L’instrumentalisation du contrôle de production

Les pays qui ont développé une stratégie d’industrialisation l’ont fait en s’appuyant sur le potentiel des ressources que leurs propres pays offrent. Par exemple, la France est connue pour être un pays à vocation agricole, et d’agroalimentaire, par son climat, ses ressources en eau et parce que l’agriculture peut y être pratiquée sur la moitié de la superficie du pays. Aussi, l’Allemagne s’est trouvé une vocation industrielle parce que ses terres étaient « gorgées » de charbon. Il n’est pas possible de croire qu’en quarante années d’occupation du Maroc, la métropole se soit trompée sur le potentiel agricole et, partant, agroalimentaire de notre pays. Pourquoi alors, à la veille de son départ « de façade » du Maroc, la France a poussé pour l’émergence d’une industrie pharmaceutique locale au lieu d’une industrie agroalimentaire qui aurait eu plus de sens ? Cet article propose une réflexion sur le pourquoi de ces choix qui impactent encore le Maroc d’aujourd’hui.

 Le secteur élitiste de la santé au Maroc

 Parmi ceux qui ont connu l’époque du lendemain de l’indépendance certains doivent se rappeler que l’élite marocaine francophone était constituée en bonne partie de médecins et pharmaciens qui ont très vite fait aboutir des réglementations ad hoc pour protéger leurs secteurs séparés mais néanmoins interdépendants. L’unité pharmaceutique, comme point de départ, vend au pharmacien qui, à son tour, a besoin du médecin privé ou hospitalier pour vendre. Il est probable que derrière la raison de l’encouragement de l’occupant pour ces formations, davantage que pour celles de l’agroalimentaire, il y ait le fait que le secteur productif du médicament dépend presque entièrement de l’apport extérieur, c’est-à-dire de la France en ces temps là et, par voie de conséquence, il est plus facile à gérer de loin. En effet, en dehors de l’alcool et du sucre, toutes les autres matières premières doivent être importées, de préférence via la métropole, ainsi que l’équipement et matériel de travail et, parfois, des cadres et techniciens étrangers grassement payés. Ces relations étaient mises en forme par des accords entre les commettants français et les entreprises locales.  Moyennant quoi, la multitude des intermédiaires métropolitains sur toutes les étapes de production était commissionnée, et recevait des intéressements parfois mirobolants, durant tout le processus de réalisation du médicament. Comme si cela pouvait se révéler insuffisant, les pharmacopées françaises, à l’exclusion ou presque d’ouvrages d’autres pays pour ce type de travail, ont été rendues la référence unique pour les contrôles des matières premières et produits finis de l’industrie marocaine. De plus, les commettants exigeaient le plus souvent le contrôle à leur niveau avant la libération du produit dans le commerce chez nous. Le secteur était donc verrouillé et les décideurs de la métropole écrémaient les finances des entreprises concernées à souhait sans aucune considération pour le fardeau financier lourd qu’ils faisaient peser sur le marocain moyen. Alors que je travaillais, au milieu des années quatre vingt en tant qu’Attaché scientifique et administratif d’une unité de Casablanca, on m’a informé de la visite d’un expert français que je devais recevoir et lui faire un tour dans les structures de contrôle de l’entreprise ; ce que je fis. Le pharmacien en question, au demeurant fort sympathique, était à la retraite depuis bien longtemps et ne donnait pas l’impression de s’intéresser beaucoup à l’actualité des techniques de contrôle physico-chimiques ou microbiologiques du moment (objet indiqué de sa mission) ce qui avait rendu l’échange entre nous très limité. Mais, quelque temps après, suite à une indiscrétion d’un cadre au fait des transferts financiers de l’entreprise, j’appris que l’« expert »   était revenu en France avec une somme, plus que rondelette pour l’époque, de trois millions de dirhams en devises. Il n’est pas claire si la somme était pour lui ou, après un prélèvement, à remettre à tierce-partie et laquelle.

 Une fois avoir fabriqué des profils choisis pour le secteur de la santé, et avoir façonné sa « contribution » à ce secteur au niveau du contrôle et l’expertise, la France s’est, en somme, rendue maître des cordons de la bourse du domaine marocain  de la santé par tous les moyens possibles et imaginables. Après quelques dizaines d’années de ces pratiques, la cherté excessive des médicaments ne pouvait plus être cachée à l’ensemble de la société marocaine. Tout le monde connait la suite avec les difficultés du Ministère de la santé ces derniers temps pour faire accepter au groupe pharmaceutique le niveau exagéré des prix des médicaments chez nous.

 Quid du secteur agroalimentaire

 En 1996, se tenait le premier SAM (Salon Alimentaire du Maroc) où j’avais réservé un stand au nom de « Cabinet d’Expertises Dr Essadki ». Le matin, à l’ouverture, la salle de conférence était bondée de plusieurs centaines de places assises sans compter les gens debout. Après les officiels, il y avait les exposés des intervenants filtrés par l’organisateur dont plusieurs français invités et suivis par une bonne audience très généreuse à l’occasion pour les applaudissements. Mais il y avait aussi des américains dont l’intervention avait été renvoyée à la clôture de la journée des conférences. Par ailleurs, comme si cela ne suffisait pas, l’organisateur a mis en place, juste sur la plage horaire d’intervention des professionnels US, et sur l’espace adjacent à la salle de conférence, un généreux cocktail pour le public. Inutile de dire que tout le monde avait déserté l’auditoire. J’étais, avec trois autres participants, les seuls à écouter 5 américains, dont une femme, à faire leurs interventions devant une salle dont, il ne fait aucun doute pour moi, quelqu’un a sciemment prémédité et planifié sournoisement de la vider de l’audience avant leurs exposés. En tant que marocain, j’étais mal à l’aise surtout devant l’effort de ces participants de parler en français chose pour laquelle j’ai félicité la dame dont la présentation était parfaite. Plus tard, quand j’ai eu à faire une inspection, parmi tant d’autres, sur demande de la justice, de l’entreprise COVEM, appartenant au président  de l’époque des deux fédérations, la FICOPAM (Fédération des Industries de la Conserve des Produits Agricoles du Maroc) et la FENAGRI (Fédération Nationale de l’Agroalimentaire) et promoteur du Salon SAM, j’ai été reçu par un citoyen français qui m’a présenté à son « patron », m’a fait le tour de l’unité, m’a donné toutes les explications, a répondu à mes lettres et m’a clairement fait comprendre qu’il était l’homme en charge pour tout dans l’entreprise et avait, au-delà, le poste de conseiller du président. Il m’a salué quelques mois plus tard, à la veille de son retour en France, en m’indiquant dans sorte de message sibyllin que « sa mission au Maroc était à présent terminée ». Son patron a disparu du tableau des responsables des deux fédérations mentionnées peu de temps après lui.

 Contrairement à la fabrication du médicament, où la dépendance du Maroc sur les matières premières de l’extérieur, et du savoir faire (Know-how) français en particulier, pouvaient mettre en doute l’opportunité à l’indépendance de ce type de projets pour le Maroc, l’initiation d’une industrialisation du secteur agroalimentaire aurait dû paraître beaucoup plus rationnelle et logique. Mais, la France devait avoir des raisons, qu’il n’est pas difficile de trouver,  pour ne pas avoir poussé dans ce sens. En effet, garder le Maroc, désargenté comme il l’était à ce moment là, sous le « statut de maraîcher » était du pain béni pour les agro-industriels français. J’ai moi-même acheté en Suisse dans les années soixante-dix des fruits et légumes bien de chez nous labellisés d’« Origine / France ». Avec les produits frais périssables, le Maroc était, et l’est toujours à certains égards, acculé à écouler ses marchandises rapidement, voir les brader éventuellement pour éviter davantage de pertes. A y regarder de plus près, quoique la stratégie mise en œuvre par la France dans le cas des médicaments n’était pas la même que pour les produits agricoles, les deux démarches se rejoignent dans le sens d’optimisation des profits sur ces deux secteurs nationaux au bénéfice des opérateurs français. Mais si les liens d’entente avec les industriels locaux du médicament ont été bien travaillés, et bien huilés, la situation ne parait pas avoir été aussi optimale pour ce qui est du potentiel agroalimentaire. De là, probablement, la hantise aigue des français de voir quelqu’un d’autre, plus puissant, mettre son nez dans les affaires agricoles du Maroc. Le traitement infligé à la délégation américaine cette année 1996 au SAM est à mettre sur le dos d’une peur maladive de la métropole de se voir damer le pion par les américains sur le secteur agroalimentaire national.

 La loi 28-07 dans tout cela

 Je me rappelle le cas de cet importateur de confiture, en emballage (aluminium) d’une portion qui courait le risque d’être mis en prison pour non-conformité « avérée » de son produit à la réglementation en vigueur. Pour ce type d’articles, qu’on ne peut stériliser à l’autoclave, il y a la pratique d’ajouter un bactériostatique, le benzoate de sodium dans ce cas, qui n’était pas reconnu comme additif alimentaire sous l’ancienne loi abrogée en 2010. Pour tirer l’importateur d’affaire, dans le cadre du travail de contre expertise que le tribunal m’a confié, j’ai dû me référer à la réglementation sur les médicaments où le même benzoate de sodium est utilisé à pratiquement la même dose dans le sirop pour enfant et ailleurs. Il y a lieu de préciser que les textes réglementant la fabrication de la confiture remontent à 1928, c’est dire s’ils sont anciens et que personne n’y a touché depuis. Sous ce rapport, l’article 43, du décret d’application de la loi 28-07 de sécurité sanitaire des aliments en vigueur, recommande aux organisations professionnelles du secteur agroalimentaire de rédiger leurs propres guides de Bonnes Pratiques d’Hygiène et de Fabrication en se référant, entre autres, aux codes d’usage pertinents du Codex Alimentarius. En tant que consultant pour plus de vingt cinq années, et à ce jour, je n’ai encore vu la réalisation d’aucun de ces manuels mentionnés par une organisation professionnelle du secteur. En effet, ce genre de manuels ne se rédige pas comme on le fait pour un article de presse mondaine. L’ONSSA a donc un rôle à jouer dans ce cadre en retroussant ses manches et en proposant un ou quelques modèles de manuels sur les quels ces organisations peuvent prendre appui pour rédiger les leurs. Après tout cela fait partie de leur travail jusque là, selon mon opinion, largement imparfait. Sans cela, le fossé entre les principes énoncés dans la loi 28-07 et les pratiques au quotidien des exploitants  risque de s’agrandir davantage avec le temps. C’est aussi le prix à payer par l’organisme de tutelle pour montrer à tout le monde que l’ère de l’instrumentalisation du contrôle et de l’expertise sur nos secteurs productifs est définitivement terminée.

