons avec les autres mammifères. Pour cette raison, la personne qui n’a rien à manger, ou à boire, est prête à risquer sa vie pour se sustenter. C’est ce qui arrive, et continue de se produire, avec la migration de la jeunesse africaine vers l’Europe depuis quelque temps déjà. Beaucoup de facteurs contribuent à cette détresse qui était, dans nombre de nos pays, simplement masquée par sorte de troc asymétrique conçu et mis en œuvre par la France coloniale pour ses colonies africaines et que la Métropole a prolongé au-delà des indépendances de façade. Mais depuis que les autres pays de l’UE ont pris conscience que le principal gagnant de la PAC (Politique Agricole Commune) était la France pour sa propre politique africaine ils ont, les britanniques en tête, engagé sorte de révolte pour changer les choses, c’est-à-dire payer moins sous ce registre ce qui a fait autant d’argent de moins qui devait aller dans les poches françaises. Depuis ce moment-là, la France a commencé à ressentir les limites de sa politique dite « Françeafricaine » qui était, en partie, possible grâce à la permissivité de la politique de l’UE, Allemagne en tête, en direction de la Métropole. Les britanniques étaient un contributeur net à la PAC alors que les français en ont été un bénéficiaire net.  A présent que la GB a claqué la porte, l’Allemagne a vite compris qu’elle allait devoir mettre davantage la main à la poche pour assurer une part encore plus grande dans le budget de la PAC si elle veut la pérennisation de la Politique Agricole Commune. Sous ce rapport, le « Spiegel Online » rapporte, dans sa livraison internationale du 25 de ce mois de Juin : « … The common agricultural policy, for example, has for decades been nothing but a gigantic money redistribution machine without a discernible added benefit for Europe…» (Pendant des décennies, la politique agricole commune, par exemple, n’a été rien de plus qu’une grande machine de distribution d’argent sans aucun avantage pour l’Europe…). Il faut comprendre de cela que c’est la France essentiellement qui en a profité et que, par conséquent, cela doit cesser.

Il y a tout de même quelque chose de pas si orthodoxe que cela dans la réaction de la France, relayée par le Président de la Commission de l’UE, au Brexit. Car enfin, si l’on est sûr, comme les français le martèlent, que la GB est sur une route pour « se casser la gueule », alors la chose est entendue. Les gens vont le voir et cela découragera les autres de suivre l’exemple. Il n’y a donc pas besoin d’en rajouter en exigeant des britanniques de terminer à présent et immédiatement dans la précipitation leur union avec l’UE alors que la réglementation leur donne un délai de deux ans pour le faire. Il semble davantage que cette réaction excessive soit plutôt une réaction de quelqu’un qui perd son sang-froid à l’occasion d’un danger plus grand qu’il ne l’a imaginé sans que l’on sache quoi exactement. Serait-ce la peur de voir s’accélérer la levée de la mainmise française sur l’économie d’une grande partie de l’Afrique ? On subodore que la France voudrait voir être appliquées à la GB le plus rapidement possible les simples règles du commerce international  sans autre privilège comme c’est le cas pour les USA avec cette différence que la GB ne pèse pas aussi lourd. Et, surtout, de faire souffrir les « Britishs » en leur appliquant le régime des barrières non-tarifaires comme elle fait pour d’autres pays africains, par exemple. Seulement voilà, il faut  rappeler qu’à la base, les normes ISO, exigées haut et fort pour l’export des produits agroalimentaires africains sur le marché de l’UE, proviennent pour plus des deux tiers de normes britanniques et que la GB a tout à fait le droit d’en revendiquer la paternité. Il semble donc prématuré, dans cette hypothèse, à l’élève de faire la leçon au Maître à ce stade du bras de fer.

Mais, si le « Brexit » remet en cause l’ensemble de la politique de l’UE à ce jour, il s’y trouve une dimension qui pourrait jouer favorablement pour nous africains. D’abord, les anglais vont être libérés de leur attitude de réserve vis-à-vis de la politique que la France, au nom de l’UE,  nous applique et la GB pourrait alors nous faire profiter d’initiatives intéressantes pour développer le commerce africain à l’international hors UE. Ensuite, il s’agit d’un pays d’à peu près la même population que la France pour une superficie d’environ un tiers seulement de cette dernière, qui importe donc de grandes quantités de nourriture et qui a un grand pouvoir d’achat étant la cinquième puissance industrielle du monde devant la France. De plus, les britanniques paieraient nos produits moins chers en dehors d’autres intermédiaires franco-européens. Enfin, une collaboration plus étroite du Royaume de Grande Bretagne avec le Royaume du Maroc pourrait faciliter des mises en contact de notre économie avec celle de l’Afrique orientale, où la GB est présente, ce qui bénéficiera à l’ensemble de l’Afrique.