Différend sur un certificat sanitaire de l’ONSSA

On apprend toute sa vie

 Après l’ouverture de l’ISBB (Institut Supérieur de Biologie et de Biochimie) 1 en 1992, l’habitude était d’organiser annuellement des portes ouvertes pendant quelques jours. Lors de l’une de ces séances, je me rappelle la question d’un pharmacien, responsable d’un laboratoire d’analyses médicales sur Casablanca, qui trouvait que, au lieu des deux années du cursus, il nous fallait former des techniciens sur trois ans minimum. A ma question de savoir s’il avait lui même des techniciens dans son laboratoire, sa réponse était affirmative et sur où ils ont été formés, il avait répondu « sur le tas ». Cela signifie qu’ils ont appris le métier de laboratoire en analysant sans préalable le sang de patients envoyés par des cabinets médicaux. Mais si le stagiaire apprend de ses fautes, il y a lieu de considérer que ce sont les patients évoqués qui ont dû en payer le prix, chez ce pharmacien, sous forme, par exemple, de résultats faussant le diagnostic subséquent ou orientant mal les ordonnances. A ce propos, il est courant, dans le cas des doctorants,  après avoir soutenu leurs thèses, d’aller effectuer un stage de travail postdoctoral pour les familiariser, au sein de structures bien encadrées, avec les contraintes réelles de leur future profession. Sur un plan général, l’apprentissage, à une échelle ou une autre, a un prix et ce coût est le moins élevé dans une structure appropriée pour quelque travail que ce soit que l’on doive apprendre. S’agissant du secteur agroalimentaire, le Maroc s’est doté dernièrement, pour la première fois de son histoire post-protectorat, de la loi 28-07 sur la sécurité sanitaire des produits alimentaires, comparable à celles en vigueur dans des pays avancés. Reste à savoir si les fonctionnaires de l’ONSSA (Office National de Sécurité Sanitaire des Produits Alimentaires) qui la pilotent vont, dans le cadre de leur interaction avec ce nouvel instrument, faire payer aux opérateurs le prix de leur propre apprentissage de gestion de cette nouvelle réglementation. L’article traite de ce sujet en prenant appui sur l’importation de la gélatine.

 La gélatine, ubiquiste dans les aliments industriels

 Pour l’industrie alimentaire, la gélatine, substance pratiquement sans goût ni odeur, est un auxiliaire incontournable, comme additif ou ingrédient, pour la réalisation d’un nombre incalculable de produits alimentaires allant des boissons et jus, aux produits de confiserie et pâtisserie, conserves d’origine animale et végétale, produits dérivés du lait tels les yoghourts, margarines et autres. Elle est utilisée pour ses propriétés d’agent épaississant, stabilisant, texturant et bien d’autres. En Europe, les trois quarts de la gélatine alimentaire est d’origine porcine, fabriquée à partir de sous-produits de cet animal, les os et la peau essentiellement. Mais elle est également fabriquée de sous-produits d’autres animaux tels le bœuf, la volaille et le poisson ; comme elle peut être également d’origine végétale. Après l’apparition de la maladie de la vache folle, des réglementations spécifiques (européennes, américaines et autres) encadrent la production de la gélatine qui va pour la consommation humaine, d’abord via les produits alimentaires mais également par le biais de produits pharmaceutiques et de cosmétique, pour éviter sa contamination par des agents de propagation de la maladie sus-évoquée. Pour nous autres pays musulmans, l’animal, origine du sous-produit, doit être Halal et abattu selon le rite musulman et la gélatine qui en dérive doit également être fabriquée selon une norme de production Halal. Ces exigences sont rappelées dans la loi 28-07 de sécurité sanitaire des aliments et les textes pris pour son application. Sous ce rapport, l’ONSSA a fait circuler dernièrement un exemplaire de certificat sanitaire vétérinaire avec l’idée, a priori, de faciliter le commerce de cette substance sur le marché national.  Mais le résultat semble ne pas être celui qu’attendaient les responsables de l’ONSSA. En effet, il y a actuellement de nombreux lots de cette substance qui sont en souffrance au port de Casablanca sans que les opérateurs, qui subissent un manque à gagner consistant, sachent quand le blocage sera levé.

 Le blocage dans la forme

 Le modèle de certificat adressé au mois de Mai passé par l’ONSSA à des ambassades à Rabat pour le faire valider par les services compétents de leurs pays d’origines, et les opérateurs l’inclure ensuite dans les dossiers d’exportation de la marchandise vers le marché marocain, est inspiré d’un document de l’Union européenne (voir ici  et ). Les informations disponibles montrent que plusieurs pays, fournisseurs de la gélatine, ont fait la sourde oreille à la demande de l’autorité de tutelle sur notre secteur agroalimentaire. En tête de liste, il y a la France qui insiste que soit utilisé, en lieu et place du modèle marocain, son propre certificat, qui ressemble également au document européen signalé ci-dessus, qu’elle considère plus approprié pour le but recherché par l’ONSSA. Ce blog possède copies du modèle de l’ONSSA et de celui proposé par la France. Si la parenté entre les deux  documents et celui de l’Union européenne ne fait pas de doute, le document marocain spécifie, en plus, que l’animal Halal, dont la gélatine est dérivée, doit avoir été abattu selon le rite musulman (dans un abattoir agréé) et la substance même produite selon un protocole Halal conformément à la norme marocaine pour ce travail ou bien une norme équivalente. L’importateur de cette marchandise doit donc produire des documents appropriés issus d’une autorité religieuse précisant la conformité de la gélatine à ces exigences, dont la certification pour l’abattage Halal.

 Le blocage sur le fond

 En tant qu’autorité de tutelle sur le secteur agroalimentaire national, l’ONSSA a l’obligation de faire respecter la réglementation marocaine sur le marché national comprenant le refoulement aux frontières des produits non conformes. Il n’y a rien à reprocher en soi à cette démarche. D’un autre côté, si un opérateur, dont la marchandise est en souffrance à la douane, avec les frais de magasinage que cela implique, doit, pour faire accepter son produit sur le marché national, attendre sur une « décision diplomatique » passant par une ambassade, ensuite par des autorités compétentes devant statuer sur la validité d’un certificat vétérinaire qui relève en dernier ressort des autorités de Bruxelles, il est parti pour attendre un long moment. Entre-temps, on lui inflige sorte de punition pour un problème (décision diplomatique évoquée) sur lequel il n’a aucune prise. L’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) recommande qu’en pareil cas, l’autorité compétente, qui a arrêté le produit, a l’obligation de montrer à l’opérateur le chemin le plus court pour arriver à une porte de sortie, c’est-à-dire la levée du blocage. Cette solution ne s’accommode pas, selon mon opinion, du passage par la voie indiquée ci-dessus de « diplomatique ». A ce propos, notre nouvelle réglementation traite, dans le décret d’application de 2011 (voir ici ), dans ses articles 47 et suivants, des règles à satisfaire pour importer un produit alimentaire chez nous. Si les opérateurs concernés arrivent à démontrer par tout moyen approprié la satisfaction de leurs gélatines à la loi 28-07, il n’y a aucune raison de leur faire subir à eux des tracasseries administratives coûteuses dans l’attente d’un règlement sur l’approbation du modèle de certificat de l’ONSSA par leurs collègues fonctionnaires de l’Union Européenne et d’ailleurs. Sous ce rapport, la FDA (Food and Drug Administration), organisme de référence pour ce qui relève de la sécurité sanitaire des aliments et des médicaments à l’échelle mondiale, dialogue d’abord avec les opérateurs auxquels elle demande de se conformer à la réglementation US dont elle veille au respect sur le marché intérieur américain. Dans ce but, elle inscrit noms et adresses des entreprises ainsi que ce qu’ils fabriquent et par quels procédés. Ensuite, elle fait comprendre que celui qui triche verra le marché être fermé devant son entreprise avec, au besoin, poursuite judiciaire et des amendes qui effaceront tout ce qu’il aura gagné en trichant et davantage. Après cela, c’est aux opérateurs en général et importateurs en particulier, s’ils veulent commercer sur le marché américain, de se conformer aux règles. Cela peut s’appliquer chez nous.

  Quid du déblocage des produits en souffrance

 En somme, tout laisse penser que les décideurs de l’ONSSA font leur apprentissage d’une loi de stature internationale. Le prix, ou les pots cassés, de leur familiarisation avec les nouvelles règles sont pour le moment supportés uniquement par les opérateurs du secteur. Mais, compte tenu de l’utilisation transversale très large de la gélatine à travers le secteur agroalimentaire, le blocage mentionné ne semble pas être de bon augure pour la suite de l’implémentation de la nouvelle réglementation par les exploitants concernés. J’ai eu à intervenir dans le passé, en concertation avec un cabinet d’audit américain avec lequel je collaborais, pour trouver des solutions pour accélérer, à l’entrée du marché US, le transit de marchandises d’opérateurs européens et marocains qui nous le demandaient et je sais, contrairement à une perception faussement répandue, combien la FDA est proactive pour contribuer à des solutions appropriées rapides. L’organisme américain n’engage pas directement ses agents pour conseiller l’industriel concerné pour une solution à la place d’une autre car cela ne fait pas partie de leurs attributions. Par contre, ils peuvent orienter les opérateurs vers des cabinets conseils habilités pour les aider à trouver la solution adéquate et faire le lien entre l’organisme de régulation et les exploitants. Il est grandement  temps pour les fonctionnaires de l’ONSSA de stopper de faire concurrence aux acteurs privés pour le bénéfice de l’application de la loi 28-07.

1 : L’ISBB, qui a ouvert ses portes en 1992, a eu beaucoup de succès pour ce qui est de l’insertion rapide des techniciens diplômés dans le tissu productif national. Mais, pour le prix payé par les candidats la structure n’était pas rentable et, en lieu et place, il y a à présent le Laboratoire Essadki d’Analyses Alimentaires (LEAA).

Les petits producteurs de lait face au lobby

La symbolique du lait au Maroc

 En 1974, j’avais accompagné un couple d’amis suisse-allemands qui se rendaient pour la première fois au Maroc. Nous nous sommes, à l’occasion de cette tournée, arrêtés quelques jours chez une tante dans un patelin près de Ouazzane. Elle savait qu’on arrivait et avait trait à temps un peu de lait de vache et en a donné un verre à thé à chacun qu’ils ont bu de bonne grâce. Il a fallu tout de même expliquer l’importance de ce geste chez nous. En effet, la consommation du lait en Suisse est très banalisée. On le substitue à l’eau pour cuisiner, on l’ajoute au chocolat, au café, on infuse du thé dedans et on étanche sa soif avec car souvent moins cher que l’eau commerciale. Alors que chez nous, durant la longue sécheresse des années quatre-vingt, les bons clients des épiceries de quartier recevaient, pendant le mois de Ramadan, le précieux sésame enveloppé dans du papier journal pour le masquer aux yeux des nombreux autres consommateurs malchanceux. Comme les hommes d’affaires cherchent à investir dans les produits demandés par le marché, cela explique comment à présent tout le monde peut acheter du lait à volonté, librement et sans avoir à le cacher. Mais on peut s’interroger sur ce que deviennent les petits producteurs de coopératives dans tout cela. C’est l’objet de cet article.

 Les industriels trichent également

 Entre 1994 et 1999, campagne d’assainissement aidant, j’ai réalisé des centaines d’expertises légales à la demande des tribunaux du Royaume, particulièrement sur les industries du secteur agroalimentaire de Casablanca. Une bonne partie de ce travail était consacrée aux expertises sur la farine (lobby puissant s’il en et sur lequel j’aurai l’occasion de revenir dans un texte ultérieurement) et sur le lait dont une facette de travail est rappelée dans cet article. Sommé par courrier enregistré de me communiquer leur point de vue sur des accusations de fraude portées contre l’une des plus grandes unités de production du moment de lait frais pasteurisé et de longue durée, le directeur d’usine me fait parvenir copie des minutes de productions (listing reprenant les analyses des « En-cours de fabrication ») dans un grand carton qui montraient que cette unité sortait, dans un cas « favorable », sept litres de laits à partir de la matière grasse pour six. L’après midi même j’ai été à l’entreprise en question avec le carton en main. Après une brève discussion avec le directeur des ressources humaines, nous avons été rejoints par le directeur de production, un jeune ingénieur qui n’avait pas vu d’inconvénient à transmettre à un expert judiciaire copie des « minutes » en question, sans aviser sa hiérarchie ! J’étais très remonté contre ces gens car entre mes mains il y avait la preuve qu’ils mettaient en vente du lait frais pasteurisé avec une teneur en matière grasse largement inférieure (jusqu’à 50% en moins) à l’exigence réglementaire. La fraude relevée pouvait être le point de départ d’un scandale de grande ampleur, particulièrement pour les femmes auxquelles le médecin peut recommander du lait de vache après le sevrage de leurs bébés vers les six mois. D’un autre côté, quelle assurance ces gens peuvent produire comme quoi ils vont stopper leur fraude ? Quelqu’un qui a assisté à l’entretien un peu houleux m’a pris à part ensuite et m’a dit en substance : « Pour ces gens, vous pesez beaucoup moins lourd qu’un agent de la circulation qui peut conduire un de leurs camions avec sa cargaison à la fourrière pour un feu arrière cassé. Vous, vous remettrez votre rapport à un magistrat à qui (les chances existent) ils livrent régulièrement l’assortiment complet de leurs produits laitiers et dérivés gracieusement ». Après réflexion, je leur ai dicté  une longue note1 détaillant comment le travail de contrôle qualité  était effectué au sein de leur unité2   en espérant que ce rappel les dissuaderait de recommencer leurs pratiques frauduleuses. Il faut dire que la tentation devait être très forte pour ces gens car les sommes d’argent gagnées au mépris de la loi et sur le dos du consommateur sur une année étaient considérables à l’échelle nationale, chose qui serait vraisemblablement rendue impossible sans le concours tacite des services de la répression des fraudes. Ces derniers, selon le même raisonnement, devaient de temps à autre faire monter les enchères, avec leurs constats d’irrégularités, pour avoir, supposément, une part de gâteau un peu plus consistante mais sans jamais mettre en péril la « bonne entente » entre les deux parties.

 Le diktat du lobby aux coopératives

 J’ai été appelé ces derniers temps pour définir une approche de mise à niveau de coopératives de la région de Casablanca qui livrent du lait cru à de grandes unités de traitement de cet aliment et fabrication de produits dérivés. Dans le cadre de ma préparation pour ces tâches, j’ai eu l’opportunité de m’informer du circuit du lait depuis la traite, passant par la coopérative, jusqu’aux unités de production industrielle. J’ai dans le même temps lu quelques rapports d’universitaires qui ont été acceptés dans ces usines pour des stages en rapport avec le travail des coopératives. Dans le lait, il peut en effet y avoir des micro-organismes témoins d’une insuffisance en hygiène, ce qui se rectifie  en sensibilisant les gens au travail correct avec quelques posters et des rappels de temps à autre. La portée sur le consommateur final reste faible car les barèmes de stérilisation sont là pour annihiler ces nuisances. Du lait peut être dilué avec de l’eau, ce qui se voit très facilement. Il s’agit d’une fraude bas de gamme récurrente que normalement une coopérative peut trouver d’où elle vient et prendre des mesures pour la stopper quitte à exclure le membre récalcitrant. Le lait peut rester plus qu’il ne faut à température ambiante et cela peut également être déduit, par exemple, du profil microbiologique du produit. Des méthodes de plus en plus performantes existent pour cerner ces paramètres, et d’autres, dans des temps de plus en plus courts. Mais quand on discute avec les responsables de coopératives, tout ce qu’ils savent c’est qu’ils livrent une quantité du produit et, après coup, ils reçoivent une somme d’argent en fonction, leur dit-on, de la qualité de leur lait dont l’unité industrielle est seule juge. Tout se passe par voie orale et rien par écrit. En réalité, la collecte de ces informations me renvoya à quelques expériences du passé. Ainsi, dans le travail de recherche, le « reviewer », celui qui réexamine un travail scientifique (peer review) avant publication, se méfie chaque fois qu’il trouve devant lui une formule statistique alambiquée parce que cela peut être un prétexte pour masquer une défaillance quelconque. Or, en passant en revue quelques rapports de stagiaires évoqués plus haut, j’ai été frappé par le nombre de paramètres, parfois ésotériques, sur lesquels se basent ces entreprises pour déterminer le prix à payer à une coopérative donnée. Ce stratagème rappelle cette perception que l’on éprouve justement devant des formules statistiques recherchées mentionnées ci-dessus. Il aurait été peut être plus simple, s’agissant de l’achat de matière première qui est le lait de vache, dont les paramètres sont normés et bien définis dans nombre de monographies de référence, d’indiquer aux fournisseurs, c’est-à-dire les coopératives, les critères seuils pour bénéficier d’un prix déterminé. Dans le même temps, éventuellement, se mettre d’accord sur un forfait pour analyse des paramètres retenus pour une qualité de lait donnée, à leur déduire du prix d’achat de leur lait. Cela aura comme mérite de tranquilliser tout le monde et montrer que les industriels jouent la transparence. Mais peut être que la transparence nuit quelque part au profit bien dodu que procurent les règles opaques et les procédures louches.

 Quid de l’autorité de régulation

 Dans le texte ci-dessus, nous avons omis un acteur de taille qui est l’autorité de tutelle qui brille par son absence pour quelque apport que ce soit dans le cadre d’une assistance réglementaire aux coopératives de lait. Justement, il prend plus d’effort qu’un changement de nom de « Services de la Répression des Fraudes » à « ONSSA » (Office National de Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires)  pour faire une distinction entre le travail des responsables avant et ceux d’aujourd’hui. Il est possible que parmi les décideurs actuels de l’ONSSA, certains rêvent encore des beaux jours passés sous l’ancienne loi (aujourd’hui supprimée) répressive 13-83. Mais il y a aussi les autres fonctionnaires qui veulent effectuer leur travail normalement comme le prévoit la nouvelle réglementation parce qu’ils n’ont pas une autre mémoire. L’Etat ferait bien de consolider les pouvoirs de ces derniers pour les aider à mieux guider les efforts de l’ONSSA au bénéfice des coopératives. Et il y a encore mieux. Si j’étais gérant d’une coopérative, je chercherai à entrer en association avec d’autres pour faire réseau, atteindre une taille critique et faire nos propres productions industrielles de lait et produits dérivés nous-mêmes. Après tout, la technique de lyophilisation date des années trente du siècle passé et les soldats américains bénéficiaient du lait en poudre pendant la seconde guerre mondiale déjà. Pour ce qui est de la pasteurisation et/ou stérilisation , ce sont des techniques bien plus que centenaires, et toutes ces technologies sont largement accessibles à présent par l’internet ou bien mises en place par les vendeurs de matériel. Sous ce rapport, l’Australie, qui n’avait ni vigne ni olivier sur son territoire compte maintenant parmi les exportateurs les plus actifs de ces denrées. Question export, toute l’Afrique de l’Ouest est dans l’attente des performances marocaines pour en profiter.

 1 : Le texte de cette lettre, adressée à ma fonction d’expert, signée par le directeur d’usine et dûment datée et cachetée, figure dans mon livre : « Les Rouages de la Répression des Fraudes », édition 2005 (Sochepress). A préciser que par principe, je me suis toujours interdit de recevoir quoi que ce soit comme défraiement contre mes services en tant qu’expert mandaté par la justice en dehors des maigres frais octroyés par le tribunal avec quelque crédit en prime.

 2 : Il faut comprendre : comment le contrôle devait être fait à partir de ce moment là.

Les pratiques pharmaceutiques guidant le travail sur aliments

Les élèves de l’école publique au lendemain de l’indépendance, comme moi-même, savent à quel point les programmes scolaires qui nous étaient administrés faisaient la part très belle à la France métropolitaine. Sauf la religion, les normes françaises nous étaient servies comme modèle à suivre pour tout, la culture notamment. Je suppose que cela a également été le cas pour les autres pays francophones, regroupés pour la plupart en Afrique, que la France avait entrepris de civiliser dans le cadre d’une démarche altruiste dont bien évidemment personne n’en doute. Cette image, idéalisant le sujet français, était supposée nous guider pour le restant de notre vie. Mais un jour, regardant une télévision londonienne qui rapportait sur des incidents, d’ordre commercial, d’agriculteurs français empêchant le débarquement de viande de mouton sur un port breton, j’étais très surpris d’entendre ma « landlady » (propriétaire chez qui je logeais) traiter les français d’« incultes » et de « non éduqués ». S’agissant de l’histoire récente de l’humanité, les anglais considèrent qu’ils ont répandu la civilisation partout dans le monde où l’empire britannique a régné pendant quelques siècles sur pas loin des trois quarts de la superficie du globe. Cette épopée donne la raison historique de l’utilisation des normes anglo-saxonnes, sur lesquelles les américains ont construit ultérieurement, par la plupart des pays de la planète ; d’abord sur le plan pharmaceutique et de plus en plus dans le domaine agroalimentaire objet du présent article.

 La bataille des normes

 En tant que représentant sur Casablanca, il y a quelques temps, d’un broker (négociant) allemand pour la vente d’antibiotiques et autres matières premières pour l’industrie pharmaceutique, j’avais été invité par Promopharm à prendre un café avec son président d’alors qui était intéressé par un délai de paiement un peu plus confortable. Suite à quoi, on me passa commande de trois tonnes d’acide acétylsalicylique (matière première de l’aspirine). Peu après, la responsable du service achat me rappelle pour que je vienne en urgence dans l’entreprise et, en sa présence, la pharmacienne responsable me demande de reprendre ma marchandise que (on m’explique) le Ministère de la santé (auquel le produit fini était destiné) a jugé, sur la base du Bulletin d’Analyses fournisseur (BA), que la matière en question n’était pas conforme pour la consommation humaine. Je n’ai pas manqué l’occasion de leur demander un verre d’eau que j’ai bu, après y avoir ajouté deux comprimés du lot d’aspirine déjà fabriqué, en les invitant à observer comment j’allais souffrir avant de mourir ! Il y a lieu de préciser que le  BA fournisseur, moyennant quoi le broker distribuait cette matière première dans le monde entier, spécifiait la conformité du produit aux pharmacopées britannique et américaine et ne disait rien sur la pharmacopée française. Sur cette dernière (édition de ce moment là), la monographie de l’aspirine est similaire à celles des pharmacopées anglo-saxonnes  à cela près qu’il y figure un « pseudo-test » supplémentaire non spécifique et, par conséquent, sans aucun intérêt pour la qualité intrinsèque de la matière. Mais, formellement, cela aurait pu permettre à un responsable administratif marocain, profane de ces leurres, de conclure à une exigence de la pharmacopée française plus affirmée vis-à-vis de cette matière. En réalité, ce n’est là qu’un exemple parmi tant d’autres, innombrables, dont les maîtres d’un petit moment sur le Maroc se sont servis pour verrouiller le marché national exclusivement à leurs profits tout en espérant que cela dure le plus longtemps possible, c’est-à-dire éternellement.