Le déclin commercial de l’Europe coloniale

Les sujets de discussions, et de tensions, ne manquent pas ces derniers temps en Europe : Crise des migrants, Crise grecque, « Brexit », chômage au dessus de 10%, croissance atone, grèves à répétition, remise en cause de l’espace Schengen, fléau du terrorisme, conflits avec la Russie, la Turquie et j’en passe. Il est indéniable que l’Europe coloniale traverse une mauvaise passe et, cela est connu, les gens en perte d’énergie ont l’énervement facile comme par exemple leur menace de bloquer les discussions sur le PTCI (Partenariat Transatlantique sur le Commerce et l’Investissement), appelé également le TAFTA (Trans Atlantic Free Trade Agreement) ou TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership). Il est vrai que les européens ont été habitués durant la guerre froide à être gâtés par les américains sur le plan militaire pour la défense antisoviétique, dont l’essentiel du fardeau était supporté par l’oncle SAM, sur le plan commercial où, en particulier, les américains s’obligeaient à faire transiter une grande partie de leur commerce avec l’Afrique via leurs représentants en Europe. Mais depuis la chute du mur de Berlin, les repères ont bougé et le centre de gravité du commerce mondial s’est déplacé vers l’Asie. Alors, de peur d’être dépassés par les événements, les américains ont dû adapter leur politique en focalisant leurs efforts tous azimuts sur l’espace asiatique ce qui leur a permis de signer dernièrement le TPP (Trans-Pacific Partnership) avec onze autres pays du pourtour du Pacifique. Certains européens ont considéré ce changement de cap des américains, qui tranche avec le passé, comme une trahison et n’ont cessé depuis de manifester leur colère et leur frustration qu’ils expriment cependant de manière plus ou moins sibylline. Ils avancent avoir peur, si le PTCI  est conclu, de l’envahissement, par exemple, du marché européen par le poulet au chlore américain. Le consommateur européen, déjà échaudé par tellement de problèmes sanitaires de produits alimentaires, est très réceptif à ce genre de messages lugubres auxquels il réagit à fleur de peau. Mais ce rejet de l’innovation n’est pas nouveau en lui-même et a déjà été observé quand, il y’a un siècle, on a voulu chlorer l’eau pour la rendre potable. Aujourd’hui, c’est l’OMS qui le prescrit et tous les pays s’y soumettent sans problème. Alors, la réaction européenne refléterait-elle simplement la position d’une puissance en perte de vitesse  qui réalise qu’elle perd chaque jour plus de terrain à son principal concurrent et qui ne trouve aucune solution pour combler son retard ? Certains éléments tendraient à appuyer cette thèse. D’abord, ce n’est pas un hasard si les récriminations européennes relatives au PTCI portent majoritairement sur le domaine agroalimentaire. En effet, pour des considérations largement connues, les secteurs agroalimentaires de l’Amérique latine et de l’Asie sont bien avancés et ont développé des expertises qu’ils exportent de par le monde ce qui les fait échapper à l’influence du carcan  normatif européen. Par contre, les pays africains, francophones en particulier, vivent encore sous la main mise des normes françaises, sorte de joug conçu pour les attacher fermement à l’Europe via la France. Dans ces conditions, la conclusion d’un TAFTA ferait percevoir les européens comme favorisant des transactions commerciales selon des normes US et il y aurait alors toutes les raisons pour que les africains fassent de même et ce serait bien évidemment un coup fatal porté au monopole que l’Europe coloniale a continué à posséder des siècles durant sur le secteur agroalimentaire africain. Il est donc probable que les discussions entre américains et européens s’éternisent au sujet du TTIP sans conclusion à l’horizon. Les échappatoires qui peuvent permettre aux européens de gagner du temps, ce dont l’UE est devenue Maître, ne manquent pas. Elle gagne du temps depuis des années au sujet de la dette grecque en remettant toujours à plus tard l’échéance d’appliquer la solution qui convient (réduction de la dette) sur laquelle il y a un consensus planétaire. Elle continue aussi de remettre à plus tard l’impératif d’asseoir sur des bases rationnelles l’ensemble de ses normes agroalimentaires en mettant le principe de précaution en avant chaque fois que sa compétitivité est mise à mal par les autres puissances agroindustrielles du monde. Avec l’Afrique, elle joue à fabriquer des accords de commerce préférentiels dont le but inavoué est également de gagner du temps. Il en est ainsi de l’ALECA (Accord de Libre Échange Complet et Approfondi) UE/Maroc par exemple. Selon cet accord, le Maroc devait faire converger sa réglementation  vers celle de l’Union Européenne, dans le secteur agroalimentaire pour ce qui concerne cet article, pour permettre une plus grande ouverture du marché de l’UE, et donc plus d’export pour nos produits frais et transformés. Dans ce but, la réglementation marocaine de sécurité sanitaire des aliments et les textes connexes épousent parfaitement les points de vue de la loi de l’UE appliquée au domaine agroalimentaire y compris sur le principe controversé de précaution. La promulgation de la nouvelle loi 28-07 en 2010 a renforcé encore davantage cet effort de convergence. Malgré cela, la balance commerciale du Maroc vis-à-vis l’UE a continué à se dégrader. Interrogés il y a quelques temps à ce sujet, les responsables de la mission de l’UE au Maroc ont répondu simplement qu’il fallait plus d’efforts et plus de patience pour que l’ALECA livre ses fruits ! Or, la mise en place de la convergence, qui coûte cher à l’État et aux entreprises, était supposée s’accompagner d’une réduction sensible des Mesures Sanitaires et Phytosanitaires (SPS) et autres obstacles au commerce pour un meilleur transit en douane de nos produits à l’export sur le marché européen. Le paradoxe, ou bien le tour de passe-passe, fait que « avec convergence » ou sans, nombreux de nos produits se font refoulés pour des raisons en dehors du Codex Alimentarius. En effet, la plupart du temps le rejet est signifié par rapport à la non-conformité à un critère ou un autre relevant des méandres de la réglementation UE. Il y a lieu de rappeler que le Codex Alimentarius constitue le référentiel auquel l’OMC a recours pour motiver ses prises de position sur les litiges agroalimentaires entre les États. Mais apparemment, ce système ne serait pas assez bon, ou bien suffisant, pour permettre à l’UE de verrouiller, si et quand elle le souhaite, les portes d’entrées du marché UE aux produits africains sans avoir à rendre de compte à qui que ce soit. Et ce qui s’applique à l’« ALECA marocaine » aujourd’hui s’appliquera à une autre « ALECA africaine » demain. L’Europe coloniale doit vraiment prendre conscience que le moment est venu pour qu’elle fasse un effort sérieux pour se libérer de sa procrastination qui n’a que trop durée aux yeux de  ses partenaires commerciaux de par le monde.