 Exégèse

 S’agissant du commerce international des produits pharmaceutiques et alimentaires, les standards internationaux définis à l’origine par l’ISO (Organisation internationale de normalisation) ont dans leur grande majorité été inspirés par les pratiques anglo-saxonnes ; ce qui, en somme, reflétait simplement le rôle prédominant de ces standards dans le commerce transfrontalier au départ. L’application de ces normes reste toutefois basée sur le volontariat des Etats. Alors, en sachant comment s’y prendre, par exemple en déployant des trésors d’ingéniosités, où les français excellent, pour gagner la confiance de quelques décideurs bien francophiles, et placés là où on veut qu’ils soient, il est possible de gagner leur adhésion pour une préférence des normes françaises sur les autres. Si, en plus, cette préférence est traduite comme critère de sélection des matières, ce qui est vraisemblable dans le cas de la matière aspirine mentionnée plus haut, alors le travail est complet et le marché marocain (ou un autre en Afrique sub-saharienne par exemple) aura été dûment verrouillé face aux concurrents potentiels des opérateurs français. Comme la France ne produit pas toutes les matières qui circulent dans le monde et dont un pays peut avoir besoin, cela résulte en des situations parfois très cocasses. Si on veut qu’une matière, produite quelque part dans le monde, passe notre douane sans problème, le mieux est de la faire transiter par la France pour l’habillage normatif. Mais voilà, c’est un peu comme voir un film en version traduite en français. Vous payez un supplément pour l’intermédiaire. Si par hasard vous êtes également tributaire de cette démarche dans le sens de l’export, il est possible que vous ne voyiez jamais ce que le mot compétitif signifie. Mais cela n’est pas pour déplaire à l’intermédiaire dont le fonds d’investissement se résume en tout et pour tout dans la langue qu’il vous a appris quand vous étiez gosse.

 Quid des produits alimentaires

 Aux Etats Unis, le CDC (Centers for Disease Control and Prevention) fait obligation, depuis les années quatre vingt dix du siècle passé déjà, à tout médecin traitant d’aviser le centre de chaque cas de maladie d’origine alimentaire observée durant une consultation. L’intégration de ces données sur quelques années a montré que, concernant les traitements et soins médicaux prodigués aux victimes de maladies d’origine alimentaire, la facture pour l’Etat fédéral américain (donc pour les contribuables), était de plusieurs milliards de dollars par an dont le paiement doit être assumé en principe par le fabricant et/ou fournisseur des produits alimentaires incriminés. Au lieu de leur faire payer la note, chose compliquée à mettre en œuvre, les autorités US ont exigé des exploitants agroalimentaires l’implémentation du système HACCP (Hazard Analysis Critical Control Point) de prévention des dangers dans les aliments alors que cette exigence était, en substance, appliquée auparavant aux produits pharmaceutiques uniquement. La loi, qui entrait en vigueur en Janvier 1997, devait s’appliquer de la même manière à tous ceux qui commercialisent des produits alimentaires sur le marché américain comprenant, par exemple, les exportateurs de produits de la mer marocains. Je me rappelle qu’en quelques mois seulement tous les professionnels marocains concernés ont fait l’effort (colossal) nécessaire pour se mettre à niveau et continuer à exporter sur le marché de l’Oncle Sam. En deux mille deux, rebelote avec la nouvelle loi de « Bioterrorism Act ». De nouveau, très disciplinés, les professionnels nationaux visés ont rapidement souscrit à la nouvelle réglementation US en mettant à disposition de l’agence fédérale américaine toutes les données qu’elle leur réclamait. La plupart de ces services étaient payés en devises.

 Qu’en est-il du respect la loi 28-07 ?

 La loi 28-07 de sécurité sanitaire des produits alimentaires et les textes de son application sont en vigueur depuis 2011 et, malgré les fanfaronnades de l’ONSSA (Office National de Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires), peu de professionnels marocains paraissent enclins à montrer quelque respect pour cette loi. Dans beaucoup de cas, l’autorisation d’un exploitant selon la nouvelle réglementation est tributaire d’un peu plus d’hygiène, c’est-à-dire légèrement plus de travail sans que cela occasionne réellement davantage de dépenses. Alors, sommes-nous devant deux types de marocains, ceux qui comprennent et s’appliquent et des « je-m’en-foutistes ». Les raisonnements abondent sur cet aspect des choses. Mais, d’abord, les exploitants sont ils seuls à blâmer dans cette résistance à appliquer la loi ? Je me rappelle, alors que je collaborai avec un Cabinet d’audit américain, de la remarque d’un exportateur marocain qui ne trouvait pas de sens à notre intervention du moment qu’il doit de toute façon passer par l’EACCE (Etablissement Autonome de Coordination et Contrôle des Exportations) pour exporter sur n’importe quel marché du monde. Interrogé à ce sujet, le vice président (mon chef hiérarchique américain) m’a simplement répondu : « Nous faisons du bon travail et la FDA (Food and Drug Administration) le sait. Si ces gens veulent passer par l’organisme que vous dites ou par Paris, ce sont leurs affaires ! ».

 Je ne crois pas, en guise de conclusion, que nous soyons autant de « je-m’en-foutistes » au Maroc. Les professionnels nationaux qui se sont empressés de se mettre à niveau pour être en conformité avec la réglementation US, l’ont fait parce que tout simplement ils sont convaincus que c’est la seule voie possible, et celle qui revient le moins chère, pour commercer avec le marché US. Les exploitants savent faire la différence entre une autorité qui dit ce qu’elle pense et une autre qui ne pense pas ce qu’elle dit. Il est temps que les responsables de l’ONSSA se rangent dans la catégorie des gens qui pensent ce qu’ils disent, et qu’ils se comportent comme tels, pour donner une chance à la loi 28-07 d’être implémentée.

Le défi africain du Maroc

Parmi les éléments qui ont caractérisé la période de la dernière guerre, il y avait le rationnement des denrées alimentaires un peu partout en Europe. La Suisse, par exemple, a dû sacrifier une partie de son cheptel bovin pour dégager assez de terrains agricoles à cultiver, notamment en pomme de terre et choux pour nourrir les habitants. D’après les journaux de l’époque, la santé des suisses n’avait jamais été aussi bonne qu’à cette période de guerre avec une ration de viande une fois par semaine. Mais le rationnement a laissé des traces et, après la guerre, chacun des pays européens a opté pour des lois recommandant l’autosuffisance alimentaire. Pour mettre en application ce principe, des études étaient engagées pour comparer la progression démographique par rapport à la progression de la production agricole. Les résultats observés, montrant une progression de la population beaucoup plus rapide que celle des ressources alimentaires, et les conséquences qui en ont été tirées, ont grandement modifié la suite des événements à l’échelle internationale. Cet article se propose d’en faire un résumé avec une attention particulière pour l’Afrique.

La période de discrétion US en Afrique

La période dite de la guerre froide avait ses propres repères. L’Union Soviétique, et les pays sous sa coupe d’un côté, les Etats Unis et les pays alliés de l’autre. La chine sommeillait encore et l’Afrique mise sous surveillance et laissée volontairement en friche. Le modèle soviétique étant exactement à l’opposé de celui promu par le capitalisme américain, la grande priorité des USA était de contenir l’extension du bloc communiste de par le monde. Une des conditions (non écrite ou non divulguée) pour rallier l’Europe occidentale à ce programme, était de leur laisser la gestion « rapprochée » de l’Afrique. Sous ce rapport, s’il était possible en ces temps là de se procurer des produits et du matériel américains en Afrique en général, et au Maroc en particulier, il fallait systématiquement passer par un pays européen comme relais. Avec la ribambelle d’intermédiaires à payer, les marchandises américaines revenaient forcément beaucoup plus chères. Mais ce manque à gagner pour les entreprises américaines était le prix à payer par les USA pour l’adhésion des européens aux « priorités antisoviétiques » décidés par « Uncle SAM ». Les européens ont de plus profité de cette même période, sous le regard discret des américains, pour « consolider » leurs frontières du sud, en intégrant l’Espagne notamment,  afin de se prémunir contre l’émigration africaine qui devait inexorablement arriver car conséquente de l’état de friche dans lequel la politique coloniale européenne avait décidé de cantonner le continent.

Le réveil de la Chine et ses implications

Juste après la guerre, il était possible pour un américain de se payer un voyage d’un mois en Europe, de revenir en Amérique et de constater qu’il avait fait des économies sur son salaire mensuel. L’industrie américaine, qui fonctionnait à plein régime, avait développé des appétits gargantuesques. A l’opposé, la chine, qui se réveillait à peine, avait besoin de tout. Un marché de centaines de millions de consommateurs, tout à fait alléchant pour les hommes d’affaires américains qui avaient alors tout fait pour sceller avec succès le lien de leur gouvernement avec la Chine. Ce rapprochement a éloigné un peu plus la Chine de l’Union Soviétique et, par ailleurs, a accéléré le développement industriel du grand géant asiatique qui cherchait à présent des marchés à l’export pour ses produits manufacturés bon marchés. L’Afrique, avec ses revenus faibles, était une cible tout à fait indiquée. La montée de la Chine d’un côté, les coups de Boutoirs répétés de l’administration américaine de l’autre, sous Reagan tout particulièrement, conjugués à l’aspiration des pays satellites de l’empire soviétique, qui cherchaient chaque jour leur liberté avec plus de fougue, a fini par faire craquer le bloc soviétique qui a définitivement cédé avec la chute du mur de Berlin et la réunification des deux Allemagnes. Cela s’est traduit, côté américain, par l’épargne subséquente d’une grande énergie, d’ordre financière notamment, que les USA étaient prêts à mettre au service de leurs autres ambitions planétaires.

L’Amérique retrouve l’Afrique

Tout le monde connait le coup prohibitif de l’effort que les américains ont assumé avec le plan Marshall pour réhabiliter l’Europe après la seconde guerre mondiale, avant tout la RFA (République Fédérale d’Allemagne) dont les infrastructures étaient pratiquement à plat, et empoisonnées de bombes non encore éclatées sur l’ensemble du pays. On sait peut être moins ce que les USA ont consacré comme effort pour stabiliser l’Asie et y asseoir leur modèle économique en s’appuyant principalement sur le Japon et la Corée du sud. Dans ce dernier pays, les américains ont investi, à partir des années cinquante jusqu’à la fin des années soixante-dix du siècle passé, plus d’argent que ce qu’a reçu tout le continent africain en investissement durant la même période. A présent, la force exportatrice de la Corée du sud, qui doit importer les deux tiers des denrées qu’elle consomme, est seule garante de sa prospérité. S’agissant de géographie, le Maroc est bien mieux loti que la Corée pour ce qui est du potentiel agroalimentaire. Mais, comme le discours de Sa Majesté l’a rappelé à l’ouverture de la présente session parlementaire, nous n’avons  jamais été en meilleure position qu’aujourd’hui de devenir un pays émergent depuis l’indépendance. A l’instar d’autres puissances comme la Chine, Les américains sont très intéressés par le décollage de l’Afrique pour y développer leurs affaires. De plus, Uncle Sam a l’expérience de faire les choses avec réflexion. Ainsi, le fait d’avoir, avec d’autres pays de notre propre région, adoubé le Maroc, comme un grand exemple pour le développement du continent africain est de très bon augure pour la réussite du Royaume dans ce nouveau rôle.