L’agroindustrie africaine cherchant sa voie

Il y a une dizaine d’années, un grand groupe de l’agroalimentaire de Casablanca a demandé mon expertise au sujet du blocage en douane de l’un de ses produits (encornet congelé importé d’Amérique Latine) pour résultats d’analyses microbiologiques non satisfaisants selon un laboratoire officiel de la place. Le directeur général local de la SGS, société qui a certifié la qualité du produit au départ, qui a été informé, m’a alors téléphoné pour prendre des nouvelles sur les « démarches que je comptais prendre pour régler rapidement cet incident » ! J’ai reçu parallèlement un fax de SGS France pour « m’instruire comment effectuer les analyses de contrôle » ! A ma question : « pourquoi le fax », le responsable de la filiale marocaine me dit d’un air entendu « pour vous indiquer comment le contrôle en question doit être effectué ; car nous ne savons pas comment travaillent les laboratoires de l’État marocain ». Mais, j’ai appris de source proche du dossier, SGS France, jugeant probablement que ces précautions n’étaient pas suffisantes pour garantir l’entrée du produit sur le marché marocain, et affirmer sa primauté sur l’expertise du produit par la même occasion, aurait fait intervenir ses liens privilégiés avec un organisme français puissant établi ici au Maroc lequel a contacté l’ex-directeur de l’ONSSA (Office National de Sécurité Sanitaire des produits Agroalimentaires) qui a diligenté une autre analyse qui s’est « révélée favorable » pour le transit rapide du produit vers le marché marocain. Mon travail d’expertise (non effectué) devait forcément peser moins lourd qu’un coup de téléphone de ces gens ! Plus récemment, travaillant pour une entreprise de Tétouan exportatrice de produits de la mer sur l’Europe (l’Espagne en particulier), je les avais interrogés sur la raison pour eux de se référer dans leurs dossiers d’export, qu’ils soumettaient à l’EACCE (Etablissement Autonome de Contrôle et de Coordination des Exportations), à des normes françaises en contradiction de la réglementation marocaine en vigueur qui recommande, après la loi 28-07 de sécurité sanitaire des produits alimentaires, de se reporter plutôt au Codex Alimentarius. Leur réponse était que sans cela (référence aux normes françaises) leurs produits étaient refusés à l’export sur le marché européen ! Mes archives contiennent en fait de nombreux exemples comparables, y compris certains relatifs à d’autres pays africains, qui tendent tous à montrer que, s’agissant du domaine agroalimentaire, ce qui intéresse les européens tout particulièrement est qu’ils vendent leurs marchandises sur le continent africain comme ils l’entendent et y achètent les matières premières selon des critères qu’eux-mêmes fixent et valident. Mais tout cela est évidemment bien drapé dans des « normes » et des « expertises » dont le seul mobile serait la « protection des consommateurs et de l’environnement». Et si on questionne l’attitude de ces donneurs de leçons, ils ont à chaque fois la réponse « appropriée ». Les normes Codex par exemple sont souvent décriées parce que « dépassées ou protégeant moins le consommateur européen ». En substance, les opérateurs européens, s’appuyant sur leurs normes et expertises propres, se meuvent, pour ce qui relève de l’import/export en Afrique des matières premières et produits finis du domaine agroalimentaire, en terrain conquis. On peut légitimement se demander ce que fait en ces moments là notre Autorité de tutelle, l’ONSSA supposée veiller sur l’application de la réglementation marocaine sur le marché national ! La réalité est que le commerce des produits agroalimentaires avec les pays européens, aussi bien dans le cas du Maroc que pour d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest, utilise principalement la France métropolitaine comme porte d’accès. Ensuite il y a que nombreux parmi les responsables marocains actuels, ou leurs équivalents africains, qui sont passés