Le Maroc comme locomotive pour l’Afrique

Presque tous les ingrédients sont réunis pour permettre au Maroc de jouer le rôle qui lui revient de locomotive pour l’Afrique. Selon notre opinion, il en manque tout de même un, essentiel, à savoir la volonté de retenir l’anglais en tant que langue pour ses échanges commerciaux à l’international, choix qui a contribué à faire de certains pays, très pauvres autrefois, des dragons de l’économie planétaire actuelle, telle la Corée du Sud. S’agissant du secteur agroalimentaire, l’occasion m’a été donnée dernièrement d’examiner un document pré-imprimé en français (exemplaire d’un certificat sanitaire dont j’ai une copie) que l’ONSSA a adressé à des ambassades à Rabat pour le faire valider par les autorités compétentes de leurs pays respectifs. En clair, les exportateurs des pays concernés sont appelés à l’avenir à faire accompagner leurs produits d’origine animale par le document en question dûment rempli, signé et cacheté par les intervenants compétents de leurs pays. Le document en question pèche par une rédaction éloignée des normes internationales en la matière, en particulier le rappel (sur le document) de critères scientifiques et techniques devant être satisfaits sans citation de la référence d’où ils ont été repris. A ce propos, en l’an deux mille, j’avais été mandaté par un Cabinet d’Audit américain, avec lequel je collaborais, pour mettre en place leur succursale en Suisse pour l’Europe et la zone MENA (Afrique du Nord Moyen Orient). Dans ce but, j’avais été reçu par le directeur général du département d’investissement du Canton de Vaud pour l’Amérique du Nord qui m’avait dit : « Je sais que vous avez fait vos études chez nous, mais je vous reçois ici en tant qu’envoyé d’une société américaine. Je vous demande donc de me faire votre rapport en anglais. Il sera ensuite adressé, via la police de séjour, à Berne pour accord pour vous permettre d’exercer chez nous comme expert». A ma question de savoir si la police vaudoise lira un rapport en anglais, sa réponse immédiate : « Oui. Ne vous préoccupez pas de cela ». Donc, en Suisse romande, des policiers de langue maternelle française, dont le secteur agroalimentaire n’est pas leur tasse de thé, font l’effort de lire un document en anglais. Au Maroc, l’ONSSA (Office National de Sécurité Sanitaire des Produits Alimentaires), autorité de tutelle sur le secteur agroalimentaire, exige, contrairement aux pratiques internationales, que les pays qui veulent commercer avec nous le fassent en français pour leur éviter à eux de lire l’anglais comme effort de mise à niveau !

Dans le même registre, et en guise de conclusion, cette histoire qui remonte à une vingtaine d’années et qui m’a été rapportée par une source fiable. Désigné pour une courte période comme responsable de l’EACCE (Etablissement Autonome de Coordination et de Contrôle des Exportations), un cadre marocain, qui revenait d’un stage FDA aux Etats Unis, avait appelé un contact de l’Agence US pour lui indiquer son souhait de voir la FDA signer rapidement un accord de coopération ou « MoU » (Memorandum of Understanding) avec l’organisme marocain, ce à quoi le responsable américain avait répondu : « commençons par établir une ligne de dialogue, nous verrons après pour le « MoU ». Vingt ans après, il semble que les responsables de l’ONSSA ne soient toujours pas prêts pour cette ligne de dialogue.

Les opérateurs professionnels reflètent la qualité de l’enseignement

Ces derniers temps, la problématique de l’amélioration des programmes d’enseignement appliqués au Maroc est de nouveau à l’ordre du jour. Cette question est en fait récurrente depuis le protectorat sans solution satisfaisante jusqu’à présent. Pour avoir séjourné pour les études universitaires et le travail post doctoral en Suisse, j’ai eu l’occasion de relever, chez nous, certaines pratiques curieuses dans le travail d’audit qualité, et les opérations assimilées, que cet article propose de partager avec le lecteur.

 La langue anglaise comme référence

 En Suisse, les élèves devaient, après l’enseignement de la langue maternelle (l’allemand, le français ou l’italien selon les régions), apprendre successivement les deux autres langues nationales avant de penser à l’assimilation d’une langue supplémentaire. Cette règle n’a cependant pas résisté aux exigences d’ordre international (ci-après le marché globalisé) qui a rendu la connaissance de l’anglais prééminente sur le respect des préférences nationales. Dans les années soixante dix déjà, du siècle passé, l’animation de séminaires interuniversitaires helvétiques en anglais était la norme. Ensuite, Zurich a été le premier à officialiser la priorité de l’apprentissage de la langue anglaise avant les autres langues nationales, suivi après par d’autres cantons. Aujourd’hui, l’enseignement de l’anglais juste après la langue maternelle est la tendance sur l’ensemble du continent européen. A Bruxelles, par exemple, les textes de lois réglementant le travail au sein de l’Union Européenne sont le plus souvent pensés et rédigés en anglais avant d’être traduits dans les autres langues dont le français. Considérant qu’un texte perd toujours un peu de son âme en traduction, et parfois plus,  nous serions bien sûr avantagés au Maroc si nous pouvions lire les textes de Bruxelles directement en anglais plutôt qu’en français ou bien, situation encore moins avantageuse, retraduits du français en arabe.

 Le système anglo-saxon comme tremplin pour le commerce international

 Les études universitaires peuvent, sauf exception, difficilement se concevoir aujourd’hui sans la connaissance de l’anglais. Conscientes de cette réalité, les universités suisses fournissent depuis des décennies l’enseignement de cette langue gratuitement aux étudiants débutants qui n’en ont pas la maitrise et poussent, pour la plupart, les étudiants à s’exprimer en anglais lors d’exposés et/ou interventions de séminaires. Dans le marché définitivement globalisé, au-delà du travail, les études sont supposées préparer les impétrant(e)s aux recherches et innovations qui sont l’apanage de la langue anglaise par les temps qui courent. Ce n’est donc pas surprenant que l’anglo-saxon soit le premier au hit-parade des innovations technologiques qui rapportent, tous secteurs confondus. En n’ayant que l’anglais à apprendre, ces gens peuvent, très tôt, consacrer le reste du temps à s’instruire d’autres choses, commercialisables avec profit si possible. Quand on sait ce qu’une langue peut demander comme effort de longue durée pour être maitrisée, cela fait beaucoup de temps de gagné qui peut être investi ailleurs. A l’opposé, quand on a l’arabe comme langue maternelle, qu’il faille apprendre comme deuxième langue obligatoire le français sur plusieurs années, pour ne s’en servir qu’en direction de la France, il reste peu d’énergie pour la langue anglaise laquelle, non maitrisée, ne fait que prolonger notre séjour parmi les pays les moins avancés du globe. Le raisonnement vaut davantage encore pour ceux des marocains de langue maternelle berbère auxquels on doit rendre un hommage particulier pour leur résilience.

 S’agissant du commerce international, qui s’impose à tous, les pays n’ont jamais été aussi dépendants les uns des autres qu’au temps d’aujourd’hui. Sous ce rapport, chacun achète quelque chose d’un autre et dans le même temps vend autre chose ailleurs. Pour tout cela il y a des règles. Par exemple, vous ne pouvez pas survivre juste en achetant et il vous faut trouver des choses à vendre avec la meilleure plus value possible pour rapporter un maximum d’argent. Il faut dans le même temps respecter les règles établies dans le marché globalisé. Or ces règles, qui sont là pour durer encore un bon bout de temps, sont d’obédience anglo-saxonne, à moins que l’on soit aveugle ou l’on refuse de voir la réalité en face. Il en découle que, pour comprendre les règles et en tirer un profit maximum, obligation nous est faite de maitriser l’anglais sans quoi, nous resterions notre vie durant tributaire des intermédiaires de toutes sortes et voir notre insertion dans le marché international s’éloigner encore plus dans le temps. Si la Suisse, pays modeste à l’origine et sans ressources sur son sol, a gagné le pari de l’excellence c’est, en grande partie, grâce à l’ingéniosité d’avoir fait coller son système éducatif sur l’approche de travail anglo-saxonne qui procure beaucoup plus de souplesse que le système français. On montre aux étudiants comment chercher les données utiles plutôt que leur remplir le crâne d’informations généralistes qui les surchargent sans bénéfice sur leur pertinence pour des jobs demandés par le marché du travail. A ce propos, tout le monde s’accorde, y compris en France, sur le fait que le système du baccalauréat, posé il y a deux siècles, est caduc et ne répond plus à la façon moderne d’acquérir le savoir. Mais personne n’ose le critiquer parce qu’il a pratiquement été  sanctifié  par le système éducatif français dont nous sommes en Afrique une victime collatérale. Au même âge ou presque d’autres systèmes sortent des étudiants aux grades d’ingénieurs opérationnels dans les unités industrielles.

 Impact de l’enseignement sur le travail de contrôle/audit chez nous

 Notre système éducatif récent a été posé par la France qui regardait d’abord, et elle n’est pas une exception en cela, comment servir ses propres intérêts et rien d’autre. Eduquer les marocains : oui, mais pour servir ce but uniquement. Travaillant dans une unité pharmaceutique de Casablanca dans les années quatre vingt, je me plaignais au Président de la difficulté de trouver des techniciens opérationnels, ce à quoi il m’avait répondu : « estimez vous heureux d’en trouver un. Il n’y a pas longtemps, je devais monter à Paris pour trouver une secrétaire qu’il fallait payer en devises ». A ce propos, une partie des étudiants marocains éduqués en France métropolitaine l’ont été avec l’idée de servir les intérêts exclusifs de la France une fois rentrés chez eux même s’il fallait, dans ce but, les rendre dépendants des services à la française. Les étudiants qui ont été formés dans d’autres pays européens ou en Amérique du nord en savent quelque chose pour avoir souffert, dans leur majorité, avant de décrocher une équivalence de leurs diplômes. Le résultat de cet effort prémédité et acharné, dont le seul but était de garder, au delà de l’éducation,  la main mise sur le secteur économique et commercial du Maroc, s’est occasionnellement accompagné par sorte de nivellement par le bas. Ainsi, certains comportements qui sont décriés ailleurs sont curieusement glorifiés chez nous. J’ai pu voir des primes offertes à des techniciens chargés du contrôle/qualité pour effectuer leur travail plus vite. Or, si dans une unité industrielle, une prime à la production est acceptable, une prime au travail de contrôle rapide est habituellement proscrite. Car si une erreur d’une production qui va vite est rattrapable par les services de contrôle, une erreur de ce dernier peut être une calamité pour le consommateur. Ainsi, parmi toutes les unités pharmaceutiques existantes en ce temps au Royaume, seul Hoechst-Polymedic avait, à ma connaissance, un service de contrôle qualité élevé au rang de direction et dont le responsable avait par conséquent le même grade que le directeur de production et pouvait, le cas échéant, lui tenir tête. Dans les autres unités, de commettants essentiellement français, le travail de contrôle qualité était ravalé au rang d’un simple service rattaché, au gré des humeurs, au département de production, d’achat ou autre et aurait eu bien du mal à arrêter l’écoulement d’un produit pharmaceutique une fois fabriqué ! En fait, cette question a-t-elle jamais figuré à l’ordre du jour de l’AMIP (Association Marocaine de Production des Médicaments), bien malin qui peut le dire !

 Il me revient, en guise de conclusion, cette image où je me trouvais, en 2001, à Nyon près de Genève, où j’avais emmené mes deux gosses pour une visite de routine chez un médecin. Mes enfants étaient seuls dans la salle d’attente et ils étaient très étonnés pour n’avoir jamais vécu une telle expérience (être à deux dans toute une salle d’attente d’un médecin) auparavant au Maroc. Ils en étaient presque à m’en vouloir de leur avoir choisi un tel médecin. Car « plus le nombre de patient en attente est élevé, des dizaines parfois, plus  la côte du médecin est élevée ». J’ai dû expliquer que le médecin doit faire un travail et que les autorités compétentes suisses, la France métropolitaine également, considèrent que pour cela, il doit réserver une moyenne de temps de quinze à vingt minutes par patient pour être conforme aux règles. Dans le cas contraire, réputation lui sera faite de négligence au travail et personne ne viendra effectuer des visites chez lui. Encore une idée bloquée à ce jour à l’entrée du Bureau de l’Ordre National des Médecins du Maroc.

L’ expertise dans son acception judiciaire

Avant-propos

 Il y a plusieurs années de cela, un juge de la Cour d’Appel de Casablanca m’avait fait remettre pour expertise un dossier se rapportant à une pièce mécanique (Pignon pour treuil de stores bannes) que j’avais retourné poliment à la Cour, n’étant pas spécialiste du travail en question.Le Juge, à son tour, m’avait renvoyé le dossier en insistant courtoisement d’avoir mon opinion sur l’affaire dont l’« instruction » dépassait alors les vingt années au tribunal sans aboutir à une quelconque conclusion. Cet article évoque, à travers l’affaire juste citée et d’autres, quelques faiblesses qui freinent chez nous l’épanouissement de l’expertise à vocation judiciaire et s’intéresse aux moyens de redresser certains dysfonctionnements à la lumière de ce qui se passe dans d’autres pays plus avancés que nous dans le domaine.

 Quand il y a défaillance d’un organisme régulateur

 Dans le dossier susmentionné, deux petites entreprises artisanales s’opposaient à propos de la « paternité » sur la « découverte » d’une pièce mécanique (voir plus haut). Les personnes ayant entamé les hostilités étaient mortes et, au moment où j’ai traité ce dossier, le litige au tribunal était prolongé via leurs enfants sans que la Cour ait été en mesure de donner raison définitivement à l’un ou à l’autre. En feuilletant le dossier du litige, et en discutant séparément avec les intéressés chacun dans son atelier de travail, j’avais des doutes que le père de l’un, et le père de l’autre, analphabètes tous les deux, aient pu justifier d’une qualification quelconque pour inventer la pièce mécanique dont ils se disputaient la « découverte ». Néanmoins, chacun des artisans avait reçu en son temps  une « attestation de découverte » en bonne et due forme délivrée aux deux requérants, à quelques semaines d’intervalle, par l’organisme de tutelle, aujourd’hui OMPIC (Office Marocain de la Propriété Industrielle et Commerciale), chose que j’avais pu vérifier dans les archives mêmes de cet organisme. C’est cette anomalie, que personne ne s’est avisé auparavant de relever, qui a abouti au blocage du dossier susmentionné pour vingt deux années ! Les deux protagonistes revendiquaient, sur la base d’exactement le même document officiel (en deux exemplaires portant chacun le nom d’un bénéficiaire différent) quoiqu’irrégulier, le même titre de propriété d’invention d’un pignon qu’aussi bien l’un que l’autre ont simplement copié à partir d’un dessin relevé sur une pièce importée de l’étranger !

 L’expertise judiciaire tributaire de l’environnement général

 Des conditions qui ont rendu des expertises judiciaires défaillantes, et ces expertises mêmes, sont très nombreuses et il faudrait plus d’un livre pour les cerner. Certains cas marquent plus que d’autres pour des raisons souvent différentes. Dans l’exemple évoqué plus haut, des experts nommés par des juges, avant moi, ont eu à donner un avis sur le litige. Il est probable qu’ils aient considéré comme tabou de toucher à la « réputation » de l’organisme de tutelle d’alors (devenu OMPIC depuis) éloignant l’impétration d’une solution par la Cour. Dans un autre cas, lors de l’instruction judiciaire de l’affaire du blé importé de l’Inde par le Groupe Benzaidia, qui avait fait grand bruit avant l’an 2000, la Cour Suprême avait conclu qu’un expert du LPEE (Laboratoire Public d’Essais et d’Etudes), un moment en charge du dossier, s’était rendu coupable de falsification de données dans son travail d’expertise et n’était pas lui-même suffisamment outillé scientifiquement pour se charger d’un tel dossier ! Avec tout cela, l’« expert » en question n’a pas été inquiété outre mesure et aucune entrave n’a été formulée par le tribunal à l’encontre de la poursuite de son Business. Les exemples, archivées dans les tribunaux du Royaume et, pour quelques uns, dûment documentés par moi-même, qui se rapportent à des expertises judiciaires erronées, falsifiées, insuffisantes et/ou entachées d’autres vicissitudes ne manquent pas. Les raisons qui pourraient en être à l’origine sont très nombreuses et variées pour aller sous un seul article de ce blog. Mais les honoraires accordés par un tribunal à l’expert pour son travail peuvent, selon notre appréciation, se révéler comme un facteur potentiel de grande perturbation de ce type de travail. Nous nous y arrêtons un instant.

 Le prix de l’expertise

 Aux Etats Unis, où la concurrence joue partout y compris pour le domaine de l’expertise judiciaire, le prix d’intervention d’un expert ne varie pas sensiblement selon que le travail soit demandé par un tribunal ou bien par un particulier. Les pratiques consacrées font que, selon la fourchette de prix, avec un « plancher » et un « plafond », pour une expertise donnée dans un domaine déterminée, le tribunal, s’il est demandeur d’une expertise, paie le prix-plancher de la fourchette. Mais le client a la possibilité de choisir l’expert auquel il s’adressera parmi une liste d’experts agréés (expert witness). Cela fait gagner du temps à tout le monde et évite des malentendus qui peuvent être angoissants, notamment pour l’expert. La partie adverse peut, si elle n’est pas d’accord avec les conclusions du premier expert, demander une contre-expertise (second assessment) à son tour. Le juge peut, lui, exiger la venue au tribunal des deux experts pour avancer leurs arguments respectifs en public. Pour revenir chez nous, il y a le cas, par exemple, de l’expertise de la bière dite « frelatée » qui a conduit le député Zahraoui en prison dans les années quatre vingt dix du siècle passé. La Cour d’Appel de Casablanca m’avait demandé d’expertiser la bière en question et dire si oui ou non elle contenait de l’alcool et en quelle quantité. L’urgence d’un côté, et l’absence d’une réglementation sur la bière propre au Maroc de l’autre, m’ont obligé à faire venir la réglementation appropriée (qui s’appliquait en ces temps là au cas de la Bulgarie, pays d’origine de la bière) des Pays Bas moyennant l’achat du livre dont il s’agit en devises (par le biais d’un confrère suisse) et, pour entamer le travail immédiatement, en attendant la livraison du bouquin par DHL, des frais supplémentaires pour recevoir « sur le champ » une copie du livre par fax. Nous devions examiner des centaines de bouteilles (se rapportant au lot d’environ un million d’unités approvisionnés par Monsieur Zahraoui) en utilisant, pour ce qui relève de l’alcool, deux méthodes d’analyses distinctes pour aboutir à des résultats irréfutables et permettre à la justice de faire son travail dans la sérénité. S’agissant du dosage de l’alcool, nous étions tributaire de l’étape de distillation, casse tête épouvantable compte tenu que la bière mousse très rapidement ce qui impose une très grande patience. En résumé, le laboratoire a été dans l’obligation de mobiliser tous ses techniciens jours et partie des nuits (cela se passait pendant le mois de Ramadan) sur les opérations d’analyses de la bière à l’exclusion de tout autre travail. Au bout d’un mois, la facture était relativement  lourde pour nous. Après l’avoir réduite au minimum possible, elle s’établissait tout de même à deux cents mille dirhams dont j’ai reçu (comme paiement total et définitif), après plus de deux années d’attente, un peu plus de vingt mille dirhams**.

 Commentaire et Conclusion

 Une fois qu’un expert a été assermenté chez nous, un juge du tribunal peut le désigner pour un dossier dans ses compétences. Habituellement, une somme d’argent, à la discrétion du juge, versée par le requérant, déposée au greffe, est affectée provisoirement au travail en question. Une fois rendu son rapport, l’expert peut, après avis du juge, retirer la somme d’argent. Si l’expert considère que la somme est insuffisante à ses yeux il peut demander au juge une augmentation des honoraires qu’il doit alors justifier, notamment par des factures qu’il aurait lui-même payé pour mener son travail à terme. En somme, l’expert doit effectuer un travail et rendre un rapport pour encaisser la provision qui lui a été accordé dans un premier temps et, le cas échéant, refaire ensuite un nouveau rapport pour justifier des honoraires plus justes à ses yeux. Il doit donc, et le juge avec lui, effectuer un double travail. Ceci étant, le juge, souvent profane du travail même de l’expert, s’en remettra probablement à une tierce-partie pour avis avant de se prononcer sur le « juste prix », ce qui peut prendre des semaines ou des mois voir des années. Mais, au final, c’est le requérant qui doit débourser la somme en question sauf si l’arrêt rendu par la Cour n’est pas en sa faveur auquel cas, il arrive que le justiciable renonce tout simplement  à effectuer le paiement en question sans qu’il soit possible de l’y obliger. A y regarder de plus près, notre système de défraiement des actes d’expertises paraissent particulièrement flous et loin d’être pertinents à côté de ce qui se pratique aux Etats Unis par exemple. Il y a bien évidemment la sacro-sainte question de l’accessibilité de l’expertise à toutes les couches de justiciables ! Mais cette problématique est analogue à ce qui est de l’accessibilité à un avocat. Justement, parce qu’il n’y a pas besoin de demander l’avis de la Cour pour choisir un avocat, il parait tout aussi logique de laisser un justiciable choisir l’expert à qui il voudra remettre un dossier pour expertise.

 *: L’évocation de l’expertise de la bière à l’occasion de cet article est pour illustrer la discussion sur le sujet de l’expertise judiciaire en général sans aucune autre prétention de quelque ordre que ce soit.

Sous entendus des missions d’Accompagnement et Certification

La semaine dernière s’est ouvert à Casablanca le salon des produits Halal. Un des chapitres traités lors de cette manifestation, qui figure sur le programme, était intitulé : « certificateurs/Accompagnateurs, des missions à distinguer ». Cet article essaie de voir s’il existe des raisons objectives pour rendre ces taches indépendantes l’une de l’autre et, si ce n’était pas le cas, pourquoi diable insiste-t-on tant pour séparer des opérations qui se soutiennent l’une l’autre parce que intimement liées.