par l’école publique jusqu’à il n’y a pas très  longtemps, concéderont que les programmes scolaires, largement inspirés de l’époque coloniale, nous ont plus appris sur la France que sur nous-mêmes et, à l’intérieur de cet emballage, la pensée et l’approche de travail à la française au point que cela est devenu la norme de référence pour la plupart d’entre nos officiels. Notre pensée est devenue confuse entrainant un manque de confiance en nous mêmes en dehors de la tutelle argumentaire française. On peut faire le même type d’observation au sujet de l’ensemble de l’Afrique francophone. De là l’ambigüité de l’attitude de nos hauts fonctionnaires qui veulent une indépendance de leur pays mais au sein de la France et qu’importe si les français eux-mêmes reconnaissent que leur retard sur les anglo-saxons s’explique entre autres par la rigidité de leurs normes et de leur attitude au travail. Certains de mes amis particulièrement francophiles  disent que les USA n’ont pas fait mieux. Il est vrai que les américains ont occupé après la deuxième guerre mondiale aussi bien l’Allemagne que le Japon et la Corée du Sud. Si on prend ce dernier comme exemple, qui était sous-développé à ce moment là et parmi les plus pauvres de la planète, ce qui est encore le cas pour la moitié nord de ce pays partagé, il est difficile de soutenir que la Corée du Sud est un pays dans le besoin actuellement. En effet, les échanges de cet État avec les USA uniquement ont dépassé les cent dix milliards de dollars en valeur en 2014 ! Pour que ce pays achète et vende autant aux États-Unis, il aura fallu une préparation musclée. Ainsi, entre les années cinquante et la fin des années soixante dix, les USA ont investi plus d’argent en Corée du sud que ce que toute l’Afrique a reçu comme investissement pendant la même période. Ce n’est pas que les pays colonisateurs européens avaient nécessairement moins de moyens. Mais alors que les États Unis voyaient leur intérêt dans le renforcement des capacités productives, et la prospérité qui en découle pour aussi bien l’Allemagne que le Japon que la Corée du sud, pour en faire des partenaires solvables et en mesure de payer pour le made in US, la France était intéressée à garder ses ex-colonies aussi désargentées et dépendantes que possible. Cela lui a permis en même temps de vendre nombre de ses produits, difficiles à écouler ailleurs et à des taux de crédit dont seul Paris était juge, et lier son assistance à la poursuite de l’exploitation des richesses, matières premières et autres, de ses ex-colonies. Le résultat, au contraire de l’exemple de la Corée, est que parmi les pays africains dont il est question, il y’en a qui sont à présent dans une situation pire qu’à l’aube de leur indépendance !

En conclusion, s’agissant du secteur agroalimentaire, la grande majorité des experts considère qu’il concentre la plupart des barrières non tarifaires au commerce. Bien que la réglementation de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) recommande de prendre en considération « les besoins des pays en développement dans la définition des normes », le fait est que ces pays pauvres, majoritairement situés en Afrique, sont loin de faire entendre leur voix dans les forums en question. Pour cela, il faut que les pays africains prennent conscience que sans autosuffisance alimentaire, que des pays européens ont inscrite dans leurs constitutions respectives au lendemain de la deuxième guerre mondiale déjà, il est illusoire d’arriver à stopper les migrants de la faim vers l’eldorado chimérique européen et les désastres sociaux et humains qui vont avec. Cet objectif demandera certainement des années pour être atteint. Mais une chose peut être faite dans l’immédiat pour améliorer le bénéfice pour l’Afrique sur les échanges relevant du secteur agroalimentaire avec les autres régions du monde : la création d’une structure  africano-africaine qui soit dédiée aux questions d’expertises agroalimentaires.