 Préambule

 A la fin des années soixante dix du siècle passé, alors que je travaillais comme assistant à l’Institut de pharmacologie expérimentale de Lausanne, j’avais reçu un appel téléphonique du Professeur cardiologue Ben Omar, que je n’avais encore jamais rencontré, de la Faculté de médecine de Rabat intéressé alors, notamment,  de monter un laboratoire de dosage d’hormones du système rénine angiotensine au sein de l’hôpital Avicenne (système sur lequel je travaillais en ces temps là). En consultant les « current contents » de l’époque pour me faire une idée sur les travaux de Monsieur Ben Omar, je suis tombé par hasard sur une « lettre ouverte » dans une édition du journal de physiologie (de langue française) d’un chercheur du CNRS à l’adresse de ses collègues français. Il leur reprochait de publier leurs articles dans des revues scientifiques anglo-saxonnes et se lamentait de ce que le journal sus-évoqué devenait essentiellement une tribune pour des chercheurs africains ! Le professeur Ben Omar y signait justement, avec sept membres de son équipe, un petit article de leur travail. J’ai retenu deux enseignements de la lecture de la lettre en question : D’abord que les chercheurs scientifiques français sont bien conscients que pour être pris au sérieux, leurs articles doivent être publiés dans des revues édités en anglais. Ensuite, pour des considérations de prestige liées à la francophonie, l’attitude officielle française devait continuer à promouvoir, en Afrique surtout, l’importance planétaire des publications scientifiques francophones.

 Exégèse 

 Les journaux scientifiques servent, entre autres, à communiquer les résultats de recherches entre gens de la même profession et au-delà. Si les mêmes observations sont faites de manières indépendantes par différents chercheurs, cela conduit à la validation des résultats rapportés, ce qui élève ces trouvailles au statut de références reconnues. Ce sont de tels résultats, apparus d’abord dans des revues scientifiques spécialisées, qui servent ensuite de base à la rédaction de référentiels telles des normes ISO et autres. En raison du fait que la plupart des journaux scientifiques qui comptent sont à l’origine édités en anglais, il s’en suit que les référentiels qui s’en inspirent le sont également. Toutefois, les référentiels, construits selon une approche aussi rigoureuse, restent une minorité à côté du nombre incommensurable de toutes sortes de protocoles et autres recommandations de travail qui sortent d’on ne sait où, qui n’ont que l’apparence de la rigueur et dont les motifs de promotion sont souvent d’ordre purement commercial. Notre opinion est que la distinction, dans le cadre d’une mise à niveau réglementaire des entreprises, entre ce qui revient à l’accompagnement, relevant d’une responsabilité différente de celle appartenant à la certification, tient de la distorsion des Bonnes Pratiques dans un but purement commercial.

 Rappel sur la démarche de certification

La Certification, pour le domaine agroalimentaire, fait référence à la confirmation de caractéristiques, spécifiées dans un référentiel donné, afférentes à la conduite d’un travail ou bien définissant un produit donné. Cette démarche implique qu’une autorité reconnue pour son domaine d’intervention va, d’une manière ou d’une autre, tester les compétences ou les performances d’une entité ou bien de ses produits pour en confirmer les qualités au référentiel en question. L’autorité de certification a latitude pour choisir le protocole approprié lui permettant de confirmer l’aptitude de l’entité examinée à mériter l’honneur de la certification requise. La responsabilité du certificateur est donc pleine et entière sur tout le processus de certification depuis son initiation jusqu’à son terme, à savoir la délivrance du document attendu. C’est cette période, de préparation d’une candidature à la certification, que l’on vise habituellement par le terme d’accompagnement.

 Certification ou Accompagnement : le Distinguo

 Dans le passé, j’ai collaboré avec un grand Cabinet d’audit et certification américain pour de nombreuses années. A l’instar d’autres Cabinets du même genre, ces professionnels assurent l’opération d’assistance de l’entreprise requérante couvrant la période d’accompagnement et se terminant par l’octroi mérité du document de certification et assument la responsabilité de leurs interventions sur l’ensemble des segments qui articulent ce travail. Ceci n’est apparemment pas le cas pour certains certificateurs européens, français généralement, qui exercent leur activité dans le secteur agroalimentaire marocain. Sous ce rapport, lors du dernier Salon dédié aux produits Halal qui s’est tenu à Casablanca, la matinée du 26 Septembre était justement consacrée au Thème : « Certificateurs/Accompagnateurs, des missions à distinguer ». En réalité, j’ai déjà entendu ce type de distinction à plusieurs reprises lors de mes visites de travail avec les exploitants à travers le Royaume. Les accompagnateurs, généralement des professionnels locaux, sont sélectionnés parfois sur des critères purement administratifs, voir ésotériques, pour effectuer le travail d’accompagnement sur une certaine durée, fixée peut être selon le même mode aléatoire, ensuite de quoi, il est fait appel à un « certificateur », évoqué plus haut, pour sanctionner le parcours d’accompagnement par le document de certification. D’aucuns se poseront la question : mais pourquoi cette distinction de la mission d’accompagnateur de celle de certificateur ? J’en vois personnellement deux. La première, facilement vérifiable, est que la rémunération, ramenée à la somme des journées de travail, est tout à fait dérisoire pour ce que perçoit l’encadrant local par rapport à ce qui est accordé au certificateur européen. S’agissant d’expertises dans le domaine agroalimentaire marocain, ce type de subterfuge, selon notre avis, a largement été utilisé dans les enveloppes d’« aides » de programmes MEDA où l’argent versé servait principalement à payer les experts européens pour des résultats de leurs interventions tout sauf tangibles. La deuxième raison est plus subtile. En effet, la hantise d’un expert est de se voir reprocher d’être incompétent par la remise, par exemple, d’un certificat de complaisance. Avec ce système où l’expert européen sus visé a créé un paravent, à savoir sa « dépendance » de l’avis d’accompagnateurs qu’il place « hors de sa responsabilité », où il peut se réfugier à loisir pour justifier toute défaillance imputable sinon directement à son travail, il peut récolter de l’argent à foison en gardant sa réputation intouchable en toute circonstance. Donc, comme on dit : « le beurre et l’argent du beurre ».

 Commentaire et conclusion

 Ce qui est surprenant dans tout cela c’est le silence total de l’ONSSA, le gendarme national sur le domaine agroalimentaire comprenant le travail d’expertise dans le secteur. Quand il y a une anomalie qui touche le secteur agroalimentaire américain, par exemple, dont les conséquences pourraient être ressenties négativement par les opérateurs, la FDA n’hésite pas à intervenir pour alerter sur les travers éventuels et corriger la perception chez les exploitants. Ces travers sont nombreux chez nous (voir les autres articles de ce blog) mais l’ONSSA parait comme léthargique face à tout cela. Ceci étant, nous savons, de par notre activité liée au secteur agroalimentaire national,  que les fonctionnaires de cet organisme rendent des visites une fois par mois, à tout le moins, aux différents sites des exploitants nationaux. Parmi les exploitants, il y en a qui gardent les noms des fonctionnaires reçus, leurs numéros de portables et d’autres annotations confidentielles. Les industriels, qui appréhendent ces fonctionnaires au lieu de les respecter, confirment que ces délégués de l’ONSSA viennent leur faire des visites de courtoisie rapides mais n’ont pas le temps de leur parler de la nouvelle réglementation ou d’autres informations en relation avec leurs préoccupations industrielles. On reste sur sa fin quand on leur demande mais pourquoi ils viennent alors ? Les fonctionnaires, eux,  doivent bien le savoir.

Loi 28-07 entre théorie et pratique

Ces derniers temps, de nombreuses sources confirment la délégation par les instances étatiques concernées, au départ sur simple décision d’un service du Ministère de l’Agriculture, des opérations de prélèvements de produits alimentaires à des entités privées qui remettent ensuite les échantillons pour les contrôles analytiques aux laboratoires officiels de l’Etat. Cet article a pour but de décrypter ce qu’une telle initiative inédite peut bien cacher ainsi que les incidences éventuelles sur la validité réglementaire et légale des Bulletins d’Analyses (BA) qui en résultent.

 Rappel sur le b.a.-ba du travail de laboratoire

 Un laboratoire d’analyses de produits alimentaires effectue généralement deux types d’analyses. Celles dites de physico-chimie et celles relevant du domaine de la microbiologie. Les analyses mêmes sont conduites selon des protocoles réglementaires préétablis. Les résultats obtenus sont habituellement remis au chef de section (microbiologie ou physicochimie) qui les endosse à son tour avant de les remettre à la hiérarchie pour la réalisation du BA proprement dit signé par un responsable diplômé et qualifié. L’échantillon (ou plusieurs) analysé a bien sûr été prélevé auparavant par un technicien préleveur dans un endroit parfois très éloigné du laboratoire où il est contrôlé. Sous ce rapport, alors que le contrôle analytique se déroule dans un laboratoire, lieu prévu et équipé pour ce travail, le prélèvement lui peut avoir lieu dans toutes sortes d’endroits. Par conséquent, cette opération doit être préparée minutieusement pour ne pas fausser les résultats d’analyses et l’interprétation qui s’en suit dans le BA. La mission de prélèvement est donc une étape très sensible des opérations d’examen et contrôle de l’échantillon et doit être effectuée par une personne, relativement jeune et en bonne santé, parfaitement qualifiée pour ce type de travail. Habituellement, le préleveur est un technicien expérimenté qui connait le mieux les particularités des matières et/ou produits à prélever pour éviter de les dénaturer lors de l’exécution du prélèvement ou bien pendant l’entreposage et/ou le transport de l’échantillon en attente des analyses.

 Conduite des opérations d’analyses sous la loi abrogée « 13-83 »

 La loi 13-83, aujourd’hui abrogée et remplacée par la loi 28-07, confiait le prélèvement des échantillons de produits à analyser aux services de la répression des fraudes. Les fonctionnaires de ces services étaient totalement indépendants des laboratoires officiels et notamment du Laboratoire Officiel d’Analyses et de Recherches Chimiques (LOARC). Des documents dans nos archives montrent que nombre de ces fonctionnaires ignoraient beaucoup de la spécificité du travail de prélèvement ce qui a certainement dû, avant l’année 2000, impacter de manière défavorable des résultats d’analyses des échantillons examinés à l’époque. J’ai eu l’occasion, lors d’opérations de contre-expertises, qui m’avaient été demandées par la justice, d’évoquer cette question avec les responsables des laboratoires officiels dont le LOARC. Leur réponse était toujours la même : « Nous ne sommes pas responsables des échantillons qui nous sont remis ». Cela voulait dire deux choses : 1) Que les résultats remis par le LOARC ne souffraient pas de doute et 2) Au cas où il y aurait eu un doute, il fallait le régler avec les « fonctionnaires » préleveurs qui peuvent s’être trompés et avoir remis au laboratoire officiel un « mauvais échantillon » (Valeur d’aujourd’hui, s’il y a litige, le propriétaire d’une marchandise doit le régler avec l’entité responsable des prélèvements). Des entreprises avaient essayé de porter plainte au tribunal contre les services de la répression des fraudes mais sans succès. En effet, le BA, source de leurs ennuis, était entièrement libellé par le LOARC et rien ou presque n’était dit sur le travail des « fonctionnaires préleveurs ». En somme, en scindant la responsabilité sur les opérations de prélèvements de celle sur le travail de contrôle analytique, tout était fait pour garder les coudées franches, au laboratoire officiel d’un côté et aux fonctionnaires de la répression des fraudes de l’autre, sur la maitrise totale du flux des marchandises vers l’intérieur et l’extérieur du Royaume et, dans le même temps, rendre pratiquement impossible l’aboutissement de quelque réclamation que ce soit de la part d’un opérateur lésé.

 Le contrôle selon la loi 28-07

 La loi 28-07 de sécurité sanitaire des aliments, et les textes pour son application, actuellement en vigueur, conçoit, à l’instar des réglementations de pays avancés, les opérations d’examens et d’analyses comme un « tout indivisible » comprenant aussi bien les opérations de prélèvement que celles d’analyses au laboratoire. Ainsi, par sa signature en bas du BA, le responsable du laboratoire officiel de l’Etat (ou un autre), endosse la responsabilité sur l’intégralité des opérations commençant par celles de prélèvement, passant par les analyses au laboratoire et se terminant par l’édition dûment signée du BA sur l’échantillon en tant «que « représentant » du lot de marchandise. Il y a lieu de comprendre qu’en cas d’un différend, la responsabilité du laboratoire est pleine et entière sur l’ensemble des opérations indiquées ci-dessus.

 Quid de l’application de la loi 28-07

 Les informations recoupées à partir de plusieurs sources montrent que les prélèvements effectués ces jours sur des marchandises à l’import et/ou à l’export à partir de Casablanca, analysés ensuite par l’un ou l’autre des laboratoires officiels de l’Etat,  sont à présent confiés à des sociétés privées, par décision « souveraine » d’un service du Ministère de l’Agriculture. Parmi les responsables de ces sociétés, certains ont fait carrière sous la bannière de la défunte loi répressive « 13-83 » avant de prendre leur retraite. Ce blog ne possède pas d’information sur comment un tel privilège et une telle charge ont été transférés du public au privé et dans quelles circonstances. En attendant plus d’éléments sur ce qui semble être une transaction, il est possible d’en tirer deux significations : 1) Selon notre perception des choses, les responsables étatiques derrière cette initiative compliquent la tâche du Royaume à jouer la transparence dans l’exécution des opérations d’analyses et expertises et à traiter les intérêts des investisseurs étrangers intéressés à venir travailler au Maroc de manière égalitaire. Ensuite 2) En confiant les opérations de prélèvement à une société indépendante du laboratoire responsable des analyses qui suivront, les amateurs des opérations d’Assurance / Qualité, qui ont pris cette décision, décrédibilisent la réglementation nationale en vigueur, eux qui sont supposés veiller à son application, en considérant de fait que les opérations de prélèvements, qui peuvent impacter les résultats d’analyses, ne sont finalement pas de leur responsabilité mais plutôt d’une autre société indépendante ! Il est vrai qu’en cas de litige sur les résultats d’un BA, avec ce système de séparation arbitraire de l’acte de prélèvement des autres opérations d’analyses et de contrôle, un propriétaire lésé sur une marchandise aura toutes les peines du monde à recouvrer ses droits. Parce qu’il lui faudra beaucoup de temps (dont les hommes d’affaires manquent généralement), d’argent et de patience pour éventuellement mettre le doigt sur un responsable d’une négligence quelconque. C’est probablement le but visé par ceux qui sont derrière cette manipulation illégitime de la loi. C’était la situation sous l’ancienne « loi 13-83 » qui a fait fuir à l’époque la plupart des industriels étrangers intéressés d’investir au Royaume.

 Il n’y a pas, en guise de conclusion, à s’alarmer plus que ça. Il reste que le LOARC a contribué par sa faute à envoyer en prison une personne pour une année de sa vie il y a 18 ans de cela parce que ce laboratoire n’a pas su distinguer une bière alcoolisée de celle qui ne l’est pas. Ce même laboratoire, juste dernièrement, a été incapable de différencier, malgré les accréditations dont il dispose, une purée d’un jus de fruit concentré affaiblissant de facto la position des industriels marocains vis-à-vis de leurs compétiteurs étrangers (et cette liste de grosses erreurs documentées peut être allongée au besoin). Alors si, parmi les gens qui ont reçu délégation (de ce service ministériel dans des conditions olé olé) d’effectuer des prélèvements, il y a des responsables retraités comme ceux évoqués ci-dessus, qui géreront dorénavant en amont les flux de marchandises vers l’intérieur et l’extérieur du Royaume, le Directeur Général de l’ONSSA devrait effectivement se faire du souci à l’avenir. Peut être davantage encore, selon notre opinion, pour les produits que ces gens peuvent contribuer à laisser passer chez nous que les marchandises qui seront refoulées.

Publicité mensongère sur les produits agroalimentaires

Dans les années quatre vingt dix, la Cour d’Appel de Casablanca avait requis mon avis d’expert dans un dossier où les services de la répression des fraudes accusaient une multinationale  de vendre des savonnettes à l’huile d’olive qui n’en contenaient pas. De l’huile d’olive, il y en avait pourtant dans les lots de fabrication mais à des quantités tellement faibles qu’elles passaient inaperçues pour les techniques usuelles de contrôle de laboratoire. En tout état de cause, cela contredisait le message subliminal véhiculé par l’image d’une branche d’olive occupant le plus grand espace de la face principale de l’emballage de la savonnette cherchant supposément à indiquer que l’huile était ajoutée généreusement. Aux Etats Unis, où la loi réglemente l’étiquetage de manière draconienne, l’attitude de la société aurait sans doute été considérée comme une transgression à sanctionner. Mais chez nous, la publicité mensongère est loin de constituer une préoccupation immédiate aux yeux de la réglementation en vigueur. Pour cette raison sans doute, il n’est pas rare de constater que des spots publicitaires jugés mensongers dans d’autres pays sont acceptés par les grands médias audiovisuels marocains pour passages aux heures de grandes écoutes sans que personne n’y trouve à redire. Cet article évoque quelques facettes de la publicité abusive et voit s’il y a moyen de faire améliorer les choses tout de même.

 Publicité et Loi

 Le principe de base des lois sur la sécurité sanitaire des aliments est le même à travers le monde : le fournisseur a l’obligation de mettre sur le marché des produits salubres. Mais l’évaluation même de la salubrité varie en fonction de nombreux paramètres connus pour certains ou moins bien maitrisés pour d’autres. Par exemple, dans les années cinquante, la publicité sur la cigarette (produit non alimentaire) associait sa consommation à de meilleurs rendements sportifs ! Qui pourrait croire une telle sottise aujourd’hui ? Certaines boissons gazeuses mondialement connues prétendaient étancher la soif. Aujourd’hui, de nombreuses réglementations reconnaissent que plutôt, ces boissons sont conçues pour aviver la soif. La publicité sur ces articles n’a pourtant pas cessé pour autant, mais les slogans utilisés eux ont été reconçus pour mieux se faufiler aux travers des mailles de la loi. Car en définitive, le consommateur que la loi cherche à protéger des abus est celui là même que l’industriel veut s’approprier par des messages publicitaires de plus en plus élaborés. Quand la réglementation consacre cent dirhams pour prémunir le client, l’industriel affecte dix mille dirhams en lieu et place pour convaincre le même client d’acheter. La lutte est définitivement inégale.

 Sophistication du message publicitaire

 Depuis la chute du communisme, les nouveaux pays qui optent pour une économie libérale ne cessent d’augmenter et cette multiplication est naturellement accompagnée par la naissance de nouvelles zones industrielles, agroalimentaires notamment, qui cherchent à émerger et pérenniser leurs activités sur le marché globalisé. D’une manière ou d’une autre, tous ces gens utilisent la publicité comme moyen pour attirer davantage de consommateurs vers leurs produits. A un moment donné, la compétition devient féroce et le libellé du message publicitaire à l’adresse du consommateur à harponner devient un véritable facteur limitant qui doit être hautement étudié. Dans cette jungle où les slogans pullulent, mais où on n’est pas plus informé qu’avant, les consommateurs sont devenus malades de leur alimentation. Or, les caractéristiques récurrentes d’un malade est qu’il est méfiant sauf devant son médecin soignant. Il est possible que les industriels de l’agroalimentaire aient été rendus attentifs à ce constat et alors, dans le but de forcer la main aux clients à acheter leurs produits coûte que coûte, en sont venus à utiliser des moyens publicitaires jusque là réservés aux médicaments.  La publicité sur un yogourt qui laisse entendre que la consommation régulière du produit peut régulariser un transit intestinal perturbé est à verser dans la rubrique de ces libellés qui flirtent avec la zone de fluctuation entre ce qui est alimentaire et ce qui est médicamenteux. Bien entendu, le consommateur lambda, généralement profane des questions de sciences, qui reçoit le message publicitaire, surtout suite à un repas copieux le soir d’un jour de Ramadan, et comprend qu’il peut rectifier sa « pathologie gastro-intestinale » en étant attablé chez lui simplement en consommant un yogourt, a toutes les chances de mordre comme il faut à l’hameçon publicitaire.

 Commentaire

 Il est généralement admis que si un produit pharmaceutique arrive à guérir plus de 85% des patients atteints d’une maladie déterminée, les vertus thérapeutiques source de la guérison sont reconnues par les instances réglementaires au médicament en question sous réserve, en particulier, que les effets indésirables soient également bien spécifiés et notifiés. Mais la fabrication d’un médicament requiert des investissements considérables en recherche et exige souvent beaucoup de patience sur le long processus qui mène parfois à la découverte de la molécule miracle qui rapportera le gros lot à la société pharmaceutique. Une fois tout ce chemin franchi avec succès, les substances peuvent être prescrites par le médecin traitant et le patient qui veut guérir n’a plus grand choix sinon de se conformer à ce que les professionnels lui recommandent comme produits à acheter. Arrivé en bout de course, l’industriel pharmaceutique, qui voit la vente de ses produits se faire de manière souple et sans entrave, peut bien évidemment exciter la convoitise de l’industriel agroalimentaire. Le problème est que les deux protagonistes ne courent pas du tout le même risque en plus du fait que transformer un aliment frais en produit industriel stable est, comparativement, accessible avec beaucoup moins de tracas. La question reste que les consommateurs sont malades de leur alimentation. A la base, il y a la multiplication des « Junk Food » (malbouffe), soupçonnés d’être à l’origine de nombreuses pathologies liées au diabète, obésité et autres maladies cardiovasculaires. Une solution serait, pour diminuer l’incidence de telles maladies d’origine alimentaire, de convaincre les industriels d’être plus regardants sur ce qu’ils ajoutent à la nourriture de masse. Mais ces gens ne sont réceptifs qu’au rendement économique de leur Business et rien d’autre et il leur semble bien plus indiqué d’envahir les plates bandes de la publicité pour produits médicamenteux pour forcer la main aux consommateurs réticents sur l’achat de leurs produits et faire ainsi augmenter leur chiffre d’affaire.

 En guise de conclusion, quoiqu’une mise à niveau de notre arsenal juridique concernant la publicité sur les aliments soit en cours, le Maroc ferait bien de réfléchir, entre temps, à des mesures provisoires pour infléchir la vague de publicités mensongères qui infecte la plupart des médias nationaux. Cela peut être une idée de demander simplement, par exemple, si les spots publicitaires, que ces gens souhaitent passer sur les médias marocains, ont été refusés par un autre pays et pour quelle raison. S’il s’avère que cela a été le cas pour chevauchement sur le territoire de la santé, alors les orienter vers le Ministère de la santé pour avis. Cela en découragera sûrement quelques uns.